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«J’ai fini.  – Ah oui?»:  les obstacles à la révision

«J’ai fini. – Ah oui?»: les obstacles à la révision

Titulaire d’une maitrise* en didactique du français à l’Université Laval, Hélène Paradis a déjà signé dans Correspondance trois articles portant respectivement sur la planification, la mise en texte et la réécriture – trois sous-processus de l’écriture. Ce quatrième et dernier article de la série fait le point sur les difficultés qui entravent la révision.

Synthèse des connaissances en didactique du français sur l’écriture et le processus scriptural.

« J’AI FINI. » Voici l’élève qui vous tend sa copie finale. Vous l’avez vu réviser, sa feuille levée devant ses yeux, tenue au bout de ses bras. Vous savez bien que malgré cela, il reste bon nombre d’erreurs de tous ordres dans son texte. Pourquoi? Qu’est-ce qui a bien pu nuire à la révision? Selon différentes recherches (voir Paradis, 2012b), des obstacles épistémologiques, psychocognitifs, affectifs et didactiques ont pu entraver le processus. Nous les expliciterons dans le présent article[1].

La révision est le sous-processus de la rédaction où l’élève relit son texte pour détecter les manques, catégoriser les erreurs et sélectionner la manière de corriger (Fayol et Heurley, 1995). Cette dernière étape de l’écriture consiste pour le scripteur à rendre son texte le plus conforme possible aux « normes phrastiques, génériques, pragmatiques, [à l’évaluer] en termes de rapport aux normes langagières enseignées » (Bucheton, 2000). Nous préférons le terme révision à celui de correction, puisque la révision est souvent effectuée sans que la correction suive, même si la correction reste l’objectif de la révision. Voyons maintenant les types d’obstacles qui risquent de faire échouerla révision.

Obstacles épistémologiques

Les obstacles épistémologiques sont des connaissances ou des représentations que possède l’élève et qui nuisent à l’acquisition de connaissances plus justes. Ainsi, certains élèves considèrent l’écriture comme un processus linéaire plutôt qu’itératif; ils confondent production écrite et production orale, alors qu’il est impossible, dans le cas de cette dernière, de raturer, de corriger. D’autres considèrent que le texte existe en totalité avant son écriture, comme dicté de l’intérieur et conçu avant la mise en texte, et qu’il ne requiert donc pas de révision (Plane, 1996). Les textes qu’ils lisent – qui ne portent aucune marque de correction – peuvent les conforter dans cette idée. Peu importe la raison pour laquelle les élèves ont une représentation linéaire de l’écriture, il reste que le retour sur le texte entre en contradiction avec une telle représentation : « Pourquoi relire si j’ai déjà mis ce que j’avais en tête par écrit et que ce que j’avais en tête n’a pas changé? »

Chez les élèves pour qui réviser a son utilité, c’est parfois la définition de ce qu’est réviser qui nuit : Hayes et collab. (1987, cités dans Hayes, 1996) ont montré que des étudiants de première année d’université ne révisaient pas des structures plus vastes que la phrase. Selon les auteurs de l’étude, cela s’expliquerait entre autres par le fait que les étudiants ne considéraient tout simplement pas que corriger de façon globale entrait dans la tâche de révision d’un texte. Aussi, donner une grille dans laquelle se trouvent des aspects discursifs et textuels liés au genre de texte à produire en plus des traditionnels critères de syntaxe, de ponctuation et d’orthographe pourra élargir leur conception de la révision (Paradis, 2013b).

Obstacles psychocognitifs

Les obstacles psychocognitifs sont nombreux. D’abord, les apprentis-scripteurs sont souvent en surcharge cognitive, ce qui les empêche de réviser correctement et ce qui survient davantage quand le sujet de la rédaction est peu connu ou peu modélisé par l’élève (Paradis, 2012a; Plane, 1996). Si l’absence de stratégies de révision est vraisemblablement le problème de certains, les obstacles sont probablement liés chez d’autres à la difficulté à coordonner en mémoire de travail l’ensemble des connaissances et stratégies nécessaires à la tâche. Réviser, en effet, implique :

  • d’avoir en tête la consigne donnée par l’enseignant – ou le mandat que l’on s’est donné comme scripteur;
  • de se distancier de son texte pour éviter de considérer le texte projeté plutôt que le texte réel (voir Paradis, 2013a);
  • d’effectuer une lecture évaluative, au cours de laquelle on cesse comme lecteur de coopérer, c’est-à-dire de « boucher les trous » du texte, pour plutôt y détecter les failles, les dysfonctionnements;
  • de repérer les erreurs à tous les niveaux d’organisation du texte (Paradis, 2013b);
  • de trouver la façon de pallier les erreurs détectées : on peut constater une faiblesse, mais ne pas savoir comment y remédier. Un élève qui parviendrait à percevoir les problèmes sémantiques dans son texte, ce qui est déjà un défi, n’aura pas toujours une solution adéquate, les scripteurs apprenants ayant de faibles connaissances syntaxiques et de la difficulté à réécrire, à paraphraser, à réorganiser le texte (Fayol, 1996; Hayes, 1996);
  • de mettre en œuvre la correction appropriée.

Ne nous surprenons pas, donc, que certains élèves « révisent » sans parvenir à corriger.

Comme la révision se base sur une lecture évaluative du texte, les capacités en lecture sont déterminantes pour que l’opération réussisse. Un auteur qui se relit en mode « lecture de compréhension » – qui coopère en palliant les manques du texte, en ne s’arrêtant pas à l’orthographe ni aux structures de phrases ni aux reprises pronominales, etc., pour seulement chercher à construire du sens à partir de ce qu’il lit – ne décèlera pas les erreurs. Il y parviendra encore moins s’il s’agit de son propre texte, parce que lorsqu’il lit son propre texte, les concepts qui s’y trouvent réactivent la conception qu’il a en mémoire; il peine alors à distinguer ce qu’il a véritablement énoncé de ce qu’il souhaitait énoncer (Fayol, 1996). Ainsi, l’auteur possède des connaissances que le lecteur n’a pas et que ce dernier emploie pour comprendre le texte lors de la relecture, notamment au sujet des antécédents des pronoms (Plane, 1996).

Il est aussi possible qu’il lise le texte qu’il s’imagine avoir écrit et non pas le texte véritablement écrit. En effet, Perl (1979, cité dans Alamargot, Chanquoy et Chuy, 2005) a observé que lors d’une lecture à voix haute de son texte, le scripteur y ajoute des expressions qui ne s’y trouvent pas, mais qu’il doit s’imaginer y être, puisqu’il avait planifié de les y mettre (Paradis, 2013a). En somme, « la difficulté de relecture tient […] à la nécessité de neutraliser des informations privilégiées que détient le scripteur et que ne possède pas le lecteur virtuel, afin de se construire une représentation du texte n’intégrant pas ces savoirs » (Plane, 1996). Contrairement à l’oral, il est impossible, à l’écrit, de se baser sur les réactions de son destinataire pour déceler les problèmes dans son texte et déterminer les corrections à lui apporter, ce qui complexifie la révision pour les scripteurs faibles. Écrire, c’est aussi dialoguer, communiquer avec quelqu’un, ce que tendent à oublier les élèves.

Par ailleurs, en raison de faibles capacités en lecture, beaucoup de ressources cognitives seront exigées pour lire et il y en aura moins de disponibles pour la révision, selon la théorie capacitaire (Paradis, 2013b). Les élèves faibles en lecture ne parviendront conséquemment qu’à corriger les erreurs de surface (ce type de correction étant moins couteux cognitivement), d’autant plus qu’ils ne parviennent généralement qu’à faire une lecture phrase par phrase, ce qui les empêche de saisir le sens global et donc d’évaluer le texte pour éventuellement l’améliorer (Alamargot, Chanquoy et Chuy, 2005).

L’échec dans la révision globale du texte tient peut-être aussi à la stratégie de planification employée par les élèves : s’ils rédigent au fur et à mesure que les idées sont récupérées en mémoire plutôt qu’en les sélectionnant et en les organisant en fonction de la situation de communication (Paradis, 2012a), il serait étonnant qu’ils parviennent, au moment de la révision, à considérer la situation de communication comme une contrainte à respecter. En somme, si les apprentis scripteurs ne parviennent pas à rechercher l’information en fonction des buts ou du destinataire du texte, ils ne réussissent conséquemment pas non plus à corriger la structure et les idées en fonction de la situation de communication, se limitant à des modifications aux premiers niveaux d’organisation du texte (Scardamalia, Bereiter et Steinbach, 1984, cités dans Hayes et Nash, 1996, p. 19-55).

Obstacles affectifs

Certains obstacles affectifs peuvent aussi entraver le sous-processus de révision : l’élève s’investit sur le plan affectif pendant l’écriture, et la distanciation exigée par rapport à son texte au moment de la relecture est délicate. Réviser implique la capacité de mettre en doute ce que l’on vient de produire, ce qui peut être insécurisant. Pour parvenir à corriger, il faut en outre avoir confiance en ses capacités de régler les problèmes relevés, ce qui n’est pas le cas de tous les élèves, qui peuvent alors se désengager de la tâche de révision. Rappelons enfin que la rature et le brouillon sont considérés négativement par les élèves, qui les perçoivent comme des preuves de leur incompétence et comme malpropres (Plane, 1996).

Obstacles engendrés par l’enseignement même de l’écriture

Plusieurs obstacles sont – malheureusement – engendrés par l’enseignement même de l’écriture. En premier lieu, nous l’avons mentionné, certains enseignants se représentent l’écriture comme le « transcodage d’un texte mental préexistant à sa formulation verbale » (Plane, 1996)[2], représentation qui sera adoptée par plusieurs élèves.

En deuxième lieu, les enseignants ne corrigent généralement que la copie finale; s’ils exigent le brouillon, ils ne montrent pas aux élèves à tirer parti de cet outil, ce qui valorise uniquement le produit fini, au détriment du processus qui y mène. À ce sujet, Boré (2004) relève l’importance d’aiguiller les élèves dans leur révision : « Dans les situations d’écriture évaluative […] dans lesquelles les élèves ne sont pas guidés par le retour extériorisé de l’enseignant sur leur énonciation, on constate qu’il y a quantitativement moins de ratures dans les brouillons. » Ainsi, l’étayage de l’enseignant est nécessaire.

En troisième lieu, certains enseignants se concentrent sur des aspects locaux de la production écrite, ce que font ensuite les élèves. L’enseignement traditionnel du français du plus petit élément au plus grand (lettre, mot, phrase, texte) – et bien souvent centré sur les plus petits éléments – ne valorise pas le sens, ni ne donne de stratégies permettant la mise en œuvre concrète de l’écriture et de la révision. Il est plus facile – voire sécurisant – pour l’enseignant de revenir sur un point de langue précis que d’expliquer en quoi un aspect est plus pertinent à analyser chez cet auteur-ci que chez celui-là ou que d’enseigner comment évaluer l’efficacité de la disposition des arguments dans le texte. Ce type de commentaires de la part des enseignants exige d’eux une lecture attentive, globale, exigeante en raison du temps et de la concentration qu’elle nécessite; c’est le type de lecture qu’on attendrait des élèves, mais qu’il est difficile d’effectuer même pour l’enseignant confronté à une pile de copies à corriger. Se rabattre sur les erreurs de langue s’avère moins compliqué pour tous, mais insuffisant. Une avenue possible pour enseigner la révision sans y laisser sa santé (!) serait d’afficher au tableau un texte d’élève et de présenter un modèle de révision à voix haute en passant par les différents niveaux d’organisation[3], du plus global au plus particulier (Paradis, 2013b). On pourra par la suite demander une lecture par les pairs, qui devront réviser un texte d’un autre élève en tenant compte des stratégies données par l’enseignant à l’aide du texte modèle. Enfin, lors des évaluations sommatives, on rappellera aux élèves l’exercice de révision réalisé auparavant pour qu’ils aient en tête les stratégies vues et les réemploient indépendamment.

Soyons optimistes : l’enseignant joue un rôle décisif dans la réussite de la révision de texte. Il doit :

* * *

  • convaincre ses élèves qu’écrire demande de nombreux retours et relectures;
  • élargir leur conception de la révision, qui doit dépasser la limite de la phrase – il ne s’agit pas simplement d’ajouter des « s »;
  • leur présenter un modèle de révision efficace et leur fournir les outils et stratégies nécessaires à sa mise en œuvre;
  • permettre, quand c’est possible, la révision par les pairs – le réviseur apprenant souvent autant sinon plus que le révisé lors de cet exercice;
  • exiger l’annotation du brouillon à l’aide d’une stratégie constante;
  • faire réviser souvent, en donnant beaucoup de temps, pour compenser les limites capacitaires.

En procédant de la sorte, les élèves ne feront peut-être pas que relire leur texte en fin de parcours; ils le réviseront effectivement et y apporteront des corrections pertinentes.

* * *

  1. Contrairement à ce que nous avons fait pour les précédents, nous ne nous arrêterons pas ici au fonctionnement cognitif du sous-processus ni aux dispositifs didactiques le favorisant; nous vous renvoyons à ce sujet à l’article de Suzanne-G. Chartrand publié dans Correspondance en janvier 2013. [Retour]
  2. Rappelons ici l’étude de Lafont-Terranova et Colin (2006) sur les représentations des enseignants au sujet de la norme : pour une majorité d’entre eux, écrire consiste à transcrire des idées déjà là. [Retour]
  3. Encore une fois, tout n’a pas à être travaillé à chaque texte, ce qui risquerait d’écraser les élèves sous la charge. Morceler le travail est plus encourageant et leur donne une impression de contrôle; ils s’y attelleront plus volontiers s’ils savent qu’ils parviendront à compléter la tâche de révision limitée qu’on exige d’eux. [Retour]

RÉFÉRENCES

BORÉ, C. (2004). « Contribution des brouillons à la connaissance de l’écriture scolaire », Le français aujourd’hui, nº 144, p. 42-51.

BUCHETON, D. (2000). « Table ronde sur la réécriture (Cinq réponses écrites à un questionnaire commun) : réécrire ou penser à nouveau son texte », Pratiques, nos 105-106, p. 203-211.

FAYOL, M. et L. HEURLEY (1995). « Des modèles de production du langage à l’étude du fonctionnement du scripteur, enfant et adulte » (trad. G. Fortier), dans BOYER, J.-Y., J.-P. DIONNE et P. RAYMOND (dir. publ.), La production de textes : vers un modèle d’enseignement de l’écriture, Montréal, Les éditions logiques, p. 17-48.

FAYOL, M. (1996). « La production du langage écrit », dans DAVID J. et S. PLANE (dir. publ.), L’apprentissage de l’écriture de l’école au collège, Paris, Presses universitaires de France, p. 9-36.

HAYES, J. R. (1996). « A New Framework for Understanding Cognition and Affect in Writing ». In C. M. LEVY & S. RANSDELL (Eds.), The Science of Writing: Theories, Methods, Individual Differences, and Applications (p. 1-27), Mahwah, Lawrence Erbaum Associates.

HAYES, J. R. and J. G. NASH (1996). « On the Nature of Planning in Writing », in C. M. LEVY & S. RANSDELL (Eds.), Op. cit.

LAFONT-TERRANOVA, J. et D. COLIN (2006). « La question de la norme dans le discours d’enseignants de collège », dans LAFONT-TERRANOVA, J. et D. COLIN (dir. publ.), Didactique de l’écrit : la construction des savoirs et le sujet écrivant, Namur, Diptyque/Presses universitaires de Namur, 
p. 105-131.

PARADIS, H. (2013a). « La réécriture », Correspondance, vol. 18, nº 3, p. 21-24.

PARADIS, H. (2013b). « La mise en texte, ou comment gérer simultanément un nombre incroyable de données », Correspondance, vol. 18, nº 2, p. 3-6.

PARADIS, H. (2012a). « La planification d’un texte : pourquoi? comment? », Correspondance, vol. 18, nº 1, p. 12-14.

PARADIS, H. (2012b). Synthèse des connaissances en didactique du français sur l’écriture et le processus scriptural, Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures pour l’obtention du grade de M. A. en didactique, Université Laval.

PLANE, S. (1996). « Écriture, réécriture et traitement de texte », dans DAVID, J. et S. PLANE (éd.), L’apprentissage de l’écriture de l’école au collège, Paris, Presses universitaires de France, p. 37-77.

PERL (1979), cité dans ALAMARGOT, D., L. CHANQUOY et M. CHUY (2005), « L’élaboration du contenu du texte : de la mémoire à long terme à l’environnement de la tâche », Psychologie française, vol. 50, nº 3, p. 287-304.

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