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Le français au cégep: les allophones jouissent-ils du soutien nécessaire?

Le français au cégep: les allophones jouissent-ils du soutien nécessaire?

Échos de recherche
Dans le numéro de novembre 1999 (volume 5, numéro 2) de Correspondance, nous avons brièvement présenté la recherche dont il est ici question. Aujourd’hui, les auteures livrent leurs conclusions. L’article a été publié dans La Presse du 17 janvier dernier ; nous le reproduisons avec l’autorisation des auteures.

Le Québec, comme la majorité des pays industrialisés, est caractérisé par une grande diversification au point de vue linguistique, ethnique, social, culturel et religieux. Pour garantir l’égalité des chances et les droits à l’éducation, et favoriser une socialisation commune dans cette société pluraliste, l’école doit remplir sa mission auprès de l’ensemble des élèves qui lui sont confiés quelles que soient leur origine ethnique et leur langue maternelle. Ces défis qu’elle doit relever découlent du principe de la démocratisation du système d’éducation au Québec.

Au Québec, en vertu du projet de loi 101, la majorité des élèves allophones ont réalisé totalement ou en partie leurs études primaires et secondaires en français. Une bonne partie d’entre eux choisissent de continuer leurs études dans les cégeps francophones. Rappelons que les principes d’égalité des chances et de démocratisation de l’enseignement, énoncés dans les années 60, ont été renouvelés à l’occasion des États généraux sur l’éducation de1995-1996.

Nombreux sont les élèves, francophones et allophones, qui ont besoin d’un soutien particulier en français pour réussir leurs études au collégial. À l’entrée du cégep, généralement, les élèves passent un test de français dont la formule et le niveau d’exigence varient selon les établissements. Ceux qui ne réussissent pas ce test — et parmi eux se trouvent un certain nombre d’élèves allophones — sont considérés comme des élèves « à risque ». Ils suivent alors, avec plus ou moins de succès, des cours de mise à niveau en français avant d’aborder la séquence de cours de français obligatoires.

Grâce à la politique d’intégration interculturelle et à la démocratisation de l’enseignement, l’école a-t-elle rempli sa mission et assuré la réussite, en particulier, des élèves allophones à risque ?

Élèves allophones : un phénomène montréalais

Il nous faut tout de suite préciser que la présence d’élèves allophones constitue un phénomène essentiellement montréalais. En effet, c’est surtout dans les cégeps de l’Île de Montréal que le nombre d’élèves allophones s’accroît entre 1983 et 1995. Ainsi, en 1996-1997 (Direction générale de l’enseignement collégial, 1995-1998), on constate que 94,4p.100 des élèves allophones du réseau collégial, secteurs public et privé, fréquentent des établissements de la région de Montréal, ce qui correspond à 16,2p.100 des effectifs des cégeps de Montréal.

Diversité de la clientèle

Les cégeps anglophones sont beaucoup moins touchés par la diversification des caractéristiques ethnolinguistiques de leur effectif allophone puisque celui-ci continue d’être issu en grande partie de communautés linguistiques pour la plupart d’origine européenne, installées au Québec depuis longtemps. Pour leur part, les cégeps francophones accueillent les élèves issus de communautés plus récemment implantées au Québec et en provenance de divers pays du monde. D’où la diversité de la clientèle allophone et l’ampleur du défi que doivent relever les cégeps francophones de la grande région de Montréal pour ajuster leurs pratiques à leurs clientèles, qui parlent des langues pas ou peu apparentées au français.

Taux de diplomation

Dans le réseau collégial, les allophones, tous groupes linguistiques confondus, ont plus de difficultés en français que les francophones. Ainsi, ils réussissent moins bien l’ensemble des cours de français tout comme l’épreuve ministérielle (pour cette épreuve, à l’hiver 1999, le taux d’échec est de 12,3 p. 100 chez les francophones et de 27,2 p. 100 chez les allophones).

Cette situation prévaut malgré un taux de diplomation général des allophones très comparable à celui des francophones. Toutefois, il est bien important de préciser que ces indicateurs de réussite au collégial varient beaucoup selon les sous-groupes linguistiques : certains réussissent moins bien, d’autres mieux que les francophones. Bien que des politiques gouvernementale et ministérielle promeuvent l’apprentissage continu du français par l’intermédiaire de services destinés aux allophones, peu de ces services sont offerts au collégial à cette clientèle, et ce, depuis la réforme de 1994.

Allophones à risque

Dans le cadre d’une recherche (La réussite en français des allophones au collégial, rapport de recherche PAREA, juin 2000) réalisée dans deux cégeps montréalais, nous avons suivi le cheminement scolaire d’élèves allophones et francophones ayant échoué au test d’entrée du cégep à l’automne 1995. Le résultat le plus frappant est que, très rapidement, un grand nombre de ces élèves à risque abandonnent complètement leurs études, autant dans l’un que dans l’autre de ces deux cégeps montréalais (34 et 52 p. 100 chez les allophones ; 29 et 58 p. 100 chez les francophones) ou changent de cégep (39 et 26 p. 100 chez les allophones ; 33 et 25 p.100 chez les francophones). Rappelons que le taux d’abandon après la première année de cégep est en moyenne de 12 p. 100 (Fédération des cégeps, 1999). Par ailleurs, les faibles taux de réussite, autant pour les francophones que pour les allophones, sont particulièrement marqués au début du cheminement en français, c’est-à-dire dans les cours de mise à niveau et dans le premier cours de la séquence obligatoire de français. Ces cours représentent visiblement la porte à franchir pour parvenir à réussir les autres cours de la séquence.

De telles données soulèvent une question : ces élèves allophones à risque ont-ils pu bénéficier du soutien nécessaire, et ce, dès leur arrivée au cégep, pour éviter ces abandons ou cette mobilité excessive ? Des interventions, dès ce niveau, permettraient probablement d’améliorer de façon notable la réussite en français.

Aide à la réussite

La réforme de l’enseignement collégial a mené à l’élimination des cours de français langue seconde destinés aux allophones. À la lumière de ce changement et de l’analyse du cheminement scolaire que nous avons effectuée dans nos cégeps respectifs, il appert qu’en l’absence de directives ministérielles particulières pour les élèves allophones du collégial, les services de soutien linguistique qui leur sont offerts sont peu nombreux et pas du tout uniformes d’un collège à un autre. Tous les collèges ne tiennent pas compte de leur clientèle allophone en leur assurant des interventions particulières en français. Est-ce faute de ressources, faute de sensibilisation à la situation des allophones au collégial ? Nos données de recherche ne permettent pas d’affirmer quoi que ce soit. Cependant, nous constatons que la Direction de l’enseignement collégial du ministère de l’Éducation n’a instauré aucune mesure obligatoire de soutien à l’apprentissage du français pour les allophones, contrairement à ce qui se passe aux ordres primaire et secondaire. Dans ces derniers cas, les élèves allophones sont généralement placés dans des conditions particulières d’apprentissage du français grâce aux classes d’accueil où des professeurs, le plus souvent formés en langue seconde, utilisent du matériel produit pour ce type de classes. Il ne faut pourtant pas penser que rien ne se fait concrètement dans les collèges : des mesures déjà décrites, prises dans plusieurs d’entre eux, prouvent le contraire. Ce que nous voulons souligner ici, c’est le caractère aléatoire de ces mesures, qui sont souvent le fruit d’initiatives personnelles ; dès que les personnes changent ou perdent leur dynamisme, les mesures sont compromises. Au collégial, l’absence d’un contexte obligatoire pour l’apprentissage du français langue seconde fait en sorte que tous les allophones n’ont pas partout des chances égales de réussir en français.

Quelques recommandations

Nos recommandations se situent dans le contexte des orientations contenues dans la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle du MEQ (1998). Nous tentons de préciser comment ces orientations pourraient s’appliquer au collégial.

  • Afin de dépister dès leur entrée les étudiants allophones qui ont peu de chances de réussir les cours de mise à niveau en raison de trop grandes faiblesses en français, et afin d’offrir aux élèves à risque d’échec en français des solutions plus appropriées à leurs besoins et qui les retiennent dans le réseau collégial, nous recommandons l’adoption d’un meilleur instrument de classement en français, qui permette de raffiner le diagnostic des différents niveaux de maîtrise du français.
  • Afin d’améliorer le taux de réussite du cours de mise à niveau pour les élèves les plus faibles en français, particulièrement pour les élèves allophones qui sont surreprésentés dans les collèges montréalais, et afin de créer un contexte où les professeurs disposent de plus de chances d’apporter un soutien adéquat aux élèves qui présentent des difficultés très variées, nous recommandons d’améliorer les conditions de réussite dans les cours de mise à niveau pour les élèves très faibles.
  • Afin de diminuer les échecs dans le cours de mise à niveau pour les élèves moyennement faibles en français et dans le premier cours de la séquence, et afin d’augmenter la motivation de ces élèves en mettant en relief le lien entre la langue et la littérature, nous recommandons de jumeler le cours de mise à niveau pour les élèves moyennement faibles avec le premier cours de la séquence, dans la même session et avec le même professeur.
  • Afin que les élèves aient davantage d’occasions de pratiquer correctement la langue et de progresser continuellement en français, nous recommandons le soutien en français par tous les professeurs tant des programmes préuniversitaires que techniques.
  • Nous trouvons également important de préparer les jeunes, francophones et allophones, au marché du travail, particulièrement ceux des programmes techniques qui occuperont leur premier emploi à la sortie du collège. Nous savons que plusieurs jeunes, quelle que soit leur origine ethnique, font face à des difficultés dans la course à leur premier emploi. Une étude de Myriame El Yamani (L’emploi des jeunes : un enjeu de société, Québec, 1997), menée auprès de 101 jeunes de diverses origines ethniques, a révélé que, parmi les facteurs de discrimination à leur égard par les employeurs, se trouvaient l’accent et la compétence en français.

    La maîtrise et l’usage du français dans les collèges de langue française représentent une étape importante vers une intégration plus large des immigrants dans la société, en passant par le travail et les communications fréquentes avec la majorité francophone du Québec. Et dans un contexte où la diversité ethnolinguistique est omniprésente, il est important que les cégeps de la région de Montréal fassent des efforts supplémentaires pour relever ces nouveaux défis.

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