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D’hier à demain, l’apprentissage du français avant l’entrée au collège

D’hier à demain, l’apprentissage du français avant l’entrée au collège

Jacqueline Charbonneau est corédactrice du programme de français, langue d’enseignement au secondaire. Elle répond ici à quelques questions fréquentes sur le Renouveau pédagogique.

Les programmes québécois de français du primaire et du secondaire ont récemment fait l’objet de modifications importantes.

D’où origine le changement ?

En 1997, l’énoncé de politique L’école, tout un programme a donné le coup d’envoi à un processus de révision des programmes qui touchait non seulement le français, mais toutes les disciplines enseignées au primaire et au secondaire. Cet énoncé constituait la réponse à une suite d’analyses, de consultations et de débats publics relatifs à la formation des jeunes. On peut en retracer le fil à partir des avis et rapports Rénover le curriculum du primaire et du secondaire (avis du Conseil supérieur de l’éducation – 1994), Préparer les jeunes au 21e siècle (rapport du groupe de travail sur les profils de formation au primaire et au secondaire – 1994), Rénover notre système d’éducation : dix chantiers prioritaires (rapport de la Commission des États généraux sur l’éducation et l’efficacité du système éducatif – 1996) et Réaffirmer l’école (rapport du groupe de travail sur la réforme du curriculum – 1997).

D’une manière générale, qu’est-ce que la révision des programmes devait contribuer à améliorer ?

Trois décennies après la démocratisation de l’éducation au Québec, le phénomène du décrochage scolaire, l’écart entre le taux de réussite des garçons et celui des filles, les difficultés d’apprentissage persistantes ou croissantes éprouvées par de trop nombreux jeunes et un taux de diplomation inférieur à 75 % sept ans après le début des études secondaires[1], tous ces constats indiquaient que l’école ouverte à tous, du préscolaire à la fin du secondaire, devait refaire ses devoirs. Il lui fallait non seulement réaffirmer son ouverture et hausser ses exigences, mais aussi adapter ses dispositifs et ses programmes de manière à accroître la persévérance scolaire, à favoriser la réussite des études par tous les jeunes et à hausser le taux de diplomation, et ce, en tenant compte de la modification du tissu social, des avancées scientifiques – en particulier dans le domaine des sciences cognitives – et des besoins de formation à l’aube du 21e siècle.

À qui le mandat de révision et d’élaboration des programmes a-t-il été confié ?

La croyance populaire veut que les personnes affectées à cette tâche ignorent la réalité du monde scolaire. En réalité, dans chaque discipline, la révision et l’élaboration des programmes sont le fruit du travail concerté d’équipes réduites (trois à six personnes) et élargies (une vingtaine de personnes) d’intervenants du milieu possédant une vaste expérience auprès des élèves. Ces équipes ont été soutenues par une équipe de conseillers universitaires et coordonnées par des responsables disciplinaires ministériels. Des comités ad hoc ont également contribué à la révision d’éléments particuliers des programmes (ressources technologiques, littérature, etc.). Pour le secondaire, ce sont plus de 500 enseignantes et enseignants, conseillères et conseillers pédagogiques, membres du personnel de direction des écoles, représentantes et représentants des collèges, des universités et de divers regroupements liés à l’éducation qui ont partagé et confronté savoirs d’expérience, savoirs théoriques, visions sociales et convictions pour mener la tâche à terme.

Étant donné la diversité des traditions et des orientations disciplinaires, comment la cohérence d’ensemble des programmes a-t-elle été assurée ?

Tout au long du processus d’élaboration, une équipe-conseil a veillé à l’harmonisation des textes et des modalités de présentation des divers programmes disciplinaires, qui forment maintenant un document intégré, soit le Programme de formation de l’école québécoise. Ce processus a obligé les équipes de conception à dialoguer et conduit à une explicitation de même qu’à un resserrement des liens entre les disciplines. Tous les programmes de la formation de base ont été élaborés dans une perspective unifiée, en fonction d’une même mission confiée à l’école, de visées et d’orientations communes. La complémentarité et l’interdépendance des disciplines ont été renforcées par l’obligation de lier le développement des compétences disciplinaires à des problématiques contemporaines communes, les domaines généraux de formation, et d’y intégrer le développement de compétences dites transversales (le tableau 1 présente ces éléments communs).

Tableau 1 : Éléments communs

Mission de l’écoleQualifier dans un monde en changement, instruire dans un monde de savoir et socialiser dans un monde pluraliste
Visées de formationConstruction d’une vision du monde, structuration de l’identité et développement du pouvoir d’action
Orientations de formationFormation centrée sur le développement de compétences, évaluation au service de l’apprentissage, formation décloisonnée et réussite pour tous
Domaines généraux de formationSanté et bien-être, orientation et entrepreneuriat, environnement et consommation, médias, vivre-ensemble et citoyenneté
Compétences transversales

Ordre intellectuel : exploiter l’information, résoudre des problèmes, exercer son jugement critique et mettre en œuvre sa pensée créatrice

Ordre méthodologique : se donner des méthodes de travail efficaces et exploiter les technologies de l’information et de la communication

Ordre personnel et social : actualiser son potentiel et coopérer

Ordre de la communication : communiquer de façon appropriée

Il est à noter que les domaines généraux de formation ne sont pas vus comme des thématiques, mais comme un ensemble d’intentions éducatives à prendre en considération pour que le développement des compétences réponde aux visées de formation. Par exemple, pour le domaine des médias : faire preuve de sens critique, éthique et esthétique à l’égard des médias, et produire des documents médiatiques qui respectent les droits individuels et collectifs.

En 1995, le programme de français du secondaire avait été révisé et la formation, déjà centrée sur le développement de compétences. Qu’est-ce qui a changé avec la révision actuelle ?

Inscrit dans la lignée de celui de 1995, le programme actuel demeure orienté vers le développement de compétences en lecture, en écriture et en communication orale. Toutefois, ces trois compétences ont été largement précisées : elles ont été renommées de manière à marquer la continuité avec le primaire et à signaler la nécessité d’adaptation et de transfert de l’apprentissage ; le sens en a été explicité, les composantes en ont été spécifiées, des contextes et des jalons de développement ont été balisés, le contenu de formation a été détaillé et des exemples ont été ajoutés pour illustrer le développement. En outre, des critères d’évaluation et des attentes de fin de cycle ont été établis pour le premier cycle (1re et 2e secondaire) et le deuxième cycle (3e, 4e et 5e secondaire), et le rôle des enseignantes et enseignants ainsi que le rôle des élèves ont été clarifiés en fonction du changement de perspective dans la relation entre enseignement et apprentissage. Pour situer brièvement ce changement, il y a lieu de souligner que le cognitivisme, le constructivisme et le socioconstructivisme font partie des courants théoriques considérés pour revoir les programmes :

  • le cognitivisme, parce qu’il rend compte des processus qui permettent à un individu d’intégrer de nouveaux savoirs à son système de connaissances et de les utiliser dans de nouveaux contextes ;
  • le constructivisme, parce qu’il conçoit la connaissance comme la résultante des actions – d’abord réelles, puis intériorisées – de l’individu sur les objets, sur leur représentation ou sur des propositions abstraites ;
  • le socioconstructivisme, parce qu’il souligne la nature foncièrement sociale de la pensée et de l’apprentissage, les concepts étant des outils sociaux qui soutiennent l’échange de points de vue et la négociation de significations[2].

La définition de « compétence », commune à toutes les disciplines, est celle d’un savoir-agir fondé sur la mobilisation et l’utilisation efficaces d’un ensemble de ressources. Pour la discipline du français, elle s’actualise dans les compétences Lire et apprécier des textes variés, Écrire des textes variés et Communiquer oralement selon des modalités variées. Toutes trois impliquent le fait d’agir en situation (construire du sens, élaborer un texte cohérent, intervenir oralement), de mobiliser et d’accroître les ressources internes et externes (mettre à profit et acquérir des connaissances sur la langue, les textes et la culture) de même que d’expliciter l’action accomplie et le cheminement adopté (réfléchir à sa pratique de lecteur, de scripteur, d’auditeur, d’interlocuteur et de locuteur).

Compte tenu du lien établi entre « compétence » et « agir », quelle place la pratique occupe-t-elle dans le programme de français ?

Pour favoriser un engagement accru et persistant des jeunes, il était nécessaire de préciser des contextes dans lesquels les apprentissages linguistiques, textuels et culturels requis trouvent leur sens, en classe et ailleurs. En conséquence, des « familles de situations[3] » ont été introduites dans le programme de français du secondaire. Il s’agit d’indications de regroupements en fonction de finalités de communication et de cibles d’apprentissage. Ces regroupements, qui s’appliquent au développement de chacune des trois compétences de français, demandent que les jeunes soient placés dans des situations de complexité croissante associées à l’information, à la pensée critique et à la création.

Par exemple, au deuxième cycle du secondaire, diverses situations doivent les amener, en lecture, à s’informer en ayant recours à une variété de textes courants et de médias pour comprendre le quoi, le comment et le pourquoi d’une réalité (cerner une problématique culturelle, valider une déclaration médiatique, etc.) ; en écriture, à appuyer leurs propos en élaborant des justifications et des argumentations pour fonder une façon de penser ou d’agir (légitimer une prise de position linguistique, contester une décision politique, etc.) ; en communication orale, à découvrir des œuvres de création en ayant recours à l’écoute pour répondre à une quête identitaire ou se représenter un monde (se situer par rapport aux valeurs véhiculées par les personnages d’un film québécois, se familiariser avec les marques de variation linguistique présentes dans la chanson francophone, etc.). Les diverses familles de situations, comme les compétences, sont combinables entre elles selon les apprentissages ciblés et le degré de complexité recherché.

L’apprentissage en contexte implique un travail soutenu d’analyse des situations pour en cerner les paramètres et les enjeux en vue d’agir avec pertinence et efficacité. Cette analyse est à la base de la réflexion guidée que les jeunes doivent mener sur les connaissances dont ils disposent et qu’ils doivent acquérir. Pour passer d’un agir intuitif à un agir réfléchi, il ne suffit pas de dresser une liste : il faut établir des rapports explicites entre les démarches privilégiées et les diverses connaissances (processus, stratégies, notions et concepts, repères culturels) à mobiliser. Un profil d’apprentissage doit être constitué à partir des traces de réflexion conservées et devenir un outil de référence autant pour les élèves que pour leurs enseignantes et enseignants. Le développement métacognitif fait partie des exigences de formation et les précisions apportées au programme confirment la poursuite d’une orientation adoptée dès le début des années 80.

L’insistance sur la motivation scolaire et sur la place à accorder à la pratique n’a-t-elle pas pour conséquence de reléguer le développement des connaissances au second plan et d’imposer une approche pédagogique uniforme ?

La motivation recherchée ne l’est pas dans l’absolu : elle est subordonnée au développement des compétences et, partant, à celui des connaissances. La raison d’être du travail contextualisé est l’apprentissage. Celui-ci doit être optimal compte tenu du temps et des moyens consentis au regard du contenu et du nombre d’heures de formation en français (150h/180 jours en cinquième secondaire) – ceci sans préjuger de la diversité des approches pédagogiques (approche par problèmes, pédagogie de la coopération, enseignement direct, pédagogie du projet, etc.) que les enseignantes et les enseignants peuvent adopter, adapter ou combiner, selon leur expérience et leur jugement professionnels, pour tenir compte des caractéristiques et des besoins de formation propres à leurs élèves. Pour que l’enseignement aille dans le sens du développement des compétences, il n’y a pas de prescription à l’effet que les contextes d’apprentissage prennent la forme de projets, contrairement à ce que véhicule la rumeur publique : la diversité des besoins pédagogiques légitime le recours à une diversité d’approches et il appartient au personnel enseignant de faire les choix qui s’imposent. La latitude pédagogique des enseignantes et des enseignants du primaire et du secondaire correspond, en somme, à celle de leurs homologues du collégial.

Chose certaine, les situations d’apprentissage à privilégier sont celles qui permettent de faire d’une pierre plusieurs coups. Par exemple, une situation d’information qui mettrait à profit des documents écrits et oraux pour travailler la connotation lexicale et la modalisation pourrait servir à développer des connaissances à la fois sur le lexique et sur les éléments paraverbaux ou non verbaux qui jouent un rôle analogue dans la communication. Trop souvent traité en parent pauvre, l’apprentissage de la communication orale, dont les jeunes ont pourtant un besoin manifeste, est particulièrement à revisiter et ce, tant pour le traitement de l’écoute que pour celui de la prise de parole en interaction ou à titre individuel : apprendre à questionner, à commenter, à formuler sa pensée avec clarté et précision ou conviction, à s’appuyer sur les propos d’un autre pour introduire ses propres idées, à reformuler des propos entendus en les nuançant, en les atténuant ou en les renforçant, à relancer un interlocuteur pour faire avancer un échange, à rendre compte d’une discussion d’équipe, tout cela devrait trouver son sens dans le quotidien de la classe. Quel que soit son objet, le travail à effectuer en lecture demande le partage et la confrontation des idées. En écriture, le processus d’idéation et de clarification des représentations les requiert aussi. Il y a là d’authentiques situations à exploiter pour assurer le développement conjoint de plus d’une compétence et, en particulier, celui de la compétence à communiquer oralement.

Dans le développement de la compétence et des connaissances en lecture, la littérature a-t-elle un statut privilégié ?

Le travail à faire sur la littérature est incontournable, mais il n’est ni exclusif ni prépondérant : au secondaire, les besoins de formation à combler en lecture sont aussi grands à l’égard des écrits courants que des écrits littéraires. Dans tous les cas, les connaissances à développer touchent les stratégies de lecture, l’énonciation, la grammaire du texte, l’organisation du texte, la grammaire de la phrase, le lexique ainsi que les variétés de langue, et elles doivent donner lieu à la constitution de repères d’ordre textuel, linguistique et culturel. Tous ces matériaux impartis à l’affinement de la compréhension, de l’interprétation, de la réaction et de l’appréciation ne se structurent pas en vase clos : une consolidation et un approfondissement mutuels des acquis doivent résulter de leur mise en relation. C’est ce que favorise le traitement de questions du type suivant : Les mêmes procédés stylistiques utilisés en publicité et en poésie produisent-ils les mêmes effets ? Dans quelle mesure les critères élaborés pour évaluer la crédibilité et la véracité de l’information de textes documentaires peuvent-ils être reconduits pour apprécier un roman historique ? La neutralité du point de vue se traduit-elle de la même façon dans un protocole scientifique et une narration littéraire ? Les textes engagés sont-ils le propre de certains genres courants et littéraires ?

Pour que les jeunes en viennent à considérer la lecture sous toutes ses formes comme une source appropriée, accessible et coutumière de réponse à leurs besoins, il faut que les pratiques de lecture courante et littéraire soient à la fois fréquentes, régulières et diversifiées (lire pour apprendre, pour concevoir une critique, pour vivre une expérience esthétique, etc.) et les exigences liées aux tâches doivent croître continuellement de façon à repousser toujours plus loin les limites de ce que Lev Vygotski nommait la « zone proximale de développement[4] ». Dans le programme du secondaire, des jalons et des indicateurs de développement sont précisés en ce qui a trait à la situation de communication, aux textes, aux tâches, à la structuration des ressources internes, à l’utilisation des ressources externes et à la réflexion sur la pratique. Des travaux sont en cours en vue de déterminer une progression annuelle de l’apprentissage au regard de la littérature, et ce, du préscolaire à la fin du secondaire.

L’analyse littéraire et la dissertation critique font-elles partie des exigences de la formation au secondaire ?

Elles ne font pas partie des apprentissages retenus, mais ceux réalisés en lecture devraient constituer une assise appropriée à leur étude au postsecondaire. Le travail à faire sur la littérature à chaque année du secondaire implique la lecture obligatoire d’un minimum de cinq œuvres littéraires narratives complètes (romans, nouvelles, contes, légendes et mythes assemblés dans des recueils, etc.) et de cinq œuvres littéraires additionnelles d’ampleur et de nature (théâtre, poésie, etc.) variables. Afin que le choix des œuvres serve les impératifs de formation et contribue au rehaussement culturel souhaité, des balises ont été incluses dans le programme. Par exemple, pour le deuxième cycle, la sélection des œuvres narratives doit comprendre des œuvres contemporaines et issues du passé, et permettant d’aborder au moins neuf univers (historique, fantastique, science-fiction, etc.) et auteurs différents ; huit œuvres sur quinze doivent provenir du Québec ; la qualité de la langue, comme de la consistance du récit, de la construction narrative, du traitement thématique, du traitement des valeurs et de la créativité est à prendre en considération en même temps que le potentiel d’exploitation des œuvres (multiples possibilités d’interprétation, profondeur psychologique des personnages, sollicitation de repères culturels particuliers, etc.).

En marge des balises établies, et comme au collégial, il n’y a pas de liste d’œuvres imposées au secondaire. Cependant, parallèlement à la révision des programmes, une équipe de spécialistes a eu pour mandat de développer un site Internet afin de soutenir la planification du choix des œuvres du préscolaire à la fin du secondaire ainsi que la nécessaire concertation du milieu. Appelé Livres ouverts (www.livresouverts.qc.ca), ce site, en constant développement, présente une sélection de livres de qualité accompagnée de notices descriptives, de pistes d’exploration et d’indices de classement par catégorie d’ouvrage, degré de difficulté, regroupement thématique et mots-clés. Il peut aussi être intéressant de noter qu’un plan d’action en lecture a été adopté en 2005 et que les autorités ministérielles ont garanti l’injection de 60 millions pour l’achat de livres destinés aux bibliothèques scolaires. Lors du renouvellement de ce plan en 2008, la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport a annoncé la continuation de l’octroi de 15 millions par année pour l’achat de livres de même que la mise en place d’un programme d’embauche de 200 bibliothécaires scolaires d’ici 10 ans.

Qu’ils aient à se pencher sur l’institution et l’actualité littéraires, sur le contexte de production et de réception des œuvres, ou encore, à aborder ces dernières sous l’angle des genres narratif, poétique et dramatique, des éléments constitutifs des mondes représentés ou évoqués, des valeurs véhiculées, des repères culturels sollicités, des limites imposées à l’interprétation, de la source des effets éprouvés ou des critères à concevoir et à utiliser pour fonder une appréciation, les jeunes doivent apprendre à établir des relations de plus en plus étroites entre le texte, le contexte et le lecteur de même qu’à expliciter les relations établies. Le travail à faire relativement au contexte ne va pas jusqu’à l’histoire littéraire, même s’il nécessite la construction des repères pour favoriser une réception appropriée des œuvres (appartenance géographique de l’auteur, valeurs, réalisations artistiques et faits historiques ou sociaux associés à l’époque de production du texte, etc.).

Les jeunes ont en outre à se constituer un répertoire dans lequel sont conservées diverses traces de leurs lectures – références bibliographiques, notes biographiques sur des auteurs, commentaires, notes critiques ; œuvres, citations et auteurs phares – considérées comme une source de référence à partager avec les autres élèves et à utiliser avec les enseignantes et enseignants pour réfléchir à l’évolution de leur compétence et à leur conception de la littérature.

Le développement de la capacité de poser un regard critique sur les textes littéraires depuis le début du primaire et au secondaire, ainsi que de la capacité de relier, de comparer, de mettre en contexte et en perspective des textes courants, littéraires, écrits et oraux, de discuter des lectures, de confronter des représentations, d’extraire, de trier, d’analyser, de synthétiser et de schématiser des renseignements provenant de textes courants imprimés et informatiques, devrait faire en sorte que les élèves soient outillés pour entreprendre éventuellement l’étude de l’analyse littéraire. Il faut peut-être ajouter à cela que les attentes en fonction desquelles la compétence en lecture sera évaluée à la fin du secondaire fixent les exigences suivantes : « L’élève démontre une bonne compréhension de textes consistants et fonde son interprétation, sa réaction et son jugement critique en s’appuyant sur des éléments pertinents des textes, sur ses connaissances textuelles et linguistiques de même que sur ses repères culturels. Il porte un jugement critique sur les textes lus, tant sur le plan du contenu, de l’organisation du point de vue que de la langue utilisée. Il adopte une démarche appropriée et utilise des stratégies efficaces selon la situation[5]. »

Pour la compétence à écrire, sur quels aspects du programme repose l’espoir que les jeunes développent une meilleure maîtrise de la langue ?

Le travail systématique sur la langue et les textes est loin d’être une terra incognita au secondaire, mais, au regard de la capacité d’écrire, les résultats de ce travail, même globalement concluants, ne cessent de susciter de l’insatisfaction chez les enseignantes et les enseignants, chez un nombre trop important de jeunes et dans la population en général. Un constat analogue est formulé à l’issue des études collégiales et, dans les deux cas, la rigueur et les énergies professionnelles investies ne sont pas en cause. Les facteurs sur lesquels il faut agir pour qu’un changement radical puisse être opéré dépassent largement les limites des programmes et c’est ce à quoi s’attaquent les 22 mesures du Plan d’action pour l’amélioration du français à l’enseignement primaire et secondaire[6] adopté en 2008. Cependant, n’en déplaise aux esprits chagrins qui estiment la lutte perdue d’avance ou ne reconnaissent l’amélioration qu’à son aspect spectaculaire et immédiat, la recherche et les expérimentations menées dans le milieu permettent d’anticiper qu’une mise en œuvre du programme répondant aux exigences qu’il comporte devrait avoir un impact positif à moyen terme sur l’amélioration de la maîtrise de la langue et de la qualité des productions des jeunes du secondaire.

Ces exigences, dont certaines ont été évoquées précédemment, sont liées :

  • au maintien de l’étude de la grammaire nouvelle ainsi que des notions et concepts spécifiés dans le programme précédent ;
  • aux précisions apportées aux stratégies associées au processus d’écriture ;
  • aux repères donnés relativement au développement de la compétence au premier et au deuxième cycle ;
  • au cadre fourni par les familles de situations pour l’exploitation de situations authentiques favorisant l’engagement des jeunes et la mise en évidence des enjeux rattachés à la qualité de l’expression ;
  • à la demande d’assurer la fréquence et la régularité des pratiques, de les mettre étroitement au service de l’apprentissage et de sa progression, de les diversifier pour obliger l’adaptation de même que la consolidation et le transfert des acquis, et d’y intégrer l’utilisation d’outils technologiques ;
  • à la demande d’habiliter les jeunes à réfléchir sur l’apprentissage, à expliciter leurs représentations et leurs choix, à mettre en relation les connaissances construites en français et dans les autres disciplines, à garder des traces de leur cheminement, à cerner leur profil de scripteur et à en faire une ressource pour le développement de leur compétence et de leur autonomie.

Par ailleurs, des travaux sont en cours pour fixer les jalons de la progression annuelle de l’apprentissage de l’écriture du début du primaire à la fin du secondaire. Ils aideront à déterminer plus précisément les interventions pédagogiques prioritaires et à circonscrire plus finement celles qui se révèlent les plus propices à un développement assuré et accru de la compétence. Comme ce développement est loin d’être achevé à la fin des études secondaires, il est permis de rêver que le portrait puisse un jour être complété par le tracé, en continuité, de l’apport du collégial et même de l’université, particulièrement en formation des maîtres.

À propos de continuité et pour mieux saisir d’où proviennent les jeunes qui entrent au collège, qu’est-ce qui caractérise particulièrement la dernière année du cours de français du secondaire ?

Les aspects distinctifs de la cinquième secondaire résident dans le fait que les connaissances à acquérir aussi bien que celles à consolider et à approfondir doivent l’être dans le cadre d’une année de synthèse et d’intégration, où l’accent est mis sur le développement de l’autonomie et du jugement critique, de l’engagement et du pouvoir d’action, sur la différenciation pédagogique et sur la sensibilisation à la dimension sociale de la langue et de la culture.

Au départ de l’année, les jeunes doivent faire le point sur leurs acquis et les situer au regard de leurs champs d’intérêt, de leurs ambitions scolaires ou professionnelles et des attentes de formation fixées dans le programme. Ceci constitue une base de référence pour les convier à endosser leur part de responsabilité dans l’apprentissage et à jouer un rôle actif dans sa planification, sa réalisation et son évaluation. Encore guidés et soutenus par les enseignantes et les enseignants, ils sont de plus en plus tenus de prendre des initiatives, de faire des choix, de les expliciter et de les assumer, et ce, aussi bien en lecture, en écriture qu’en communication orale : l’exercice critérié du jugement critique porte autant sur les objets d’apprentissage que sur la perception de soi. Le défi est de taille pour les élèves en quête d’un accompagnement réglé comme du papier à musique : il est plus rassurant de répondre à un questionnaire sur un texte que de devoir convoquer ce qu’on a appris pour questionner ce texte, plus rassurant aussi de se mouler dans un cadre méthodologique que d’avoir à puiser dans son bagage de stratégies pour s’adapter à une situation, mais le développement progressif de l’autonomie a son prix.

Avec l’inclusion des domaines généraux de formation dans les programmes, la réflexion sur diverses problématiques sociales a été officiellement introduite dans l’apprentissage. Le cours de français de cinquième, intitulé Langue et culture en société, confirme la place de choix accordée à cette réflexion et l’associe au développement de la conscience linguistique et des compétences en français : la question du « vivre en français au Québec » et, plus généralement, du « vivre en français » doit faire partie des préoccupations de la classe. Pour les jeunes, la vitalité du français et de la culture francophone doit devenir une réalité tangible dans l’actualité, dans les métiers et professions de divers domaines d’activité susceptibles de les intéresser (arts, communication, édition, consommation, économie, etc.) et dans la découverte des communautés francophones existant ailleurs au Canada et au monde. Les contextes d’apprentissage dans lesquels ils sont placés doivent les amener à réfléchir aux enjeux linguistiques et culturels liés à la vie en français ainsi qu’à s’appuyer sur leurs connaissances de divers ordres (historiques, géographiques, etc.) et à en développer de nouvelles pour mettre en perspective les débats qui s’y rattachent. Ils doivent apprendre à voir et à reconnaître en quoi la maîtrise du français constitue un facteur de cohésion, de réussite et de valorisation de la société québécoise ainsi qu’un facteur d’accès à la vie citoyenne et culturelle.

Le fait d’éprouver le pouvoir qu’on a sur les choses et les situations est déterminant dans la motivation à l’apprentissage. Pour que les jeunes s’engagent dans le développement de leurs compétences, la classe de cinquième doit les conduire à explorer des possibilités de s’impliquer concrètement dans la classe ou ailleurs en mettant leurs connaissances à contribution et à l’épreuve pour réaliser des tâches dont les effets sont perceptibles à court ou à moyen terme. Les possibilités de tâches qui font appel à une utilisation soignée de la langue ou à l’exploitation de ressources culturelles francophones ne manquent pas : élaboration d’un répertoire commenté de coups de cœur littéraires, conception de capsules sur l’actualité culturelle locale pour la radio ou le journal scolaire, rédaction de bulletins d’information destinés aux nouveaux élèves ou aux parents, aide aux devoirs auprès de plus jeunes, clinique de révision de la publicité affichée à l’école, etc.

En raison des problèmes organisationnels que posait l’offre de cours diversifiés de français en cinquième secondaire, c’est l’obligation de différencier l’apprentissage à l’intérieur d’un cours de français unique qui a été privilégiée. Présentes à des degrés divers depuis le début du secondaire, la différenciation et la proposition de choix qu’elle implique doivent désormais marquer résolument le quotidien de la classe de cinquième. C’est dire que, pour maximaliser le maintien de l’intérêt et le développement de l’autonomie des jeunes, les situations d’apprentissage doivent très régulièrement comporter des possibilités de choix de divers ordres (modalités et outils de travail, angles de traitement d’un sujet, textes et œuvres à lire ou à écouter, etc.). L’inclusion de ces choix dans les tâches devrait contribuer également à la mise en évidence et en valeur de la complémentarité des individus et des sous-groupes au sein de la communauté d’apprentissage que constitue la classe : par exemple, le travail sur le concept d’œuvre classique pourrait bénéficier de la mise en commun de lectures, d’écoutes et de réflexions portant sur des romans, des pièces de théâtre, des poèmes et des chansons par des sous-groupes différents. Autre exemple : une quête commune d’information pourrait amener certains élèves à exploiter des reportages vidéo, tandis que d’autres auraient à consulter des articles encyclopédiques ou des sites Internet ; elle pourrait aussi en conduire certains à produire une présentation multimédia pendant que d’autres élaborent un dépliant informatif afin de rejoindre un même destinataire.

Au terme de leurs études secondaires, les jeunes seront-ils rompus à l’utilisation des technologies à des fins d’apprentissage ?

Si incontournables soient-ils à l’époque actuelle, les apprentissages reliés à l’utilisation des outils informatiques – à l’écrit et à l’oral, recherche d’information à partir d’un navigateur ou d’un fureteur, repérage, tri et réception critique de l’information, reconnaissance des sources crédibles, distinction entre communication formelle et informelle, privée et publique ; rédaction et révision à l’aide du traitement de texte, utilisation critique des dictionnaires et correcteurs informatiques – trouvent lentement leur place dans la classe en raison de l’état du développement du parc technologique et des difficultés techniques bien réelles que pose souvent l’exploitation des outils. Un réseau a justement été mis sur pied pour soutenir les élèves et les enseignantes et enseignants du Québec dans le développement des compétences de toutes les disciplines par l’intégration des technologies (Service national du RÉCIT).

Quand les jeunes formés selon les indications des programmes révisés arriveront-ils au collégial ?

Les premiers jeunes qui auront été mis en contact avec une pédagogie comportant des ajustements liés aux programmes révisés à chaque année de leur formation arriveront au collégial en 2010. Il convient néanmoins de pondérer les attentes parce que le degré d’appropriation des programmes est actuellement très variable ; il faudra vraisemblablement compter quelques années avant qu’un effet de masse ne soit ressenti.

Pour les élèves provenant de milieux qui bénéficient de ressources suffisamment nombreuses et dynamiques ou qui comptent à leur actif une forte tradition de mise à jour pédagogique, l’avance est plus marquée que pour ceux provenant de milieux dépourvus de soutien ou peinant à émerger de certains ralentissements stratégiques. La mise en œuvre déjà amorcée du Plan d’action pour l’amélioration du français à l’enseignement primaire et secondaire et, en particulier, des mesures qui visent à valoriser la place du français à l’école, à accroître le suivi des élèves et la préparation des enseignantes et enseignants ainsi qu’à renforcer les mesures de soutien devrait contribuer à amoindrir bientôt les disparités.

À l’heure actuelle, les ressources pédagogiques mises à la disposition des enseignantes et des enseignants se multiplient, des exigences nationales d’amélioration de la qualité du français sont imposées dans l’ensemble des disciplines et la recherche de concertation entre les divers intervenants du milieu est affermie. Si l’on ajoute à cela le réel souci de prendre en considération la quête de sens des jeunes dans l’apprentissage et la volonté ferme d’assurer le développement de compétences – laquelle, en plus de nécessiter l’acquisition de connaissances, en requiert la réelle intégration –, l’ensemble des interventions menées avec détermination devrait contribuer à ce qu’ils améliorent leurs compétences en français et développent un rapport de plus en plus positif à la langue française et à la culture francophone.

Celui qui aime à apprendre est bien près du savoir, disait Confucius. Celui qui apprend à maîtriser et à aimer la langue française à l’école est bien près de lui réserver une place de choix dans sa vie, croyons-nous profondément.

* * *

  1. Pour des données statistiques, voir le site www.decrochage-scolaire.info/plan.html Retour
  2. Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement secondaire, deuxième cycle, Gouvernement du Québec, Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007, chapitre 1, p. 17. Retour
  3. Parmi les auteurs qui utilisent le concept de famille de situations, voir notamment Jacqueline Beckers, Philippe Jonnaert, Philippe Perrenoud et Bernard Rey. Retour
  4. Ce concept, tiré de Pensée et langage, renvoie à la distance de développement existant entre ce qu’un enfant est en mesure de faire ou de résoudre par lui-même actuellement et ce dont il deviendra capable à l’issue d’une médiation de savoir assurée par l’adulte ou par des pairs qui détiennent une longueur d’avance sur lui. Retour
  5. Programme de français, langue d’enseignement, deuxième cycle du secondaire, p. 33. Retour
  6. Le Plan d’action pour l’amélioration du français à l’enseignement primaire et secondaire est disponible à l’adresse suivante : www.mels.gouv.qc.ca/ministere/info/index.asp?page=communiques&id=172 Retour

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