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Développer la compétence à communiquer oralement au collégial: les caractéristiques de la langue parlée

Tant pour son rôle dans les apprentissages des différentes disciplines de la formation générale, préuniversitaire et technique que pour la place qu’elle occupe dans le monde du travail, la langue parlée doit faire l’objet d’une attention particulière au collégial (Dumais, 2017). En effet, « […] la maitrise de la compétence [à communiquer oralement] s’avère importante à cette étape du cheminement scolaire, au seuil de la vie d’adulte et des responsabilités qui en découlent » (Blanchet, 2016, p. 40). Pour que les étudiants et étudiantes puissent développer leur compétence à communiquer oralement, ils doivent avoir une connaissance juste de ce qu’est la langue parlée et des attentes la concernant selon les situations de communication. Les enseignants et enseignantes du collégial peuvent contribuer au développement de cette compétence.

Le présent article a pour objectif d’exposer, à l’intention des enseignants du collégial, quelques aspects linguistiques du français québécois parlé qui peuvent être simplement abordés en classe ou faire plus largement l’objet d’apprentissages. Les caractéristiques de la langue parlée seront d’abord présentées, puis il sera question des registres de langue et plus particulièrement de la place du registre de langue standard dans les pratiques langagières. Enfin, la table sera mise pour que des attentes réalistes soient formulées au collégial en lien avec la langue parlée et quelques pistes didactiques seront proposées.

Les caractéristiques de la langue parlée

La langue parlée, tout en entretenant des liens évidents avec la langue écrite, se distingue de cette dernière sur quelques points majeurs.

L’énoncé

Lorsqu’il est question de langue parlée, c’est le mot énoncé qui est utilisé et non, comme à l’écrit, le mot phrase. Un énoncé est une séquence de parole, plus ou moins longue, généralement délimitée par un silence, réalisée dans une situation de communication. L’énoncé ne respecte pas les mêmes règles que la phrase à l’écrit, il a ses propres caractéristiques.

L’autocorrection

La langue parlée présuppose un fonctionnement linéaire dont la manifestation essentielle est l’impossibilité de retourner en arrière et d’effacer ce qui a été encodé : la manifestation la plus audible de cette impossibilité est sans doute la correction. Le fait pour une personne de reprendre, de modifier ou d’ajuster un énoncé, un mot ou une prononciation ne devrait donc pas être considéré comme une erreur ou être dévalorisé. Au contraire, il s’agit d’une trace du contrôle exercé sur la parole d’un individu lors de sa production. On peut qualifier ce phénomène d’autocorrection.

Les disfluences

La langue parlée est aussi caractérisée par l’immédiateté, dont témoigne l’accumulation d’éléments divers qui reflètent la construction en cours d’un message. Gadet (1989) relève un ensemble de phénomènes qui sont le propre de toute prise de parole, qu’elle soit préparée, non préparée, lue ou mémorisée. Il s’agit de disfluences[1], entendues comme « toute interruption ou perturbation de la fluidité (fluence) verbale, c’est-à-dire du cours de la production orale » (Dumais, 2014, p. 278). Le terme générique disfluence recouvre de nombreux phénomènes, et il est pratiquement impossible de tous les recenser. Les plus fréquents sont :

  • Des pauses d’hésitation sonores, souvent exprimées par « euh »;
  • Des pauses silencieuses;
  • Des allongements vocaliques, du type « Je croois queee… », qui laissent le temps au locuteur de penser à la suite de son message;
  • Des répétitions, appelées aussi « réitérations », portant la plupart du temps sur des mots grammaticaux, et se concluant tantôt par un maintien du choix de mot – par exemple, « le le le meilleur moyen de de réaliser vos projets » –, tantôt par une modification – par exemple, « la la la les libertés individuelles »;
  • Des juxtapositions de mots pleins, sans qu’il soit possible de savoir s’il s’agit d’une apposition, d’une précision ou d’une rectification; par exemple, « L’histoire la structure de la société est très importante. »;
  • Des amorces avortées : le locuteur ne complète pas ce qu’il a commencé à dire, mais le corrige ou le modifie en poursuivant avec un nouvel élément du type « Ça fait un… En fait, ce que je pense… » ou « Tu es tou… souvent absent. »;
  • Des amorces inachevées : la production d’un mot est arrêtée avant sa fin et n’est pas complétée par la suite; par exemple : « Je pense que le che… est malade. » et « Une ville comme celle qui re… est vraiment mieux. »;
  • Des amorces complétées : la production du mot est arrêtée pour être complétée par la suite, par exemple « Je pro… promène mon chien. »;
  • Des parenthèses, qui sont en quelque sorte des incises plus ou moins longues. Elles consistent en l’abandon temporaire d’un énoncé pour ajouter une information ou un commentaire, puis en un retour à l’énoncé par la suite pour le compléter. Par exemple : « L’auteur de ces chansons avait aussi, il faut savoir qu’il était Américain, il avait aussi un répertoire de folklore américain très important. »;
  • Des inachèvements, qui consistent à ne pas terminer un énoncé et à ne pas le reprendre en d’autres mots. À ne pas confondre avec l’amorce inachevée, qui concerne seulement un mot non complété, mais où l’énoncé se poursuit (Dumais, 2014).

Les disfluences sont si habituelles qu’on ne les perçoit généralement pas. Elles sont communes à toutes les prises de parole et sont présentes aussi bien chez les adultes que chez les enfants, tant chez les gens cultivés que chez ceux qui le sont moins, et autant chez les spécialistes de la communication orale que chez les personnes qui sont moins à l’aise de communiquer oralement.

Les déictiques

La réussite d’une prise de parole, du moins celle adressée à des interlocuteurs en présence et portant sur un sujet avec lequel ces derniers sont familiers, repose dans une certaine mesure sur la situation de communication, c’est-à-dire sur l’ensemble des conditions dans lesquelles une communication s’effectue. L’une des manifestations les plus évidentes est la présence de déictiques dans le discours. Un déictique est une unité linguistique qui fait référence à un aspect connu d’une situation de communication. On les divise principalement en trois grandes catégories : le déictique de lieu (par exemple, celui-là, là-bas), le déictique de personne (ce sont les partenaires de la communication, moi ou toi, ou une tierce personne, lui, elle) et le déictique de temps (par exemple, tantôt, demain). Les déictiques peuvent être des pronoms, des noms, des déterminants, des verbes, des prépositions, des adverbes ou des adjectifs. Leur sens varie selon la situation de communication et ne peut être compris que si cette situation et l’identité des interlocuteurs sont connues au moment de la prise de parole; par exemple : « Va là-bas et donne-lui la lettre maintenant. » 

La parataxe

La parataxe, une autre caractéristique de la langue parlée, est un mode de construction par juxtaposition dans lequel aucun connecteur n’explicite les rapports syntaxiques de subordination ou de coordination qu’entretiennent les énoncés : « Les étudiants ont voté en faveur de la grève pour le climat; i’ se sont pas rendus en classe le vendredi; les professeurs, eux, i’ les ont appuyés en remettant à plus tard, s’y en avait, les évaluations. » Les constructions du type « L’épreuve uniforme de français / on a tous intérêt à nous y préparer » constituent un autre exemple. Dans la langue parlée, l’économie des mots qui construisent les relations logiques entre les énoncés ou les segments d’énoncés est cependant compensée par la prosodie. Par exemple, la première partie d’une construction binaire, souvent un groupe nominal, a une intonation montante; la seconde, descendante.

Les éléments suprasegmentaux

En introduisant la prosodie, dont l’intonation est une des composantes, on fait valoir un autre aspect important qui distingue la langue parlée de la langue écrite. La langue parlée s’accompagne d’éléments suprasegmentaux, tels que l’intonation, l’accentuation, le débit élocutoire et les pauses, qui transmettent des informations, en suppléant souvent à ce qui aurait dû être formulé avec des mots à l’écrit. Or, on a peu conscience que planent ainsi au-dessus des énoncés des contours mélodiques, ou intonatifs, qui leur confèrent une fonction interrogative ou injonctive, sans recours aux structures syntaxiques propres à ces deux modalités. De concert avec des variations de débit élocutoire et des pauses silencieuses, les contours mélodiques expriment aussi toutes les nuances attitudinales, sans que le locuteur ait toujours à les nommer : ils permettent de faire entendre une interrogation derrière laquelle se profile un doute, une réprobation ou une ironie; ou encore, de faire entendre une injonction, directe, voire impatiente, ou simplement suggérée. Avec l’accentuation d’insistance, le locuteur met en évidence un mot pour en faire entendre toute l’importance dans le message, et ce, sans autre moyen qu’une forte intensité de la voix. 

Les caractéristiques de la langue parlée mentionnées plus haut s’observent dans toute prise de parole, quel que soit son type : spontanée, avec interaction (conversation face à face) ou non (exposé oral non préparé devant un groupe); préparée, avec interaction (prise de parole lors d’un débat) ou non (lecture de nouvelles, exposé oral), ou lecture à voix haute pour autrui. Toutes ces caractéristiques montrent que la langue écrite ne peut pas être prise comme référence pour apprécier une prise de parole. L’oral a son propre code et il faut le prendre en compte dans l’enseignement de la langue parlée ainsi que dans les évaluations des prises de parole des étudiants et étudiantes. Sinon, un travail sur la langue parlée risque d’être calqué sur les caractéristiques de l’écrit, et des phénomènes propres à l’oral pourraient ainsi être perçus à tort comme des erreurs et être éventuellement pénalisés.

Les registres de langue

Au Québec, comme dans toute communauté linguistique, les personnes ne s’expriment pas oralement tout à fait de la même façon dans toutes les circonstances. On reconnait que, selon les situations, il y a au moins deux registres : standard et familier[2]. Le registre standard est normalement entendu dans une situation formelle, par exemple lors de prises de parole en public, dans les communications entre un État et ses citoyens, dans les émissions d’information, dans les médias. C’est le registre dit légitime, celui qui est valorisé par la communauté; celui qui, de par son prestige, rend un message parfois plus crédible. Le registre familier, quant à lui, est normalement utilisé dans une situation informelle, peu ritualisée, spontanée – par exemple, dans les échanges quotidiens en famille, entre amis, ou même en milieu professionnel dans des situations peu formelles. La formalité ou l’informalité de la situation de communication tient à différents facteurs (Reinke et Ostiguy, 2016) :

  • Le sujet dont on parle. Tout locuteur, quand il parle d’un sujet spécialisé, utilise des ressources du français qui sont partiellement différentes de celles qu’il emploierait pour évoquer un événement de tous les jours.
  • Les relations sociales et personnelles entre les interlocuteurs. Une personne qui s’adresse à une autre avec laquelle elle entretient des rapports hiérarchiques, qu’elle ne connait pas ou dont la langue maternelle n’est pas le français, emploie des ressources du français qui sont partiellement différentes de celles qu’elle emploierait avec un ami. Pensons simplement à l’usage du vouvoiement.
  • Le type de communication (exposé, plaidoirie, confidence, conversation à bâtons rompus, lecture des nouvelles, etc.). Un contenu notionnel qui est présenté dans le cadre d’un exposé en diffusion publique est mis en mots différemment que s’il faisait partie d’un simple échange entre collègues. Dans le premier cas, la langue est plus corrigée et s’apparente aux structures du discours écrit. Dans le second cas, elle tient davantage de la langue parlée, où l’interaction s’installe, d’où des questions, des réponses, parfois des réfutations ou des reformulations.

Aussi, il importe de rappeler qu’il n’y a pas de « mauvais » registre de langue, mais plutôt un « mauvais » choix de registre de langue selon la situation de communication. Il revient donc à tout locuteur d’adapter son registre de langue à la situation de communication pour répondre adéquatement aux attentes de cette dernière.

La place du registre standard dans les pratiques langagières

L’utilisation du registre standard trouve sa pleine légitimité sociale dans la réalisation de divers genres[3] à dominante descriptive et explicative. Ces genres ont comme fonction communicative principale d’informer, de transmettre des savoirs, dans un contexte social de production et de réception particulier : communication souvent publique, en temps réel ou différé (diffusion retardée), réalisée dans des sphères d’activités et dans des institutions où le genre trouve sa place comme dans le monde du journalisme (communiqué de presse présenté oralement), dans celui de la science (compte rendu, exposé de vulgarisation, etc.) et dans celui de l’industrie (consigne explicative, bilan d’activités, etc.). L’énonciateur de ces genres oraux est souvent, par exemple, un journaliste, une spécialiste qui expose des savoirs pour un auditoire en présence ou virtuel, un professionnel qui anime des séances d’information en milieu de travail ou de formation de la main-d’œuvre, une enseignante qui livre des contenus d’apprentissage, etc. Ce pourrait être aussi, bien sûr, un étudiant qui adopte un de ces rôles dans le cadre d’une activité de communication orale mise en place dans la classe.

Ces genres peuvent être réalisés à l’oral de trois façons. Certains le sont en lecture oralisée, tels les bulletins de nouvelles, les communiqués de presse, certains exposés de vulgarisation. D’autres le sont par une prise de parole préparée[4], ou encore, par une prise de parole spontanée. Un même genre pourra faire appel aux trois formes d’oral, mais une forme dominera les deux autres. Prenons le cas d’un exposé oral explicatif : même s’il est préparé, une forme de va-et-vient s’installe souvent entre, d’un côté, la lecture de notes ou d’éléments affichés dans un diaporama et, de l’autre, l’usage de la langue spontanée pour répondre à des questions.  

Quelles attentes au collégial?

Au quotidien et à l’occasion de multiples activités en classe au collège, c’est la langue parlée spontanée qui est la plus souvent utilisée. Toutefois, lorsque celle-ci est évaluée, c’est fréquemment lors de situations artificielles dites formelles qui font appel à un registre standard (exposé oral explicatif, démonstration scientifique, etc.), et ce, souvent sans préparation, enseignement ni réflexion sur la langue au préalable (Dumais, 2017). Dans ce cas, les attentes de l’enseignant ou de l’enseignante doivent être réalistes lorsque les collégiens prennent la parole. Si on ne peut raisonnablement pas exiger d’un étudiant qu’il prenne la parole sans pauses d’hésitation sonores ou sans reprises, on ne peut pas non plus s’attendre à ce qu’il s’exprime aisément selon les normes du registre standard, et ce, pour au moins trois raisons.

Premièrement, la majorité des étudiants et étudiantes, à l’arrivée au collège, n’ont pas encore vécu de situations justifiant l’emploi du registre standard, à l’exception de circonstances souvent artificielles à l’école primaire et secondaire. Jusque-là, la grande partie de leurs interactions verbales se sont limitées à celles avec les parents et les amis; or, dans ces contextes, la langue vernaculaire (registre de langue familier) est bien souvent le seul registre employé, et il est considéré comme correct, car efficace. Cette situation a comme résultat que, même s’ils savent reconnaitre le registre standard sur les lèvres d’autres personnes, les étudiants du collégial le maitrisent peu.

Deuxièmement, une activité de prise de parole qui n’a pas donné lieu à une préparation, à un enseignement ou à un travail sur la langue, par son caractère d’immédiateté, est le lieu de la construction en cours du message : le locuteur découvre ce qu’il dit en même temps que les interlocuteurs. Or, il est difficile, pour un collégien peu expérimenté, de gérer à la fois la mise en mots et l’ordre des informations qu’il veut communiquer, d’une part, et l’autocorrection linguistique, d’autre part. Bien souvent, le résultat est plutôt une langue parlée ponctuée de tous les aspects de l’oral évoqués plus tôt et de certaines caractéristiques du français vernaculaire.

Il y a une troisième raison pour limiter les attentes sur ce plan : il n’est pas socialement inconvenable d’utiliser une langue plus quotidienne dans les prises de parole spontanées. Pour peu qu’on écoute les gens autour de soi, voire les médias de divertissement, on constate que nombreuses sont les variantes[5] du français québécois familier qui s’invitent dans ce genre de situations.

Des exemples de variantes familières

Voici, parmi de nombreux éléments de la langue qui présentent des variantes familières et standard, quatre exemples[6]. Les variantes familières de ces éléments se retrouvent plus ou moins dans la langue parlée d’une majorité de Québécois quand ils s’expriment dans une situation sans contrainte normative. Dans ce contexte, elles passent souvent presque inaperçues, tant elles sont courantes. En revanche, il faut reconnaitre qu’une langue parlée qui présente une grande diversité de variantes familières peut être jugée plus sévèrement.

  1. Le sujet de la phrase est souvent redoublé. Dans le cas des 1re et 2e personnes verbales du singulier et du pluriel, le redoublement se présente sous la forme du pronom disjoint non composé ou composé suivi du pronom conjoint au verbe : « Si tu es là, moi je vais y aller. Si toi tu es là, je vais y aller. Vous autres, vous partez quand? » Le redoublement s’observe également avec les sujets à la 3e personne du singulier et du pluriel. Le sujet peut être nominal ou pronominal, seul ou accompagné d’une relative : « Les examens i’ étaient pas mal faciles. Le travail ça peut attendre. Lui i’ fait jamais ses travaux. » Peuvent s’insérer entre le sujet et le pronom conjoint redoublé un adverbe, un pronom emphatique ou un mot du discours : « Le gros travail, finalement, i’ reste à faire. La culture, elle, a’ te sera toujours utile. Ceux qui étaient malades, ben, i’ ont reçu les soins nécessaires. » Le phénomène semble se produire moins fréquemment lorsque les personnes font attention à leur façon de s’exprimer.
  2. En situation non formelle, la particule de négation ne (je ne veux pas) est rarement exprimée, et ce, quelle que soit la francophonie. Elle aura tendance à être davantage présente en situation formelle (registre standard) sans toutefois être toujours utilisée. 
  3. Les structures de l’interrogation partielle donnent lieu à divers cas de figure, dont le placement du mot interrogatif à la finale de l’énoncé plutôt qu’au début : « On veut savoir quoi, au juste? (Qu’est-ce qu’on veut savoir, au juste?). On réalisera le projet pour quelle raison? (Pour quelle raison réalise-t-on ce projet?). On souhaite rencontrer qui, dans cette organisation-là? (Qui souhaite-t-on rencontrer…?). » Ces structures courantes, qui épousent la structure de la phrase assertive sujet + verbe + complément, ont sans doute simplement la fonction, durant une interaction verbale, de rendre plus saillants les mots interrogatifs tels quoi, qui, pourquoi, . En situation formelle, ce phénomène est beaucoup moins présent, voire tout simplement absent.
  4. Les groupes de consonnes à la finale des mots sont souvent réduits lorsqu’ils sont suivis d’un autre commençant avec une consonne : « table › tab’ carrée; prêtre › prêt’ catholique; liste › lis’ d’épicerie; couvercle › couverc’ d’un pot ». Une telle simplification est courante en français. Si le phénomène passe inaperçu lorsque le mot qui suit commence par une consonne, il se fait un peu plus remarquer s’il y a une pause (#) ou lorsque le mot qui suit commence par une voyelle : « table › une tab’ à deux; c’est sur la tab’ #; liste › sur la lis’ # ; une lis’ incomplète » En situation formelle, le locuteur a moins tendance à réduire les groupes de consonnes finales à la fin des mots.

Ces quatre variantes se retrouvent fréquemment dans toutes les prises de parole spontanée. Il y a fort à parier que les collégiens les utiliseront également en situation formelle si aucune préparation, à savoir un enseignement et une réflexion sur la langue visant à les sensibiliser aux variantes de registres, n’est réalisée. Dans ce contexte, l’usage de variantes familières par les étudiants ne saurait être pénalisé.

Propositions didactiques

Afin que la compétence à communiquer oralement des étudiants se développe, il faut accorder du temps en classe à la langue parlée et bien comprendre ses caractéristiques. Pour favoriser le développement de cette compétence, l’enseignante ou l’enseignante peut faire écouter aux élèves des extraits audio authentiques où des personnes, en situations formelles et non formelles, s’expriment. Il peut être intéressant d’amener les apprenants à identifier les particularités de la langue parlée et à leur faire ensuite établir des liens avec le contexte formel ou non de la prise de parole. Ce premier travail de sensibilisation leur démontrera, à l’aide d’exemples concrets, ce que sont la langue parlée et ses caractéristiques. Entre autres, ils pourront comprendre, au-delà des représentations reposant trop souvent sur la langue écrite, ce qu’est la langue parlée de registre standard. Par la suite, l’enseignante ou l’enseignant peut les inviter à identifier certaines des caractéristiques de la langue parlée dans leurs propres prises de parole qui auront été enregistrées, et ce, selon des contextes différents.

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Cet article avait pour objectif d’exposer des caractéristiques de la langue parlée ainsi que des registres de langue afin que les attentes associées à la prise de parole des étudiants au collégial, en situations formelles et non formelles, soient réalistes. Nous souhaitons que cette contribution conduise à poser un regard renouvelé sur la langue parlée au collégial, tant pour les enseignants que pour les étudiants. Dans de prochains articles, puisque l’oral se met en pratique dans plus d’un contexte, nous nous intéresserons à la lecture pour autrui en classe de français et à la langue parlée dans les prises de parole préparées. Plus précisément, nous exposerons les aspects linguistiques et prosodiques qui les caractérisent ainsi que quelques pistes d’activités de découverte envisageables au collégial.

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Références

BLANCHET, P.-A. (2016). Le choix de contenus d’enseignement et d’évaluation de la compétence orale dans les plans de cours de français au collégial : portraits de trois cégeps, Mémoire (M.A.), Université de Sherbrooke, [En ligne]. [https://savoirs.usherbrooke.ca/handle/11143/8730] (Consulté le 16 avril 2019).

BOVE, R. (2008). Analyse syntaxique automatique de l’oral : études des disfluences. Tome 1. Thèse (Ph. D.) inédite, Université Aix-Marseille1 – Université de Provence, [En ligne]. [https://tel.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/647900/filename/These_RB.pdf] (Consulté le 30 avril 2019).

CHARTRAND, S.-G., J. ÉMERY-BRUNEAU et K. SÉNÉCHAL, avec la coll. de P. RIVERIN (2015). Caractéristiques de 50 genres pour développer les compétences langagières en français, Québec, Didactica, [En ligne]. [https://www.enseignementdufrancais.fse.ulaval.ca/fichiers/site_ens_francais/modules/document_section_fichier/fichier__a0567d2e5539__Caracteristiques_50_genres.pdf] (Consulté le 22 avril 2019).

DUMAIS, C. (2014). Taxonomie du développement de la langue orale et typologie : fondements pour l’élaboration d’une progression des objets d’enseignement/ apprentissage de l’oral en classe de français langue première qui s’appuie sur le développement intégral des élèves de 6 à 17 ans. Thèse (Ph. D.) inédite, Université du Québec en Outaouais, [En ligne]. [https://archipel.uqam.ca/6815/] (Consulté le 18 avril 2019).

DUMAIS, C. (2017). « Communiquer oralement : une compétence à développer au collégial », Pédagogie collégiale, vol. 31, no 1, p. 13-19, [En ligne]. [http://aqpc.qc.ca/sites/default/files/revue/dumais-vol.31-1.pdf] (Consulté le 22 avril 2019).

DUMAIS, C., E. SOUCY et L. LAFONTAINE (2018). « Comment développer l’oral spontané des élèves? », Vivre le primaire, vol. 31, no 3, p. 49-51.

GADET, F. (1989). Le français ordinaire, Paris, Armand Colin.

OSTIGUY, L., et C. TOUSIGNANT (2008). Les prononciations du français québécois. Normes et usages, 2e éd., Montréal, Guérin universitaire.

REINKE, K., et L. OSTIGUY (2016). Le français québécois d’aujourd’hui, Berlin, De Gruyter.

  1. Il est important de ne pas confondre « disfluence » et « dysfluence ». Selon Bove (2008), les « dysfluences » correspondent à des phénomènes d’ordre pathologique tel le bégaiement alors que les « disfluences », par exemple des répétitions de mots et des allongements vocaliques, sont des phénomènes tout à fait normaux présents lors de la construction des énoncés. [Retour]
  2. Le registre standard est aussi appelé, selon les points de vue, variété standard, variété neutre, variété soutenue, langue soignée; quant au registre familier, il est parfois appelé variété non standard, variété familière. [Retour]
  3. Un genre est un « ensemble de productions langagières orales ou écrites qui, dans une culture donnée, possèdent des caractéristiques communes d’ordres communicationnel, textuel, sémantique, grammatical, graphique ou d’oralité, souples mais relativement stables dans le temps. » (Chartrand, Emery-Bruneau et Sénéchal, 2015, p. 9) [Retour]
  4. La prise de parole préparée est une « […] prise de parole à la suite d’un temps de préparation et d’une ou de plusieurs mises en pratique préalables » (Dumais, Soucy et Lafontaine, 2018, p. 49). La prise de parole préparée s’oppose donc à la prise de parole spontanée : « prise de parole sans temps de préparation et sans mise en pratique préalable » (Dumais et autres, 2018, p. 49). [Retour]
  5. Une variante est une façon différente de nommer un même référent (variante lexicale; ex. : téléphone cellulaire / portable) ou de prononcer un mot ou un son (variante phonétique; ex. : liste complète / lis’ complète) qui n’entraine aucune différence de sens. Cependant, certaines variantes sont davantage associées à un registre standard, et d’autres à un registre familier. Pour une présentation générale des variantes du français québécois, voir Ostiguy et Tousignant (2008) et Reinke et Ostiguy (2016). [Retour]
  6. D’autres variantes de registres seront présentées dans deux prochains articles à paraitre dans les pages de Correspondance, l’un portant sur la compétence à lire pour autrui, l’autre sur la prise de parole préparée. [Retour]

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