Formation spécifique: accompagner les étudiants dans la production de leurs textes
Produire un texte selon les conventions d’écriture propres à un genre textuel[1] est une habileté qui se développe avec le temps et la pratique. Cette habileté, les élèves qui terminent leur secondaire ne l’ont pas forcément acquise : chaque palier de scolarité pose de nouvelles exigences et chaque discipline scolaire offre à lire et à écrire des textes qui lui sont spécifiques (Barré-De Miniac et Reuter, 2006; Blaser et Erpelding-Dupuis, 2010). Le genre textuel correspond à un savoir disciplinaire. Les enseignants et enseignantes, en tant que spécialistes du contenu de leur domaine, sont aussi des experts – par défaut, diront certains – des textes qu’ils font lire et produire. Ainsi, ils sont les mieux placés pour expliciter les conventions d’écriture propres aux genres d’écrits demandés dans leurs cours. Or, reconnaitre, d’une part, les caractéristiques du genre disciplinaire et orienter conséquemment, d’autre part, la tâche rédactionnelle des élèves représentent souvent un défi. Le cours DID875 – Accompagner l’écriture des genres de texte dans sa discipline, issu du projet Écrits en chantier (voir l’encadré à ce propos en fin d’article), vise justement à soutenir les enseignants d’établissements collégiaux non spécialistes de la langue qui souhaitent enrichir leur pratique en ce sens.
Nous présentons dans ce premier article les objectifs du cours DID875 et la composition de la première cohorte d’enseignants et enseignantes qui l’ont suivi, puis nous décrivons le déroulement de l’expérience. L’appréciation de la formation par les participants et les changements conceptuels observés feront l’objet d’un second article à venir en avril.
Les objectifs de la formation
Le cours DID875 s’appuie sur les savoirs disciplinaires et les pratiques enseignantes en vue d’aider les participants, en premier lieu, à préciser leurs exigences quant à un genre de textes propre à leur discipline et, en second lieu, à développer un mode d’accompagnement plus stratégique de l’écrit dans leur classe. La première édition de la formation a donné lieu à diverses activités pédagogiques organisées en quatre volets, chacun assorti d’un objectif (figure 1).
Objectifs du cours DID875
Les participants
Neuf enseignantes et enseignants de la formation spécifique et de la formation générale ont suivi le cours DID875, de janvier à mars 2016. Soutenues par une plateforme Moodle, les activités se sont entièrement déroulées en ligne. Les participants avaient la possibilité de travailler sur l’un des genres d’écrits suivants : le rapport de laboratoire, le rapport de recherche, le compte rendu critique, le document technique, le rapport d’intervention, l’argumentaire de projet, le rapport de stage. Malgré la diversité des disciplines enseignées par ces neuf personnes, deux genres textuels ont eu la cote, soit le rapport de stage et le rapport de laboratoire (tableau 1).
Programmes d’enseignement des participants au cours DID875 et genres textuels choisis
Pas à pas dans la formation
Afin d’atteindre les objectifs de la formation, la démarche en quatre volets comportait une progression, chaque volet donnant lieu à de nouveaux apprentissages et préparant ceux à réaliser ultérieurement.
Volet 1 : Comprendre l’importance de son rôle auprès de ses étudiants dans l’appropriation des écrits propres à sa discipline
Le premier volet s’est déroulé en deux parties. L’objectif de la première était d’explorer les conceptions associées à l’écriture et de les déconstruire au besoin. Pour ce faire, les participants ont d’abord été invités à rédiger leur histoire de scripteur ou de scriptrice en illustrant les éléments clés de leur parcours personnel ou professionnel qui colorent leur rapport à la langue écrite. Par la suite, ils ont eu à se prononcer sur certains mythes entourant l’enseignement de l’écrit, son apprentissage et ses usages. En guise de synthèse, une capsule vidéo d’un entretien avec le professeur Olivier Dezutter, didacticien du français, leur a été présentée. M. Dezutter reprend dans cette entrevue les principaux sujets abordés au cours de la première partie du volet 1, offrant aux participants ainsi un regard plus général sur l’enseignement et l’apprentissage de l’écriture au collégial et sur le rôle des enseignants des disciplines autres que « français » dans l’encadrement des activités rédactionnelles.
La seconde partie du volet 1 visait à susciter la réflexion de chacun et chacune sur sa propre pratique d’enseignement. Au moyen d’un forum en ligne, les participants ont échangé des idées sur les qualités d’un texte exemplaire du genre ciblé dans leur discipline, sur leur représentation du soutien à offrir aux étudiants dans leurs activités de rédaction, et enfin, sur ce qu’ils font en ce sens en classe. Enfin, pour conclure le volet et ouvrir la voie aux volets 2 et 3, les participants se sont familiarisés avec quelques notions et contenus exposés dans un document Prezi, soit le processus d’écriture et ses étapes, puis avec quelques stratégies d’écriture et modalités d’accompagnement.
Volet 2 : Reconnaitre et dégager les caractéristiques d’un genre de texte propre à sa discipline
Les activités du volet 2 visaient à amener les participants 1) à se familiariser avec la notion de genre textuel et à reconnaitre les caractéristiques qui s’y rapportent et 2) à approfondir l’étude du genre choisi.
Dans un premier temps, la lecture de textes sur les caractéristiques à considérer dans une approche du texte par genre (figure 2) a mené à l’élaboration d’une grille d’analyse sommaire reprenant ces éléments.
Caractéristiques du genre textuel (adapté de Chartrand, Émery-Bruneau et Sénéchal, 2015)
Les participants ont ensuite expérimenté la grille d’analyse à l’aide d’un exemple de procès-verbal, un genre textuel familier à tout enseignant. Cet exercice difficile les a conduits au constat suivant : si eux-mêmes peinent à reconnaitre les caractéristiques fondamentales d’un genre connu (et vraisemblablement à les mettre en œuvre au moment de l’écriture), il en va de même pour leurs étudiants, qui peuvent se sentir démunis lorsque confrontés à la rédaction de nouveaux genres disciplinaires (Libersan, 2010).
Le document Zone profs du matériel Stratégies d’écriture dans la formation spécifique (Libersan, 2012) décrit succinctement 10 genres de textes en usage dans les programmes de formation spécifique. La consultation de cette ressource destinée aux enseignants du collégial a aidé les participants à identifier le genre textuel principalement en usage dans leur discipline. Un questionnaire les a ensuite amenés à reconnaitre les caractéristiques du genre en question et à enrichir leur grille préliminaire.
Volet 3 : Connaitre les principes didactiques d’encadrement des tâches d’écriture
Les participants ont d’abord été invités à présenter de façon schématique (sous forme de tableau, de carte conceptuelle, etc.) les actes pédagogiques qu’ils accomplissent pour encadrer les tâches d’écriture, d’une part, et les modalités d’accompagnement qu’ils souhaitent développer pour bonifier leur pratique, d’autre part. La consultation des représentations visuelles de leurs pairs a ensuite alimenté des échanges sur un forum en ligne. En plus d’enrichir mutuellement les pratiques d’accompagnement, ce partage de stratégies a aussi été l’occasion de reconnaitre les efforts nombreux et variés déployés par les enseignants pour soutenir les étudiants dans leurs tâches d’écriture : fournir une grille de révision, un lexique ou un guide de rédaction, allouer une période de préparation à la rédaction, etc.
À la lumière de ces considérations, les participants ont ensuite exploré quatre modalités d’accompagnement courantes[2] de l’étudiant à l’écrit, à savoir :
- l’énonciation des exigences d’écriture dans une consigne;
- l’utilisation d’un texte modèle ou d’un contrexemple pour illustrer les attentes;
- la conception d’une grille de révision ou de vérification ciblant les principales attentes;
- l’encouragement à recourir à des outils de rédaction tels le dictionnaire et les correcteurs.
L’exercice proposé consistait en l’analyse d’une consigne d’écriture et d’un texte d’étudiant (un rapport d’intervention) comportant – tous deux – des défauts. Les participants devaient d’abord relever les maladresses dans le texte, puis cerner les indications inadéquates de la consigne et en proposer une nouvelle qui tienne compte des caractéristiques du genre textuel en question. Enfin, en s’inspirant des fascicules du matériel Stratégies d’écriture dans la formation spécifique (Libersan, 2012), ils devaient recommander des activités à l’étudiant fictif pour l’aider à corriger les principales « infractions » aux conventions d’écriture observées dans le texte.
Volet 4 : Dresser le bilan des apprentissages et du matériel pédagogique conçu dans le cadre du cours
À la fin de la formation, les participants ont eu à dresser un bilan comportant trois éléments : une réflexion personnelle sur les apprentissages réalisés et les retombées anticipées de ceux-ci dans leur pratique enseignante, une synthèse des défis d’écriture propres au genre textuel en usage dans leur discipline ainsi que le matériel développé dans le cadre du cours pour les relever.
Les objectifs spécifiques des quatre volets ainsi que les stratégies mises en œuvre pour les atteindre sont exposés de façon synthétique à la fin du présent article (tableau 2).
Nos observations durant la formation, de même que les remarques de la première cohorte d’enseignants et enseignantes qui l’a suivie, confirment son bienfondé. Les principes didactiques et pédagogiques qui sous-tendent la conception du cours DID875 – Accompagner l’écriture des genres de textes dans sa discipline – soit, essentiellement, adopter l’approche par genre, reconnaitre les savoirs disciplinaires et les pratiques enseignantes et encourager les échanges entre pairs – ont certainement disposé les enseignants à s’impliquer dans les activités proposées et à s’investir dans leurs apprentissages. Des améliorations seront certes apportées au cours, mais tout indique qu’il a su répondre à des besoins – ou du moins, rejoindre des préoccupations. Il aura assurément amené les participants à saisir l’importance de leur rôle dans l’accompagnement des étudiants à l’écrit, il aura même contribué à un changement conceptuel de leurs pratiques. Ces deux derniers aspects de l’expérience feront l’objet d’un second article à paraitre en avril, où ils seront détaillés et illustrés.
Rappelons finalement que l’expérience de formation partagée dans ce premier article (et le prochain) est l’un des fruits du travail de l’équipe d’Écrits en chantier et un des prolongements du projet Stratégies d’écriture dans la formation spécifique. Nous espérons que cette contribution sera utile aux intervenants du réseau collégial soucieux de soutenir la valorisation de la langue écrite dans la formation spécifique.
Objectifs spécifiques des quatre volets du cours DID875 et stratégies pédagogiques
- Rédaction de son histoire personnelle de scripteur ou de scriptrice
- Prise de position face à des conceptions sur l’écriture
- Lecture sur le rapport à l’écrit
- Visionnement d’une capsule : Entrevue avec Olivier Dezutter
- Échange sur les qualités d’un bon texte dans sa discipline
- Lecture et visionnement d’une capsule sur le processus d’écriture
- Lecture sur le genre textuel
- Création d’une grille (évolutive) d’identification des caractéristiques langagières d’un genre textuel
- Validation de la grille avec un texte-exemple (procès-verbal)
- Échange et bonification de la grille
- Lecture sur les différents genres textuels
- Identification du genre textuel en usage dans sa discipline
- Reconnaissance des caractéristiques propres au genre textuel en usage dans sa discipline
- Questionnement et échange sur les modalités d’accompagnement
- Réflexion sur ses propres gestes pédagogiques
- Exploration de modalités d’accompagnement courantes
- Lecture et visionnement de capsules théoriques
- Identification des défis d’écriture que pose le genre textuel en usage dans sa discipline
- Détermination de stratégies d’accompagnement à développer et à exploiter dans sa discipline
- Échange et entraide entre collègues
Écrits en chantier en bref
Le projet Écrits en chantier est issu d’un programme de collaboration universités-collèges (Chantier 3). Financé par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie (MESRST) de 2012 à 2016, il a été porté par une équipe constituée d’enseignants du collégial ainsi que de professeurs et d’étudiantes de l’Université de Sherbrooke*. Les activités visaient principalement deux objectifs :
- Élaborer diverses formations destinées à des enseignants de cégeps qui souhaitent s’outiller pour accompagner leurs étudiants dans la production des genres textuels propres à leur discipline
- Former des membres de l’équipe pour offrir les formations (Blaser, 2013)
La pérennité du projet est maintenant assurée par différents formats d’ateliers « clés en main » promus par l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC) et par le cours DID875 – Accompagner l’écriture des genres de texte dans sa discipline (1 crédit), offert dans le programme de formation de deuxième cycle pour les enseignants du collégial (PERFORMA, Université de Sherbrooke). Les ateliers et le cours s’appuient en partie sur le matériel Stratégies d’écriture dans la formation spécifique (Libersan, 2012), une collection de 10 fascicules portant chacun sur un genre de texte en usage dans un ou plusieurs programmes du collégial.
Stéphanie Lanctôt, ancienne membre d’Écrits en chantier, offre le cours DID875 depuis janvier 2016. Le présent article rend compte de cette première expérience.
Références bibliographiques
BARRÉ-DE MINIAC, C., et Y. REUTER (2006). Apprendre au collège dans les différentes disciplines, Paris, INRP.
BLASER, C. (2013). « Un “Chantier 3” pour soutenir le développement des compétences en lecture et en écriture dans toutes les disciplines au collège et à l’université », Correspondance, vol. 18 no 2, p. 18 à 20, [En ligne], [http://correspo.ccdmd.qc.ca/index.php/document/hors-des-sentiers-battus/un-chantier-3-pour-soutenir-le-developpement-des-competences-en-lecture-et-en-ecriture-dans-toutes-les-disciplines-au-college-et-a-luniversite]. (Consulté le 13 novembre 2016).
BLASER, C., et P. ERPELDING-DUPUIS (2010). « Cours d’appropriation des écrits universitaires : de l’analyse des besoins à la mise en œuvre » dans BLASER, C., et M.-C. POLLET, éd. L’appropriation des écrits universitaires, Namur, Presses universitaires de Namur, p. 127-152.
CHARTRAND, S.-G., J. ÉMERY-BRUNEAU et K. SÉNÉCHAL (2015). Caractéristiques de 50 genres pour développer les compétences langagières en français, Québec, Didactica, [En ligne], [http://www.enseignementdufrancais.fse.ulaval.ca/fichiers/site_ens_francais/modules/document_section_fichier/fichier__a0567d2e5539__Caracteristiques_50_genres.pdf]. (Consulté le 13 novembre 2016).
LIBERSAN, L. (2010). « “Stratégies d’écriture dans les cours de la formation spécifique” : pourquoi une approche par genres? », Correspondance, vol. 16 no 1, p. 6 à 10, [En ligne], [http://correspo.ccdmd.qc.ca/index.php/document/des-propositions-pour-renforcer-la-maitrise-de-la-langue-par-les-cegepiens/strategies-decriture-dans-les-cours-de-la-formation-specifique-pourquoi-une-approche-par-genres]. (Consulté le 13 novembre 2016).
LIBERSAN, L. (2012). Stratégies d’écriture dans la formation spécifique, Montréal, Centre collégial de développement de matériel didactique, [En ligne], [http://www.ccdmd.qc.ca/fr/strategies_ecriture]. (Consulté le 13 novembre 2016).
- Un genre textuel est un « ensemble de productions langagières orales ou écrites qui, dans une culture donnée, possèdent des caractéristiques communes d’ordres communicationnel, textuel, sémantique, grammatical, graphique ou visuel et/ou d’oralité, souples mais relativement stables dans le temps » (Chartrand, Émery-Bruneau et Sénéchal, 2015, p. 3). [Retour]
- Le choix de ces actions se fonde sur des données recueillies lors de forums de discussion portant sur les mesures d’accompagnement de l’écrit dans des programmes techniques du collégial. Ces forums, menés par Lucie Libersan et Jean-Philippe Boudreau, membres d’Écrits en chantier, ont eu lieu en 2013 et se sont tenus dans les cégeps suivants : Sherbrooke, LaSalle, Limoilou et Trois-Rivières. [Retour]
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