Le grand mensonge de l’éducation
Trois professeurs. Trois ordres d’enseignement : primaire, secondaire, collégial. Un seul combat : faire connaître les ratés du système d’éducation québécois dans l’enseignement du français.
Car c’est vraiment d’un combat qu’il s’agit : d’entrée de jeu, le ton – accusateur – est donné. Le grand mensonge de l’éducation[1] semble avoir été écrit dans l’urgence, celle de dénoncer un état de fait que les auteurs considèrent inacceptable, et sûrement pas en recherchant quelque pérennité que ce soit : le livre, à peine paru, sera déjà vieilli l’an prochain[2].
Mais le combat livré ici ne l’est pas toujours avec des armes de même efficacité. Divisé en trois parties, ce « pamphlet[3] »est d’une qualité bien inégale. L’argumentation des première et troisième parties, rédigées respectivement par le professeur du primaire et celui du collégial, est bien pauvrement menée comparativement à celle de la partie centrale, que l’on doit à la plume du professeur du secondaire. Ce dernier est le seul qui a su s’élever au-dessus de son expérience personnelle et des conversations de couloir, en puisant à de multiples sources et en revenant souvent aux déclarations mêmes des acteurs du monde de l’éducation.
Luc Germain, qui enseigne en sixième année, ouvre le livre en présentant les modalités qui prévalent depuis l’implantation du renouveau pédagogique : quasi-impossibilité pour un élève de redoubler, fin du cheminement particulier, intégration des élèves avec difficultés d’apprentissage dans les cours réguliers sans ajout de ressources, critères d’évaluation flous, confusion entre évaluation et apprentissage, etc. La liste est longue, consternante. Et redondante : le propos tourne à vide par moments. Cependant, M. Germain semble parler la voix du bon sens ; il traite de problèmes éthiques qui doivent être soulignés. Mais quel dommage qu’il le fasse dans une langue aussi maladroite, quand elle n’est pas tout à fait incorrecte ! Quelques exemples, parmi plusieurs : » les efforts sont déployés à acquérir de nouveaux savoirs » (p. 26), « on va encore se trouver poche… et les participes passés vont encore nous faire suer » (p. 41), « En ce qui me concerne, ce n’est vraiment pas le bulletin, le problème » (p. 49).
Luc Papineau a un style beaucoup plus agréable et, nous l’avons dit, un propos plus analytique, mieux construit et plus solide, quoique tout aussi alarmant, sur l’état de l’école pédagogiquement renouvelée. Il énumère, tout en les remettant dans leur contexte, maints enjeux de taille dans le monde de l’éducation : la formation des maîtres ; la pénurie de professeurs, liée en grande partie à des maladresses de gestion du gouvernement ; les réformes imposées par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport de même que le manque de matériel pédagogique et de formation adéquate des enseignants qui les accompagne invariablement ; la gestion plus que discutable des commissions scolaires et du Ministère lui-même ; le côté utilitariste du concept d’école orientante et, finalement, l’examen final de cinquième secondaire en français. Plus posé que ses co-auteurs, Luc Papineau explique le tout avec beaucoup de clarté, et pointe aussi bien les collègues démotivés que les syndicats ou le Ministère, au moment d’attribuer les torts. Une façon de faire qui ne lui attirera sans doute pas d’amis, mais qui a le mérite d’une certaine objectivité.
Finalement, la partie la plus courte, celle de Benoît Séguin sur le collégial, clôt le livre et se rattache mal aux sections précédentes. Pourquoi ? Pour la bonne raison que ni le renouveau pédagogique ni les élèves qui en sont issus n’ont encore atteint le collégial. Mais, puisqu’il faut dénoncer, dénonçons, semble-t-on avoir pensé… Alors M. Séguin se lance dans une charge épique contre l’épreuve uniforme de français, qu’il juge incroyablement laxiste : « J’en ai ras-le-bol de cette tolérance hypocrite, lâche, défaitiste. Vingt fautes, maximum, ce serait enfin sérieux. Sinon, l’EUF est une parodie d’épreuve[4]. » Il exige surtout des sujets plus complexes, qui obligeraient absolument l’élève à naviguer dans le clair-obscur, le paradoxe, et à établir des liens avec le contexte sociohistorique. Mais, comment préparer les élèves, tous les élèves, à une telle épreuve ? C’est ce que son texte se garde bien de définir. Un texte, d’ailleurs, ponctué de perles d’élèves qui, si elles font sourire au début, finissent par rendre le lecteur mal à l’aise : on n’est pas loin du mépris…
En somme, voilà un pamphlet, écrit par des professeurs « écœurés de (sic) cette attitude[5] » défaitiste et hypocrite des Québécois par rapport à l’enseignement du français, qui tente de faire réagir, et y arrive parfaitement. Souvent pour les causes, louables, qu’il endosse, mais parfois aussi en raison de ses maladresses.
- Luc Germain, Luc Papineau et Benoît Séguin, Le grand mensonge de l’éducation, Montréal, Lanctôt éditeur, 2006, 212 pages. Retour
- Par exemple : « Pour l’élève de la deuxième année du secondaire, la situation est encore floue pour la présente année. » (C’est nous qui soulignons.) De plus, les auteurs critiquent certaines pratiques provisoires du MELS ou des commissions scolaires, entre autres des modalités d’évaluation qui sont appelées à changer. Retour
- Luc Germain et autres, op cit., p. 13. Retour
- Ibid., p. 187. Retour au texte
- IBO (2006). Ibid., p. 12. Retour
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