" />
2024 © Centre collégial de développement de matériel didactique
L’orthographe rectifiée et les positions ministérielles dans la francophonie

L’orthographe rectifiée et les positions ministérielles dans la francophonie

Dossier : nouvelle orthographe
Chantal Contant est spécialiste des rectifications de l’orthographe[1] et enseigne en formation des maitres au Département de linguistique de l’UQAM. Lors du congrès mondial de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF) de 2008, elle animait une table ronde où des intervenants du Québec, de la France et de la Belgique faisaient le point sur les positions des gouvernements membres de la francophonie en matière d’orthographe rectifiée. Très au fait, donc, Mme Contant nous présente diverses positions ministérielles officielles dans la francophonie[2]. Cet article est le deuxième d’une série de quatre portant sur l’actualité de la nouvelle orthographe.

Le Québec, en comparaison de la Belgique, de la France et de la Suisse, accuse un retard marqué pour ce qui est des consignes ministérielles sur la nouvelle orthographe diffusées auprès du personnel enseignant : voilà le constat qui est ressorti au dernier congrès de la FIPF. Cette année, l’Alberta, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick ont aussi damé le pion au Québec, qui reste bon dernier en ce qui concerne l’information ministérielle. Heureusement, le vent a tourné dernièrement…

Au Québec

Le 7 octobre 2009, une note de service[3] était diffusée par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) au sujet des rectifications orthographiques et de l’évaluation des apprentissages aux fins de la sanction des études. Sous l’appellation Info/Sanction, le communiqué du Ministère déclare que,

à la suite d’une décision des autorités ministérielles, les élèves qui utilisent les graphies traditionnelles ou les nouvelles graphies ne seront pas pénalisés dans le contexte des corrections effectuées par le Ministère. Nous encourageons donc les directions d’écoles et de centres à prendre en considération cette orientation lors de l’approbation des normes et des modalités d’évaluation des apprentissages des élèves.

Cette déclaration vient officialiser la position que le MELS avait officieusement adoptée : celle de tenir compte des rectifications de l’orthographe dans les évaluations[4] (notamment dans l’épreuve uniforme au collégial et dans celle de 5e secondaire, dont la correction est centralisée). Le message est clair pour la correction et l’évaluation des textes d’élèves de tous ordres d’enseignement : désormais, personne ne sera pénalisé pour avoir employé des formes permises par la nouvelle orthographe.

Du côté des apprentissages, cependant, le MELS n’impose pas encore l’enseignement des rectifications orthographiques, sans doute pour des raisons économiques. En effet, si l’enseignement obligatoire de la nouvelle orthographe était imposé, les syndicats seraient en droit d’exiger des heures de formation pour les enseignants, et les directions d’école réclameraient du matériel à jour. Pourtant, l’essentiel de l’information (les nouvelles règles et la liste de milliers de mots touchés par les rectifications) est accessible gratuitement sur Internet. Actuellement, chaque professionnel de l’enseignement se met à jour à son rythme par des lectures et selon l’accessibilité aux formations en nouvelle orthographe – ce qui varie d’une école à une autre, parfois d’une classe à une autre.

Dans le reste du Canada

Certaines provinces canadiennes ont une longueur d’avance sur le Québec. C’est le cas de l’Alberta. Le 1er avril 2009, la Direction de l’éducation française (DEF) du ministère de l’Éducation passait en effet à la nouvelle orthographe. Tous ses documents, courriers électroniques, programmes d’études sont depuis rédigés en nouvelle orthographe, avec le logo de conformité à l’appui[5]. L’annonce de cette résolution a été faite sur le site Web du ministère de l’Éducation de l’Alberta, où l’orthographe moderne est également de mise. En plus d’informer les enseignantes et les enseignants de la position ministérielle, la DEF a distribué à leur intention de la documentation, dont 700 guides pratiques Connaitre et maitriser la nouvelle orthographe et 700 exemplaires de la liste alphabétique des mots touchés par les rectifications de l’orthographe (Vadémécum de l’orthographe recommandée).

Dans la province bilingue du Nouveau-Brunswick, les écoles de la région de Moncton (district scolaire 01) ont également reçu la liste alphabétique des mots touchés par les rectifications, et une recommandation a été diffusée, invitant le personnel à employer les graphies rectifiées dans les documents administratifs et scolaires. En outre, le ministère de l’Éducation néobrunswickois[6] a commandé la préparation d’un matériel d’autoformation en ligne à l’intention du personnel enseignant du primaire et du secondaire, toutes disciplines confondues. Produit par l’équipe du Ministère et en collaboration avec Sylvie Blain, professeure et directrice du Service d’animation et de soutien à l’enseignement de l’Université de Moncton, ce matériel sur la nouvelle orthographe présentera des règles sur PowerPoint avec trame sonore, exercices, processus d’évaluation et de rétroaction, etc. Une entente avec le Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD) permet aux auteurs de s’inspirer d’une série d’exercices sur l’orthographe d’usage que l’organisme offre gratuitement en ligne. Signalons que le CCDMD a aussi mis en ligne depuis quelques années un jeu pédagogique interactif intitulé Le musée de la nouvelle orthographe[7].

Dans la province de la Saskatchewan, les écoles où le français est enseigné ont reçu au printemps dernier de la documentation et une lettre explicative montrant la position claire du ministère de l’Éducation. Voici un extrait de la lettre :

Les modifications recommandées ont été adoptées par la Direction de l’éducation française (DEF) et seront reflétées dorénavant dans nos programmes d’études et les évaluations provinciales. [Un] symbole sur nos documents indique que les nouvelles règles y ont été appliquées. La DEF tient à signaler que dans l’enseignement comme dans la correction, les deux graphies, l’ancienne et la nouvelle, sont correctes.

En plus de fournir aux destinataires un miniguide des nouvelles règles de l’orthographe, le communiqué, qui s’adresse notamment aux directions d’école, leur demande de diffuser l’information aux enseignantes et enseignants de français en immersion, en français de base, en français intensif et en français approfondi.

En Europe

La Suisse a été le premier pays à informer adéquatement son personnel enseignant de l’existence des rectifications orthographiques. En 1996, la nouvelle orthographe a fait l’objet d’une circulaire de la Conférence intercantonale de l’instruction publique. Ce texte indiquait qu’« étant donné que graphies anciennes et nouvelles coexistent déjà dans beaucoup de dictionnaires ou de grammaires de référence, aucun élève ne doit être sanctionné pour avoir utilisé l’une ou l’autre variante ».

En Belgique, des circulaires ministérielles diffusées pour la rentrée scolaire 2008-2009 stipulent que « les professeurs de français de tous niveaux sont invités à enseigner prioritairement les graphies rénovée ». Rappelons qu’en 1998, une circulaire de la ministre-présidente belge informait déjà les enseignantes et enseignants à l’effet que « […] chacun a le droit d’utiliser les différentes graphies [et] que durant une période de durée indéterminée, les deux orthographes auront à coexister et seront acceptées ». En mars 2009, l’Université catholique de Louvain, en concertation avec le Conseil de la langue française et de la politique linguistique de Belgique, mettait en ligne le logiciel Recto-Verso[8], qui permet de convertir n’importe quel texte en nouvelle orthographe. Accessible à tout internaute, ce logiciel est utilisé par les principaux journaux belges, qui donnent à lire en orthographe moderne une version électronique de leurs articles.

En France, les programmes ministériels signalent explicitement la nouvelle orthographe. Ainsi, le Bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale du 19 juin 2008 précise que « l’orthographe révisée est la référence ». Celui du 28 aout 2008 mentionne que »pour l’enseignement de la langue française, le professeur tient compte des rectifications orthographiques proposées par le Rapport du Conseil supérieur de la langue française, approuvées par l’Académie française ».

En Haïti

La Coalition pour l’application des rectifications orthographiques (CARO) est une association en Haïti qui fait la promotion de la nouvelle orthographe du français et qui s’est jointe au Réseau international pour la nouvelle orthographe du français (le RENOUVO). La CARO regroupe des centaines de membres et a obtenu son certificat de reconnaissance légale des instances gouvernementales haïtiennes. Des formations sur la nouvelle orthographe sont données par son président, Bytchello Prévil, notamment dans les établissements scolaires du pays.

* * *

Avec l’officialisation par le MELS de l’acceptation des nouvelles graphies dans les évaluations nationales, la connaissance des rectifications et leur diffusion deviennent une nécessité pour les enseignantes et enseignants de français. L’éthique professionnelle devrait les inciter à en tenir compte dans l’enseignement et à s’assurer auprès des collègues d’autres disciplines qu’ils ne pénalisent pas les élèves qui rédigent leurs travaux ou leurs examens conformément aux rectifications orthographiques.

Dans le prochain numéro, un article portera sur les moyens concrets pour les enseignantes et les enseignants de passer à la nouvelle orthographe dans la rédaction de leurs propres documents, par exemple leurs notes de cours. Il sera question notamment des outils disponibles comme les correcteurs orthographiques de traitement de texte intégrés (Word, OpenOffice.org) et du nouvel Antidote HD, la dernière édition du logiciel d’aide à la rédaction fraichement parue à l’automne 2009.

* * *

  1. Les textes de ce dossier sont rédigés conformément aux rectifications de l’orthographe en vigueur. Pour tout savoir, visitez le www.nouvelleorthographe.info [Retour]
  2. Un résumé des positions ministérielles est présenté au www.orthographe-recommandee.info/enseignement, accompagné de documents pour les enseignantes et enseignants : des questions et réponses sur la nouvelle orthographe, du matériel de présentation des nouvelles règles dans un document de quatre pages imprimable, la brochure téléchargeable La nouvelle orthographe et l’enseignement – Tout ce que vous devez savoir, ainsi que des informations générales sur les ouvrages à jour (à cet effet, voir l’article consacré aux dictionnaires dans Correspondance, volume 15, numéro 1). [Retour]
  3. La note du MELS est téléchargeable à l’adresse www.nouvelleorthographe.info. L’hyperlien « Ministères de l’Éducation (enseignement) » y mène directement. [Retour]
  4. À cet effet, une lettre que le MELS m’adressait en juin 2009 me confirmait que les élèves du primaire et du secondaire ne se trouvaient pas pénalisés en situation d’examen s’ils utilisaient de nouvelles graphies. [Retour]
  5. Le logo de conformité aux règles de la nouvelle orthographe est téléchargeable à cette adresse : www.orthographe-recommandee.info/pros [Retour]
  6. Le terme néobrunswickois s’écrit en un mot en nouvelle orthographe. [Retour]
  7. « Le musée de la nouvelle orthographe » présente sur un mode ludique des règles avec des exemples de mots courants. Sur le site de l’Amélioration du français du CCDMD www.ccdmd.qc.ca/fr, il est classé sous l’onglet « matériel interactif » dans les jeux pédagogiques (orthographe d’usage). Les exercices sur l’orthographe d’usage en format PDF, pour leur part, sont facilement repérables sur le site au moyen d’une recherche par mots clés (orthographe rectifiée). [Retour]
  8. Ce service de conversion est offert gratuitement en ligne. On peut y accéder à l’adresse www.nouvelleorthographe.info en cliquant sur l’hyperlien « Faire rectifier instantanément un texte (logiciel Recto-Verso) ». [Retour]

L’élève qui emploie à la fois l’orthographe moderne et l’orthographe traditionnelle dans un même texte commet-il une faute d’orthographe ?

La réponse à cette question qui se posera de plus en plus fréquemment dans nos établissements scolaires est non. L’élève ne commet pas de faute d’orthographe pour la simple raison que ni les graphies traditionnelles ni celles rénovées ne sont fautives et qu’elles peuvent coexister dans un même texte. Par exemple, un élève pourrait maintenir l’accent circonflexe sur le u (comme dans piqûre) et ne pas le conserver sur le i (comme dans s’il vous plait), sans être pénalisé. Le raisonnement est similaire pour ce qui est des mots qui ne sont pas touchés par les rectifications de l’orthographe, mais qui présentent aussi une double graphie. Ainsi, une phrase telle que Luc paye son loyer et je paie le mien sera considérée comme exempte de fautes d’orthographe. Évidemment, cette phrase présente un manque de cohérence, auquel il serait préférable de suppléer en modifiant l’une des deux graphies (paye ou paie, au choix, les deux étant admises) si l’on veut obtenir un texte impeccable. De la même façon, l’élève qui écrirait un même mot tantôt en orthographe moderne, tantôt en orthographe traditionnelle devrait être encouragé à être plus rigoureux en optant pour l’une ou l’autre des graphies à l’intérieur d’un même texte, mais on ne peut pas le pénaliser pour une faute d’orthographe dans un tel cas.

Pour le collégial : un guide attrayant et simplifié

Publié en 2009, le guide Les rectifications de l’orthographe du français (64 pages, éditions du Renouveau pédagogique) expose la nouvelle orthographe de façon simple et claire. Spécialement élaboré à l’intention d’une clientèle postsecondaire, l’opuscule est agrémenté de tableaux en couleurs et de nombreuses capsules explicatives.

Pour chaque règle, la nouvelle orthographe est comparée à l’ancienne à l’aide de quelques exemples. L’accent étant toujours mis sur les mots les plus courants, l’ensemble des exemples permet de bien visualiser, concrètement, la modernisation de l’orthographe française. Présentée sur une double page, chaque règle ou notion est résumée au bas de la page de droite, ce qui facilite la rétention du contenu. Pour favoriser le transfert, des sections proposent des conseils pratiques pour l’écriture au quotidien, tels que Quoi faire à l’école ? et Écrire en orthographe moderne chaque jour. Bref, idéal pour une initiation en douceur.

Télécharger l'article au format PDF

UN TEXTE DE