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La maturité syntaxique et lexicale de cégépiennes et cégépiens (non) francophones

La maturité syntaxique et lexicale de cégépiennes et cégépiens (non) francophones

Projet lancé au début de l’année 1999 par l’équipe de coresponsables du Caf du cégep du Vieux Montréal en collaboration avec le Département d’études françaises de l’Université Concordia, L’un n’apprend pas sans l’autre s’inscrit dans le cadre de la politique d’accueil et d’intégration des minorités ethniques mise de l’avant par le ministère de l’Éducation. L’un des deux volets du projet poursuit les travaux de recherche menés au début des années 1990 par Claire Brouillet et Damien Gagnon en s’attardant cette fois aux productions d’élèves non francophones.

Depuis un an, compressions budgétaires et questionnement pédagogique invitent de façon encore plus marquée qu’auparavant les trois coresponsables et l’équipe des monitrices et moniteurs du Caf à la réflexion. Les ressources humaines, financières et matérielles disponibles ne permettant pas de tenir compte de toutes les caractéristiques de la clientèle étudiante, une seule formule avait toujours été offerte : garçons (43,1 p. 100 de la clientèle), filles (56,9 p. 100 de la clientèle), francophones (75,3 p. 100 de la clientèle), non francophones (24,7 p. 100 de la clientèle) recevaient au Caf de l’aide individuelle d’un pair. À cette réalité s’ajoutent le désir d’accroître l’apport des élèves non francophones à la valorisation de la langue française écrite ainsi que la volonté de permettre aux élèves francophones et non francophones, d’une part, de mettre en commun leurs connaissances en langue écrite et, d’autre part, de s’entraider.

Le projet intitulé L’un n’apprend pas sans l’autre, mené par le Caf pendant la session d’hiver de 1999 grâce à une subvention obtenue dans le cadre du programme d’accueil et d’intégration des minorités ethniques au collégial du ministère de l’Éducation, a été préparé afin de mettre au point des moyens à l’intention des élèves non francophones. Deux partenaires extérieurs y ont participé, soit les linguistes Aimé Avolonto, professeur adjoint au Département d’études françaises de l’Université Concordia, et Annie Desnoyers, alors collaboratrice au projet de tests diagnostiques dans Internet du Centre collégial de développement de matériel didactique et maintenant au service d’Alis Technologies, leader mondial dans le domaine des logiciels de traduction.

Deux volets composaient le projet : le recrutement d’élèves non francophones pour le cours de formation des monitrices et moniteurs et un groupe de travail sur l’aide à apporter aux élèves non francophones fréquentant le Caf. Ce dernier groupe a rapidement été scindé en deux sous-groupes. Le premier de ces sous-groupes a mis sur pied des activités à l’intention des élèves non francophones du Cégep, soit les lundis inédits et les mercredis dulcinés ; le second a procédé à une étude de textes visant à évaluer la maturité non seulement syntaxique mais également lexicale des élèves non francophones qui fréquentent le Caf. Cette étude vise entre autres une comparaison avec les résultats de La maturation syntaxique au collégial et les structures de base de la phrase[1] ainsi qu’une évaluation des outils utilisés et de l’approche préconisée par le Caf. Les résultats attendus différaient de ceux obtenus en 1988 par Brouillet et Gagnon dans la mesure où le second corpus rendait compte du profil grammatical d’élèves inscrits au Caf en raison de leur besoin d’améliorer leur compétence linguistique et non de celui d’élèves inscrits dans des cours de la formation générale ou spécifique.

Vingt-trois textes d’entrée d’élèves inscrits au Caf ont été choisis au hasard parmi les quelque 100 textes à notre disposition au moment de la constitution du corpus : 19 textes d’élèves non francophones dont nous savions qu’ils parlaient une langue autre que le français à la maison (nous ne savions pas depuis combien de temps ces élèves parlaient français ou étudiaient en français) et 4 textes d’élèves francophones (ce qui permettait, même à petite échelle, de comparer avec les résultats obtenus en 1988). Deux dissertations rédigées par des monitrices du Caf dans le cadre de l’épreuve uniforme de français ont servi à évaluer la maturité lexicale d’un bon scripteur ayant satisfait aux exigences du MEQ en ce qui concerne la compétence langagière au terme d’au moins trois sessions d’études collégiales. L’ensemble de ce corpus, même restreint, témoigne de façon satisfaisante de la maturité linguistique des cégépiennes et cégépiens (non) francophones fréquentant le Caf.

De quelques observations en ce qui a trait à la maturité syntaxique et aux structures de base de la phrase

Première mesure de la maturité syntaxique, l’unité de communication a été étudiée de manière à en calculer le nombre moyen de mots. Trois définitions sont retenues pour la délimiter : proposition indépendante avec chacun de ses modificateurs (définition des chercheurs américains en 1962) ; unité syntaxique susceptible d’être terminée par un point final (« T-Unit » de Hunt) ; structure composée de deux groupes de base fixes et essentiels — le syntagme nominal sujet et le syntagme verbal — et pouvant comporter un groupe mobile et facultatif — le syntagme circonstanciel de phrase (définition Brouillet/Gagnon). Sa longueur est identique chez les deux groupes : francophones et non-francophones rédigent des phrases de 14 mots. Ces unités, légèrement plus courtes que celles produites par les élèves ayant participé à la première recherche, représentent à peine plus de la moitié (56 p. 100) de la longueur moyenne des unités rédigées par les journalistes dont les textes ont été analysés en 1988.

Deuxième mesure de la maturité syntaxique retenue, seul groupe facultatif de la phrase, le mobile est un complément circonstanciel de l’énoncé qui se déplace dans toute la phrase (Paret parle d’une « mobilité totale sous P ») ou, au moins, en deux des six positions possibles sans changer le sens de la phrase ni introduire d’ambiguïté. Son taux d’utilisation, chez les élèves non francophones, est identique à celui remarqué chez les élèves de première collégiale dans la première recherche, soit 0,9 mobile par unité de communication. Les résultats diffèrent toutefois en ce qui a trait aux positions dans lesquelles se retrouvent ces mobiles : 37,8 p. 100 sont placés en première position ; 20,3 p. 100, en quatrième position ; 34 p. 100, en sixième position. Les élèves non francophones varient donc davantage que les francophones les positions des mobiles. De plus, ils utilisent les positions internes dans 28,2 p. 100 des cas contre 16,1 p. 100 chez les francophones. Cette utilisation des positions internes est très semblable à l’emploi que font les journalistes de ces positions, utilisées dans 26,9 p. 100 des cas.

Dans les textes des élèves francophones, les mobiles reviennent à raison de 0,6 mobile par unité de communication. Ils sont placés en première position dans 66,7 p. 100 des cas, en deuxième position dans 6,7 p. 100 des cas et en troisième position dans 16,6 p. 100 des cas. L’utilisation des mobiles en tête de phrase reste importante.

Au cégep du Vieux Montréal, la compétence linguistique des élèves est évaluée entre autres à l’aide de leur fréquence d’erreurs. Cette dernière se calcule en divisant le nombre de mots par le nombre d’erreurs. Par exemple, la fréquence, pour un texte de 100 mots qui compte 10 erreurs, s’élève à 10, c’est-à-dire que la personne qui l’a écrit fait une erreur tous les 10 mots.

La fréquence d’erreurs des élèves non francophones est de 4,3 ; celle des élèves francophones est de 6,6. Une première analyse du profil d’erreurs révèle que les erreurs de structure syntaxique représentent 25 p. 100 de l’ensemble des erreurs pour chacun des deux groupes ; les erreurs de ponctuation, 18 p. 100 pour les non-francophones et 15 p. 100 pour les francophones ; les erreurs reliées aux syntagmes nominaux, 11 p. 100 pour les non-francophones et 10 p. 100 pour les francophones ; les erreurs liées aux syntagmes verbaux, 10 p. 100 pour chacun des deux groupes ; les erreurs de nature lexicale, 18 p. 100 pour les non-francophones et 25 p. 100 pour les francophones ; les erreurs d’orthographe, 18 p. 100 pour les non-francophones et 15 p. 100 pour les francophones. L’ensemble de toutes les erreurs de nature lexicale (impropriétés, niveau de langue inapproprié, répétition abusive, etc.) représente 28,5 p. 100 du nombre total des erreurs faites par les élèves non francophones et 36,1 p. 100 du nombre total des erreurs faites par les élèves francophones.

La maturité lexicale a fait ici l’objet d’une première étude. La liste exhaustive des mots utilisés par chaque élève a été dressée. Ces listes ont permis de calculer les occurrences, le pourcentage de mots différents utilisés de même que le pourcentage de mots mal utilisés. Les sujets abordés dans ces textes étant très différents les uns des autres, les consignes données aussi, aucune étude de la qualité du vocabulaire n’a été possible à partir du corpus constitué.

Les élèves non francophones utilisent des mots différents 52,9 p. 100 du temps, c’est-à-dire plus souvent que une fois sur deux, et 14,7 p. 100 des mots sont mal employés. Les élèves francophones utilisent moins de mots différents, 43,6 p. 100, et le pourcentage de mots qu’ils emploient incorrectement s’élève à 11,6 p. 100. Quant aux monitrices, leur texte révèle un taux d’utilisation de mots différents dans une proportion de 50,1 p. 100, et un pourcentage d’erreurs de l’ordre de 0,5 p. 100.

De l’aide en français dans la perspective de la maturation lexicale et syntaxique

La recherche réalisée pendant l’année scolaire 1988-1989 a montré que la maturation syntaxique, au sens de l’appropriation des stratégies syntaxiques de la langue, est à peu près inexistante pendant le cours collégial. Cette recherche a servi à étudier six mesures des structures significatives dont trois apparaissent particulièrement fécondes pour l’enseignement du français, soit le nombre moyen de mots par unité de communication, la fréquence et la position des mobiles et la fréquence et la structure des syntagmes nominaux. Cette recherche a conduit à la publication de matériel didactique favorisant la maturation syntaxique et à la définition d’une méthode d’autocorrection de la langue écrite enseignée, au centre d’aide en français du cégep du Vieux Montréal, par des élèves — les monitrices et moniteurs — à d’autres élèves[2].

La réalité multiculturelle de la communauté étudiante de notre établissement invite à la remise en question des approches pédagogiques sous l’angle de la composition multiethnique et multilinguistique de cette communauté. Le projet pédagogique du cégep du Vieux Montréal, dans lequel l’entraide figure comme une valeur dominante, invite quant à lui à l’éducation interculturelle. L’enseignement du français participe de cette éducation interculturelle. La recherche amorcée à l’hiver de 1999 a permis, d’une part, de s’interroger sur la pertinence des mesures utilisées et, peut-être, d’autre part, de contrer certains préjugés entretenus à l’égard des élèves non francophones. Ainsi, cette recherche montre que les profils d’erreurs des élèves francophones et non francophones qui fréquentent notre centre d’aide en français sont semblables mais que, contrairement à notre hypothèse de départ, les élèves non francophones font moins d’erreurs de nature lexicale que leurs consoeurs et confrères francophones. Par conséquent, l’utilisation d’une même méthode, centrée sur le repérage, l’explication et la correction des erreurs, reste justifiée[3]. Grâce au travail de dépouillement des textes effectué, la réorientation de l’aide de manière à favoriser la maturation lexicale se révèle toutefois nécessaire.

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  1. Claire Brouillet et Damien Gagnon, La maturation syntaxique au collégial et les structures de base de la phrase, Montréal, cégep du Vieux Montréal, 1990, 156 p. Retour
  2. Claire Brouillet et Damien Gagnon, Le mentor, Laval, éditions Beauchemin ltée, 1995, 200 p. et Le mentor : cahier d’exercices, Laval, éditions Beauchemin ltée, 1995, 116 p. Retour
  3. Lire entre autres Damien Gagnon, « La maturité syntaxique », dans Correspondance, vol. 3, no 4, avril 1998, p. 3-9. Retour

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