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Pour un accompagnement des étudiants en amont de leurs lectures

Tout au long de leur parcours scolaire et dans toutes les matières, les étudiants et étudiantes ont régulièrement à effectuer des apprentissages par la lecture. Or, de nombreuses recherches rappellent la complexité des processus cognitifs que cette dernière implique (Blaser, Lampron et Simard-Dupuis, 2015; Shanahan et Shanahan, 2015) et l’importance d’encadrer les activités de lecture, notamment aux ordres d’enseignement postsecondaires, afin d’aider les étudiants à développer leurs compétences en littératie en vue d’aborder des savoirs et des genres disciplinaires nouveaux (Blaser, 2009; Shanahan et Shanahan, 2015). Plusieurs enseignants se sentent toutefois démunis devant cette tâche : comment aider les élèves à se doter des compétences requises en lecture alors qu’eux-mêmes ont peut-être acquis celles-ci de manière informelle, voire inconsciente, au fil de leurs études? Si l’on admet que l’enseignement explicite de stratégies métacognitives peut s’avérer très profitable pour l’ensemble des étudiants, notamment les plus faibles, comment enseigner ce que l’on considère, jusqu’à un certain point, comme un processus intangible? Dans un article paru précédemment, nous expliquions de quelle manière les apprentissages réalisés au moyen de la lecture gagnaient à être envisagés selon une perspective de cohérence pédagogique. Notre deuxième article présente les éléments qu’un enseignant a tout avantage à considérer avant la lecture afin de mieux guider ses étudiants dans ces apprentissages.

Comprendre le processus d’interprétation

Pour bien comprendre comment guider l’apprentissage par la lecture, il importe de saisir que toute lecture est avant tout une interprétation. Ce terme, couramment utilisé lorsqu’il s’agit de la lecture littéraire, peut revêtir une certaine connotation d’ambigüité ou de relativité, généralement liée à ce que l’on appelle la lecture de « second niveau ». Une telle perception laisse entendre qu’une lecture de « premier niveau » ne constituerait pas une « interprétation », mais qu’elle reposerait plutôt sur une compréhension du texte. Le terme « compréhension » est donc, par inférence logique, associé à une vision plus « objective » du message véhiculé par le texte; il admet la possibilité, pour des lecteurs experts, de percevoir certaines nuances, mais implique que le texte véhicule en soi un message pouvant être compris, par un lecteur moyen, d’une manière uniforme. Toutefois, les études récentes sur la lecture tendent à démentir cette perception (Delcambre et Lahanier-Reuter, 2012; Grossmann, 1999; Lafontaine, 2001). En effet, elles indiquent non pas que l’interprétation serait une étape supérieure ou postérieure à la compréhension, mais bien l’inverse. En fait, ce que l’on nomme compréhension « correspond[rait] à la stabilisation de l’interprétation : non plus “un point de vue sur”, mais une interprétation supposée admise, et partagée » (Grossmann, 1999, p. 152). Or, dès qu’on admet que toute lecture constitue une interprétation, il devient primordial, afin d’orienter la lecture vers une « compréhension » commune, de prendre en compte les facteurs susceptibles d’influencer cette interprétation. À la figure 1A, qui présente le modèle d’interprétation en lecture développé par Giasson (2005), on illustre trois facteurs à considérer : le lecteur (ses objectifs personnels, ses traits affectifs, ses compétences, ses connaissances antérieures, etc.), le texte (son contenu, sa forme, son contexte de rédaction, etc.) ainsi que le contexte[1] de lecture (les objectifs d’apprentissage, la tâche à réaliser, le champ disciplinaire dans lequel s’inscrit la lecture, etc.).

Figure 1A
Modèle d’interprétation en lecture (Giasson, 2005)

En se basant sur ce modèle, particulièrement sur les interactions entre les trois facteurs, les enseignants et enseignantes pourront mieux cibler leurs interventions lorsqu’ils donneront une lecture à effectuer. Dans la suite de cet article, nous détaillerons les croisements qui s’effectuent entre ces facteurs déterminants et proposerons différentes stratégies afin que les enseignants puissent encadrer et orienter l’interprétation des élèves.

Avant tout… prendre en compte le lecteur

Figure 1B

Au collégial, la prise en compte de l’individualité du lecteur est très souvent mise de côté, car perçue comme non pertinente, voire risquée. En effet, certains enseignants conçoivent la lecture comme un simple processus de décodage, relativement objectif. Dans ce cas précis, ils auront plutôt tendance à vérifier si le contenu du texte a été compris, ou encore, si l’élève est capable de mettre en pratique dans des exercices ce qu’il a appris en lisant. D’autres enseignants craindront peut-être que les étudiants assimilent la notion de subjectivité à celle d’opinion, ce qui n’est évidemment pas souhaitable dans le cadre de travaux visant l’analyse, par exemple. Pourtant, bien des problèmes d’intégration des apprentissages réalisés au moyen de la lecture trouvent leur source non pas dans le texte lui-même ou dans le contexte de lecture, mais dans un conflit d’interprétation entre le lecteur, d’une part, et le texte ou le contexte, d’autre part (figure 1B). Le lecteur vient avec un historique de lecture : il aura des opinions qui biaiseront ce qu’il comprendra d’un sujet, ou une expérience scolaire contredisant ce que lui demanderont ses enseignants. Ainsi, avant de donner un texte à lire, il est bon d’inviter les élèves à se poser certaines questions afin de les amener à identifier leurs biais de lecteur et, surtout, de les aider à évaluer la manière appropriée d’aborder leurs lectures, voire d’adapter leurs processus. Pour ce, l’enseignant peut leur demander de tracer leur propre portrait de lecteur (Cartier, 2015). Cette activité peut prendre la forme d’un questionnaire ciblé ou d’une discussion en classe entre pairs; l’important est d’amener l’étudiant à s’observer en tant que lecteur. Voici quelques questions, à titre d’exemple, susceptibles de révéler des caractéristiques déterminantes du lecteur dans son interprétation du texte :

  • « Pourquoi est-ce que je lis? » (les objectifs personnels du lecteur)
    Cette question est cruciale, puisqu’elle forge l’horizon d’attente des étudiants et peut avoir une influence importante sur leur motivation. En littérature, par exemple, plusieurs élèves répondront aux questions suivant la lecture d’un livre par un commentaire appréciatif relevant le degré de divertissement que leur a procuré l’œuvre; ceci est cohérent, puisque leur expérience les aura sans doute amenés à développer l’idée que la lecture d’un roman est d’abord et avant tout une forme de divertissement. Or, lorsque l’enseignant cherche en fait à provoquer une réflexion ou une analyse, l’étudiant qui lit uniquement pour se divertir risque fort de ne pas trouver son compte dans sa lecture – ou, du moins, de passer à côté de l’objectif d’apprentissage. Dans la même lignée, le questionnement effectué dans le cadre d’un portrait de lecteur ne vise pas non plus à valider l’objectif pragmatique de certains étudiants (avoir une bonne note à l’examen, par exemple). C’est plutôt l’orientation de la motivation intrinsèque de l’étudiant vers l’objectif d’apprentissage qui est recherchée.
  • « Qu’est-ce que je pense de… ? » (les traits affectifs du lecteur)
    Cette question peut s’avérer importante lorsque les textes à lire abordent des questions d’ordre moral ou idéologique, comme ce peut souvent être le cas dans les cours de littérature, de philosophie ou d’histoire. Si un ouvrage présente une femme adultère, une critique de la liberté ou une apologie de l’esclavage, les opinions des étudiants risquent fort de teinter leur interprétation du texte. En les questionnant sur leurs opinions, l’enseignant ou l’enseignante peuvent lever le voile sur ces traits affectifs souvent inconscients et mettre en garde les futurs lecteurs : ceux-ci n’ont pas à changer d’opinion, mais ils doivent toutefois être conscients de leurs biais lorsqu’ils aborderont le texte afin de prendre suffisamment de recul face à eux-mêmes pour ne pas déformer le message que l’auteur tente de véhiculer.
  • « Comment est-ce que je lis? » (les compétences du lecteur)
    La réponse à cette question est étroitement liée aux objectifs de lecture : on ne lit pas un roman en ayant l’intention de se divertir comme on lit un roman en sachant qu’il fera l’objet d’une analyse. À ce stade du portrait de lecture, l’idée n’est pas de dire à l’étudiant comment il devrait lire, mais de lui faire prendre conscience des techniques qu’il utilise – ou pas – lorsqu’il procède à une lecture. Beaucoup d’élèves moyens ou faibles seront tout simplement incapables d’identifier ces processus ou de nommer des stratégies de lecture. La prise de conscience, par un étudiant, qu’il lit sans utiliser de stratégies efficaces est une étape indispensable si l’on veut l’amener à modifier ses processus. Enseigner des stratégies métacognitives sans passer par cette étape risque de ne pas porter les fruits attendus, puisque les étudiants ne prendront pas la mesure de l’intérêt de ces stratégies pour eux-mêmes. Par contre, si on leur demande d’analyser leur lecture (degré de facilité, stratégies utilisées, etc.), beaucoup d’élèves constateront eux-mêmes leurs lacunes, ce qui rendra l’apprentissage de stratégies de lecture bien plus pertinent à leurs yeux. Les portraits de lecteur peuvent être très bien servis par des questionnaires d’attribution causale (Roberge, 2016), où l’on amène l’étudiant ou l’étudiante, par l’entremise de questions ciblées, à évaluer ses propres techniques de travail et leur efficacité.

Quelles sont les connaissances du lecteur par rapport au texte?

Figure 1C

Afin de compléter le portrait du lecteur, il convient de prendre en compte, outre les trois éléments énumérés ci-haut, les connaissances antérieures du lecteur par rapport au texte à lire, ce qui nous amène à aborder la première zone de conjonction : celle du lecteur et du texte (figure 1C).

Les connaissances antérieures relevant du contenu du texte

En fonction du moment où la lecture intervient dans un apprentissage, différentes stratégies peuvent être utilisées.

  • La lecture visant à consolider ou à approfondir des apprentissages réalisés en classe
    Lorsque l’étudiant a déjà reçu, dans le cadre du même cours ou de cours antérieurs, des informations sur les sujets que le texte aborde, les stratégies de récupération (Gagnon, 2014) peuvent aider à mobiliser la mémoire ou à structurer l’élaboration des nouveaux savoirs à acquérir. Ainsi, on peut demander aux étudiants…

    1. … de jeter sur papier (sans consulter leurs notes de cours) tout ce dont ils se souviennent spontanément sur le sujet;
    2. … de rédiger des questions (et leurs réponses) sur le sujet du texte;
    3. … de réaliser, seul ou en équipe, une carte sémantique schématisant tout ce qu’ils savent sur le sujet.

    Toutes ces techniques servent à faire émerger les connaissances antérieures, mais aussi les erreurs de conception des étudiants. Une fois ces activités réalisées, l’enseignant a différents choix : il peut demander aux élèves de se rassembler en petits groupes pour partager leurs réponses, puis ensuite faire un retour en grand groupe; il peut aussi ramasser les écrits des étudiants afin de se faire une idée précise de l’étendue de leur savoir sur un sujet, ce qui lui permettra d’évaluer les éléments sur lesquels il convient de revenir – ou non – avant la lecture.

  • La lecture visant à préparer les apprentissages qui seront réalisés plus tard en classe
    Dans ce cas, l’enseignant pourrait aussi effectuer une des trois activités suggérées plus haut afin d’activer les connaissances antérieures de ses étudiants, puisque « [p]lus on en sait sur un sujet, mieux on comprendra ce qu’on va lire et plus on sera motivé à se lancer dans la lecture » (Blaser, 2009, p. 42). Cependant, il peut aussi leur demander de remplir un guide de prédiction (Blaser, 2009). Ce guide est en fait un questionnaire où l’enseignant identifie implicitement le contenu qu’il juge important dans le texte en suggérant des énoncés allant « dans le sens des idées générales – et souvent erronées – que les élèves sont susceptibles d’avoir sur le sujet à l’étude » (Blaser, 2009, p. 42). Les élèves doivent répondre à ces questions et discuter de leurs réponses ensemble avant d’effectuer leur lecture. Ainsi, lorsqu’ils réaliseront celle-ci, ils seront plus attentifs aux éléments que leur aura pointés l’enseignant ou l’enseignante, mais aussi plus motivés à lire, puisqu’ils souhaiteront vérifier si leurs prédictions sont correctes. Cette approche est idéale pour un texte informatif, mais peut aussi fonctionner pour des textes littéraires : par exemple, on pourra demander aux étudiants si, dans un récit traitant de la Seconde Guerre mondiale, les personnages allemands risquent d’être identifiés comme des victimes ou des coupables. Dans le cadre d’un cours de philosophie ou d’histoire, où les auteurs reprennent souvent les arguments de leurs opposants, il peut être pertinent de demander aux étudiants, par exemple, si un auteur en faveur de telle idéologie sera en faveur ou défaveur de telle ou telle action ou opinion – cela afin d’aider l’étudiant à distinguer un argument soutenu par l’auteur d’un jeu rhétorique de sa part consistant à reprendre une idée à laquelle il s’oppose, et ce, en vue de la discréditer.

Les connaissances antérieures relevant de la forme du texte

Les textes donnés en lecture au collégial appartiennent souvent à des genres avec lesquels les étudiants ont rarement été mis en contact. Par genre, on fait ici référence à « un ensemble de productions langagières orales ou écrites qui, dans une culture donnée, possèdent des caractéristiques communes d’ordres communicationnel, textuel, sémantique, grammatical, graphique ou visuel et/ou d’oralité, souples, mais relativement stables dans le temps » (Chartrand, Émery-Bruneau et Sénéchal, 2015, p. 3). Les enseignants ont tout intérêt à attirer l’attention des étudiants sur les caractéristiques des genres qu’ils leur font lire avant de les lancer dans l’exploration des textes. D’une part, l’étudiant qui comprend la situation de communication dans laquelle s’ancre le texte sera mieux à même d’interpréter les intentions de l’auteur, de distinguer les éléments principaux et les détails, et de porter un regard critique sur le texte. D’autre part, comme on demande fréquemment aux étudiants de reproduire certains modèles de textes qu’on leur a donnés à lire (exemple de dissertation, rapport de laboratoire ou de stage, etc.), le fait d’enseigner explicitement les caractéristiques des genres les amènera à mieux comprendre les éléments qu’ils doivent considérer, à mieux cerner les défis d’écriture qui risquent de se présenter (temps de verbe à employer, syntaxe de certaines phrases types, etc.) ou à éviter des maladresses (marques de subjectivité, citations mal définies pouvant mener à des accusations de plagiat, etc.). Un étudiant qui comprend le fonctionnement d’un genre textuel aura plus d’aisance à choisir les stratégies de lecture et d’écriture pertinentes à son apprentissage. À cette fin, de nombreuses activités très simples sont possibles; par exemple, lire à haute voix avec les étudiants un texte et faire émerger les caractéristiques génériques de celui-ci par la discussion avec la classe[2]. On peut aussi proposer aux élèves deux ou trois exemples de textes appartenant à des genres relativement proches, puis leur demander d’identifier ce qui les distingue les uns des autres. Toutes les caractéristiques, selon le genre, n’ont pas à être abordées – et c’est l’enseignant qui est le mieux placé pour juger, grâce à son expertise, ce qu’il est pertinent de cibler. L’activité peut être courte; 15 à 30 minutes suffiront. C’est un investissement qui en vaut la peine, car les étudiants s’approprient mieux ensuite leurs lectures et, éventuellement, les écrits à produire.

Comment le contexte d’où émerge le texte influence-t-il son interprétation?

Figure 1D

En outre, l’enseignant qui veut donner à lire un texte doit être attentif à la relation qui unit le texte et le contexte disciplinaire dont il est issu. Cette zone de notre schéma (figure 1D) est liée à la notion de littératie disciplinaire, qui s’ancre dans une perspective épistémologique selon laquelle les savoirs et les activités reliées à ceux-ci sont abordés d’une manière qui est propre à chaque domaine d’études (Shanahan et Shanahan, 2015). Les textes émanant de tel ou tel domaine reflètent cette « manière » spécifique de construire les savoirs – et certaines stratégies relatives à cette construction s’avèrent plus pertinentes que d’autres. Par exemple, les mathématiques accordent une grande importance à la précision du vocabulaire et à la conceptualisation; un lecteur ou une lectrice en mathématiques, face à un problème « pratique », transposeront celui-ci en énoncé abstrait. En sciences, on traduira les informations sous d’autres formes : prose, graphiques, tableaux. En histoire, on s’attachera davantage aux liens de cause à effet, mais on accordera également beaucoup d’importance au contexte de production, à l’identité de l’énonciateur et aux destinataires visés, notamment dans les textes authentiques – questionnement qui sera complètement évacué en mathématiques, cependant. Ainsi, l’enseignant, en tant que spécialiste, est le mieux placé pour réfléchir avec ses étudiants à la manière dont se construisent les savoirs dans sa discipline et à la façon dont cette construction peut se refléter dans les textes – avec le choix des stratégies de lecture que cela implique. À ce titre, la modélisation s’avérera une stratégie précieuse avant la lecture. Elle consiste, comme son nom l’indique, à servir de modèle aux étudiants. C’est une technique assez simple : l’enseignant lit à voix haute, devant la classe, un texte (ou une partie de texte) tout en interrompant sa lecture pour verbaliser sa pensée et souligner les éléments qu’il choisit de prendre en compte ou les stratégies qu’il veut utiliser. Les étudiants voient alors de quelle manière un ou une spécialiste de la discipline (l’enseignant ou l’enseignante) approche le savoir transmis par les textes. La sensibilisation des étudiants à la littératie disciplinaire a un effet significatif sur leur motivation et leur compréhension en lecture (Schoenbach, Greenleaf et Hale, 2010), et augmente leur engagement par rapport aux contenus disciplinaires (Shanahan et Shanahan, 2008). Conséquemment, c’est une dimension à ne pas négliger pour les préparer à la lecture.

Comment la compréhension, par l’étudiant, du contexte d’apprentissage dans lequel il effectue sa lecture influence-t-elle son interprétation?

Figure 1E

Dans un cadre pédagogique, il convient de toujours bien expliquer aux étudiants les objectifs d’apprentissage visés par les lectures. Dire aux étudiants de lire tel ou tel chapitre pour le prochain cours, sans plus d’instructions, ne les aidera pas forcément à procéder à une lecture efficace. Il faut préciser le contexte d’apprentissage dans lequel ils se trouvent engagés comme lecteurs (figure 1E). Quel est l’objectif de telle ou telle lecture? En arriver à une critique? À une analyse? Se souvenir des informations contenues dans le texte? En outre, l’identification du type d’évaluation qui suivra les lectures joue aussi un rôle important. L’étudiant passera-t-il un test de lecture tout de suite après? Cette lecture sera-t-elle réinvestie dans un examen à la fin de la session? Y aura-t-il des exercices à réaliser à partir de ces lectures? Faudra-t-il rédiger une dissertation en citant des passages du texte lu? Selon l’objectif d’apprentissage et le type de tâche exigée par la suite, les stratégies de lecture pourront être fort différentes. Par exemple, la prise de notes ou la schématisation ne seront généralement pas nécessaires pour le lecteur moyen s’il souhaite se préparer à un test de lecture qu’il passera peu après celle-ci, par exemple. Si l’enseignant ou l’enseignante clarifient au mieux les objectifs d’apprentissage visés par les lectures, en les explicitant aux étudiants et en fournissant des évaluations, formatives ou sommatives, jugeant de manière cohérente de l’atteinte de ces objectifs[3], les étudiants pourront déjà mieux choisir les stratégies à utiliser.

La lecture active : l’intérêt des traces pour forger l’interprétation

Figure 1F

Au cœur du processus de lecture se trouve l’interprétation (figure 1F). Celle-ci se forge à partir d’une combinaison complexe d’éléments, allant des traits affectifs ou des connaissances antérieures du lecteur à la reconnaissance des traits génériques du texte, en passant par le contexte disciplinaire et pédagogique dans lequel s’inscrit la lecture. Au bout du compte, toutes les stratégies à mettre en place avant la lecture visent à sensibiliser les étudiants au fait qu’il s’agit d’un processus actif, que ce soit en mobilisant leurs connaissances antérieures, en les sensibilisant à leurs propres biais de lecteur, en relevant avec eux les caractéristiques de certains genres textuels, ou encore, en modélisant une lecture dans un cadre disciplinaire. Tous ces actes pédagogiques ont pour objectif de rendre les étudiants plus conscients du processus complexe qui se déclenche (ou qui devrait se déclencher) lorsqu’ils lisent un texte dans un contexte d’apprentissage précis. On espère donc, en tant qu’enseignant ou enseignante, que ces préparatifs feront évoluer la lecture des élèves d’un mode passif, plus près d’un simple décodage ou d’une lecture superficielle, à un mode actif – qui nécessitera, fort probablement, la mobilisation de stratégies laissant des traces… L’idée est d’amener ensuite les étudiants à mettre en œuvre des stratégies pendant la lecture, de manière consciente et orientée. Les étudiants et étudiantes seront alors réellement en mesure d’apprendre de leur lecture et, s’ils ont été bien préparés, l’interprétation qu’ils auront construite ne pourra qu’en être plus riche. Un prochain article détaillera des stratégies que les étudiants peuvent justement utiliser pendant leur lecture.

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RÉFÉRENCES

BÉLEC, C. (2016). « L’alignement pédagogique des lectures », Correspondance, décembre 2016.

BLASER, C. (2009). « Faire lire et écrire au cégep : un défi pour tous les enseignants », Pédagogie collégiale, vol. 22, no 4, p. 40-44. Également disponible en ligne : http://www.cdc.qc.ca/ped_coll/pdf/blaser_22_4.pdf (page consultée le 7 janvier 2016).

BLASER, C., R. LAMPRON et É. SIMARD-DUPUIS (2015). « Le rapport à l’écrit : un outil au service de la formation des futurs enseignants », Lettrure, ABLF Asbl, no 3, p. 51-63.

CARTIER, S., dir. (2015). « Apprendre en lisant : pistes de questionnement ». Document télé-accessible sur le site APL : Apprendre par la lecture : [http://apprendreparlalecture.education/wp-content/uploads/2015/12/APL-pistes-de-questionnement.pdf]. Consulté le 4 septembre 2016.

CHARTRAND, S.-G., J. ÉMERY-BRUNEAU et K. SÉNÉCHAL (2015). Caractéristiques de 50 genres pour développer les compétences langagières en français, Québec, Didactica, c.é.f., 65 p.

DELCAMBRE, I., et D. LAHANIER-REUTER (2012). « Littéracies universitaires : présentation », Pratiques, no 153-154, p. 3-19.

GAGNON, M. (2014). La connaissance des stratégies d’apprentissage chez les collégiens. Rapport de recherche remis dans le cadre du Programme de recherche et d’expérimentation pédagogiques (PREP), Collégial Nouvelles Frontières.

GIASSON, J. (1990). La compréhension en lecture, Boucherville, Gaëtan Morin éditeur.

GIASSON, J. (2005). Les textes littéraires à l’école, Bruxelles, de Boeck.

GROSSMANN, F. (1999). « Littératie, compréhension et interprétation des textes », Repère, no 19, p. 139-166.

LAFONTAINE, D. (2001). « Quoi de neuf en littératie? Regard sur trente ans d’évaluation de la lecture », Cahiers du Service de pédagogie expérimentale, no 7-8, p. 71-95.

ROBERGE, J. (2016). « Comment amener les étudiants à être de meilleurs apprenants? », Pédagogie collégiale, vol. 29, no 3, p. 19-24.

SCHOENBACH, R., C. GREENLEAF et G. HALE (2010). “Framework Fuels the Need to Read: Strategies Boost Literacy of Students in Content-Area Classes”, Journal of Staff Development, vol. 3, no 5, p. 38-42.

SHANAHAN, T., et C. SHANAHAN (2015). “Disciplinary Literacy Comes to Middle School”, Voice from the Middle, vol. 22, no 3, p. 10-13.

SHANAHAN, T., et C. SHANAHAN (2008). “Teaching Disciplinary Literacy to Adolescents: Rethinking Content-Area Literacy”, Harvard Educational Review, vol. 78, no 1, p. 40.

  1. Dans son modèle théorique de la lecture, Giasson entrevoit le « contexte » de manière plus large. Pour les besoins plus circonscrits de notre article, nous en proposons une adaptation prenant uniquement en considération les éléments du contexte scolaire qui influencent l’interprétation d’un texte. [Retour]
  2. Pour plus d’information sur les caractéristiques des différents genres textuels, voir Caractéristiques de 50 genres pour développer les compétences langagières en français de S.-G. CHARTRAND, J. ÉMERY-BRUNEAU et K. SÉNÉCHAL, et Stratégies d’écriture dans la formation spécifique, de Lucie LIBERSAN. [Retour]
  3. Sur le sujet, lire C. BÉLEC (2016), « L’alignement pédagogique des lectures », Correspondance, décembre 2016. [Retour]

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