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«Stratégies d’écriture dans les cours de la formation spécifique»: pourquoi une approche par genres?

«Stratégies d’écriture dans les cours de la formation spécifique»: pourquoi une approche par genres?

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e projet Stratégies d’écriture dans les cours de la formation spécifique vise la valorisation du français écrit dans toutes les disciplines du collégial. Le présent article expose les principes qui ont présidé à sa conception ; dans le numéro de janvier, nous décrirons l’approche méthodologique adoptée pour la recherche préalable réalisée de l’automne 2008 à l’hiver 2010 et ferons état des résultats dans les grandes lignes. Le projet est en cours de réalisation ; en diffusant ces informations avant que le matériel ne soit achevé, nous souhaitons mettre le réseau au fait de nos travaux et, éventuellement, enrichir nos collaborations avec des collègues des différentes disciplines.

Ce texte reprend, en les précisant, plusieurs points déjà abordés dans un article de Correspondance[1] ainsi que dans les présentations données aux colloques du Carrefour de la réussite, de l’Intercaf et de l’AQPC au printemps 2010.

En quelques mots

Stratégies d’écriture dans les cours de la formation spécifique est un projet de matériel pédagogique s’adressant prioritairement aux professeurs dont l’enseignement du français n’est pas la spécialité et aux élèves du collégial. Le projet, soutenu dans un premier temps par le collège Ahuntsic, est supervisé depuis sa création par l’équipe de l’Amélioration du français du CCDMD. C’est Robert Claing qui, avec ma complicité, en a été l’instigateur : après 35 ans d’enseignement au Département de français et de lettres du collège Ahuntsic, il souhaitait léguer à ses collègues de la formation spécifique du matériel pédagogique qui puisse les aider à encadrer les élèves dans leurs tâches de rédaction. Son initiative était portée par la conviction que la valorisation du français est « l’affaire de tous », et motivée également par la rareté du matériel pédagogique visant le perfectionnement des habiletés rédactionnelles dans les différentes disciplines[2].

Soucieux de cerner les enjeux communicatifs des différentes situations d’écriture, nous avons mis l’accent sur les caractéristiques des genres de textes en usage dans le cursus collégial. Cette approche se fonde sur un principe selon lequel la situation de communication et les conventions propres au genre de discours déterminent la mise en œuvre des compétences langagières. Le matériel que nous proposerons prendra la forme de fascicules conçus pour une consultation autonome, ne nécessitant pas d’interventions en classe et disponibles à la carte, en format PDF, dans la section Amélioration du français sur le site du CCDMD. Les fascicules offriront des informations et des activités sur les formes linguistiques, textuelles et discursives les plus sollicitées par différents genres de textes écrits dans les cours. Les élèves pourront les consulter pour se préparer à la rédaction et les enseignants, pour orienter ou préciser leurs consignes. Comme le matériel interviendra en amont de la correction, il servira à attirer l’attention sur des aspects typiques du genre à produire et à orienter la révision textuelle. L’approche est donc complémentaire à celle qui préside au Détecteur de fautes (sur le site du CCDMD) ou à des activités centrées sur la détection et l’autocorrection des erreurs les plus fréquentes.

Dans le présent article, il a semblé à propos de recourir à des exemples pour illustrer les principes qui sous-tendent notre projet. Une version plus détaillée du cadre théorique et méthodologique peut toutefois être consultée dans le Rapport 2009-2010 à l’adresse suivante : ccdmd.qc.ca/fr/ouvrages_theoriques/.

Une leçon de modestie

On enseigne au cégep. Toute la journée, on s’affaire à écrire au tableau, à préparer des cours, à annoter des copies. Écrire est une habitude vite acquise, l’aisance et le sentiment de compétence s’accentuant avec l’usage. Si bien qu’on s’explique difficilement le malaise ressenti lorsque revient la corvée de secrétaire d’assemblée, imposée à tour de rôle. La lourdeur du pensum est en cause, sans aucun doute : rédiger un procès-verbal ne figurera jamais au palmarès des activités épanouissantes. Mais il y a aussi, et cela ne va pas sans heurter l’amour-propre, la difficulté d’écrire le texte : on a assisté aux échanges, on y a même participé, pourtant rien ne semble moins naturel que de les transcrire dans la forme conventionnelle attendue. Il existe des modèles disponibles en cas de panne ; malgré tout, l’obligation d’éviter toute forme de subjectivité, le laborieux dosage du discours indirect et des tournures impersonnelles (X dit que, Y répond que, il est proposé que), la rigidité des formules traditionnelles (sur proposition de madame X, appuyée par monsieur Y), le souci de rapporter fidèlement les échanges sans froisser les protagonistes, tout cela, conjugué à l’ennui, gêne la rédaction. Sans doute existe-t-il des experts du procès-verbal capables d’expédier la besogne élégamment et sans trop d’efforts ; mais pour l’enseignant moyen qui est de corvée une fois toutes les deux ou trois sessions, qui écrit et lit peu de procès-verbaux, l’exercice donne à penser qu’une grande habitude de la langue écrite ne garantit pas une égale aisance dans n’importe quelle situation. Car franchement, on se sent gauche.

Transposons. Pendant leurs deux ou trois années d’études collégiales, les élèves écrivent continuellement. Faisant face à des situations d’écriture plus exigeantes que ce qu’ils ont connu au secondaire, ils se familiarisent avec des genres de textes relativement nouveaux – la dissertation, le rapport de stage –, sinon carrément inconnus – on pense à toutes les formes de rédaction technique –, ou en redécouvrent certains, comme le rapport de laboratoire, dont la forme et le contenu se complexifient considérablement. Il est donc peu probable qu’une majorité d’élèves, même avec une bonne formation de base, se sentent parfaitement à l’aise chaque fois qu’ils ont un texte à rédiger : d’une manière générale, ils répondent à des exigences raisonnablement élevées de manière satisfaisante, tout en commettant des maladresses. Généralement laissés à leur seule intuition, ils n’ont vraisemblablement pas le temps, en quatre ou six sessions, de devenir des scripteurs experts en toutes circonstances. Inutile d’alléguer les lacunes de notre système d’enseignement, l’ignorance endémique ou la paresse intellectuelle (le frère Untel l’a fait il y a 50 ans, de toute façon) : si des enseignants aguerris peinent parfois à rédiger des documents administratifs, à plus forte raison des jeunes gens de 17-19 ans éprouveront des difficultés en se familiarisant avec les conventions d’écriture propres aux genres textuels en usage dans les différentes disciplines.

Qu’entend-on par genre ?

En désignant des formes d’expression propres à l’univers scolaire sous l’appellation de genres de textes, on retient la définition proposée par S.-G. Chartrand dans son ouvrage intitulé Progression dans l’enseignement du français langue première au secondaire québécois[3]. Loin de se limiter au domaine littéraire, mais ne l’excluant pas, le concept désigne, selon elle, « une forme langagière, orale ou écrite[4], relativement conventionnelle et stable dans le temps et dans une culture donnée, qui présente des caractéristiques de divers ordres ». Ces caractéristiques peuvent se rapporter, entre autres, à la situation de communication (locuteur, destinataire, temps, lieu), au type de discours dominant (descriptif, argumentatif, narratif, etc.), à la structure du texte (plan d’ensemble, structure des paragraphes, progression de l’information) et aux formes linguistiques proprement dites (constructions de phrases, vocabulaire, etc.).

Le genre est un produit entièrement culturel dont les caractéristiques se précisent à l’usage : il n’y a rien de spontané, par exemple, dans la structure et les formulations d’un procès-verbal. Pour en écrire un, il ne suffit pas de puiser librement dans ses connaissances linguistiques et de créer de toutes pièces un texte qui remplira cet office. En fait, il s’agit surtout de respecter des conventions : s’effacer en tant que locuteur, en évitant aussi bien l’emploi de la première personne que des termes traduisant des jugements de valeur, rédiger au présent, etc. On peut même supposer qu’il existe une « configuration » d’éléments[5] propres au procès-verbal, une sorte de cadre incluant des structures fréquentes (celles que nous avons mentionnées, mais probablement d’autres) et excluant des structures inusitées ou considérées comme inacceptables (l’emploi de la première personne, du vocabulaire subjectif, du passé simple). Tout genre possède ses règles ; ces dernières, on l’a dit, sont d’ordre discursif, textuel, linguistique. Sans les genres et leurs règles pour structurer la parole humaine, la communication serait impossible, nous dit Bakhtine[6]. On objectera que les scripteurs talentueux arriveront toujours à transgresser ces lois en insérant des structures originales, inusitées, voire délinquantes dans leurs écrits : un passé simple ironique – soyons fous – dans la conclusion du procès-verbal, pour suggérer subtilement le caractère épique de la réunion (L’ordre du jour étant épuisé, la réunion se termina à 22h30) ; un verbe de parole connoté pour souligner l’agressivité d’un échange : Monsieur X réplique (acceptable dans certains contextes) ; Monsieur X rétorque (plus risqué dans ce cadre formel). Tout le monde le dit, la transgression, c’est ce qu’on préfère ! Reconnaissons toutefois que pour transgresser les règles habilement – pour évaluer l’acceptabilité de répliquer et rétorquer, par exemple –, il faut savoir les appliquer.

En bref, le malaise éprouvé lorsque l’on tente de rédiger un texte appartenant à un genre que l’on connait[7] peu, qu’il s’agisse d’un procès-verbal, d’une dissertation ou d’un rapport de laboratoire, prouve que maitriser l’écrit exige davantage qu’une connaissance des règles générales de morphosyntaxe. On peut construire ses phrases à la perfection, orthographier correctement, et néanmoins écrire un procès-verbal maladroit. Bien écrire tient également à la compréhension de la portée discursive du texte, de même qu’à la maitrise de la structure textuelle et à l’emploi judicieux des formes linguistiques récurrentes déterminées par des conventions. On n’écrit pas un procès-verbal comme une dissertation, une dissertation comme un rapport de laboratoire. Les formes conventionnelles de ces genres peuvent être apprises ; en bonne logique, plus elles sont rendues explicites, plus il est facile d’en faire usage.

Le genre et l’évolution langagière

Reprenons l’exemple de notre mise en situation. En se familiarisant avec les conventions d’un genre qui lui est peu familier comme le procès-verbal, un scripteur expérimenté réinvestit ses connaissances dans un contexte nouveau, donc perfectionne ses habiletés en écriture ; à son corps défendant peut-être, il apprend. Si des adultes rompus à l’écriture continuent d’apprendre en expérimentant des situations d’écriture nouvelles, il est légitime, à plus forte raison, d’affirmer que la formation des cégépiens en langue écrite n’est pas achevée après le secondaire[8] ; au contraire, le défi qui leur est proposé prend des dimensions exponentielles, tant sont nombreux les contextes peu familiers où ils réutilisent leurs connaissances initiales. Nos élèves réalisent en deux ou trois ans des progrès importants – progrès qu’on a tendance à sous-estimer lorsqu’on limite l’appréciation de leurs compétences à l’évaluation de l’orthographe. Leur évolution, faite de réinvestissements et de découvertes, correspond à l’apprentissage « en spirales » que décrit S.-G. Chartrand dans Progression dans l’enseignement du français. Cette conception, dont nous nous inspirons dans le cadre de notre projet, définit le développement linguistique comme une série d’approfondissements plutôt que comme une accumulation de connaissances. Elle postule, par exemple, qu’un élève devient habile à manier la cohésion temporelle non pas une bonne fois pour toutes après avoir « épuisé le sujet » en deuxième ou troisième secondaire, mais plutôt graduellement, en portant son attention sur l’emploi des temps verbaux à différents moments de sa formation, dans des contextes de communication de plus en plus exigeants[9]. Une telle approche incite à fonder les activités de perfectionnement linguistique sur des situations de communication authentiques, en tenant compte des caractéristiques des genres et des exigences propres aux différents niveaux d’études ; au passage, elle enseigne également que la connaissance des normes grammaticales et orthographiques ne garantit pas à elle seule la compétence en écriture.

Pourquoi valoriser la langue écrite dans toutes les disciplines ?

En postulant une évolution langagière par « approfondissements successifs[10] », motivée par les exigences de la communication et les conventions des genres en usage, la conception « spiralaire » de l’apprentissage incite à cibler les interventions pédagogiques en fonction des connaissances véritablement pertinentes selon le contexte. Autrement dit, lorsqu’il s’agit d’amener les élèves possédant une formation de base à perfectionner leurs habiletés linguistiques, il est plus profitable d’étudier de manière approfondie quelques éléments linguistiques, textuels et discursifs, configurés en fonction des exigences de la communication et d’un certain nombre de conventions propres au genre étudié[11], que de survoler un grand nombre de règles de manière superficielle (ce qui n’exclut pas, bien entendu, que les élèves en difficulté révisent les règles de base en recourant aux différentes mesures d’aide disponibles). Comme l’usage des genres varie en fonction des disciplines, s’il y a des « configurations[12] » à connaitre pour les maitriser, l’idéal est de donner aux élèves la possibilité de parfaire cet apprentissage au sein des différentes disciplines du collégial, donc de faire participer l’ensemble de la communauté à la valorisation de la langue écrite.

Cela étant dit, il est clair que les collègues chargés de l’enseignement disciplinaire ne sont pas des didacticiens de la langue écrite et qu’il y a peu de place, dans les cours, pour des interventions d’ordre linguistique. Inviter les enseignants de la formation spécifique à participer au perfectionnement des habiletés en écriture ne revient donc pas à leur faire porter la responsabilité de la compétence, encore moins à exiger qu’ils encadrent un réapprentissage des bases grammaticales chez des élèves en grande difficulté : les activités particulières à la remédiation demeurent la spécialité et la responsabilité des enseignants du cours de « mise à niveau » et des intervenants dans les centres d’aide en français. La valorisation de la langue écrite, en fait, consiste surtout à faire en sorte que l’ensemble des enseignants y contribue en proportion de la place qu’occupe l’écriture dans les différentes disciplines. Ce que nous proposons aux enseignants de la formation spécifique en leur fournissant du matériel pédagogique en français axé sur les caractéristiques et les conventions des genres textuels en usage dans leurs disciplines respectives, c’est de contribuer à encadrer l’évolution des habiletés d’écriture chez les élèves. Il n’est pas question qu’ils y passent des heures en classe ; nous les invitons en fait à attirer l’attention des élèves, à l’aide d’outils pédagogiques, sur les structures et les conventions particulières aux genres. Cela pourra se faire au moment de remettre les consignes de rédaction d’un travail et prendre la forme de recommandations et de renvois au matériel pédagogique que nous proposerons, lequel comportera des informations sur les configurations propres aux genres, des exemples de textes d’experts avec repérage des éléments linguistiques, textuels et discursifs pertinents, des grilles d’autoévaluation, etc. Il ne s’agira donc pas pour les professeurs d’enseigner la langue, mais plutôt d’orienter la rédaction et la révision de telle manière que les « configurations » soient ciblées en fonction des besoins de la communication.

Policiers, procès-verbaux et participe passé

La recherche préalable à la production de matériel, réalisée de l’automne 2008 à l’hiver 2010, visait à déterminer les genres en usage dans la formation spécifique et à cibler, au moyen d’une méthode éprouvée, les structures linguistiques, textuelles et discursives propres à chacun d’eux. Les résultats de cette recherche seront présentés dans un prochain article. Je me contenterai pour le moment d’évoquer un bref exemple pour illustrer l’utilité d’observer les caractéristiques des genres afin d’orienter la rédaction et la révision linguistique.

Soit deux extraits de textes appartenant à des genres étudiés dans le cadre de notre recherche : le rapport d’intervention policière (figure1) et le procès-verbal (figure 2). Ce sont deux cas d’écrits officiels, à valeur légale, dans lesquels un locuteur (policier dans un cas, secrétaire d’assemblée dans l’autre) décrit un « évènement » de manière objective. Malgré ces points communs, ces deux genres ne « s’écrivent » pas de la même manière. Les recherches que nous avons effectuées permettent de cerner leurs caractéristiques avec précision et objectivité, comme on le verra dans un prochain article. Contentons-nous pour l’instant de constater à l’aide des exemples proposés que le rapport d’intervention est rédigé à la première personne, que les principales actions sont décrites au passé composé (l’antériorité étant exprimée par le plus-que-parfait et la simultanéité, par l’imparfait) et que les paroles du suspect sont reproduites dans des passages au discours direct.

« Enquête sur la capacité de conduite affaiblie »

[…]

De retour dans le local du technicien qualifié, celui-ci m’a fait signe qu’il était prêt à procéder. À ce moment, j’ai confirmé au sergent Veillette que le suspect avait été en observation constante et que celui-ci n’avait pas mangé, bu, fumé, éructé ou régurgité au cours des 20 dernières minutes. Par la suite, j’ai refait la lecture de l’ordre, de faire l’alcootest au suspect à l’aide de ma carte. Il était à ce moment 3h20. Il m’a répondu : « Ben oui, je vais souffler dans ton ballon, tu vas ben voir que je ne suis pas si soul que ça. »

Je me suis placé à gauche de lui pendant que le technicien faisait souffler M. Michaud dans l’appareil pour assurer sa sécurité. M. Michaud a dû s’appuyer les mains sur le comptoir des deux côtés de l’appareil afin de maintenir son équilibre. […]

Gouvernement du Québec (2007). Guide de présentation des rapports et des formulaires. Programme de formation initiale en patrouille-gendarmerie (4e édition). Québec, École nationale de police, p. 157.

Figure 1 Extrait d’un rapport d’intervention policière 

Procès-verbal d’une assemblée de l’Association des jeunes chambristes du Québec

[…]

Création d’un centre musical

Mme Morin présente son projet de création d’un centre musical pour enfants à Bois-Joli. Il est proposé par Mme Simard, appuyée par M. Lessard, que l’AJCQ présente des demandes de subvention à cet effet au ministère de la Culture et des Communications, ainsi qu’au Conseil des arts de Montréal.

La proposition est mise aux voix. Elle est adoptée par 6 voix contre 1, et 1 abstention. […]

Guilloton, N., H. Cajolet-Laganière (2005). Le français au bureau, 6e édition, Québec, Les Publications du Québec, p. 171.

Figure 2 Extrait d’un procès-verbal

Le locuteur du procès-verbal, pour sa part, recourt à des procédés permettant de s’effacer derrière les actions qu’il décrit, comme l’emploi de la forme passive ou de la tournure impersonnelle ; le texte est rédigé au présent, même si les actions décrites se sont produites dans un passé récent ; enfin – nous nous limiterons à ces observations –, il recourt au discours rapporté indirect (donc à la subordonnée complétive) pour rendre compte des interactions entre les membres de l’assemblée.

Étant donné les différences existant entre ces deux genres de textes, il conviendra dans notre matériel pédagogique d’insister sur des structures distinctes pour orienter la rédaction et la révision linguistique. Dans le cas du rapport d’intervention, il sera pertinent d’attirer l’attention des élèves sur la cohésion temporelle (y compris sur les ruptures qu’entraine l’emploi du présent dans le discours direct) et, puisque les temps composés sont fréquents, sur l’accord du participe passé. On fera également remarquer que le fait d’écrire à la première personne n’autorise pas à porter des jugements sur les faits décrits, donc qu’il est impératif de décrire même les choses les plus délicates en termes neutres (avouons qu’en ce sens, le passage cité est irréprochable). À titre de comparaison, le procès-verbal pose notamment des problèmes de syntaxe liés aux tournures passives et impersonnelles, et d’emploi du subjonctif lié à la fréquence de la subordonnée complétive. On attirera l’attention des élèves sur ces éléments, éventuellement sur l’accord du participe passé avec être (donc de l’attribut), mais beaucoup moins sur l’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire avoir. Laisser temporairement de côté ce cas d’accord du participe passé quand on doit écrire un texte au présent, cela semble aller de soi ; pourtant, nombre de manuels de rédaction comportant une section sur la langue écrite lui accordent une place prépondérante, sans mentionner que cette structure est d’importance secondaire dans un contexte de rédaction où le présent prédomine. Et la règle d’accord du participe passé avec avoir – véritable obsession normative, sans doute en raison de sa complexité – n’est qu’un exemple parmi d’autres de notions grammaticales qui, sans être également importantes dans tous les contextes, sont traitées comme des incontournables dans plusieurs ouvrages pédagogiques.

En somme, quand on fait écrire un texte d’un genre particulier dans un cours du collégial, on peut, comme le font certains manuels, donner aux élèves la consigne générale (un peu utopique, avouons-le) d’écrire « sans fautes ». Mais on peut aussi, de manière plus réaliste, orienter la révision sur des éléments dont l’importance est attestée dans ce genre ; c’est ce que nous proposons.

Conclusion

L’approche que nous privilégions dans le cadre de notre projet invite à aborder la valorisation de la langue écrite de manière stratégique : elle cible les remarques sur la langue en fonction des caractéristiques des genres textuels, dans des contextes où elles sont signifiantes ; elle intervient par ailleurs en amont de la correction, permettant en principe d’orienter la révision textuelle et complétant, sans les exclure, d’autres méthodes éprouvées comme l’autocorrection ciblée en fonction des erreurs les plus fréquentes. Cette approche jette également une autre lumière sur le rapport que les élèves du collégial entretiennent avec l’écrit : comme elle amène à comprendre que leur compétence langagière est en pleine évolution, elle invalide les jugements injustes que l’on peut formuler à l’égard de leurs performances rédactionnelles. Enfin – avantage non négligeable –, elle répartit la responsabilité de la compétence en langue écrite entre les principaux acteurs de la formation collégiale, plutôt que de la faire reposer uniquement sur les enseignants de français. Cela étant dit, bien que le matériel pédagogique projeté se fonde principalement sur une observation des pratiques d’écriture dans la formation spécifique, il pourra éventuellement se révéler utile dans les cours de la formation générale et dans les centres d’aide en français.

  1. R. CLAING et L. LIBERSAN, « Le français et la formation spécifique dans les programmes d’études. Projet de développement de matériel didactique », Correspondance, vol. 14, no 3, p. 20-21. [Retour]
  2. Pour plus de précisions, voir L.LIBERSAN (2010), Stratégies d’écriture dans les cours de la formation spécifique. Rapport 2009-2010, section 2.2 [Document interne]. [Retour]
  3. S.-G. CHARTRAND (2008), La progression dans l’enseignement du français langue première au secondaire québécois, Québec, Les publications Québec français, p. 11. [Retour]
  4. Dans le cadre de notre projet, nous nous limitons à la langue écrite ; nous sommes conscients toutefois que les élèves du collégial pourraient également bénéficier d’un soutien en communication orale. [Retour]
  5. Hypothèse défendue par J.-P. BRONCKART et collab. (1985) dans Le Fonctionnement des discours. Un modèle psychologique et une méthode d’analyse, Lausanne, Delachaux et Niestlé. Cet ouvrage a servi de modèle pour le cadre méthodologique de notre projet ; pour plus de précisions, voir le Rapport, section 3.2.4. [Retour]
  6. M. BAKHTINE (1984 [1979]), « Les genres de discours », dans Esthétique de la création verbale, traduit du russe par Alfreda Couturier, Paris, Gallimard, p. 263-308 ; voir aussi S.-G. CHARTRAND (2008), p. 13. [Retour]
  7. Ce texte est rédigé conformément aux rectifications orthographiques en vigueur. [Retour]
  8. En fait, on n’a jamais fini d’apprendre à écrire, comme le rappellent par exemple S.-G. CHARTRAND et C. BLASER (2009) dans « Étayer des activités de lecture et écriture dans toutes les disciplines scolaires », Québec français, no 154, p. 114-116. [Retour]
  9. Voir S.-G. CHARTRAND (2008), p. 32-37 : dans le « Tableau général de la progression », le système des temps verbaux est abordé à divers moments de la formation, sous divers angles, selon les genres étudiés. [Retour]
  10. Expression empruntée à S.-G. CHARTRAND (2008), p. 7. [Retour]
  11. Cette hypothèse des configurations linguistiques propres aux différents genres de textes est confirmée par Bronckart et collab. (1985). [Retour]
  12. Terme emprunté à J.-P. Bronckart et collab. (1985). [Retour]

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