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Une formule d’aide à la lecture et à l’écriture de textes philosophiques

Il est impossible d’envisager qu’un étudiant ou une étudiante réussissent leur cours de philosophie sans qu’ils possèdent de solides bases en lecture et en écriture. La compétence visée – qu’il s’agisse de traiter d’une question philosophique, de discuter des conceptions philosophiques de l’être humain ou de porter un jugement sur des problèmes éthiques et politiques de la société contemporaine – se développe, en effet, à travers l’analyse de différents types de discours et la rédaction de textes argumentatifs. Ces tâches d’une grande exigence cognitive posent évidemment de nombreux défis. Or, l’expérience des ateliers d’aide à la lecture et à l’écriture de textes philosophiques, offerts au cégep de Sherbrooke depuis près de 15 ans, tend à démontrer que le fait de renforcer ces acquis fondamentaux contribue grandement à la réussite globale des étudiantes et des étudiants. Le suivi empirique récent le confirme.

Dans ce bref article, nous présenterons cette formule de soutien destinée aux élèves inscrits au premier cours de philosophie. Après avoir exposé brièvement la problématique, nous décrirons plus précisément le contenu de ces ateliers, pour finalement mettre en lumière les retombées positives sur les résultats scolaires des élèves dans leurs cours de philosophie, mais aussi de français.

Problématique

Plusieurs recherches montrent que les étudiantes et étudiants situent surtout leurs difficultés à réussir leur premier cours de philosophie dans la lecture et la compréhension de textes, de même que dans l’expression claire de leurs idées (Lacroix, 2002; Gendron et Provencher, 2003). À cet effet, Gendron et Provencher ont demandé aux élèves quelles étaient les principales difficultés rencontrées dans le cours de philosophie 101. Les réponses sont éloquentes : « La matière est trop abstraite » (24 %), « Les textes à lire sont trop difficiles » (20 %), « Le sujet principal est plus ou moins intéressant » (12 %), « Il est difficile d’exprimer clairement ses idées par écrit » (10 %), « Il est difficile de concilier le travail et les études » (1 %), et ainsi de suite (Gendron et Provencher, 2003, p. 76). On constate que les difficultés en lecture, compréhension et rédaction de textes comptent pour une large part dans les problèmes évoqués. Par ailleurs, une enquête auprès de 5000 répondants, visant à identifier les difficultés en lecture et écriture des élèves, notamment dans leurs cours de philosophie, a été menée il y a quelques années au cégep de Sherbrooke[1]. Elle révèle qu’un grand nombre de répondants ont identifié comme leur principal défi la capacité de se concentrer sur la lecture (43,8 %), de trouver ce qui est le plus important dans un texte philosophique (40,2 %) et de comprendre le sens des mots (28,4 %). Ces difficultés sont par ailleurs plus importantes dans leur cours de philosophie que dans leurs cours de formation spécifique et même que dans leurs cours de français. Cela nous donne une indication de l’ampleur du problème auquel les enseignantes et les enseignants font face. Dès lors, que pouvons-nous faire pour favoriser la réussite du plus grand nombre possible d’élèves?

Nous savons que l’un des obstacles majeurs à la réussite en philosophie concerne la lecture et l’écriture. Comme les performances finales attendues sont d’ordre rédactionnel (rédiger un texte argumentatif, une dissertation, etc.), il faut évidemment en tenir compte. Au début des années 2000, le Département de philosophie, appuyé par la direction du cégep, nous a confié la tâche de dispenser et de coordonner les ateliers d’aide en philosophie. Mettant par la suite à profit l’expertise tirée de nos recherches sur le sujet[2] et sachant que la lecture et l’écriture sont des piliers de l’apprentissage dans tous les domaines de la connaissance, nous avons bonifié nos ateliers au regard du développement de ces habiletés fondamentales.

L’écrit est essentiel à l’appropriation des compétences disciplinaires. Nous avons donc la responsabilité de dégager les caractéristiques des textes soumis à l’étude et d’encadrer la rédaction des écrits philosophiques par nos élèves, particulièrement pour soutenir ceux et celles qui ont des difficultés à cet égard. Il est important ici de préciser qu’il ne s’agit pas de « faire du français » ou encore moins de former des correcteurs linguistiques, un métier en soi, mais plutôt, comme nous le verrons plus loin, d’encadrer les tâches de lecture et d’écriture qui font de toute façon partie de l’activité disciplinaire[3]. Les ateliers d’aide offerts en philosophie visent l’amélioration des compétences des étudiantes et des étudiants à l’écrit pour favoriser un meilleur accès aux connaissances et, de ce fait, la réussite de leurs cours.

Description des ateliers

L’inscription

Tous les étudiants inscrits au premier cours de philosophie (101) passent en classe un test diagnostique lors de la première semaine de cours. L’opération, d’une durée d’environ une heure, consiste à répondre à des questions de compréhension à choix multiple à partir d’un texte philosophique authentique de niveau intermédiaire. Il ne s’agit pas d’un texte de base comme pourrait l’être un article de journal, ni d’un texte spécialisé, c’est-à-dire faisant appel à un vocabulaire trop spécifique à la discipline. Nous avons choisi un texte du philosophe Nagel (2003), qui a été remanié à des fins pédagogiques. Le test est ensuite corrigé en classe (par les pairs) avec l’aide de l’enseignant ou l’enseignante. Les étudiants ayant obtenu une note de 6/10 ou moins sont invités à s’inscrire aux ateliers par l’entremise d’un lien Doodle. Les étudiants à risque peuvent aussi être envoyés directement par leur enseignant. Nous acceptons tous les élèves. Sur environ 300 étudiants identifiés, entre 80 et 120 se présentent aux ateliers.

Le déroulement général

Les ateliers d’aide à la lecture et à l’écriture sont constitués de cinq rencontres d’une durée d’une heure chacune. Les trois premières portent sur la lecture et les deux suivantes, sur l’écriture. Ces ateliers visent à apprivoiser une matière qui est nouvelle pour les étudiantes et étudiants, mais aussi à réactiver certaines connaissances essentielles qu’ils ont déjà dû acquérir dans leur parcours scolaire. Par exemple, ils ont tous vu, du moins en principe, les composantes du texte argumentatif dans leur cours de français de 4e et 5e secondaire, mais ceux qui éprouvent des difficultés ont besoin d’en réactiver les principaux éléments (thèse, argument, objection, réfutation etc.) et d’apprendre à transférer ces savoirs dans une nouvelle discipline. Ces rencontres, en petits groupes (idéalement 7 à 12 personnes), donnent l’occasion aux participants de verbaliser leurs difficultés sans crainte d’être jugés, et aux enseignants-animateurs de les rassurer et de consolider les acquis souvent sous-estimés par les principaux intéressés.

La lecture

Apprendre ce qui fait qu’un texte est proprement philosophique, dédramatiser le vocabulaire spécifique à la discipline, utiliser adéquatement les ressources documentaires, annoter au fil du texte afin d’éviter d’en reprendre chaque fois toute la lecture, identifier les arguments et les thèses, les décomposer de façon schématique, etc. : voici autant de compétences de lecture tantôt à découvrir, tantôt connues, mais nécessitant d’être renforcées par le développement de méthodes de travail intellectuel appropriées. Les textes choisis pour s’y exercer sont gradués du plus simple au plus complexe. Les trois ateliers de lecture se veulent un préalable essentiel aux ateliers d’écriture.

L’écriture

Le premier atelier d’écriture se concentre sur la problématisation : comment dégager d’un thème les positions possibles, de façon à pouvoir structurer l’introduction de la dissertation finale. Bâtir un argument à partir de sources externes ou de textes d’auteurs fait aussi partie des activités de cette rencontre. À ce stade, les étudiantes et les étudiants sont appelés à rédiger une introduction et une argumentation. La deuxième rencontre est centrée sur l’identification des erreurs dans une dissertation comportant différentes lacunes. Les participantes et les participants, devenant soudainement correcteurs, peuvent appliquer leurs compétences nouvellement acquises. L’enseignant-animateur reprend en direct la correction, ce qui met en lumière les exigences de la dissertation argumentative et les bonnes stratégies de rédaction qui correspondent à ce type d’écrit.

Les enjeux pédagogiques

Il est important de noter que les enseignantes et les enseignants qui animent les ateliers ne travaillent jamais directement à partir des contenus ou évaluations présentés aux élèves dans leur classe respective. Ils s’affairent plutôt à tracer une voie parallèle et complémentaire aux habiletés développées dans les cours de leurs collègues. Ainsi, l’autonomie professionnelle de chaque enseignant est assurée. L’approche en petits groupes est aussi essentielle à la démarche. Elle aide les élèves à verbaliser leurs difficultés dans un contexte où chacun a ses propres défis à relever. La consigne est claire : ce qui se dit en atelier ne sera en aucune façon rapporté à l’enseignant titulaire et chacun s’engage à respecter la confidentialité des discussions.

Il s’avère aussi que ces ateliers sont une aide significative pour plusieurs étudiantes et étudiants en situation de handicap. Reprendre divers contenus et renforcer les méthodes d’apprentissage donnent des résultats et les rassurent. Leurs défis sont souvent les mêmes que ceux des élèves en situation régulière, ce qui les réconforte – ce n’est simple pour personne! Les résultats sont du même ordre : plus de confiance en soi, de meilleures méthodes de travail et des notes améliorées. L’appréciation que font les étudiantes et les étudiants des ateliers est à l’avenant, c’est-à-dire fort positive. Leur seule critique est qu’ils auraient bien accepté plus d’heures de soutien !

Quelques commentaires émis par des étudiants et issus des rétroactions

« Comme tout le monde participait, ça m’a aidé à oser poser mes questions. »

« Le professeur s’intéressait à chaque élève, même ceux qui parlent moins. »

« Ça m’a permis de renforcer les connaissances de base pour la dissertation philosophique. »

« J’ai aimé pouvoir donner mon point de vue sans jugements des autres. »

« Le petit groupe permet de prendre le temps nécessaire et d’aller au rythme de chacun. »

« Le fait de tout faire en petits groupes, tous ensemble, est très utile. Les commentaires des autres étudiants nous aident aussi parfois. »

« Les trucs que j’ai appris vont m’être utiles pendant toute la durée de mes études. »

« Le fait que nous soyons en petits groupes m’a permis de mieux me concentrer. »

« Quand je sors des ateliers, je me sens plus intelligente! »

Sur la base de ces données qualitatives, nous constatons donc un appui sans réserve des participants à la formule d’aide actuelle. Les résultats quantitatifs semblent tout autant éloquents.

Résultats et analyse

Lors des premières années de mise en œuvre des ateliers d’aide en philosophie (au début des années 2000), outre l’évaluation faite par les participants, peu de données étaient recueillies pour en connaître précisément les retombées. Néanmoins, le travail réalisé auprès des étudiants et étudiantes qui y participent semble avoir des effets positifs sur eux dans la mesure où leur progression est observée dans le cadre même des ateliers, et ce, tant sur le plan des capacités de compréhension et d’analyse de textes que des habiletés rédactionnelles. Les appréciations qualitatives systématiques confirment que les élèves sentent qu’ils ont progressé.

Par ailleurs, nous pouvons supposer que ce travail de renforcement des habiletés de lecture et d’écriture devrait avoir des retombées plus larges, puisqu’elles sont mobilisées continuellement dans le parcours scolaire.

Afin de mesurer l’effet des ateliers sur la réussite, et à la demande des enseignants responsables, le Service de soutien à l’enseignement et à la recherche du cégep de Sherbrooke procède chaque session, depuis l’automne 2015, à la comparaison de la réussite des étudiants et étudiantes inscrits aux ateliers d’aide en philosophie (entre 80 et 120 sur un total de 1200 inscrits en 101) à celle des élèves qui ne les ont pas suivis.

D’abord, les taux de réussite au cours de philosophie 340-101-MQ ont été comparés. Les données cumulatives des sessions A-2015, H-2016 et A-2016 montrent que chez les étudiants et étudiantes ayant suivi les ateliers, le taux de réussite du premier cours de philosophie est de 91 % alors qu’il est de 79 % chez ceux et celles qui n’ont participé à aucun atelier. La note moyenne obtenue pour le cours se situe à 77 % pour les élèves qui ont suivi les ateliers alors qu’elle est de 67 % pour ceux ne les ayant pas suivis, un écart de 10 points.

Nous nous sommes intéressés de manière plus particulière aux étudiants et étudiantes dont la moyenne générale au secondaire (MGS) était inférieure à 80 %. Ceux-ci représentent la majorité des participants aux ateliers. Pour ce groupe de personnes, la moyenne obtenue pour le cours de philosophie est de 71 %, comparativement à 60 % pour les étudiants et étudiantes n’ayant pas suivi les ateliers, un écart d’un peu plus de 10 points ici encore.

Données cumulatives pour les sessions A-2015, H-2016 et A-2016

IndicateurÉtudiants ayant participé aux ateliers d’aide en philosophieÉtudiants n’ayant pas participé aux ateliers d’aide en philosophie
Cours de philosophie 340-101-MQ
Taux de réussite du cours91 %79 %
Note moyenne obtenue, peu importe la MGS77 %67 %
Note moyenne obtenue, pour une MGS inférieure à 80 %71 %60 %
Source : système de gestion pédagogique CLARA

Le taux de réussite au cours de français 601-101-MQ a ensuite été examiné pour vérifier l’effet « transversal » des ateliers d’aide en philosophie. Chez les étudiants et étudiantes qui étaient inscrits à la même session au cours de philosophie 340-101-MQ et au cours de français 601-101-MQ, les taux de réussite au cours de français sont respectivement de 91 % pour ceux ayant suivi les ateliers d’aide en philosophie et de 82,5 % pour ceux qui n’y ont pas participé. La note moyenne obtenue pour le cours de français est de 71 % pour les personnes qui ont suivi les ateliers alors qu’elle s’établit à 68 % pour celles qui n’y ont pas pris part, un écart moins important que celui observé pour le cours de philosophie.

Toutefois, lorsqu’on s’intéresse aux étudiants et étudiantes dont la moyenne générale au secondaire est inférieure à 80 %, c’est un écart de 8 points que l’on peut observer entre ceux qui ont suivi les ateliers, dont la note moyenne obtenue est de 68 %, et ceux qui n’y ont pas participé, qui obtiennent en moyenne tout juste la note de passage, 60 %.

Données cumulatives pour les sessions A-2015, H-2016 et A-2016

IndicateurÉtudiants ayant participé aux ateliers d’aide en philosophieÉtudiants n’ayant pas participé aux ateliers d’aide en philosophie
Cours de français 601-101-MQ
Taux de réussite du cours91 %82,5 %
Note moyenne obtenue, peu importe la MGS71 %68 %
Note moyenne obtenue, pour une MGS inférieure à 80 %68 %60 %
Source : système de gestion pédagogique CLARA

* * *

À la lumière de ces résultats, il est possible d’affirmer que les étudiants et étudiantes qui participent aux ateliers d’aide en philosophie réussissent dans une plus large proportion que ceux qui ne s’y engagent pas. Non seulement performent-ils mieux dans leur cours de philosophie 340-101-MQ, mais les résultats qu’ils obtiennent dans le cours de français 601-101-MQ peut nous laisser supposer que les ateliers auraient un impact également sur la réussite des autres cours.

Le niveau de participation en hausse constante démontre que cette mesure répond à un besoin important des étudiantes et des étudiants de cégep. D’une session à une autre, chaque nouvel enseignant qui anime les ateliers contribue à en parfaire la formule, la logistique et la promotion. Or, tout le réseau collégial constate, notamment avec l’augmentation importante du nombre d’élèves en situation de handicap, que les besoins pour ce genre de mesure d’aide sont grandissants.
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Références

BLASER, C. (2009). « Faire lire et écrire au cégep : un défi pour tous les enseignants », Pédagogie collégiale, vol. 22, no 4, été 2009, p. 40-44.

DESMEULES, L., S. DUBOIS et C. BLASER (2012). « Développer les compétences en écriture dans le cours de philosophie 102 », Pédagogie collégiale, vol. 27, no 1, p. 21-25.

GENDRON, D., et M. PROVENCHER (2003). Philosopher au cégep. Rapport de recherche produit dans le cadre du regroupement des cégeps PERFORMA, Montréal, Collège de Rosemont.

LACROIX, J. G. (2002). Rapport final du projet La philo comme il faut, Montréal, Cégep du Vieux Montréal (Département de philosophie).

LAVOIE, M., et L. DESMEULES (2010). Quand lire c’est comprendre, Expérimentation et appropriation d’un module d’accompagnement à la lecture de textes philosophiques, Rapport PAREA, Sherbrooke, Cégep de Sherbrooke.

NAGEL, T. (2003). Qu’est-ce que tout cela veut dire? Une très brève introduction à la philosophie, traduit de l’anglais par Ruwen Ogien, Paris, Éditions de l’Éclat.

  1. R. DORÉ (2008), « Enquête auprès des étudiants du Cégep de Sherbrooke sur les activités de lecture et d’écriture », consultation Omnivox du 17 au 25 novembre 2008, Sherbrooke, Cégep de Sherbrooke. [Retour]
  2. Voir L. DESMEULES, S. DUBOIS et C. BLASER (2012), « Développer les compétences en écriture dans le cours de philosophie 102 », Pédagogie collégiale, vol. 27, no 1, p. 21-25 et M. LAVOIE et L. DESMEULES (2010), Quand lire c’est comprendre, Expérimentation et appropriation d’un module d’accompagnement à la lecture de textes philosophiques, Rapport PAREA, Sherbrooke, Cégep de Sherbrooke. [Retour]
  3. Voir à ce sujet C. BLASER (2009), « Faire lire et écrire au cégep : un défi pour tous les enseignants », Pédagogie collégiale, vol. 22, no 4, été 2009, p. 40-44. [Retour]

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