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Enseigner les registres de langue autrement

Quand on décide de prendre en compte la variation linguistique dans sa pratique enseignante, c’est souvent la notion de registre de langue qui émerge en premier. En plus de constituer l’un des aspects de la variation linguistique les plus connus du grand public, les registres sont certainement la forme de variation la plus présente dans les programmes scolaires. Cependant, l’enseignement des registres et le traitement qu’on en fait typiquement (notamment dans les manuels scolaires) posent quelques problèmes si l’on veut véritablement proposer une vision inclusive de la langue. Ainsi, le présent article offre un survol de la façon traditionnelle d’enseigner cette notion et des limites associées à une telle pratique. Sera ensuite suggérée une façon différente et complémentaire d’appréhender les registres, conception plus près des véritables phénomènes qui entrent en jeu dans la variation linguistique. Bref, comment devrions-nous enseigner la notion de registres de sorte que cet enseignement corresponde davantage à la réalité de la langue?

L’enseignement traditionnel des registres

Les registres sont des sous-ensembles d’utilisation de la langue; ils sont généralement dits populaire, familier, neutre, courant ou standard et soutenu ou littéraire. Parfois également appelés niveaux, les registres sont déterminés par les différentes caractéristiques d’une situation de communication. Dans l’enseignement, ils sont quasiment invariablement exposés d’une façon suggérant une (dé)gradation, voire une hiérarchie, les catégories populaire et familier se trouvant systématiquement au bas de la « pyramide », considérées comme fautives ou à éviter à tout prix. On trouve parfois même dans les guides, manuels ou autres ouvrages didactiques des passages affirmant que le français populaire est exempt de toute règle. Or, même ces usages sont régis par des normes, bien que celles-ci ne soient généralement pas consignées dans les ouvrages de référence.

Figure 1

Exemple de représentation traditionnelle des registres dans les ressources didactiques

Dans la représentation traditionnelle, les catégories dans lesquelles se trouvent certains traits sont exposées. Bien qu’essentielles, ces catégories ne positionnent que rarement les traits dans le discours. Ceux-ci sont donc circonscrits dans des vases clos, alors que leurs occurrences s’inscrivent dans des énoncés variés et n’appartiennent pas forcément à l’un ou l’autre des registres de langue de façon précise. En effet, au-delà de la hiérarchisation, et par conséquent de la stigmatisation de certains usages, l’enseignement traditionnellement fait des registres semble omettre un élément essentiel : le discours.

Une façon nouvelle et complémentaire d’enseigner les registres

Les registres s’inscrivent en sociolinguistique dans la variation dite diaphasique, c’est-à-dire la variation en fonction de la situation de communication dans laquelle se trouve une personne, en fonction du degré de formalité du contexte. Ce dernier varie notamment selon le contexte de communication et du rapport que la personne entretient avec son interlocutrice ou son interlocuteur. Ainsi, envisager l’utilisation des registres de façon catégorisée ne représente pas bien la réalité de la langue, en plus de contribuer à une vision péjorative des usages familiers, usages qui sont les plus courants dans la vie d’un individu.

Une façon plus réaliste de représenter l’utilisation des registres serait de la représenter de façon linéaire (figure 2). Ainsi, sur une droite, il est possible de mettre en corrélation le degré de formalité du contexte (x) et le nombre d’occurrences de traits familiers (y). De cette manière, plus une situation est informelle, plus on trouvera des traces d’usages familiers, et plus une situation est formelle, plus ces traces se feront rares. En proposant une droite sur laquelle s’inscrivent les contextes appelant à différents énoncés, on permet une analyse plus nuancée que celle des cases dans lesquelles sont généralement coincés les différents registres. Le modèle évite aussi de présenter les usages de façon hiérarchisée, du « meilleur » au « moins bon ».

Figure 2

Modèle de représentation des registres dans le discours

Les exemples de situations présentées à la figure 2 ont été placés selon mon utilisation des registres, et là réside un autre aspect intéressant de ce mode de représentation. Comme il est question d’adaptation à la situation de communication, il est forcément question de la perception des situations de communication et de leur degré de formalité. Ces différences potentielles peuvent être causées notamment par des conventions sociales ou culturelles divergentes ou encore par un ensemble de facteurs sociaux tels que l’âge, le genre, les origines ethniques ou le statut socioéconomique. Tout comme ces facteurs régissent notre façon d’utiliser la langue, ils influencent également la façon dont nous percevons des contextes d’utilisation de la langue. Une situation sur la droite peut également se déplacer au fil du temps. Si nous commençons un nouvel emploi, par exemple, il est fort possible que le milieu de travail appelle à un usage plutôt formel. Après plusieurs années, nous pouvons prendre nos aises et nous exprimer plus librement, de façon moins formelle, étant donné que nous sommes plus familiers avec nos collègues, bien que le milieu de travail lui-même soit resté le même. Il serait possible de réaliser un sondage où l’on doit placer une série de situations différentes avec toutes sortes d’interlocuteurs. Nous verrions que bien qu’il y ait généralement un consensus approximatif, l’identification du degré de formalité d’une situation peut varier d’une personne à l’autre.

Par ailleurs, la droite a des limites aux deux extrémités. D’une part, il est tout à fait possible de noter des marques du familier dans un contexte très formel, dans des articles de journaux, dans les discours politiques ou dans certaines émissions de radio, par exemple. Si ce cas de figure est possible, l’inverse l’est encore davantage. Une situation informelle implique certainement une utilisation plus ou moins vaste d’usages familiers. Par contre, si je demande à une amie : « Tu viens-tu avec ta voiture ce soir? », bien que la particule interrogative tu soit considérée comme familière, le choix du mot voiture relève d’un usage standard, alors que le terme familier char aurait tout à fait convenu à l’énoncé. Le discours n’est pas tout noir ou tout blanc : les locuteurs peuvent faire des choix ne correspondant pas obligatoirement à un registre ou à un autre.

Finalement, bien que nous ayons besoin des catégories de registres pour décrire la langue, le modèle renouvelé présenté ici propose de mettre les usages en contexte afin de montrer de façon authentique le fonctionnement des registres. Il ne demande pas beaucoup plus de temps ou d’énergie à enseigner, mais permet un enseignement réaliste et authentique qui s’approche davantage de l’utilisation que nous faisons des langues et de leurs variétés au quotidien. Puisque la langue s’inscrit toujours dans un contexte, pourquoi ne pas envisager les registres dans les discours? Ce modèle permet donc de contextualiser et de compléter ce que les catégories de registre présentent, de façon à mettre de l’avant les usages variés auxquels a naturellement recourt un locutorat. Seuls, les tableaux et les « pyramides » ne peuvent prendre en compte cet aspect. Enfin, l’important lorsqu’il est question de registres, c’est d’éviter de bannir les usages : chacun d’entre eux, du plus familier au plus formel, a des fonctions qui lui sont propres.

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