Le Centre d’aide en français du collège Ahuntsic: les moments clés de son histoire
Le Centre d’aide en français du collège Ahuntsic fête ses 15 ans en 2007. Un coup d’œil sur le dernier rapport annuel du Centre[1] nous indique sa santé vigoureuse : plus de 450 inscriptions d’étudiants, dont 366 aidés individuellement, 56 moniteurs à l’hiver 2006, dont 32 rémunérés, deux enseignantes responsables de l’encadrement pédagogique, une secrétaire à temps plein, un local adéquat, des manuels, des ordinateurs. Le CAF est respecté, son travail reconnu, voire encouragé, par tout le collège. Les relations avec le Service de soutien à l’apprentissage qui le chapeaute sont harmonieuses, constructives, efficaces. La directrice des études, Mme Lyne Boileau, est une inconditionnelle du Centre ; elle a beaucoup fait dans le passé pour sa survie. Car tout n’a pas toujours été aussi rose.
Je vous propose un voyage dans le temps. Nous allons revenir ensemble sur les pas de ceux et de celles qui ont bâti le Centre d’aide en français du collège Ahuntsic, qui l’ont soutenu, qui l’ont défendu bec et ongles. Certains en ont désespéré, mais chacun a participé au développement de ses outils et services. Je salue ici les enseignantes et les enseignants de français qui ont été ses âmes passionnées. Travail rigoureux et ferveur jamais démentie, voilà ce que je lis dans les documents que j’ai consultés pour écrire cet article. Peut-être allez-vous vous y reconnaître ; je le souhaite.
Le temps des défricheurs
La création du Centre d’aide en français au collège Ahuntsic se situe à la fin des années 1980, après que le Département de français eut exploré diverses méthodes d’intervention en français écrit[2] : cours de recyclage en français (1969), ateliers de français écrit (1971), centre de dépannage (1977 à 1980), cours de rattrapage (1983) puis de mise à niveau, jumelés ou non au premier cours de la séquence des cours obligatoires (années 1980, puis de 1990 jusqu’à aujourd’hui). La Direction des études (alors appelée « Direction des services pédagogiques ») mandate fin 1990 un enseignant de français, Gervais Fournier, afin qu’il lui fournisse « […] un modèle de centre d’aide en français écrit qui convienne le mieux possible aux besoins, attentes et désirs de notre milieu[3] ». Le « modèle » est défini dans le rapport de Gervais Fournier et un comité d’implantation est formé par la suite. Le Centre d’aide est alors situé dans les locaux de la bibliothèque ; il est rattaché à la coordination responsable des ressources didactiques. Il s’ensuit une année complète de démêlés avec le coordonnateur, qui se montre peu efficace : le local n’est pas prêt à temps, les équipements et les manuels ne sont pas achetés, les ordinateurs datent du néolithique. Malgré tout, les besoins des étudiants sont criants, les inscriptions sont nombreuses. Usés par les conflits parfois houleux, excédés, à bout de nerfs, les professeurs responsables du Centre jettent l’éponge au bout de deux ans.
Que retenir de cette époque des « défricheurs » ? D’abord, la nécessité de s’appuyer sur une volonté ferme de la direction du collège, surtout de la part des cadres responsables de la pédagogie. La volonté politique de la Direction des études est essentielle au maintien d’un centre d’aide en français. À l’époque de la création du CAF au collège Ahuntsic, Bernard Morin, qui avait auparavant été professeur de français, occupait le poste de directeur de l’enseignement préuniversitaire et de la formation générale. Plus tard, M. Morin deviendra directeur des études de notre collège. Sa compréhension des difficultés propres à l’enseignement du français et son appui au Centre d’aide ont été essentiels et précieux. Malgré tout, les luttes de pouvoir et les tensions entre les différents services du collège ont parfois relégué au second rang les demandes de quelques enseignants, même si ceux-ci s’égosillaient en réclamations.
L’argent, le nerf de la guerre
Ce qui distinguait à l’origine notre CAF des autres centres d’aide en français, c’était le recours à des étudiants universitaires comme tuteurs (que l’on appelait « moniteurs »). Ces derniers étaient rémunérés à même la subvention spéciale du ministre de l’époque, Claude Ryan (celui-là même qui s’était vanté dans L’Actualité de ne jamais lire de romans). Je deviens alors responsable du Centre d’aide. De 1994 à 1996, le CAF fonctionne rondement : il reçoit en moyenne plus de 400 inscriptions par année, les activités se diversifient, les outils d’apprentissage se multiplient. Cependant, l’argent aiguise les appétits. Très tôt, le syndicat des employés de soutien revendique ces postes de « techniciens de la langue » que représentent nos moniteurs à ses yeux. Par ailleurs, le collège n’arrive plus à persuader le syndicat des enseignants de puiser dans une partie de la masse salariale (que l’on appelle alors « fonctions connexes » à l’enseignement) afin de payer le dégrèvement de l’enseignant responsable du Centre.
En 1996, la subvention « Ryan » n’est plus versée aux cégeps. Le CAF perd tous ses moniteurs rémunérés. La Direction du collège décide de maintenir les services du CAF en espérant utiliser la disponibilité des enseignants du Département de français pour offrir les services de monitorat. Cette formule aboutit à un échec lamentable. Le Centre perd son responsable à la coordination. En 1997, il ne reste plus qu’à mettre dans des boîtes le matériel du CAF et à le sortir de son local, ce qui sera fait durant l’été 1997, en catimini, par le Service des ressources didactiques qui désire récupérer ses locaux.
Que penser de cette période tantôt faste et productive, tantôt sombre et démobilisante ? D’abord, retenons l’importance des relations entre la Direction et les syndicats de ses employés. Certains collèges ont des directions omnipotentes, au pouvoir centralisé. D’autres connaissent des relations de travail tendues. Quel que soit le modèle, les décisions importantes, celles qui mettent en jeu l’argent destiné à l’enseignement ou au soutien à l’enseignement, sont l’occasion de confrontations et de tractations qui nous dépassent. Comment réagir en de telles circonstances ? Je ne sais trop. En vociférant, certes. En se servant de la grande arme des gens de lettres : l’écriture dans sa rigueur argumentative. Devant la mise en boîte du Centre d’aide en 1997, devant ce qui fut perçu comme une trahison, un abandon, un mépris pour l’engagement des professeurs, le Département de français s’est fait entendre haut et fort. Il s’est aussi servi d’appuis stratégiques.
La formule gagnante
En 1997, il a donc fallu reprendre le travail qui avait mené à la création du CAF en 1991. Un autre comité consultatif a été mis sur pied pour redessiner le nouveau Centre d’aide en français, qui se retrouvait dans un minuscule local armoire à balais. Une enseignante de français, Martine St-Pierre, reprenait le flambeau. Elle a travaillé durant l’année 1997-1998, avec la coordonnatrice de l’enseignement préuniversitaire et de la formation générale, Lyne Boileau[4], à rebâtir le Centre. Le modèle pédagogique retenu se tournait cette fois vers une formule d’aide individuelle dispensée par des pairs formés dans un cours de relation d’aide en français (un groupe de formation propre de 25 étudiants forts en français). Le collège puisait dans son bas de laine et injectait 20 000 $ pour le renouvellement des ordinateurs et autres équipements.
Notre CAF prenait donc la voie du tutorat par les pairs. Restait à renégocier au CRT des professeurs le dégrèvement de la responsable du Centre. Quel défi ! À la Commission des études du collège se discutait parallèlement le nouveau dossier de la réussite scolaire. Des sommes nouvelles étaient rendues disponibles dans le cadre d’un vaste plan national d’aide à la réussite. Au tournant du siècle, la Commission des études formait son comité de la réussite chargé de formuler un plan local d’aide. Un professeur de français y siégeait. Cette présence, que j’ai assurée au bon endroit, au bon moment, aura facilité la compréhension du fonctionnement et des besoins du Centre d’aide. Du coup, le Centre d’aide en français devenait incontournable, prenait valeur de modèle. Le collège allait utiliser l’argent neuf du plan de la réussite et consolider tout le budget nécessaire au bon fonctionnement du CAF : les frais engagés par l’enseignant responsable du Centre, ceux engagés par le travail d’un second enseignant encadrant les nouvelles activités se rattachant aux projets d’aide à la réussite en français (PAR), le salaire d’une secrétaire à temps complet, le fonds de roulement. La bibliothèque ayant fait peau neuve grâce à d’autres fonds spéciaux, un nouveau local taillé sur mesure était désormais disponible. Mieux, on allait développer bientôt une panoplie de nouveaux services : aide aux devoirs pour les élèves en difficulté dans les cours réguliers de la séquence des cours de français, préparation à l’EUF, aide toute particulière aux allophones. Notre CAF allait servir de modèle et un centre d’aide en mathématiques allait voir le jour. Des formules hybrides se développaient en sciences et ailleurs. Une structure organisationnelle coiffait le tout : le Service de soutien à l’apprentissage. Nous en sommes là. Les cinq dernières années sont marquées par la stabilité organisationnelle et par la récurrence des moyens et services. Le navire CAF vogue sur des eaux calmes, jusqu’à la prochaine tempête…
S’il faut faire le point sur cette période de prospérité, force est de constater que tout ce beau système de soutien à l’apprentissage, parallèle à l’enseignement régulier, ne tient qu’au versement des sommes allouées à l’aide à la réussite. Voilà le grand danger, car la disparition de cette subvention particulière replongerait le CAF dans un nouveau psychodrame. Jamais nos collègues des autres disciplines n’ont accepté et n’accepteront que l’on puise les ressources nécessaires à la coordination du Centre à même la masse salariale des enseignants. Par ailleurs, si le rattachement du Centre d’aide en français au Service de soutien à l’apprentissage est un facteur de stabilité, il contribue par ailleurs à l’éloigner du Département de français. Les professeurs de français se sentent de moins en moins concernés, semble-t-il, par leur Centre d’aide. Cette baisse d’intérêt ne peut qu’être néfaste pour l’avenir du CAF.
L’avenir incertain
Sans vouloir jouer les Cassandre, je rappelle les menaces qui planent au-dessus de nos centres d’aide. J’ai précédemment parlé des subventions d’aide à la réussite ; elles ne peuvent être éternelles. On peut cependant penser qu’il serait possible de remplacer l’actuel programme de soutien à l’apprentissage par un autre programme qui porterait un nouveau nom, mais qui viserait les mêmes objectifs, car le mal, l’incompétence des étudiants en français écrit, est loin d’être en régression. Comme disait l’autre : le français, c’est difficile !…
Nous ne pouvons toutefois nous cacher que le véritable danger vient de la volonté d’instrumentaliser l’enseignement du français au cégep, position défendue de façon de plus en plus assurée par le MELS. La littérature comme objet d’enseignement est présentée comme trop abstraite et surtout peu enthousiasmante pour nos étudiants. La littérature les rebuterait, son étude les découragerait, serait un facteur d’échec. On peut prévoir qu’à la place, on nous proposera l’enseignement à partir d’une matière proche de la « vraie vie » : lecture d’un bail, rédaction de rapports, récits d’événement. Mais surtout, on exigera un renforcement de l’enseignement du code linguistique dans tous les cours de français au cégep. Alors, à quoi serviraient les centres d’aide ?
L’existence des centres d’aide en français découle d’une conception de l’enseignement du français qui défend la qualité, la rigueur, l’excellence. Cette conception entend maintenir un niveau supérieur de formation ouvert à tous, cherchant à rehausser les exigences au cégep. À ce titre, elle est d’abord liée à l’enseignement de la littérature, car les textes littéraires « constituent la mémoire de l’humanité et un réservoir immensément plus étendu et plus riche d’expériences que celui de la prétendue « vraie vie[5] » ». Les défenseurs d’un enseignement du français au cégep plus ajusté aux goûts des étudiants, que l’on suppose plus près de la « vraie vie », me semblent suspects, comme ils l’étaient en 1991 lorsque Gervais Fournier écrivait son rapport conduisant à la création du CAF à Ahuntsic. Cette défense d’un enseignement qui veut se rapprocher, semble-t-il, des « vrais » goûts et besoins des étudiants, peut être perçue comme méprisante, alléguant que les jeunes ne seraient pas assez intelligents pour lire, comprendre et apprécier les textes littéraires. Le débat sur les centres d’aide en français doit s’inscrire dans celui du maintien au collégial d’un accès large à la littérature et à la culture pour tous.
- Le Centre d’aide en français – collège Ahuntsic – Rapport de l’année 2005-2006, présenté par Lucie Libersan, responsable du CAF depuis 2002, et par Sophie Labrecque, responsable des PAR (projets d’aide à la réussite) depuis 2004. Retour
- On remarquera les appellations parfois ronflantes que l’on a données à ces mesures d’aide en français écrit. Il y a là tout un pan de l’histoire de l’enseignement du français au cégep. Retour
- FOURNIER, Gervais, Un modèle de centre d’aide en français écrit pour le cégep Ahuntsic, mai 1991, p. 1. Retour
- Mme Boileau avait, dans une autre vie, été professeure de français. Elle avait aussi eu le mérite de se transformer, une heure semaine durant sept semaines, en monitrice bénévole au CAF. Mme Boileau deviendra plus tard directrice des études. Retour
- FOURNIER, Gervais, op. cit., p. 31. Retour
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