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De l’indice de lisibilité à la réduction de la subordonnée

Diane Gousse a enseigné à la Faculté de l’éducation permanente de l’Université de Montréal pendant plus de vingt ans. Son expérience comme linguiste, chargée de cours, rédactrice et conceptrice de formations l’a amenée à se pencher sur les divers aspects de la communication, dont le style. Elle est d’ailleurs l’autrice du cahier d’exercices Communiquer avec style, 2e édition (2021). Elle propose au lectorat de Correspondance des pistes pour corriger certaines des maladresses stylistiques qui se retrouvent fréquemment dans les productions écrites et orales des étudiantes et étudiants des cégeps et des universités.

La description d’une langue est la description des phrases que l’on peut construire dans cette langue […]Oswald Ducrot et Jean-Marie Schaeffer (1995)

Marcel Proust, écrivain français du 20e siècle, composait de longues phrases. Ceux et celles qui se sont déjà lancés dans la lecture d’À la recherche du temps perdu ont certainement dû relire certains passages pour mieux saisir leur sens, d’où l’appellation de style proustien pour nommer un texte aux longues phrases. Encore aujourd’hui, nous retrouvons des traces de ce style proustien en littérature.

Pour les étudiantes et les étudiants, la rédaction de phrases longues, dans le style proustien, crée souvent de la lourdeur ou occasionne des erreurs de syntaxe. Cette affirmation soulève plusieurs questions. Qu’est-ce qu’une longue phrase? Comment la reconnaitre? À quel moment faut-il la resserrer? Nous proposons des éléments de réponses et des moyens pour rendre les phrases plus lisibles.

L’indice de lisibilité

Avant d’aborder le sujet de la réduction de la phrase, établissons un parallèle avec le principe de lisibilité. De façon générale, la lisibilité se définit comme le degré de difficulté de lecture d’une phrase, déterminé selon divers critères. On considère souvent qu’une phrase lisible contient jusqu’à deux verbes conjugués accompagnés de leurs sujets et de leurs compléments, s’il y a lieu. Cependant, ces critères sont insuffisants. D’autres principes s’ajoutent, tels le nombre de mots par phrase (plus ou moins 20 mots), le nombre de syllabes des mots (moins de trois syllabes), la rareté des mots ou la complexité des phrases (moins de trois phrases syntaxiques). Ces aspects définissent la lisibilité et rendent la phrase, donc le texte, plus intelligible et compréhensible par le lectorat. Plusieurs spécialistes se sont d’ailleurs penchés sur la question de la lisibilité : Richaudeau (1976), Bourque (1990), Behnam (2017) relèvent l’influence des longues phrases sur la compréhension. En outre, un bon indice de lisibilité[1] contribue à faciliter la mémorisation. Il incombe donc au rédacteur ou à la rédactrice d’en tenir compte.

Le tableau suivant représente les balises minimales pour maintenir un indice de lisibilité acceptable selon le nombre approximatif de mots par phrase.

Mots par phrase Degré de lisibilitéPourcentage du lectorat capable de lire la phrase
8 ou moinsTrès facile93 %
11Facile92 %
14Assez facile88 %
19Moyen83 %
21Assez difficile54 %
25 et plusDifficile33 %
Tableau 1
Influence du nombre de mots sur la lisibilité de la phrase (inspiré de Gunning [1968] et Richaudeau [1976])

Nuances et limites

Pondérons quelques éléments. Ce principe ne s’applique pas à tous les types de textes. À titre d’exemple, le monde scientifique regorge de mots de trois syllabes et plus; le lectorat s’adaptera alors aux longues phrases de plusieurs mots complexes. Notons également que le calcul de l’indice de lisibilité ne tient pas compte de la structure du texte.

Astuce Antidote

Le correcteur du logiciel Antidote propose une fonction Lisibilité dans le volet Style. Divers indices estiment le degré de difficulté du texte, soit en lui attribuant un score, soit en indiquant le nombre d’années de scolarité nécessaires pour le comprendre. Des articles dans les guides linguistiques aident à interpréter ces indices. Les mots longs et rares seront mis en évidence grâce à cette fonction du correcteur, de même que les phrases longues. Le seuil de mots de celles-ci peut être ajusté dans l’onglet Options, en bas de la liste des détections, dans la colonne de droite (ex. : 25 mots et plus).

Réduction de la subordonnée : pierre angulaire de la lisibilité

Rédiger de façon concise et percutante exige non seulement une attention particulière au moment du processus rédactionnel, mais aussi la connaissance et l’emploi de procédés linguistiques. À partir de ce constat, nous attirons votre attention sur la réduction de la subordonnée, qui, à notre avis, comporte un des moyens les plus accessibles en vue d’atteindre un indice de lisibilité convenable. Plusieurs autres avantages justifient le recours à ce moyen pour rendre le texte plus lisible :

Avantages de réduire la subordonnée

  1. Équilibre l’indice de lisibilité
  2. Rehausse le style
  3. Stimule la créativité
  4. Bonifie le vocabulaire
  5. Évite les lourdeurs syntaxiques
  6. Favorise une meilleure communication

Précisons qu’il ne s’agit pas d’éliminer la subordonnée, mais de constater que, dans certains cas, une subordonnée peut surcharger l’indice de lisibilité et ainsi perturber la compréhension du texte. Ainsi, en présence de subordonnées, qu’elles soient relatives, complétives ou circonstancielles, on vérifiera s’il est possible de les réduire grâce aux stratégies proposées ci-après. Au moment de la révision, certaines phrases se restructurent, d’autres se réduisent, bref, c’est l’étape de la sélection des procédés linguistiques. Afin de peaufiner le texte, nous recommandons, à titre d’exemples, sept moyens de réduire la subordonnée.

1. Réduire une subordonnée par une préposition suivie d’un complément.
  • Un animal qui n’a pas de fourrure éprouve des difficultés en hiver.
  • Un animal sans fourrure éprouve des difficultés en hiver.
  • Un texte qui ne respecte pas les normes est rejeté de la liste.
  • Un texte hors normes est rejeté de la liste. 
2. Réduire une subordonnée par un possessif suivi d’un nom.
  • L’objectif que vous visez est réaliste.
  • Votre objectif est réaliste.
  • L’appartement que nous occupons s’est vendu la semaine dernière.
  • Notre appartement s’est vendu la semaine dernière.
3. Réduire une subordonnée par un adjectif, seul ou suivi d’un complément.
  • La professeure, qui tient ses promesses, vient d’être promue à la direction.
  • La professeure, fidèle à ses promesses, vient d’être promue à la direction.
  • Un trait de caractère que l’on tient de ses parents.
  • Un trait de caractère héréditaire. 
4. Réduire une subordonnée par un participe passé.
  • Un voyage d’affaires en Asie, qui doit se faire en mai, soulève bien des questions.
  • Un voyage d’affaires en Asie, prévu en mai, soulève bien des questions.
  • Ces peintures, qui sont défraichies par le temps, seront restaurées.
  • Ces peintures défraichies par le temps seront restaurées.
5. Réduire une subordonnée par un substantif ou un groupe nominal.
  • Le scientifique qui a lancé la puce au lithium vient de gagner un prix.
  • Le scientifique inventeur de la puce au lithium vient de gagner un prix.
  • La personne qui a administré le budget doit rendre des comptes.
  • L’administrateur du budget doit rendre des comptes.
6. Réduire une subordonnée par un substantif ou un groupe nominal dans les phrases avec « ce qui » et « ce que ».
  • Nous vous expliquerons ce qui a donné lieu à des dissensions.
  • Nous vous expliquerons la cause des dissensions.
  • Les microbiologistes comprennent ce que le virus peut provoquer sur les populations.
  • Les microbiologistes comprennent les conséquences du virus sur les populations.
7. Réduire une subordonnée par la suppression du marqueur emphatique.
  • C’est l’équipe qui a atteint l’objectif.
  • Cette équipe a atteint l’objectif.
  • Ce sont vos parents qui ont survécu à la pandémie.
  • Vos parents ont survécu à la pandémie.

Activités d’apprentissage ou d’enseignement

Quand vient le temps d’exprimer des idées savantes ou approfondies, certains étudiants et certaines étudiantes ont tendance à rédiger des phrases longues ou très complexes. Voici quelques idées d’activités en classe pour les sensibiliser à la lisibilité et les aider à produire des phrases plus claires.

  1. Présenter au groupe un ensemble de phrases aux multiples subordonnées construites selon les modèles proposés. Demander au groupe de réduire les subordonnées et de nommer le moyen privilégié.
  2. Distribuer trois textes provenant d’articles de journaux (par exemple le journal local, La Presse, Le Soleil, Le Devoir). En grand groupe, en équipes ou individuellement, demander aux étudiantes et étudiants de repérer les subordonnées de tous genres, puis de procéder à la réduction de certaines d’entre elles à l’aide d’un des sept moyens suggérés.

Parce qu’elle favorise la lisibilité du texte et, par conséquent, la clarté de la communication, la réduction de la subordonnée est une stratégie qui gagne à être utilisée tant par le personnel enseignant que par les étudiantes et les étudiants. Grâce à cette stratégie, les uns se feront mieux comprendre de leurs groupes et les autres, de leur évaluateur ou de leur évaluatrice tout en variant les structures syntaxiques. Sans négliger l’importance des composantes de la grammaire, la maitrise des procédés linguistiques augmente l’emploi des nombreuses transformations d’une phrase.

Quelques ressources utiles

BOSSÉ-ANDRIEU, Jacqueline (1995). Exercices pratiques de français, 3e éd., Québec, Presses de l’Université du Québec, 188 p.

CTC TRADUCTION (s. d.). « La lisibilité dans la rédaction et la traduction », dans Blogue, [En ligne]. [https://ctctraduction.ca/blog/la-lisibilite/] (Consulté le 7 novembre 2022).

DUMAS, Jean (2001). Séduire par les mots, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 510 p.

GOUSSE, Diane (2021). Communiquer avec style, 2e éd., Québec, Presses de l’Université du Québec, 248 p.

INFLUENCE COMMUNICATION (s. d.). Scolarius, [En ligne]. [http://scolarius.com] (Consulté le 7 novembre 2022).

KOKELBERG, Jean (2016). Les techniques de style, 2e éd., Paris, Armand Colin, 256 p.

LEGRAND, Émile (1990). Stylistique française, livre du maître, Paris, J. De Gigord, 327 p.

UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL (s. d.). Service d’analyse de texte par ordinateur, [En ligne]. [http://www.ling.uqam.ca/ato/] (Consulté le 7 novembre 2022).

Références

BEHNAM, Élodie (2017). L’influence de la performance financière des sociétés cotées en France sur la lisibilité du rapport de gestion, [En ligne], Chaire d’information financière et organisationnelle de l’UQAM, 27 p. [http://www.cifo.uqam.ca/publications/pdf/2017-02.pdf].

BOURQUE, Ghislain (1990). « Des mesures de lisibilité », dans BOYER, Jean-Yves, et Monique LEBRUN (dir.). L’actualité de la recherche en lecture, Montréal, Acfas, p. 137-160. Également disponible en ligne : https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2828111?docref=O292DsEKwL0ttBsNkf45sA&docsearchtext=L%E2%80%99actualit%C3%A9%20de%20la%20recherche%20en%20lecture.

DUCROT, Oswald, et Jean-Marie SCHAEFFER (1995). Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil, 672 p.

GUNNING, Robert (1968). The Technique of Clear Writing, New York, McGraw Hill, 329 p.

RICHAUDEAU, François (1976). La lisibilité, Paris, Éditions Retz, 301 p.

  1. Il existe des outils technologiques qui peuvent mesurer l’indice de lisibilité d’un texte. Scolarius en est un exemple. Il analyse des textes en français, et ce, gratuitement. [Retour]

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