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Formule pédagogique intéressante: le jumelage

Formule pédagogique intéressante: le jumelage

Conscients tant de l’efficacité bien relative d’un cours de mise à niveau suivi de façon isolée que de la nécessité bien réelle d’un tel cours pour bon nombre d’élèves, certains collèges ont mis à l’essai une formule pédagogique qui se révèle prometteuse : le jumelage du cours de mise à niveau avec le premier cours de littérature. Trois collèges nous font part de leur expérience. Vous constaterez que le terme « jumelage » prend, chaque fois, un sens un peu différent.

La Pocatière : deux cours indépendants

par Stéphan Marier professeur de français et responsable du CAF, cégep de La Pocatière

Sept heures de français par semaine, c’est le traitement choc auquel ont affaire certains élèves au cégep de La Pocatière. En effet, à leur arrivée au collège, les élèves de première année qui, à l’examen final du Ministère en français, ont obtenu moins de 20/40 aux critères 6 et 7 et une note globale inférieure à 70 pour l’ensemble des critères, suivent, à la session d’automne, les cours Écriture et littérature (4 heures) et Mise à niveau (3 heures).

Afin de maximiser les effets positifs du cours de mise à niveau, nous avons choisi d’adopter l’approche suivante.

Chaque semaine, l’enseignant rencontre d’abord tous les élèves, en classe, pour un cours de type traditionnel de deux heures. Il explique alors la théorie du module au programme de la semaine ; il vérifie, au moyen d’une dictée, l’acquisition de la matière vue la semaine précédente, puis présente les exercices à effectuer et le texte à rédiger ou à analyser pour la prochaine rencontre en classe. Ensuite, au centre d’apprentissage en français, le professeur reçoit individuellement chacun des élèves (rencontre de 20 minutes). Pendant cette rencontre, l’élève, à l’aide des corrigés, procède à la correction de la dictée et des exercices vus en classe ; puis, l’enseignant répond aux questions de l’élève et retravaille avec lui le texte, préalablement corrigé par l’élève.

À la fin de la session, l’élève trouve deux types de notes en français sur son bulletin. Pour le cours Mise à niveau, l’évaluation sommative consiste en huit textes à composer (8 x 5 p. 100) et trois examens (10 p. 100, 20 p. 100, 30 p. 100) portant sur la théorie vue en classe. Si l’élève échoue au cours Mise à niveau, la mention Échec apparaît, mais s’il a réussi le cours Écriture et littérature, il peut quand même suivre le cours Littérature et imaginaire à la session d’hiver.

Même si le fait de suivre deux cours de français à la session d’automne représente une charge de travail plus grande pour les élèves, nous sommes convaincus que cette façon de procéder augmente réellement leurs chances de réussite aux cours de français subséquents. De plus, le cheminement de l’élève n’est plus prolongé d’une session à cause de l’ajout du cours de mise à niveau, et le professeur peut faire un suivi personnalisé de chaque élève et ainsi se concentrer sur les lacunes propres à chacun. D’ailleurs, à ce propos, l’idéal serait que ce soit le même professeur qui rencontre tous les élèves qui suivent à la fois le cours Mise à niveau et le cours Écriture et littérature. Voilà justement ce qui constituera notre prochaine étape dans notre recherche de l’aide à l’apprentissage la mieux adaptée aux besoins des élèves.

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Jean-de-Brébeuf : deux cours, un seul professeur !

par Jean-Pierre Gaudreau professeur de français et conseiller pédagogique, collège Jean-de-Brébeuf

Au collège Jean-de-Brébeuf, les élèves inscrits au cours de mise à niveau (FRA 001) peuvent tirer profit d’une formule avantageuse : le jumelage de ce cours avec le premier cours de littérature (FRA 101). Ainsi, à leur première session au collégial, ces élèves reçoivent sept heures de cours de français par semaine, données par le même professeur. C’est comme si, en fait, les élèves suivaient un cours de 105 heures, au terme duquel ils auraient atteint à la fois le seuil de compétence du cours de mise à niveau et celui du cours de littérature.

Durant ces sept heures hebdomadaires d’enseignement, nous visons l’intégration la plus harmonieuse possible de l’étude de la langue à l’étude de la littérature. La capacité de reconnaître la nature et la fonction des mots apparaît vite essentielle à la compréhension des textes étudiés (poèmes, pièces de théâtre ou récits) ; quant à la nécessité de la révision des règles d’accord et de ponctuation ainsi qu’à l’utilité d’un procédé stylistique comme l’enchâssement, elles semblent évidentes quand les élèves rédigent leurs analyses littéraires. Nous essayons de fournir aux élèves les outils linguistiques dont ils ont réellement besoin pour comprendre des textes littéraires et pouvoir rédiger des analyses riches, structurées. Dès le début de la session, nous tentons de faire sentir aux élèves que ces trois heures supplémentaires, qui viennent soutenir leur démarche d’apprentissage du cours FRA101, sont l’occasion privilégiée de développer une assurance linguistique dont ils seront fiers et qui augmentera leur capacité de réussite dans l’ensemble de leurs études.

À l’automne 1997, le jumelage mise à niveau/FRA 101 a été expérimenté pour la troisième fois. Comme l’an dernier, environ une soixantaine d’élèves (deux groupes) étaient inscrits à ce cours. Ils ont été dépistés par la voie de leurs résultats aux examens de français du Ministère (5e secondaire) et du test de classement imposé par le Collège au printemps précédant le début de leurs études collégiales (il s’agit du TEFEC). Puis, un ou une aide pédagogique a rencontré chaque élève et lui a expliqué la formule du jumelage et ses avantages. Dès le premier cours, les professeurs ont fait rédiger un texte aux élèves afin de confirmer ou d’infirmer la justesse du dépistage. Habituellement, la présentation d’une démarche pédagogique favorisant la participation de l’élève et accordant une place importante à l’évaluation formative, ainsi que les résultats de ce contrôle diagnostique, convainquent presque tous les élèves de ne pas abandonner le cours.

La formule est-elle efficace ? Jugez-en à la lumière de ces résultats : l’an dernier, pour l’un des deux groupes[1], la fréquence des erreurs d’expression écrite était de 1 aux 11 mots au tout début de la session et, à l’examen final de décembre, de 1 aux 21 mots. En décembre, le taux de réussite du cours FRA 001 a été de 90 p. 100 et celui du cours FRA101, de 83 p. 100.

Les progrès des élèves sont encourageants !

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Une première expérience !

par Lynn Lapostolle professeure de français et coresponsable du CAF, cégep du Vieux Montréal

Depuis l’année scolaire 1994-1995, le cégep du Vieux Montréal invite les « élèves à risque » de certains programmes à s’inscrire à la session d’accueil et d’intégration (SAI). Environ la moitié de ces élèves suivent un cours de mise à niveau en raison des faibles résultats obtenus en français en cinquième secondaire ; l’autre moitié suit le premier cours de littérature. À l’automne de 1997, à la suite d’une suggestion faite par les responsables du CAF à la coordonnatrice de l’aide à l’apprentissage, un groupe de 35 élèves de sciences humaines a suivi, en même temps, le cours de mise à niveau en français et le premier cours de littérature[2]. Dans le cours de littérature, la classe regroupait les 35 élèves ; pour le cours de mise à niveau, ils étaient divisés en deux groupes. Les élèves devaient s’inscrire au CAF dès la première semaine ; cette période de travail était considérée comme la troisième heure de travail hebdomadaire exigée pour le cours de mise à niveau. À ce chapitre, nos collègues de philosophie nous ont fourni une aide précieuse : ils ont indiqué aux élèves qu’ils courraient la chance de regagner les points perdus pour la langue (10 p. 100) s’ils faisaient l’effort de fréquenter le CAF de manière assidue.

Coenseigner, comme dans « conjuguer les efforts »

Notre expérience de coenseignement a été menée, depuis la mi-août 1997, au fil des semaines, à la lumière des réactions et des besoins. En fait, nous n’avons jamais tenté de donner un cours qui serait un amalgame du cours de mise à niveau et du premier cours de littérature. Nos élèves n’ont pas suivi un seul cours de français, langue et littérature, de 105 heures, mais bien deux cours distincts, l’un de 60 heures, l’autre de 45. Nous avons cherché une formule qui nous permettrait de conserver notre indépendance tout en conjuguant les efforts fournis pour mener les élèves à bon port dans chacune des matières. Par exemple, dès le premier cours de la session, les élèves ont lu et travaillé, en classe de littérature, un poème de Béatrice de Die intitulé « Chanson ». La même semaine, en classe de mise à niveau, ils ont rédigé un texte de 200 mots sur ce poème du Moyen Âge, texte qui a servi de texte diagnostique pour les deux cours, c’est-à-dire qu’il a servi à évaluer, sans les noter, la structure, le contenu et la langue (fréquence d’erreurs et nombre moyen de mots par phrase). Il a également servi de texte d’entrée pour le CAF : à l’aide de ce texte, les monitrices et moniteurs avec qui nos élèves avaient été jumelés ont rédigé un profil d’erreurs et un diagnostic (impression de lecture, profil grammatical, démarche d’analyse, travaux demandés). Par la suite, en classe de mise à niveau, j’ai demandé aux élèves de traiter les cinq erreurs les plus fréquentes dans leur texte selon la méthode présentée dans le Mentor, notre manuel de base.

Avec le temps, nous avons varié les expériences de mise en commun. En mise à niveau, l’évaluation a porté, entre autres, sur cinq rédactions, dont quatre faisaient l’objet d’une évaluation sommative. Pour la deuxième rédaction, portant sur « À sa maîtresse » de Ronsard, j’ai évalué la qualité de la langue de la première version de cette rédaction, et ma collègue en a évalué la structure et le contenu. Les élèves ont ensuite réécrit ce texte, et j’en ai évalué de nouveau la qualité du français. Enfin, j’ai demandé un traitement des types d’erreurs qui correspondaient à la matière vue en classe à ce moment, soit les erreurs relatives à la structure de base de la phrase, aux types et aux formes de la phrase, aux marqueurs de relation, au niveaux de langue, à la ponctuation en fin de phrase et à l’intérieur de la phrase. La troisième rédaction accordait aux élèves un peu de répit par rapport à l’analyse littéraire : ma collègue a commencé en classe un travail d’écriture de texte poétique. Elle a lu et corrigé le texte produit, puis les élèves ont réécrit ce texte en tenant compte de ses commentaires. Par la suite, j’ai corrigé la réécriture, puis les élèves ont traité chacune de leurs erreurs. À compter de ce moment, nous avons travaillé quelque peu différemment pour que les élèves procèdent davantage par eux-mêmes au transfert des connaissances. Toutefois, mis à part une analyse littéraire du « Fumeur » de Marc-Antoine Girard de Saint-Amant, nous avons conservé les mêmes objets d’étude, soit Le Cid et Le Mariage de Figaro. De manière à multiplier les occasions de rédiger des paragraphes argumentatifs, j’ai exigé, pour les deux dernières rédactions, une appréciation de ces deux oeuvres – ils ont lu et vu Le Cid mais ils n’ont que vu Le Mariage de Figaro – appréciation qui devait être formulée selon les règles du paragraphe logique fermé.

Premier bilan

Au moment d’écrire ces lignes, soit à quelque deux semaines de la fin de la session, bien qu’une évaluation détaillée de l’expérience reste à faire, nous pouvons déjà formuler quelques remarques.

Certaines difficultés propres surtout aux élèves très faibles en français persistent. L’une de ces difficultés est évidemment celle de la maîtrise de la langue écrite : malgré toute la bonne volonté, on ne peut récupérer en une session ce que onze années d’études n’ont pas permis d’apprendre. La majorité des élèves de ce groupe partagent certaines valeurs qui ne sont pas nécessairement celles que nous aimerions voir dominer — par exemple de considérer comme « têteux » ou abusif le fait de demander de l’aide à leur professeure. Le rôle de victime fait partie du répertoire personnel d’une grande partie de la clientèle, ce qui signifie que les enseignantes et enseignants sont considérés soit comme des bourreaux, soit comme des sauveurs. Le sens des responsabilités ne s’acquiert pas en une session, si bien que bon nombre des élèves ne savent pas s’accorder le temps nécessaire pour les devoirs et l’étude, comme ils ont appris à le faire au secondaire. Un certain nombre d’élèves trouvent difficile de mener de front huit cours (nous nous sommes rendu compte trop tard du fait que nous aurions dû retirer le cours complémentaire de leur horaire) dont deux, soit sept périodes par semaine, de français. Tous ces éléments rendent la tâche éminemment difficile pour ma collègue qui enseigne la littérature puisqu’elle donne ce cours à un groupe de 35 élèves de mise à niveau.

En revanche, la formule que nous avons adoptée a tout de même entraîné certains succès, si petits soient-ils. Notre remise en question constante de la culture de l’échec, culture qui trouve preneurs dans un tel groupe, a au moins eu le mérite d’ouvrir la discussion sur ce sujet. Les élèves ont appris à repérer les frontières entre les deux cours, ce qui leur a permis de voir les limites de chacun des cours mais également les liens étroits qu’ils entretiennent. L’étude de la littérature dès la première session a complètement anéanti les habituelles récriminations contre le cours de mise à niveau, obligatoire mais non assorti d’unités attribuées, la littérature semblant aux élèves beaucoup plus difficile à saisir que la grammaire. Les élèves ont accompagné une petite équipe de travail qui leur a présenté deux contenus qu’ils étaient peu enclins à apprécier au départ, c’est-à-dire un contenu connu mais mal digéré et un contenu inconnu mais plus digestible, entre autres parce que nouveau. Étant donné les échanges d’idées fréquents que nous avons eus avec les tutrices et tuteurs de la SAI de même qu’avec nos collègues de philosophie, étant donné aussi nos actions concertées, plusieurs élèves ont grandement changé au cours de la session, améliorant autant la qualité de leur français que leur attitude à l’égard des études. Le dialogue constant que nous avons entretenu, ma collègue et moi, au sujet des élèves nous a permis de mieux cerner leurs difficultés et, par conséquent, d’y faire face conjointement et plus rapidement que si nous avions été chacune seules. Tous les élèves se sont inscrits au CAF dès le premier cours de mise à niveau, c’est-à-dire dès la fin du mois d’août, alors que l’expérience des trois années précédentes indiquait que cette clientèle utilisait très peu les ressources à sa disposition et que, par conséquent, elle ne fréquentait aucunement le CAF. Les élèves qui l’ont fréquenté ont fait au moins 50 minutes de travail, chaque semaine, à l’extérieur du cours de mise à niveau. Enfin, cette fréquentation du CAF signifie aussi l’établissement de relations avec des pairs responsables et motivés.

Des questions demeurent. En quoi cette expérience nous aide-t-elle à distinguer les élèves qui ont des difficultés importantes de ceux qui ont des difficultés moyennes et à fournir les ressources appropriées à chacune et chacun ? Que ferons-nous si des élèves réussissent le cours de littérature mais non celui de mise à niveau ? Reconduirions-nous l’expérience ? Recommanderions-nous au Collège de faire suivre ces deux cours à tous les élèves ? Qu’en pensent réellement celles et ceux pour qui nous avons tenté cette expérience ? Le bilan final reste à faire.

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  1. Les résultats de l’autre groupe sont tout à fait semblables. Mais les données exactes ne sont pas disponibles présentement. Retour
  2. Si seuls des élèves de sciences humaines ont fait partie de ce projet, c’est principalement parce que le nombre d’heures de cours est moins élevé en formation préuniversitaire qu’en formation technique. C’est aussi parce que, en sciences humaines, la plupart des cours de concentration sont offerts chaque session. Les élèves n’ont donc pas à attendre un an avant de pouvoir suivre un cours de concentration qui est un préalable à un autre cours, ce qui est souvent le cas en formation technique. Retour

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