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L’aide par les pairs: effet positif ou négatif?

L’aide par les pairs: effet positif ou négatif?

Note – Cet article est un condensé de la communication que Christian Barrette et Lynn Lapostolle donneront à l’Intercaf.

Dans Interventions pédagogiques et réussite au cégep[1], la chercheuse Denise Barbeau rapporte les effets d`interventions mises en place dans les collèges québécois, entre 1985 et 2005, et visant toutes la réussite scolaire. Reprenant les résultats diffusés dans 96 rapports de recherche et d’expérimentation, Barbeau dégage des conclusions générales quant à l’efficacité relative de ces interventions, dont l’une concerne l’aide par les pairs : « L’effet des interventions où un autre élève entre en jeu est négatif comparativement à celles où ce sont des enseignants, des professionnels ou d’autres employés du cégep qui interviennent. » (Barbeau, 2007, p. 97). Pour comprendre la portée de cette conclusion d’un effet négatif de l’intervention reposant sur l’aide par les pairs, il importe d’abord de préciser que la méthode utilisée par Barbeau est celle d’une méta-analyse et que, comme toute méthode, celle-ci comporte des avantages, des inconvénients ainsi que des limites.

La méta-analyse réalisée par Barbeau a pour but de combiner les résultats de plusieurs essais pédagogiques pour en faire une synthèse. Comme dans toute méta-analyse, seules les données quantitatives y sont prises en considération. L’exercice permet de mesurer les effets en comparant, par exemple, les résultats obtenus par un groupe expérimental, sujet de l’intervention testée, et un groupe de contrôle, le plus semblable possible au groupe expérimental, mais ne recevant pas l’intervention. L’une des mesures les plus utilisées dans ce type de démarche est un calcul de probabilité appliqué à une différence de moyennes entre le groupe expérimental et le groupe de contrôle. On veut alors savoir si l’écart observé risque d’être aléatoire. Si l’on a moins de 5 % des chances que l’écart soit dû au hasard, le résultat est considéré comme significatif sur le plan statistique. À titre d’exemple, si on pense que la fréquentation d’un centre d’aide peut améliorer les notes dans un cours donné, on mesure la différence de moyenne entre les notes obtenues dans ce cours par les élèves fréquentant le centre d’aide et celles obtenues par des élèves dont le dossier est équivalent, mais qui ne fréquentent pas le centre. Un test statistique précise les probabilités que cet écart soit un effet du hasard ou la résultante d’une condition contrôlée, soit, ici, la fréquentation du centre d’aide.

Il est possible, voire courant, qu’une tendance apparaisse dans la comparaison des moyennes entre un groupe expérimental et un groupe de contrôle, sans que les tests statistiques n’excluent une probabilité élevée que l’écart observé soit attribuable à des variations aléatoires. Le résultat est alors probable, mais non assuré ; c’est dans un tel cas qu’on entendra « si la tendance se maintient… ». La méta-analyse devient alors un exercice pertinent. Les métarecherches de ce type reprennent les résultats provenant de différentes expériences et portant sur un même type d’intervention auprès de la même population, par exemple plusieurs recherches portant sur le tutorat par les pairs dans le cadre d’une intervention réalisée à l’extérieur des cours. De nouveaux tests statistiques permettent de mesurer un effet de grandeur de l’intervention dans l’ensemble des situations expérimentales, considérées comme une seule expérience globale. C’est un résultat de la sorte que rapporte Barbeau : des expériences d’aide par les pairs prises en considération, il se dégage que ce type de mesure entraîne des effets négatifs, et ce, au-delà des effets du hasard. Il s’agit même de l’un des résultats les plus nets de la méta-analyse de la cher-cheuse. Évidemment, ce résultat soulève de nombreuses questions.

La première question à se poser est assurément la suivante : combien de rapports relatifs aux effets de l’aide par les pairs ont été traités dans le cadre de la méta-analyse ? Troublante, la réponse est « deux[2] ». Entre 1985 et 2005, il n’y aurait donc eu, au Québec, que deux recherches empiriques mesurant les effets de l’aide par les pairs dans les collèges. Voilà qui explique que Barbeau avance sa conclusion avec toute la prudence d’une chercheuse rigoureuse. Voilà aussi pourquoi elle invite à d’autres réflexions, à d’autres recherches : « Les élèves qui interviennent auprès de leurs pairs en difficulté d’apprentissage ont acquis certaines connaissances dans la discipline où l’on requiert leurs services, mais possèdent-ils les connaissances pédagogiques essentielles pour interagir avec un élève en difficulté ? Dans plusieurs collèges, l’élève tuteur travaillant dans un centre d’aide doit suivre une formation pédagogique pour aider l’élève en difficulté ; cette formation est-elle suffisante pour pallier les difficultés traitées au cours des rencontres d’aide et pour donner à l’élève aidé la perception que cette aide est vraiment utile ? L’élève aidé est un élève qui éprouve des difficultés d’apprentissage dans une discipline particulière et nous savons qu’éprouver des difficultés influence les perceptions de soi, principalement la perception de sa compétence. » (p. 97).

La méta-analyse réalisée par Barbeau l’a été pour le compte de l’Association pour la recherche au collégial (ARC[3]). Devant les questions qu’elle soulève, l’Association a pris l’initiative de poursuivre la démarche de recherche en incluant cette fois des recherches de nature qualitative. Que mesure-t-on quand on veut évaluer les effets de l’aide par les pairs : la réussite à un cours ? Si oui, lequel ? Quels sont les liens entre les objets et les modalités de l’évaluation, d’une part, et les cibles des interventions, d’autre part ? Mesure-t-on les effets de l’intervention sur la motivation, sur la perception de soi, sur la représentation que les élèves ont d’eux-mêmes, de leur tuteur, de la matière ? Déjà, la recension des écrits effectuée pour poursuivre le travail a permis de trouver d’autres métarecherches — et, donc, d’autres questions — portant sur les effets de l’aide par les pairs. L’une d’elles soutient une conclusion pour le moins frappante : s’il est une mesure de soutien à la réussite qui fonctionne bien, c’est l’aide par les pairs[4]. À quelles conditions ? Selon l’auteur (Topping, 2005, p. 635) : « When peer tutoring or cooperative learning is implemented with thoughtfulness about what form of organisation best fits the target purpose, context, and population, and with reasonably high implementation integrity, results are typically very good…Peer learning has also been noted to be among the mot cost-effective of learning strategies (e.g., Levine, Glass & Meister, 1987). Some studies certainly demonstrate high effect size at low delivery cost. »

Bref, Topping affirme que les effets positifs de l’aide par les pairs dépendent du respect de conditions : « So, peer learning works. At least, it does if you organise and implement it well » (idem). Il précise ces conditions et les intègre dans un modèle pouvant guider la coordination ou l’administration de programmes d’aide par les pairs. Dès lors, une nouvelle question se pose : les deux expériences dont les résultats sont traités dans la méta-analyse de Barbeau respectent-elles ces conditions ? Qu’en est-il d’autres expériences pour lesquelles on possède des rapports de nature qualitative ? Trouve-t-on dans ces cas des exemples d’efficacité de l’aide par les pairs ? C’est à ces questions que nous nous attaquons en ce moment et auxquelles nous commencerons à apporter des réponses dans quelques mois.

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  1. BARBEAU, Denise, Interventions pédagogiques et réussite au cégep, Québec, Presses de l’Université Laval, 2007, 426 p. Retour
  2. DÉSY, Jocelyne, L’impact du service de tutorat par les pairs (rapport de recherche), Sainte-Foy, Collège de Sainte-Foy. 1990 ; GÉLINAS, S., Impact d’un suivi au centre d’aide en français sur la performance scolaire et l’estime de soi d’étudiants éprouvant des difficultés en français écrit (mémoire de maîtrise), Trois-Rivières, Université du Québec à Trois-Rivières, 1999. Retour
  3. L’étude a été conduite par l’ARC. Elle a été rendue possible grâce à une subvention du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. L’Association des collèges privés du Québec l’a, pour sa part, commanditée. Retour
  4. TOPPING, Keith J., « Trends in Peer Learning », Educational Psychology, vol. 25, no 6, décembre 2005, p. 631-645. Retour

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