«Syllabus» et «portfolio», des anglicismes bien latins
Dans notre dernière capsule linguistique (Emprunts à risque), nous avons présenté les principes qui peuvent guider nos actions et réactions devant les emprunts linguistiques, et particulièrement devant les anglicismes. Rappelons simplement ici que, bien que le phénomène de l’emprunt ne soit pas mauvais en soi, il convient d’être prudent devant les nombreux emprunts à l’anglais. Mais encore faut-il les reconnaître, car les anglicismes prennent de multiples visages. Quoi de plus pertinent que quelques exemples pour illustrer notre propos ? Le monde de l’éducation nous fournit des cas intéressants.
En début de session, remettez-vous à vos étudiants un plan de cours ou un syllabus ? Certains préféreront le mot syllabus, qui a, en effet, une sonorité latine, savante, sérieuse… Est-ce pour autant le terme à retenir ? Les dictionnaires usuels nous apprennent que le nom syllabus existe bel et bien en français, mais avec un sens réservé au domaine religieux, celui de « liste de propositions émanant des autorités ecclésiastiques ». En anglais, syllabus désigne, entre autres, la liste des sujets traités dans un cours. C’est manifestement par l’intermédiaire de ce sens anglais qu’est venu l’emploi en français de syllabus dans le domaine de l’éducation. Syllabus est donc un anglicisme sémantique, dont on peut se passer puisqu’il existe déjà un terme français, plan de cours, bien formé et bien implanté, pour désigner le document en question. Choisir plan de cours plutôt que syllabus, c’est respecter le principe selon lequel on privilégie la forme française existante plutôt que la forme anglaise.
Dans certains programmes, on utilise à des fins pédagogiques le portfolio. Cet outil, qui est en fait une collection de documents, de travaux et de réalisations, témoigne des compétences de l’élève et permet de suivre sa progression. Le mot portfolio vous fait-il frémir ? Suscite-t-il du moins quelques hésitations ou interrogations ? Arrêtons-nous-y. Le nom portfolio est un emprunt intégral à l’anglais, qui l’a lui-même emprunté, en l’adaptant, à l’italien portafoglio, qui signifie littéralement « porte-feuille ». Cet emprunt à l’anglais se justifie. D’abord, il n’existe pas d’équivalent français déjà en usage au Québec, bien que des termes comme dossier d’apprentissage, dossier de présentation et dossier d’évaluation puissent être employés pour différents types de portfolios. De plus, l’emploi de portfolio ne vient pas concurrencer inutilement les termes dossier et portefeuille, qui ont plusieurs autres acceptions en français. Enfin, portfolio est déjà généralisé dans l’usage.
Par ailleurs, on peut hésiter sur la prononciation : le t se prononce-t-il, dans portfolio ? Oui, et ce, aussi bien en anglais qu’en français. On peut de même s’interroger sur l’orthographe de ce mot. La graphie portfolio est visiblement la graphie anglaise, puisqu’il s’agit d’un emprunt intégral. C’est la plus fréquente. Or la graphie francisée portefolio est nettement préférable pour plusieurs raisons : elle lève l’incertitude quant à la prononciation du mot (personne n’hésitera à prononcer le t dans portefolio) ; elle rend plus transparente la composition et le sens du mot (portefolio = portefeuille) ; elle intègre portefolio à l’ensemble des mots formés avec porte, par exemple portefeuille, portemine, porte-documents et porte-monnaie. Bref, la graphie francisée portefolio – sans trait d’union comme le veulent les rectifications de l’orthographe et la tendance générale à la soudure – permet une intégration aisée de cet emprunt. Enfin, comme folio existe déjà en français, portefolio fait partie d’une famille lexicale à laquelle s’ajoute la forme composée portefolio numérique ou électronique (et non e-portfolio, qui est un calque de l’anglais difficilement acceptable en raison de sa morphologie anglaise). En somme, portefolio respecte en tous points le principe selon lequel un emprunt qui s’adapte facilement quant à sa forme, à sa prononciation et à son sens, s’intègre naturellement au français et assure ainsi son acceptabilité.
Français, anglais, italien, latin, les emprunts sont multiples et leurs visages différents. Mais ces échanges ne sont pas tous permis : non pour syllabus, oui pour portefolio. Comme quoi, on n’y perd pas toujours son latin !
Si vous voulez en savoir davantage sur les types d’anglicismes, vous pouvez consulter les quelque 300 articles qui figurent sous le thème Anglicismes dans la Banque de dépannage linguistique.
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