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Intercaf 2015: orchestrer l’aide aux allophones

C’est au collège de Rosemont, le 29 mai dernier, qu’a eu lieu la traditionnelle rencontre intercollégiale des responsables des centres d’aide en français. Cette 29e édition, coorganisée par Monik Richard, Mélanie Bergeron, Benoît Dugas, Catherine Papillon et Annik Audy (collège de Rosemont), en collaboration avec Louise Comtois et Marie Duclos (CCDMD), a réuni 85 participants des milieux collégial et universitaire autour du thème « S’outiller pour aider les élèves allophones ». Deux organisatrices de l’événement rendent compte de cette journée fructueuse.

En avant la musique!

Pour lancer le bal, nous avons d’abord confié nos invités à Nicolas Augustin, tuteur au centre d’aide en français (CAF) du collège de Rosemont. Celui-ci leur a donné en dictée l’extrait d’un conte antillais, passant sans avertissement du français au créole haïtien : « Chak fwa ke manman li dwe ale nan riviyè pou lave rad yo… ». Les membres de l’assistance ont alors pu éprouver les limites de leurs compétences langagières et mieux comprendre l’un des défis qui se posent aux élèves allophones : comment écrire des sons vaguement familiers et pourtant bel et bien étrangers?

Cette introduction ludique a donné la note à Yves Lamontagne, professeur de français et de littérature, créateur en 2004 des cours de renforcement spécialisés pour allophones à notre collège. Par une rafale d’exemples livrés à la manière d’un slam, son discours a permis d’exposer les grands principes de la phonétique et de la morphosyntaxe du français qu’il enseigne en début de session à ses élèves. Il a ainsi illustré le fait que, pour apprendre une langue, il faut savoir en apprécier les sons, dans les deux sens que peut prendre le terme, c’est-à-dire les discriminer et les aimer.

Variations sur les formules d’aide

Réunies en table ronde, des professeures issues de quatre cégeps de la région métropolitaine ont ensuite rendu compte des formules expérimentées auprès des étudiants allophones fréquentant leurs CAF respectifs :

  • Julie Beauchemin, du collège Montmorency, a présenté une nouvelle forme de tutorat par niveaux, élaborée en collaboration avec Dominique Lemay, une assistante formée en enseignement du français langue seconde. L’objectif est que les étudiants allophones développent à la fois une méthode de travail et les stratégies langagières nécessaires à la rédaction de textes pour les cours de littérature de la formation générale. Dans cet esprit, l’analyse des consignes, l’organisation des idées, la rédaction, la révision et l’amélioration stylistique sont autant de notions abordées au CAF. Découpée en trois niveaux de maitrise, la matière est enseignée de façon à éviter la surcharge cognitive; les sujets de rédaction et les textes analysés offrent ainsi une progression dans la difficulté.
  • Nathalie Belzile, du cégep Marie-Victorin, et Anne-Marie Giroux, du collège Bois-de-Boulogne, ont quant à elles élaboré une méthode d’apprentissage dynamique du français à partir de la langue maternelle des étudiants allophones, démarche qu’elles ont établie et expérimentée avec Marie-Andrée Clermont et Éléonore Antoniadès du cégep Marie-Victorin. Leur approche repose sur la théorie de l’interdépendance linguistique (Cummins), selon laquelle l’apprentissage de la langue seconde se fonde sur les acquis de la première. Dans la démarche exposée par Nathalie Belzile et Anne-Marie Giroux, on demande à l’élève qui, par exemple, travaille la construction de phrases complexes, de se questionner sur la présence ou non de pronoms relatifs dans sa propre langue et sur les structures syntaxiques qui en découlent. Ce type d’approche a notamment l’avantage de valoriser l’élève et sa culture d’origine. Résultat : au terme de l’expérimentation, les intervenantes ont constaté que les progrès linguistiques étaient accompagnés d’une attitude plus favorable à l’apprentissage du français.
  • Enfin, Monik Richard, du collège de Rosemont, a partagé les résultats d’une expérience menée avec son collègue Benoît Dugas. Fondée sur la compréhension de textes littéraires, la rédaction et la réécriture à l’aide du logiciel Antidote, l’approche préconisée procédait d’un choix : celui de prioriser la syntaxe, la formulation des idées et le vocabulaire plutôt que les éléments grammaticaux plus traditionnellement abordés durant les rencontres de tutorat (accords, conjugaison, ponctuation, etc.). Parce que cette méthode demande de savoir jongler avec des éléments syntaxiques complexes et qu’elle exige une exploitation avancée des fonctionnalités d’Antidote, les professeurs ont sélectionné les tuteurs et tutrices les plus expérimentés du centre d’aide afin de les jumeler aux étudiants allophones.

La journée s’est ouverte par une dictée lue en créole haïtien par Nicolas Augustin, tuteur au centre d’aide en français du collège de Rosemont.

Battre la mesure : diagnostic et positionnement

Après cette table ronde, un atelier offert par Hélène Crochemore, conseillère pédagogique à la valorisation de la langue au cégep Limoilou, a amené les participants à se questionner sur les indices d’allophonie dans différents textes et sur les erreurs types des élèves dont le français n’est pas la langue maternelle. Ces particularités définies, la conseillère a proposé une méthode de correction qui a pour effet d’affiner le diagnostic. En plus des codes alphabétiques habituellement utilisés pour corriger des productions écrites, elle a suggéré de recourir à des couleurs et à des symboles (encerclement, flèche, croix, vaguelette, etc.) en vue de mettre en évidence les principales difficultés des scripteurs : mots manquants, inversions fautives, imprécisions, calques de la langue maternelle, etc. Puis, pour soutenir les tuteurs et tutrices du CAF, elle a élaboré un tableau de classification et d’illustration des erreurs dans lequel on peut retranscrire les fautes des tutorés afin qu’ils se familiarisent avec les codes employés. Un autre tableau, découpé par type d’erreurs, a pour fonction d’évaluer le degré d’acquisition des compétences langagières. Une fois les forces et les faiblesses de l’élève ainsi répertoriées, il est plus facile pour le tuteur ou la tutrice de planifier ses interventions au fil de la session.

Après le diner et la visite du CAF, Louise Comtois, chargée de projets au CCDMD, a présenté le très attendu Test de positionnement en langue seconde (TPLS), outil qui servira à mesurer sur une échelle de 10 niveaux la maitrise de la langue seconde (autant en français qu’en anglais). Subventionné par le ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le projet a non seulement comme finalité le développement même de cette échelle, mais aussi l’élaboration d’outils d’évaluation afférents. Le TPLS a été mis au point avec la collaboration d’un grand nombre d’enseignants et de professionnels du réseau collégial. Il suscite un vif intérêt dans les cégeps, notamment parce qu’il pourrait servir à orienter les élèves allophones vers les mesures d’aide et les cours de renforcement adaptés à leur niveau. Le TPLS est actuellement au stade de la validation. À cette fin, un concours a été lancé dans le but d’inviter les étudiants à expérimenter la plateforme actuelle du test.

Refaire ses gammes avec la phrase de base

Un dernier atelier proposait de revisiter les fondements d’une démarche active en grammaire. Lise Devey, chargée de cours en didactique des langues à l’Université du Québec à Montréal, a présenté son matériel pédagogique basé sur les manipulations syntaxiques. Par exemple, un exercice demandait l’addition de groupes syntaxiques (GN, Gadj, Gprép, etc.) afin d’ajouter une intention – descriptive, comique, etc. – à un texte constitué de phrases peu étoffées. Un autre ciblait le déplacement d’extraits de dialogue dans le but de rétablir l’ordre logique d’une scène. Ce type d’activité, simple et original, rend stimulant l’apprentissage de la langue parce qu’il convoque la créativité et le jugement de l’élève allophone. Il peut en outre être utilisé facilement par des tuteurs dans les CAF. De cette façon, les élèves en difficulté s’initient aux opérations de base nécessaires au repérage des fonctions syntaxiques, mais également au maniement des constituants d’un texte dans une visée de cohérence des idées et de la structure.

La trame musicale de l’Intercaf 2015

En guise de conclusion, Francine Bousquet-Pascal, professeure de littérature retraitée de notre collège et responsable du centre d’aide durant plusieurs années, nous a offert une synthèse de la journée en dégageant quelques constantes. La première : l’arrivée dans le réseau d’un plus grand nombre d’étudiants allophones va de pair avec un souci accru du diagnostic juste, qu’il s’agisse d’associer les élèves aux bonnes mesures d’aide, de prioriser certains apprentissages ou de développer les outils les plus efficients. Il lui a également paru évident que le caractère complexe du travail syntaxique avec les allophones était une préoccupation commune. À ce sujet, plusieurs participants ont convenu de la nécessité de revoir la théorie de la phrase de base pour ensuite arriver à enrichir les énoncés, que ce soit par des manipulations syntaxiques ou par le recours à Antidote. Certaines limites dans les interventions possibles ont également fait consensus : la méconnaissance des langues maternelles des étudiants par les enseignants, les compétences restreintes des tuteurs et tutrices, et surtout le peu de temps alloué à l’aide aux élèves allophones. Enfin, à l’instar d’Yves Lamontagne, Francine Bousquet-Pascal a insisté sur la musique de la langue et sur l’importance de célébrer sa beauté pour qu’elle soit fréquentée dans le plaisir.

Après les remerciements d’usage, l’Intercaf s’est terminé sur une note festive avec la prestation du rappeur Syphax, étudiant d’origine franco-algérienne du collège hôte et finaliste local de l’édition 2014 du concours Cégeps en spectacle.

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Quelques intervenantes et organisatrices de la rencontre Intercaf 2015, de gauche à droite : Catherine Papillon (conseillère pédagogique au collège de Rosemont), Francine Bousquet-Pascal (enseignante retraitée du collège de Rosemont), Monik Richard (enseignante au collège de Rosemont), Mélanie Bergeron (enseignante au collège de Rosemont), Annick Audy (secrétaire à la direction des études du collège de Rosemont), Anne Couillard (directrice des études du collège de Rosemont), Louise Comtois (chargée de projets au CCDMD), Cathie Dugas (directrice du CCDMD), Hélène Crochemore (conseillère pédagogique au cégep Limoilou), Marie Duclos (chargée de projets au CCDMD).

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