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Un «chantier 3» pour soutenir le développement des compétences en lecture et en écriture dans toutes les disciplines au collège et à l’université

Un «chantier 3» pour soutenir le développement des compétences en lecture et en écriture dans toutes les disciplines au collège et à l’université

Une équipe de professeurs et de professionnels de l’Université de Sherbrooke et de trois collèges a obtenu récemment une importante subvention du MELS[1]; le but : développer et expérimenter un programme de formation visant à aider des professeurs de diverses disciplines aux ordres collégial et universitaire à mieux encadrer les écrits qu’ils font lire et produire à leurs étudiants. Cet article résume la problématique à l’origine du projet, ainsi que les objectifs et les étapes de son élaboration.

De la nécessité d’encadrer les écrits à lire et à produire aux cycles supérieurs

Depuis quelque temps, on lit et on entend sur bien des tribunes – y compris Correspondance – que la valorisation de l’écrit, responsabilité collective, doit mobiliser l’ensemble du corps professoral. La lecture et l’écriture sont en effet les piliers de l’apprentissage et de la réussite scolaire, à tous les niveaux de scolarité et dans toutes les disciplines (Barré-De Miniac et Reuter, 2006; Chabanne et Bucheton, 2002; Donahue, 2010). La plupart des apprentissages dans une société lettrée s’effectuant par l’intermédiaire de l’écrit, la réalisation de tâches de plus en plus complexes aux ordres d’enseignement collégial et universitaire va de pair avec un développement avancé des compétences langagières. Or – c’est connu –, tous les étudiants n’ont pas le niveau de compétences langagières nécessaire pour bien réussir leurs études postsecondaires (Deschepper et Thyrion, 2008; Pierre, 2003; Pollet, 2001). Les lacunes des étudiants « en difficulté » se manifestent sous différentes formes, dont une faible maitrise de la langue en général, un manque d’habiletés méthodologiques, une conscience déficiente de leurs propres insuffisances langagières (Carton, 2002; Couvreur, Bruyninckx et Landercy, 2002).

Au cégep comme à l’université, les mesures d’aide à la réussite mises en place pour pallier les lacunes à l’écrit – cours d’appoint, tutorat, banques d’exercices, etc. – sont généralement axées sur l’amélioration des compétences de base en français : savoir orthographier, accorder, appliquer les règles de ponctuation, construire des phrases grammaticales. De telles mesures sont assurément nécessaires pour les élèves faibles, mais insuffisantes pour l’ensemble de la population étudiante. En effet, même les lecteurs et scripteurs performants sont confrontés à d’importants défis lorsqu’ils entreprennent des études aux cycles supérieurs, défis qui se situent sur un autre plan que celui des compétences de base. Chaque discipline scolaire, à chaque palier des études, comporte son lot de nouveaux écrits à lire et à produire. Concernant l’écriture, par exemple, cela veut dire que l’apprentissage n’en est jamais terminé, indépendamment de la maitrise des règles de grammaire de la phrase ou du texte (Dezutter, 2006; Reuter, 2004). Rédiger un texte ne consiste pas seulement à appliquer les règles de la langue : c’est aussi connaitre les caractéristiques du genre d’écrit[2] dans lequel vont être appliquées ces règles. Or au collège et à l’université, les genres sont nombreux et présentent des propriétés linguistiques et énonciatives diverses (voir à ce sujet Libersan, Claing et Foucambert, 2010; Libersan, 2010, 2011).

Les étudiants – au premier chef ceux qui n’ont pas atteint un bon développement de leurs compétences langagières – ont besoin que les caractéristiques des genres d’écrits en usage au cégep et à l’université leur soient clairement explicitées afin de mieux se les approprier. Or, qui mieux que le ou la spécialiste d’une discipline peut connaitre les caractéristiques de ses écrits et les enseigner? Il s’avère cependant que, dans l’enseignement postsecondaire, comme au secondaire, la tendance des enseignants est de remettre la responsabilité de soutenir les étudiants en difficulté de lecture et d’écriture entre les mains des enseignants de langue et de littérature, car, depuis toujours, la maitrise de la langue d’enseignement est associée à la classe de français. Pourtant, depuis les années 1980, des courants de recherche plaçant la langue au centre des apprentissages, et donc des disciplines scolaires, ont vu le jour et, sous l’influence de ces mouvements, un nouveau discours s’est fait entendre, à savoir que l’enseignement de la langue devrait être une responsabilité partagée par tous les enseignants. Dans le monde anglosaxon en particulier, les courants Writing to Learn en Angleterre et Writing Across the Curriculum (WAC) aux États-Unis), puis Writing in the Disciplines (WID), ont suscité de nombreuses expérimentations à tous les niveaux de la scolarité (Catel, 2001; Lampron et Blaser, 2012; Rivard, 1994).

L’idée n’est donc pas nouvelle d’impliquer les enseignants des autres disciplines dans le développement des compétences langagières des étudiants, mais elle rencontre, sinon de la résistance, du moins de la réticence, et pour cause : d’une part, rares sont les professeurs des établissements postsecondaires qui ont été formés pour encadrer la lecture et l’écriture dans leur discipline; d’autre part, cette tâche ne s’improvise pas et implique la réunion de plusieurs conditions pour que les enseignants veuillent l’accomplir. En voici quelques-unes :

  • L’accomplissement de la tâche passe par la conviction chez les enseignants qu’ils sont les spécialistes des écrits de leurs disciplines et qu’ils ont un rôle important à jouer auprès de leurs étudiants pour les soutenir dans l’appropriation de ces écrits.
  • Les enseignants devraient ensuite eux-mêmes savoir reconnaitre les caractéristiques des écrits à lire et à produire dans leur discipline afin de les rendre explicites pour leurs étudiants.
  • Enfin, ils doivent connaitre des principes didactiques d’encadrement de la lecture et de l’écriture.

Une heureuse rencontre

Ce projet de chantier 3 est né du désir de quelques professeurs du cégep de Sherbrooke et de l’Université de Sherbrooke, membres du Collectif CLÉ[3], de travailler ensemble sur la question de la lecture et de l’écriture dans les disciplines scolaires. Nous étions alors en janvier 2012, moment où paraissait dans Correspondance un article au sujet du projet Stratégies d’écriture dans la formation spécifique[4]. Il m’est apparu alors que notre projet devait tenir compte de ces travaux et que, par ailleurs, les fascicules produits dans le cadre du projet Stratégies d’écriture gagneraient en visibilité grâce à notre chantier 3. C’est donc à mon invitation que les principaux acteurs de ce projet ont accepté de se joindre à notre équipe (voir ci-dessous).

Au moment du dépôt de la demande de subvention, fin février 2012, l’équipe se composait d’une dizaine de personnes ayant des expertises diverses : des spécialistes universitaires de la didactique du français (Christiane Blaser, Olivier Dezutter), de l’évaluation (Isabelle Nizet) et des dispositifs technopédagogiques (Florian Meyer), tous attachés à l’Université de Sherbrooke; des enseignants de cégep en philosophie (Louis Desmeules, Sherbrooke) et en sociologie (Claire Denis, Sherbrooke); des enseignants de français-littérature responsables du projet Stratégies d’écriture (Lucie Libersan et Robert Claing, Ahuntsic), traitant les dossiers d’aide à la réussite (Anne-Marie Tézine, Édouard-Montpetit) ou travaillant à titre de conseillers pédagogiques (Renaud Bellemare, Ahuntsic; Jean-Philippe Boudreau, Sherbrooke); enfin, une spécialiste de l’édition (Dominique Fortier), dont la présence marquait l’apport essentiel du CCDMD.

Le projet de formation

En aout 2012, nous apprenions avec beaucoup de satisfaction que notre projet était financé. L’argent permettra de former et d’aider des enseignants d’établissements collégiaux et universitaires à mieux encadrer et soutenir leurs étudiants dans la lecture et la production des genres d’écrits propres à leur discipline. L’objectif sera atteint par le développement, la mise en œuvre et l’évaluation d’un programme d’ateliers de formation destinés aux non-spécialistes de la langue.

La première phase du projet, qui a débuté à l’automne 2012, est consacrée au développement du programme de formation. L’équipe travaille à circonscrire les compétences à développer et les contenus à enseigner; elle procédera ensuite à
la conception des scénarios pédagogiques, puis à la production de matériel didactique en s’appuyant, entre autres, sur les fascicules Stratégies d’écriture dans la formation spécifique, édités par le CCDMD[5]. Une première série d’ateliers – dont la forme reste à déterminer (en présence, à distance, ou selon une formule hybride) – se déroulera au printemps 2013, probablement à Sherbrooke. Les participants (entre 12 et 16 personnes) seront des enseignants de la formation spécifique au collégial, toutes disciplines confondues, et des professeurs universitaires. Leur diversité contribuera à mettre en évidence les spécificités disciplinaires et, ainsi, à mieux faire saisir la variété des genres d’écrits à lire et à produire au collège et à l’université.

Ultimement, cette formation des enseignants des ordres collégial et universitaire vise l’amélioration des compétences langagières des étudiants et, par là même, un meilleur taux de réussite dans les études postsecondaires. Ce projet offre aussi une belle occasion de renforcement des liens entre des professeurs de cégep et d’université, deux types d’établissements qui ont beaucoup à partager!

* * *

  1. Programme de collaboration universités-collèges (Chantier 3). [Retour]
  2. Selon S.-G. Chartrand, « [u]n genre peut être défini comme une forme langagière, orale ou écrite, relativement conventionnelle et stable dans le temps et dans une culture donnée, [et] qui présente des caractéristiques de divers ordres » (2008, p. 11). [Retour]
  3. Collectif de recherche sur la continuité des apprentissages en lecture et en écriture; voir à ce sujet l’article dans le présent numéro. [Retour]
  4. Correspondance, vol. 17, n° 2. [Retour]
  5. http://www.ccdmd.qc.ca/fr/strategies_ecriture/ [Retour]

RÉFÉRENCES

BARRÉ-DE MINIAC, C. et Y. REUTER (2006). Apprendre au collège dans les différentes disciplines, Paris, Institut national de recherche pédagogique.

CARTON, F. (2002). « Discours des enseignants d’université sur la compétence en expression écrite de leurs étudiants », Enjeux, n° 53, p. 162-175.

CATEL, L. (2001). « Écrire pour apprendre? Écrire pour comprendre? État de la question », Aster, n° 33, p. 17-47.

CHABANNE, J.-P. et D. BUCHETON (2002). Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. L’écrit et l’oral réflexifs, Paris, PUF.

CHARTRAND, S.-G. (2008). Progression dans l’enseignement du français langue première au secondaire québécois : répartition des genres textuels, des notions, des stratégies et des procédures à enseigner de la 1re à la 5e secondaire, Québec, Publications Québec Français.

COUVREUR, N., M. BRUYNINCKX et A. LANDERCY (2002). « La maîtrise de la langue écrite : un facteur essentiel pour l’appropriation des concepts fondamentaux de la statistique à l’université », Enjeux, n° 54, p. 210-219.

DESCHEPPER, C. et F. THYRION (2008). « L’entrée dans le supérieur et l’accès aux discours universitaires : opérationnaliser la notion de rapport à l’écrit dans un projet de formation », dans CHARTRAND, S.-G. et C. BLASER (éd.), Le rapport à l’écrit : un outil pour enseigner de l’école à l’université, Namur, Diptyque, p. 61-86.

DEZUTTER, O. (2006). « Lecture et lecteurs en évolution », Vie pédagogique, n° 139, p. 10-12.

DONAHUE, C. (2010). « L’écrit universitaire et la disciplinarité : perspectives états-uniennes », dans BLASER, C. et M.-C. POLLET (éd.), L’appropriation des écrits universitaires, vol. 18, Namur, Diptyque, p. 43-60.

LAMPRON, R. et C. BLASER (2012). « La maitrise des compétences langagières dans la formation postsecondaire : regard sur les pratiques étatsuniennes », Correspondance, vol. 18, n°1, p. 7-11.

LIBERSAN, L. (2010). « Stratégies d’écriture dans la formation spécifique : pourquoi une approche par genres? », Correspondance, vol. 16, n° 1, p. 6-10.

LIBERSAN, L. (2011). « Stratégies d’écriture dans la formation spécifique : recherche préalable et principes pédagogiques », Correspondance, vol. 16, n° 2, p. 7-10.

LIBERSAN, L. (2012). « Stratégies d’écriture dans la formation spécifique : le matériel », Correspondance, vol. 17, n° 2, p. 15-19.

LIBERSAN, L., R. CLAING et D. FOUCAMBERT (2010). Stratégies d’écriture dans la formation spécifique. Rapport 2009-2010, Montréal, CCDMD / Collège Ahuntsic. [En ligne], www.ccdmd.qc.ca/media/doc_theo_div_Rapport_Formation_specifique.pdf, réf. du 30 novembre 2012.

PIERRE, R. (2003). « Entre alphabétisation et littératie : les enjeux didactiques », Revue française de linguistique appliquée, vol. VIII, nos 1, p. 121-136.

POLLET, M.-C. (2001). Pour une didactique des discours universitaires, Bruxelles, De Boeck.

REUTER, Y. (2004). « Analyser les problèmes de l’écriture de recherche en formation » Pratiques, nos121-122, p. 9-27.

RIVARD, L. P. (1994). « A Review of Writing to Learn in Science: Implication for Practice and Research », Journal of Research in Science Teaching, vol. 31, n° 9, p. 969-983.

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