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Rédaction manuscrite ou numérique: impact sur la compétence à écrire et son évaluation

Rédaction manuscrite ou numérique: impact sur la compétence à écrire et son évaluation

Propos de Luc Diarra (chargé de cours à l’Université d’Ottawa) recueillis par Dominique Fortier.
Entrevue
Dans le cadre de ses études doctorales en sciences de l’éducation[1], Luc Diarra a traité de l’authenticité des tâches d’écriture en contexte scolaire. Y aurait-il actuellement un hiatus entre les pratiques réelles d’écriture, où l’ordinateur est souvent utilisé, et la production de textes manuscrits en situation d’évaluation à enjeu critique? Selon M. Diarra, si. Ce constat fait écho à une question soulevée dans nos pages en 2012[2] : le temps serait-il venu d’envisager une « informatisation » de l’épreuve uniforme de français? Nous avons interviewé M. Diarra en vue de nourrir notre réflexion à ce sujet.
Docteur deux fois plutôt qu’une, Luc Diarra est diplômé de l’Université de Montréal (2013) et de l’Université de Ouagadougou (2004), où il a étudié les fondements d’une norme endogène du français au Burkina Faso. Au Québec, M. Diarra s’intéresse depuis plusieurs années à la question de l’évaluation des compétences langagières, et plus particulièrement à l’évaluation de l’écrit à l’aide des technologies dans une perspective pédagogique et didactique. Il est auteur ou coauteur de publications et de communications dans ce domaine.

Dominique Fortier – On ne peut ignorer aujourd’hui la tendance irréversible à l’utilisation de l’ordinateur au détriment du crayon, du moins en ce qui concerne les communications écrites extrascolaires. Qu’est-ce qui vous a amené, dans votre recherche, à comparer des situations d’écriture manuscrite et informatisée?

Luc Diarra – D’abord, merci de me donner l’occasion de parler ici d’une recherche que j’ai menée auprès d’élèves québécois. Il s’agit d’un sujet d’actualité, car on observe aujourd’hui un hiatus entre le fait que l’ordinateur soit de plus en plus utilisé pour écrire (modalité informatisée) et le constat que cet outil est mis de côté au profit du papier-crayon (modalité manuscrite) dans des contextes d’évaluation de la compétence à écrire. C’est le cas des épreuves ministérielles, que ce soit à l’ordre secondaire ou collégial. Signalons par ailleurs que l’ordinateur n’est pas seulement présent dans les pratiques extrascolaires. Il est également utilisé dans la salle de classe. Selon Statistique Canada, il y avait en 2009 un ordinateur pour 1,4 élève de 15 ans dans les écoles canadiennes. Il apparait alors paradoxal qu’on mette l’ordinateur de côté quand on évalue la compétence à écrire, de surcroit dans des tests dont l’enjeu est crucial. Les habiletés développées pour écrire avec l’ordinateur ne font-elles pas aujourd’hui partie de la compétence à écrire? Ma formation initiale en linguistique m’a amené à approfondir ce sujet dans le cadre d’un programme doctoral en mesure et évaluation en éducation à l’Université de Montréal, où le professeur Michel D. Laurier s’intéressait déjà à la question. Partager les résultats de notre étude dans une revue professionnelle telle que Correspondance est fort important pour des chercheurs qui souhaitent alimenter la réflexion des praticiens et des décideurs.

La motivation, les stratégies d’écriture et la qualité du texte

D. F. – Quand j’écris un texte formel d’une certaine longueur, je me sens plus efficace si j’utilise un traitement de texte et des outils accessibles dans ce contexte, tels qu’Antidote. Dans le cadre de votre recherche, avez-vous observé chez les élèves une plus grande aisance à rédiger des textes à l’ordinateur plutôt qu’« à la mitaine »?

L. D. – L’ordinateur présente plusieurs avantages pour la production de textes : des outils d’aide à la rédaction, en l’occurrence les fonctionnalités telles que copier, couper, coller, déplacer, insérer, supprimer, etc., de même que des dictionnaires électroniques et d’autres outils d’aide à la révision tels les correcticiels, Antidote ou ceux intégrés dans les logiciels de traitement de texte (Microsoft Word ou autres). Ces outils peuvent expliquer l’aisance dans la rédaction de textes à l’ordinateur pour qui sait les utiliser. Dans ma recherche, j’ai relevé chez la plupart des participants une plus grande habileté dans la production de textes à l’ordinateur que dans la rédaction manuscrite. Par exemple, les élèves d’un programme PROTIC[3] ont fini leurs productions écrites à l’ordinateur largement avant la fin du délai de trois heures. En outre, même s’ils ont eu de bons scores en modalité manuscrite, leurs scores en modalité informatisée étaient significativement encore meilleurs. Chez les élèves suivant un programme standard (sans intégration des TIC), la même tendance est observée chez ceux qui sont suffisamment familiers avec l’ordinateur. Notre étude concerne des élèves en cinquième année du secondaire, mais l’on peut déduire qu’il en va de même pour les cégépiens. Il n’y a pas de raison que ces derniers utilisent moins l’ordinateur, une fois au collégial. Bien au contraire.

D. F. – Les élèves sont-ils plus motivés à écrire des textes à l’ordinateur qu’à la main?

L. D. – Oui, c’est l’un des aspects les plus soulignés dans les études. Écrire à l’ordinateur a un effet positif sur la motivation pour l’apprentissage de l’écriture. Cela serait encore plus vrai chez les élèves en difficulté d’apprentissage. Par exemple, en ce qui concerne la composante graphomotrice, l’écriture manuelle peut se révéler laborieuse pour les élèves présentant un handicap d’ordre psychomoteur. L’écriture à l’ordinateur est pour eux une solution, car, même avec un seul doigt, l’automatisme dans la manipulation du clavier peut se développer plus aisément sans qu’ils aient à se préoccuper de la forme graphique des lettres. De plus, au-delà de la production des lettres, à un niveau avancé dans le développement de la compétence à écrire, la motivation des élèves est plus importante lorsqu’ils rédigent à l’ordinateur notamment parce que la tâche devient plus signifiante – la rédaction à l’ordinateur étant de plus en plus présente dans leur vie de tous les jours. Si l’on pose, par exemple, la question suivante : « Combien de textes de correspondance avez-vous écrits à la main ces cinq dernières années? », nombre de personnes auront de la difficulté à se rappeler d’une seule occasion. Par contre, si l’on demande « Combien de messages électroniques avez-vous envoyés par courriel ou dans les réseaux sociaux ces cinq dernières années? », la plupart auront du mal à faire le décompte, car il s’agit d’une pratique quasi quotidienne.

D. F. – Y a-t-il des stratégies propres à l’écriture informatisée?

L. D. – Dans chacune des trois composantes du processus d’écriture que nous avons analysées, soit la planification, la mise en texte et la révision, des particularités distinguent les stratégies déployées par le scripteur. Par exemple, dans la composante révision lorsqu’il utilise l’ordinateur, la correction des coquilles – fautes de frappe au sens strict du terme – est extrêmement fréquente; la correction d’erreurs de grammaire et de ponctuation également est relativement plus fréquente qu’en modalité manuscrite. Il en est de même des stratégies de révision que nous regroupons sous les opérations d’ajout, de suppression et de substitution. En effet, lorsqu’il utilise l’ordinateur, sans doute à cause des facilités que cet outil offre, le scripteur supprime un passage, en insère un, ou encore, en remplace un par un autre plus fréquemment. Le passage inséré, supprimé ou remplacé peut aller d’un mot à plus d’une phrase.

D. F. – Quand j’écris un texte à l’ordinateur, mon écriture est moins linéaire, plus dynamique que lorsque j’utilise le papier-crayon : je reviens sur mon texte en m’attardant chaque fois à un aspect différent et j’en modifie des passages. Le processus itératif s’actualise-t-il plus aisément dans la modalité informatisée, et ce, au profit de la qualité du texte?

L. D. – Il s’agit là d’une des principales conclusions de notre recherche : le processus d’écriture à l’ordinateur n’est pas analogue à celui déployé en modalité manuscrite. L’écriture a un caractère récursif plus accentué lorsque le scripteur utilise l’ordinateur. Autrement dit, certaines stratégies sont plus fréquemment mises en œuvre à l’intérieur de chaque composante, comme nous l’avons mentionné précédemment. Mais, au-delà de cette réalité, le scripteur passe beaucoup plus souvent d’une composante à une autre entre la planification, la mise en texte et la révision lorsqu’il utilise l’ordinateur. Entre autres explications, il y a le fait que l’ordinateur facilite la réalisation de certaines opérations, notamment la réécriture.

D. F. – En contexte d’évaluation, les élèves produisent-ils de « meilleurs » textes en modalité informatisée qu’en modalité manuscrite, ou l’inverse?

L. D. – Je répondrai à votre question sous deux angles, celui de la qualité du texte d’abord, puis celui de la performance des élèves ensuite, car il y a une nuance entre les deux. En ce qui concerne la qualité du texte, plusieurs recherches, notamment des métaanalyses réalisées à plusieurs reprises depuis plus de 20 ans, ont révélé que l’ordinateur aide à produire un texte de meilleure qualité. Pour ce qui est de la performance, à la lumière de nos résultats, je dirai qu’elle dépend du niveau d’habileté du scripteur avec l’ordinateur. Un élève habitué à se servir de l’ordinateur pour écrire et qui a atteint un degré d’automatisme élevé dans la manipulation du clavier et des outils d’aide à la rédaction – ce que Berninger et Amtmann (2003) englobent dans la composante transcription – aura en modalité informatisée une performance meilleure qu’en modalité manuscrite. Plusieurs recherches telles celles de Russel et Haney (2000) ou de Horkay et ses collaborateurs (2006) l’ont confirmé. Par contre, l’inverse n’est pas exclu : l’élève qui n’est pas familier avec l’ordinateur aura des résultats en deçà de sa performance habituelle si on le contraint à produire son texte en modalité informatisée.

Les outils d’aide à la rédaction et à la révision

D. F. – Vous vous êtes intéressé spécifiquement aux ressources, telles que les correcticiels, les grammaires et les dictionnaires numériques ou papier, auxquelles les élèves recourent ou non en cours de rédaction[4]. Selon la modalité informatisée ou manuscrite, observez-vous des différences dans la fréquence ou le mode de consultation de ces outils d’aide à la rédaction et à la révision?

L. D. – Oui, c’est l’une des surprises de notre analyse : les élèves observés en modalité informatisée ont plus souvent recours aux correcticiels, et, lorsque ces derniers sont désactivés, ils consultent plus souvent le dictionnaire imprimé. De plus, les sollicitations d’aide en modalité informatisée ne se limitent pas à de simples vérifications d’orthographe et d’usage grammatical, elles vont plus loin : recherche de synonymes appropriés pour des raisons de clarté, de précision, de registre de langue ou de répétition, par exemple. Enfin, hormis le recours aux outils d’aide, plusieurs autres stratégies d’écriture se révèlent plus fréquemment, voire exclusivement, déployées en modalité informatisée. Tout cela est le reflet du caractère récursif – itératif si vous préférez – du processus d’écriture en modalité informatisée évoqué précédemment.

Formation et évaluation : perspectives collégiales

D. F. – S’il y a des habiletés propres aux modalités de rédaction informatisée et manuscrite, faudrait-il revoir les contenus d’apprentissage en fonction de cette nouvelle donne, même aux ordres d’enseignement postsecondaires?

L. D. – La première erreur à éviter, à notre avis, est de croire que les processus d’écriture en modalités manuscrite et informatisée sont similaires et de miser par conséquent sur des stratégies d’apprentissage indifférenciées. Par exemple, vers la fin du primaire, les élèves ont généralement déjà développé un automatisme pour écrire à la main. Par contre, la plupart n’ont pas acquis d’habiletés rédactionnelles particulières à l’ordinateur (à moins de suivre un programme PROTIC).

La maitrise du clavier et des fonctionnalités des outils d’aide à la rédaction est pourtant déterminante pour la performance de l’élève et la qualité de ses textes. Il faut en tenir compte dans l’enseignement. Plus l’élève est habile à utiliser le clavier et les outils d’aide à la rédaction, plus il libère des ressources cognitives dans la mémoire de travail. La disponibilité de ces dernières est indispensable pour le déploiement d’habiletés de haut niveau. Celui-ci est à son tour déterminant pour la qualité du texte. À titre illustratif, le déploiement d’habiletés de bas niveau en révision suffit pour corriger seulement des erreurs localisées dans le mot. Mais la révision en profondeur d’une phrase ou d’un paragraphe pour en modifier le sens ou le rendre plus approprié nécessite des habiletés de haut niveau en révision. En lien avec le développement de l’automatisme qui libère des ressources cognitives, un élève peut avoir une très bonne performance dans la production d’un texte de façon manuscrite, mais une performance moindre à l’ordinateur tout simplement parce qu’il ne maitrise pas le clavier ainsi que les outils disponibles. Le modèle de développement de la compétence à écrire élaboré par Berminger et Amtmann (2003) prend d’ailleurs en compte cet aspect dans la composante transcription, dont le rôle est déterminant.

D. F. – Faudrait-il qu’il y ait des critères adaptés à l’évaluation de la compétence à écrire selon qu’un texte est rédigé à l’ordinateur ou écrit à la main?

L. D. – C’est une piste à envisager à moyen ou long terme pour plusieurs raisons. Premièrement, la question de l’effet de la modalité de correction n’est pas totalement résolue : plusieurs travaux suggèrent que le correcteur humain n’attribue pas des scores équivalents à une copie manuscrite et à une autre imprimée. Plusieurs hypothèses sur lesquelles nous ne nous attarderons pas ici sont avancées pour expliquer ce potentiel biais dans la correction si les deux modalités d’évaluation venaient à coexister et que la même grille était utilisée. Deuxièmement, la situation où les candidats ont le choix entre les deux modalités soulève des questions : les conditions de passation sont-elles équivalentes? Faut-il désactiver les correcticiels, d’une part, pour instaurer une équité entre les candidats et, d’autre part, pour mesurer le degré d’autonomie de l’élève dans l’application des règles orthographiques et grammaticales? Nous savons (Laurier et Diarra, 2013) que l’activation des correcticiels a un effet positif, mais faible, tandis que leur désactivation a un effet négatif important. La question de la désactivation est donc délicate, d’autant plus que les processus d’écriture ne sont pas similaires dans les deux modalités, la sollicitation des correcticiels étant fortement intégrée aux stratégies d’écriture lorsque le scripteur utilise l’ordinateur. Enfin, d’autres éléments soulèvent des interrogations. Par exemple, la mise en page ne peut-elle pas être considérée comme un aspect de la qualité du texte produit à l’ordinateur? Si oui, les habiletés liées à la mise en page ne devraient-elles pas être considérées? Même lorsque cela n’est pas clairement exprimé dans les critères d‘évaluation, à contenu équivalent, en modalité manuscrite, une copie dont la présentation est bâclée et une très soignée reçoivent, souvent, des scores différents. En modalité informatisée, il n’y a ni graphies illisibles ni ratures. Cependant, d’autres critères qui ont trait à la mise en page ne peuvent-ils pas être pris en compte, ne serait-ce que dans l’objectif d’amener l’apprenant à développer les habiletés en jeu? Toutes ces préoccupations posent en filigrane la question de la comparabilité entre une évaluation où le candidat utiliserait le papier-crayon pour produire son texte et une autre où il rédigerait à l’ordinateur. L’ensemble de ces préoccupations pourrait trouver une solution si l’on envisageait courageusement l’utilisation de critères propres à l’évaluation de la compétence à écrire en modalité informatisée, comme le suggère Russell (2006).

D. F. – Selon vous, les étudiants poursuivant actuellement des études postsecondaires, qui ont développé des compétences rédactionnelles à l’ère du numérique, sont-ils désavantagés devant une tâche d’écriture à exécuter sans ordinateur?

L. D. – Je peux répondre par l’affirmative non seulement à la lumière des résultats de la recherche réalisée, mais aussi en m’appuyant sur les résultats d’autres auteurs comme Russel et Haney (2000) ou Horkay et ses collaborateurs (2006).

D. F. – L’épreuve uniforme de français[5] devrait-elle à votre avis offrir le choix entre les deux modalités de rédaction de texte, comme le système de sanction des études albertain le permet depuis près de vingt ans?

L. D. – Une évaluation de l’écrit, notamment lorsqu’elle a une visée certificative, doit faire en sorte que chaque candidat puisse démontrer de façon optimale son niveau de développement de la compétence à écrire. Les habiletés développées pour rédiger à l’ordinateur font elles aussi partie de la compétence à écrire. Or, certains  – ils sont probablement nombreux – ont vraisemblablement de meilleures habiletés pour écrire à l’ordinateur qu’avec un stylo. En leur imposant la modalité manuscrite, on introduit un biais dans l’évaluation, car on les empêche d’atteindre le niveau optimal de leur performance réelle. Ils sont défavorisés dans la mesure où s’ils produisaient leur texte à l’ordinateur, ils obtiendraient une performance encore meilleure et donc un score plus élevé. La solution est alors d’offrir le choix entre les deux modalités.

On peut même aller plus loin et justifier l’introduction de la modalité informatisée, voire son imposition à tous les candidats. Le rapport Ouellon (rapport d’experts sur le développement de la compétence à écrire) a souligné l’intérêt d’« adapter l’enseignement de l’écriture et son évaluation à l’environnement technologique des jeunes, pour qui l’informatique est un outil normal de production d’écrits, et pour que soient utilisés de façon efficace les nombreux outils d’aide à la rédaction, à la correction et à la révision des textes » (MELS, 2008). Il y a donc une dynamique de plus en plus favorable à l’utilisation de l’ordinateur pour écrire. Interdire le recours à l’ordinateur dans les épreuves certificatives peut avoir des effets indésirables dans ce contexte. En effet, l’importance accordée à ces épreuves peut mener à des pratiques d’enseignement peu favorables au développement d’une compétence qui intègre l’utilisation efficace des outils disponibles pour la rédaction de texte à l’ordinateur. Il y a donc là un gain qui à lui seul justifie le recours à la modalité informatisée. Dans tous les cas, tôt ou tard, celle-ci s’imposera. Dans 30 ou 40 ans, on trouvera absurde de contraindre les étudiants du collégial à l’usage du papier-crayon pour évaluer leur compétence à écrire. La situation évoluera sans doute dans des délais plus brefs.

D. F. – Chaque année, quelque 45 000 dissertations critiques sont soumises aux correcteurs de l’épreuve uniforme de français[6]. Si au Québec nous introduisions l’option de rédaction à l’ordinateur dans notre système de sanction des études, quels bénéfices les correcteurs pourraient-ils tirer de la modalité informatisée dans l’évaluation des épreuves par rapport à l’actuelle modalité traditionnelle papier-crayon?

L. D. – Au cours de notre recherche, nous avons recueilli des observations sur le processus de correction. Elles montrent qu’il y a des avantages pour l’enseignant correcteur lorsque le texte est produit à l’ordinateur. D’abord, son travail est facilité du fait qu’il n’y a pas de problème de lisibilité en ce qui concerne la graphie des mots. Ensuite, il y a plus d’espace dans les marges pour les annotations et les commentaires de rétroaction, la correction à l’écran offrant même un espace illimité. En outre, les copies peuvent être retournées aux élèves par voie électronique sans attendre une séance de cours. Si la modalité d’évaluation informatisée était retenue pour la passation et l’évaluation de l’épreuve uniforme, les enseignants prendraient sans doute l’habitude d’évaluer leurs élèves à l’ordinateur dans une visée formative.

Cependant, notre analyse a montré que les programmes informatiques peuvent encore être améliorés pour mieux répondre aux besoins de l’enseignant correcteur. Le logiciel le plus utilisé en modalité de correction virtuelle (à l’écran) est Microsoft Word et son outil Suivi des modifications. Qu’il s’agisse de ce logiciel ou d’un autre, ou encore d’un nouveau à élaborer, il serait pertinent de créer des fonctionnalités qui répondent spécifiquement aux besoins du correcteur humain, par exemple un outil pour indiquer la nature des erreurs dans les textes des élèves.

Par ailleurs, l’utilisation de l’ordinateur pour évaluer à l’épreuve uniforme de français pourrait présenter des avantages autres que pédagogiques. Le professeur Jean-Guy Blais de l’Université de Montréal, cochercheur avec Michel D. Laurier (chercheur principal) dans le projet qui a servi de cadre à la réalisation de notre recherche, a mené entre 2011 et 2012 une autre étude en collaboration avec le MELS. La perspective de l’étude était celle où l’ordinateur serait utilisé par le correcteur humain pour corriger à l’écran les copies manuscrites après que ces dernières ont été numérisées (converties en fichiers électroniques). Même si les résultats de cette étude restent prudents quant au déploiement à grande échelle d’une telle expérience, ils suggèrent un intérêt sur les plans organisationnel, économique et environnemental. On imagine aisément qu’il pourrait y avoir un gain encore plus élevé si les textes étaient directement rédigés à l’ordinateur : les fichiers seraient instantanément centralisés, les procédures pour préserver l’anonymat et répartir les copies entre les correcteurs s’en trouveraient facilitées, et les ressources humaines et matérielles réduites. En outre, la passation à l’ordinateur d’une épreuve d’écriture entraine sans aucun doute une meilleure exploitation des données, par exemple la compilation et l’analyse des difficultés des élèves à l’écrit.

Au-delà de ces avantages potentiels se trouve un intérêt plus général, qui est celui de favoriser le développement de la compétence à écrire telle qu’elle se présente aujourd’hui dans la société moderne.

* * *

    1. L. DIARRA, Comparabilité entre modalités d’évaluation TIC et papier-crayon : cas de productions écrites en français en cinquième secondaire au Québec.Thèse (Ph. D.), Université de Montréal, 2013, 321 p. [Retour]
    2. M.-C. LÉVESQUE, « La tyrannie de l’épreuve uniforme de français », Correspondance, janvier 2012, vol. 17, nº 2, p. 9 à 11. [Retour]
    3. NDLR : Lancé en 1994, le programme PROTIC propose un modèle intégrant les nouvelles approches pédagogiques et les technologies de l’information et des communications (TIC). Il est reconnu par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). [Retour]
    4. M. D. LAURIER et L. DIARRA, Correcticiels et écriture en français : comparaison entre les modalités d’évaluation manuscrite et informatisée, Actes du Colloque scientifique international sur les TIC en éducation 2012. [Retour]
    5. L’épreuve uniforme de français est régie par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Science du Québec et sanctionne les études collégiales. Elle consiste à rédiger, en modalité manuscrite, une dissertation critique de 900 mots à partir de textes littéraires. Temps alloué : quatre heures trente minutes. Matériel permis : un maximum de trois ouvrages imprimés et liés au code linguistique (grammaire, dictionnaire ou manuel de conjugaison). [Retour]
    6. J. CHAMARD, « Portes ouvertes sur l’épreuve uniforme de français », Correspondance, vol. 17, nº 2, janvier 2012, p. 5 à 7. [Retour]

SOURCES CITÉES PAR LUC DIARRA

BADDELEY, A. D. (2003). « Working memory: Looking back and looking forward”, Nature Reviews: Neuroscience, 4, p. 829 à 839.

BERNINGER, V.W., et H.L. SWANSON (1994). “Modification of the Hayes and Flower model to explain beginning and developing writing”, dans BUTTERFIELD, E., Ed. Advances in cognition and Educational Practice. Vol. 2. Children’s writing: toward a process theory of development of skilled writing (57-82), Greenwich, CT, JAI Press.

BERNINGER, V. W., et D. AMTMANN (2003). “Preventing written expression disabilities through early and continuing assessment and intervention for handwriting and/or spelling problems: Research into practice”, dans SWANSON, K., H.L. HARRIS et S. GRAHAM, Eds. Handbook of learning Difficulties, New York and London, Guildord Press.

BLAIS, J. G., M.-H. MIRAULT et M. PARÉ (2012). La correction à l’écran des textes de l’épreuve uniforme de français écrit, Projet MELS / GRIÉMÉtic-Université de Montréal, Rapport de mai 2012.

HORKAY, N., R. E. BENNETT, N. ALLEN, B. KAPLAN et F. YAN (2006). “Does it Matter if I Take My Writing Test on Computer? An Empirical Study of Mode Effects in NAEP”, Journal of Technology, Learning, and Assessment, vol. 5, nº 2.

LAURIER, M., et L. DIARRA (2013). « Correcticiels et écriture en français, comparaison entre les modalités d’évaluation manuscrite et informatisée », dans KARSENTI, T., S. COLLIN et G. DUMOUCHEL (dir.). Actes du Colloque scientifique international sur les TIC en éducation : bilan, enjeux actuels et perspectives futures, Montréal, CRIFPE.

MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT (2008). Mieux soutenir le développement de la compétence à écrire, Rapport du Comité d’experts sur l’apprentissage de l’écriture, Québec, Gouvernement du Québec.

RUSSELL, M. (2006). Technology and Assessment: A Tale of Two Interpretations, Charlotte, NC, Information Age
Publishing, Inc.

RUSSELL, M., et W. HANEY (2000). “Bridging the Gap Between Testing and Technology in Schools”, Education Policy Analysis Archives, vol. 8, nº 19, Repéré à epaa.asu.edu/ojs/article/download/410/533

RUSSELL, M., et W. TAO (2004). “Effects of handwriting and computer-print on composition scores: A follow-up to Powers, Fowles, Farnum & Ramsey”, Practical Assessment, Research and Evaluation, vol. 9, nº 1, Repéré à http://pareonline.net/getvn.asp?v=9&n=1

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