
Enrichir avec succès les services d’un centre d’aide en français
Correspondance – Dans quel contexte avez-vous décidé de diversifier les services offerts par votre centre d’aide en français?
Marie-Michèle Roy et Hélène Jacques – Nous avons décidé de diversifier nos services parce que la demande pour le tutorat individuel était trop forte! Nous avons pris la responsabilité du centre d’aide en français (CAF) au moment où les cours ont de nouveau été donnés en présence, à l’automne 2021, et nous savions que les étudiantes et étudiants avaient de grands besoins. Cette année-là, 384 personnes se sont inscrites au centre, alors que nous n’avions que 207 places en tutorat. Il nous était néanmoins impossible de laisser sur une liste d’attente toutes ces personnes qui avaient terminé leur secondaire en pleine pandémie et dont le cursus scolaire avait réduit comme peau de chagrin. Nous avons donc dû réfléchir rapidement pour trouver de nouvelles idées de services à offrir. Toutes sortes de formules ont été expérimentées : certaines ont plus ou moins bien fonctionné (par exemple, l’aide ponctuelle en ligne et le tutorat par les pairs en petit groupe) et d’autres sont devenues des services récurrents.
Correspondance – Auparavant, votre centre d’aide reposait surtout sur le tutorat individuel par les pairs. Avez-vous apporté des changements à cette formule?
M.-M. R. et H. J. – Le tutorat individuel a peu changé et il demeure notre service principal, parce que nous croyons qu’il est le plus pertinent et le plus efficace. Nos efforts ont donc d’abord été consacrés à augmenter le nombre de tuteurs et de tutrices en multipliant les démarches de recrutement. En plus de solliciter nos collègues du Département de français pour qu’ils et elles nous recommandent leurs étudiantes et étudiants ayant obtenu de bons résultats en français, nous avons fait des appels à la communauté étudiante et des rencontres d’information pour expliquer la nature du cours de tutorat. Ces efforts ont permis de créer chaque année deux groupes d’une vingtaine de personnes.
Comme nous l’avons mentionné précédemment, avant d’arriver à étoffer l’équipe de pairs aidants pour mieux répondre à la demande, nous avons ajouté plusieurs services pour celles et ceux qui n’ont pu avoir accès à une place en tutorat. Dans le site Web du CAF, que nous avons entièrement refait, nous avons intégré une page interactive contenant des exercices, de la théorie de même que des capsules. Les tutrices et tuteurs ont conçu ces dernières, qui portent sur des erreurs communes et qui sont liées aux codes de correction du CAF. Il est donc possible d’avoir accès à des outils pour s’améliorer de façon autonome. Nous avons également créé un service d’aide sans rendez-vous et plusieurs formules d’ateliers de groupe.
Correspondance – Comment fonctionnent ces nouveaux services, l’aide ponctuelle et les ateliers?
M.-M. R. et H. J. – Les ateliers prennent plusieurs formes. D’abord, les ateliers d’entrainement en français écrit sont centrés sur les erreurs courantes (accord du participe passé, ponctuation, anglicismes, etc.) et sur les stratégies pour les repérer et les corriger. Ils sont publicisés dans l’ensemble du collège et ont lieu le mercredi midi. Une dizaine de personnes, en moyenne, se sont inscrites et présentées à chacune de ces séries de quatre ateliers. Nous avons également conçu des ateliers en classe adaptés aux besoins de certains programmes, afin de valoriser le français non seulement dans les cours de littérature, mais aussi dans tous les cours de la formation spécifique. Par exemple, la collaboration avec des enseignantes et enseignants de Soins infirmiers a mené à un atelier sur la rédaction de notes au dossier. Les personnes inscrites en Sciences humaines, Tremplin DEC ou Arts visuels ont quant à elles assisté à des ateliers sur le correcticiel Antidote modulés en fonction des évaluations écrites à préparer. Finalement, nous avons travaillé avec les intervenantes du Service d’aide à l’intégration des étudiants (SAIDE) pour donner des ateliers durant lesquels nous expliquions aux étudiantes et étudiants ayant un plan d’intervention comment bien utiliser Antidote.
Outre les ateliers, nous avons mis sur pied un service d’aide sans rendez-vous. Chaque semaine, durant une quinzaine de périodes, une tutrice ou un tuteur est disponible pour répondre aux questions des étudiantes et étudiants qui, en rédigeant leurs travaux, s’interrogent sur certaines formulations ou règles. Si, au départ, il y avait peu d’affluence, le service est devenu très populaire à partir du moment où nous avons proposé à nos collègues du Département de français d’inviter leurs groupes à l’utiliser pour réaliser leur travail d’autocorrection, une mesure instaurée dans tous les cours de français de notre cégep qui permet de récupérer une partie des points attribués à la qualité de la langue. Les étudiantes et étudiants viennent effectuer sur place la correction des erreurs relevées dans leur dissertation corrigée, demandent l’assistance du tuteur ou de la tutrice en poste afin de mieux comprendre les règles liées à leurs erreurs et, au terme de ce travail, lui font valider leur correction. Nous sommes convaincues que ce processus est bénéfique d’un point de vue pédagogique, puisque la personne n’est pas dans une dynamique où elle essaie de récupérer des points auprès de son enseignante ou de son enseignant; elle est plutôt placée en relation d’apprentissage avec un pair. L’aide sans rendez-vous a aussi été publicisée dans les différents programmes pour que toutes et tous puissent vérifier la qualité de la langue dans leurs évaluations avant de les remettre. Des étudiantes et étudiants sont ainsi venus de leur propre chef retravailler le vocabulaire et la syntaxe de leurs textes dans le but de rendre la meilleure rédaction possible. C’était vraiment émouvant!
Bien entendu, une série de règles encadrent ce service : les tuteurs et tutrices accompagnent leurs pairs sans toutefois accomplir le travail à leur place! L’aide sans rendez-vous est maintenant devenue tellement populaire que, la session dernière, nous ne suffisions plus à la demande. La technicienne en travaux pratiques ainsi que les enseignantes responsables du CAF devaient d’ailleurs souvent donner un coup de main à la tutrice ou au tuteur sur place. Nous avons été victimes de notre succès!
Correspondance – Avez-vous pu observer certaines retombées depuis que vous avez effectué ces changements et ajouts?
M.-M. R. et H. J. – L’aide ponctuelle et les ateliers donnés dans les programmes ont contribué à nous faire connaitre et à normaliser le fait de recevoir de l’aide au CAF. Nous avons voulu transformer notre service en un milieu de vie connu par l’ensemble de la communauté étudiante, et nous y sommes arrivées : le nombre d’inscriptions a augmenté d’année en année et nos locaux étaient presque toujours bourdonnants. En ouvrant plus de places en tutorat, nous avons pu avoir un effet positif sur la réussite d’un plus grand nombre d’étudiantes et d’étudiants. L’analyse des résultats des personnes tutorées au CAF à l’automne 2023 révèle que 81 % d’entre elles avaient réussi leur cours de français, avec une note moyenne de 67 %, ce qui correspond à une amélioration de 10 % par rapport à la note de leur session précédente. Au-delà des notes, un sondage rempli par nos tutorées et tutorés nous apprend que la majorité estime recevoir l’aide nécessaire pour réussir et que la plupart se sentent en mesure de transférer les notions acquises au CAF dans leur cours de français et dans leurs autres cours. Pour nous, il est clair que cette confiance renouvelée en leurs capacités facilite leur parcours scolaire.
Correspondance – À quels défis avez-vous dû faire face dans votre démarche d’amélioration et d’élargissement de l’offre de services du CAF?
M.-M. R. et H. J. – Comme nous travaillons dans un très grand collège, notre principale difficulté a été de faire connaitre nos nouveaux services. Beaucoup de temps a donc été consacré à rencontrer les coordinations des départements, l’équipe des aides pédagogiques individuelles, l’organisation scolaire, les intervenantes du SAIDE, etc., afin d’expliquer les services. Les rencontres pendant lesquelles on se parle de vive voix sont très chronophages, mais c’est vraiment ce qui fonctionne le mieux.
Correspondance – Quel appui avez-vous reçu pour implanter de nouveaux services et améliorer le tutorat par les pairs?
M.-M. R. et H. J. – Tout d’abord, il faut savoir que les locaux du CAF étaient en mauvais état. Nous avons eu la chance d’être épaulées par notre directrice adjointe de l’époque pour les réaménager, les remeubler, les repeindre et les équiper de nouveau matériel informatique. L’espace est devenu plus lumineux, plus aéré, donc forcément plus invitant. Cette aide matérielle a été très précieuse! Ensuite, puisque les places en tutorat ont augmenté, les couts pour le collège ont aussi grimpé. Nos gestionnaires, sensibles et préoccupés par la réussite des étudiantes et étudiants, ont soutenu cette mesure d’aide en la finançant. De plus, nous avons informatisé le processus de supervision du travail des pairs aidants et avons, pour ce faire, bénéficié de l’assistance d’une conseillère en technopédagogie ainsi que d’un technicien en informatique. Cet accompagnement nous a permis d’être beaucoup plus efficaces dans nos opérations.
Dans un autre ordre d’idées, l’ensemble des collègues qui ont participé à nos activités ou qui ont diffusé de l’information sur le CAF auprès de la communauté étudiante, qu’il s’agisse du personnel enseignant, des membres de l’organisation scolaire, du service des communications ou de la vie étudiante, des intervenantes du SAIDE, etc., nous ont aidées à faire connaitre nos services. Nous pouvons par ailleurs compter sur une technicienne en travaux pratiques qui assure une présence continue au CAF, nous appuie dans toutes nos activités et contribue à rendre notre espace accueillant. De plus, le CAF de notre collège a une longue histoire sur laquelle nous avons bâti. Les équipes de responsables qui nous ont précédées ont accompli du travail très important et ont mis en place les conditions pour que nous puissions procéder à un tel développement. Elles ont notamment produit une quantité incroyable de matériel didactique de qualité et, lors de la pandémie, l’ont numérisé afin qu’il soit accessible sur Moodle. Ces deux initiatives nous ont donné l’occasion de nous concentrer sur le renouvèlement des services plutôt que sur la création du matériel nécessaire au tutorat. Enfin, le CAF ne serait rien sans nos tutrices et tuteurs, nos porte-paroles par excellence.
Correspondance – Quels conseils donneriez-vous à d’autres responsables de centres d’aide en français qui voudraient diversifier leurs services ou augmenter le nombre de personnes aidées?
M.-M. R. et H. J. – Notre premier conseil serait de persévérer, de ne pas se décourager si les nouveaux services ne fonctionnent pas immédiatement. Il faut parfois beaucoup de temps pour mobiliser les troupes et se faire connaitre dans une grosse organisation comme un cégep. Notre second conseil serait de miser sur les tutrices et tuteurs, de se constituer une équipe enthousiaste et prête à collaborer en cultivant son sentiment d’appartenance. C’est ce que nous avons tenté de créer grâce aux thèmes mis de l’avant dans le cours de tutorat. Chez nous, la formation des tuteurs et tutrices correspond en effet à l’une des options pour le quatrième cours de français de la formation générale. Plutôt que d’y centrer notre enseignement sur une révision des notions de grammaire, de syntaxe et de ponctuation qui font l’objet des leçons de tutorat, nous avons lu des textes philosophiques (par exemple, ceux de Martha Nussbaum ou de Suzanne Keen) et littéraires (entre autres les œuvres de Daniel Pennac, François Bégaudeau, Naomie Fontaine, Gabrielle Roy ou Delphine de Vigan) portant sur l’enseignement, la relation d’aide et l’empathie. Nous avons réfléchi à l’importance de se mettre à la place des personnes pour qui le français est un cauchemar et de créer un lien de confiance essentiel à la relation d’aide. Nos futurs pairs aidants se sont interrogés sur les limites et la portée de leur rôle, sur le sens de leur travail, sur leur propre capacité d’empathie, et nous sommes convaincues que ces questionnements ont participé à développer leur engagement et leur volonté de s’investir dans la réussite de leurs pairs. Des témoignages issus de questionnaires anonymes[1] distribués à la fin du cours nous laissent croire que, dans plusieurs cas, nous ne nous sommes pas trompées, ce qui nous remplit d’émotion.
Témoignages de tuteurs et de tutrices au CAF du collège Lionel-Groulx
« Chaque élève suivi est un nouveau défi à relever, ou peut-être plus un casse-tête à assembler. Tous les élèves que j’ai vus avaient des personnalités et des méthodes d’apprentissage différentes. J’ai donc dû m’adapter pour leur apporter l’aide qu’ils demandaient. Créer un lien avec les étudiants est très important, peu importe que ce soit seulement dans un contexte professionnel, il faut qu’ils se sentent écoutés et valorisés. C’est en les comprenant mieux qu’on peut trouver toutes les pièces du puzzle et les aider à l’assembler. Je pense que mes élèves savent que je suis là pour eux, que je fournis beaucoup d’efforts dans toutes nos rencontres et je pense que ça les motive à persévérer. »
« Les élèves en difficulté vivent souvent des moments éprouvants à l’école puisqu’ils passent leurs journées à se sentir impuissants et inférieurs en comparaison avec leurs camarades de classe. Je trouve qu’il est fort important de connaitre cet aspect pour pouvoir davantage faire preuve d’empathie envers mes élèves. Ainsi, je me renseigne toujours sincèrement sur leur état avant de commencer la théorie avec une question simple comme : Comment s’est passée ta semaine? Je trouve que cela montre que je suis réellement présent pour les aider et, en retour, ils sont plus enclins à me faire confiance. »
« Un extrait de Pennac que nous avons lu mentionnait le fait “d’apprendre à ne pas savoir”, d’apprendre à être ignorant. Cet “apprentissage” est aussi très bénéfique dans la relation de tutorat et a beaucoup influencé ma façon de donner mes leçons. Cela m’a fait comprendre que, parfois, ma position de “connaissance” n’est pas la meilleure pour aider mes élèves, même si je possède le savoir dont ils ont besoin. Il vaut parfois mieux, comme le texte le dit, redevenir “ignorant”, retourner dans les souliers de celui qui ne sait pas, se mettre à sa place. De cette façon, nous pouvons comprendre ce qui ne va pas pour corriger le tir par la suite. Cette lecture m’a aidé dans mon expérience de tutorat, car en prenant l’angle de vue de mon élève dans la situation d’apprentissage, je pouvais lui enseigner plus efficacement en ayant compris ce qu’il vivait dans “l’ignorance”. »
Propos recueillis par Hélène Jacques et Marie-Michèle Roy
Référence
NOLET, Marie-Josée (2019). « Les CAF en chiffres : faits saillants d’une enquête sur la situation des centres d’aide en français », [En ligne], Correspondance, vol. 24, no 9. [https://correspo.ccdmd.qc.ca/document/les-caf-en-chiffres-faits-saillants-dune-enquete-sur-la-situation-des-centres-daide-en-francais/] (Consulté le 19 mars 2025).
- L’anonymat des questionnaires garantit l’authenticité et la sincérité des réponses, permettant ainsi une évaluation honnête et sans biais de l’impact de notre formation. [Retour]
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