Comment nos élèves révisent-ils l’accord du verbe pendant qu’ils écrivent?
On le sait, détecter ses erreurs dans ses textes est une activité fort complexe et exigeante, qui pose des difficultés à plusieurs élèves, encore au postsecondaire. Que ce soit en classe ou dans un centre d’aide en français, les personnes appelées à les soutenir dans le développement de cette compétence se posent fréquemment la question suivante : comment les aider à réviser leurs erreurs grammaticales dans leurs textes, après toutes ces années de scolarité? Pour mieux cerner le problème, il semble nécessaire de comprendre comment les étudiantes et étudiants procèdent lorsqu’ils révisent.
Cet article[1] se divise en deux grandes parties. Nous présentons d’abord les conclusions de l’expérimentation menée dans le cadre de notre maitrise en psycholinguistique (Marcotte, 2014). L’objectif de cette première partie est de décrire comment les étudiants du postsecondaire révisent l’accord du verbe dans leurs textes et de comprendre ce qui distingue ceux qui parviennent à effectuer des révisions réussies. La seconde partie met en lumière trois retombées de ces conclusions pour l’enseignement et l’apprentissage de la révision de l’orthographe grammaticale au collégial et à l’université tout en donnant, pour chacune, des exemples de moyens didactiques à utiliser dans le cadre d’un accompagnement individuel en français écrit.
Les procédures utilisées pour réviser l’accord du verbe
Plusieurs recherches ont été menées sur la production et la révision de l’accord à l’écrit en français (Largy, Cousin et Dédéyan, 2005). Elles ont étudié comment des scripteurs écrivent et révisent la marque du pluriel du nom (‒s), de l’adjectif (‒s) et du verbe (‒nt). Dans le cas de l’accord du verbe, les chercheurs ont ciblé la marque -nt des verbes réguliers conjugués à la troisième personne, selon qu’ils sont accordés au singulier ou au pluriel. Selon ces travaux, les élèves passeraient par trois grandes phases pour apprendre à accorder le verbe à l’écrit, et ces phases se succèderaient au cours de leur scolarité.
Phases de l’apprentissage de l’accord du verbe à l’écrit selon Largy, Cousin et Dédéyan (2005)
Phase 1 | Début du primaire | Les élèves écrivent des verbes sans y ajouter la marque du pluriel lorsque le sujet est pluriel; par exemple, leurs verbes ne se terminent pas, à la troisième personne, par -nt. Ils rédigent des phrases telles les suivantes (Largy et Dédéyan, 2002) : *Les poissons nage. *Les chanteuses tousse. |
Phase 2 | Fin du primaire et secondaire | La plupart du temps, les élèves écrivent des verbes qui ont la marque du pluriel lorsque le sujet est pluriel. Par exemple, leurs verbes se terminent, à la troisième personne, d’abord par la mauvaise marque du pluriel pour le verbe (-s), ensuite par la bonne marque (-nt). Pour accorder le verbe, ils utilisent généralement une procédure laborieuse, qui leur demande temps et énergie. |
Phase 3 | Postsecondaire | Les étudiantes et étudiants écrivent des verbes qui ont la marque du pluriel. Pour accorder le verbe, généralement, ils activent automatiquement la terminaison appropriée (-nt) en fonction du nombre du nom qui précède le verbe, ce qui peut les mener à produire des erreurs de proximité. |
Pendant ces trois phases, deux procédures distinctes seraient utilisées pour accorder le verbe : une procédure laborieuse et une procédure automatique.
La procédure laborieuse serait surtout employée par les élèves du secondaire (phase 2). Elle pourrait impliquer, par exemple, qu’ils identifient le groupe ayant la fonction de sujet, et ce, au moyen de plusieurs stratégies ou de divers critères : le mot qui fait l’action du verbe, le groupe de mots qui précède le verbe, le groupe de mots qui peut être encadré de c’est… qui ou de ce sont… qui, le groupe de mots qui peut être remplacé par un pronom tel que il, ils, elle, elles. Elle supposerait ensuite qu’ils déterminent le nombre de ce groupe ayant la fonction de sujet, puis qu’ils transfèrent le nombre du sujet (le donneur d’accord) au verbe (le receveur d’accord). Accorder le verbe au moyen de cette procédure exigerait donc de déployer des ressources cognitives et, par le fait même, d’investir temps et énergie dans la tâche. Résultat possible : un accord correct, mais aussi un accord incorrect. Les erreurs s’expliqueraient de diverses façons : une méconnaissance de la règle d’accord du verbe, un problème qui survient lors de l’application de la règle, le choix d’une marque plurielle inappropriée pour le verbe (par exemple, le -s), etc.
La procédure automatique serait surtout utilisée par les élèves du postsecondaire (phase 3). Après plusieurs années de lecture et d’écriture, leur cerveau aurait enregistré que, très fréquemment, dans les textes, la présence d’un -s à la fin d’un nom est associée à la présence d’un -nt à la fin du verbe qui le suit. Lorsqu’ils écrivent un verbe, leur cerveau pourrait ainsi se baser sur cette structure probabiliste du langage, qui permet d’accorder correctement le verbe la majorité du temps. Cela leur éviterait d’enclencher une procédure laborieuse qui demanderait temps et énergie, comme le feraient les élèves plus jeunes. Accorder ainsi le verbe automatiquement, c’est-à-dire très rapidement et sans y réfléchir, les aiderait, en situation d’écriture, à garder toutes leurs ressources cognitives pour penser, entre autres, au contenu du texte à écrire, à l’organisation des paragraphes et à la construction des phrases. Le verbe accordé au moyen de cette procédure automatique serait la plupart du temps écrit correctement, sauf dans les phrases où la structure la plus probable n’est pas présente, par exemple dans les phrases où le nom qui précède le verbe n’est pas le sujet. Ces dernières erreurs, dites de proximité, produites à l’occasion au postsecondaire, s’observent dans des phrases telles les suivantes (Fayol et Got, 1991; Fayol, Largy et Lemaire, 1994) :
Le loup voit des moutons. *Il les observent.
Revenons maintenant à notre question : comment les étudiants du postsecondaire révisent-ils l’accord du verbe? Les recherches résumées ci-dessus conduisent à la réponse suivante : pour accorder un verbe, ils recourraient à une procédure automatique qui les ferait écrire la marque -nt à la fin du verbe lorsque le mot qui le précède est pluriel, ce qui leur permet de réviser rapidement, efficacement et à faible cout. Deux questions demeurent.
Premièrement, ces étudiantes et étudiants utilisent-ils seulement cette procédure ou recourent-ils encore à celle qu’ils utilisaient au secondaire, notamment en identifiant consciemment le sujet du verbe, au moyen de critères soit syntaxiques, soit sémantiques? Des chercheurs (par exemple, Largy et Dédéyan, 2002) ont émis l’hypothèse qu’ils utiliseraient surtout la procédure automatique, mais aussi encore la procédure laborieuse. Toutefois, peu de détails sont donnés quant aux raisons de leur choix entre les deux : ils changeraient de procédure « lorsqu’une configuration d’accord parait suspecte » (Largy, Cousin et Dédéyan, 2005, p. 346).
Deuxièmement, procèdent-ils de ces façons pour réviser l’accord du verbe pendant qu’ils écrivent? En effet, les trois phases présentées ci-dessus ont été proposées par des chercheurs qui observaient des élèves et des étudiants dans des tâches décontextualisées[2].
Pour répondre à ces questions laissées en suspens, nous avons observé comment des étudiants révisaient l’accord du verbe pendant qu’ils écrivaient. Au total, 35 étudiantes et étudiants inscrits dans une université francophone dans un programme de baccalauréat menant à l’obtention d’un brevet d’enseignement ont écrit à l’ordinateur des phrases dictées. Pendant qu’ils écrivaient, les pauses et les modifications qu’ils effectuaient étaient enregistrées en temps réel au moyen d’un logiciel espion qui épie tout ce qui se passe à l’ordinateur. Les phrases dictées ont été construites de manière que des erreurs d’accord du verbe puissent s’y glisser, et ce, pour induire la révision de l’accord du verbe afin de l’observer[3]. Notre analyse conduit à cinq constats intéressants pour les tutrices, les tuteurs, les enseignantes et les enseignants de français.
1. Les étudiants utiliseraient deux procédures distinctes pendant qu’ils écrivent
Les étudiants du postsecondaire réviseraient en utilisant deux procédures. Parfois, ce serait la procédure laborieuse, c’est-à-dire qu’ils entreraient dans une réflexion grammaticale (plus couteuse en temps), en tentant, par exemple, d’identifier le sujet par le recours à des manipulations syntaxiques. Parfois, ce serait la procédure automatique, c’est-à-dire qu’ils n’entreraient pas dans une telle réflexion grammaticale et, par exemple, ajouteraient automatiquement la marque -nt au verbe lorsque le mot qui le précède est au pluriel. Chacune des personnes observées aurait révisé l’accord du verbe parfois en utilisant la première procédure, parfois la deuxième.
2. La procédure serait choisie en fonction de la complexité de la structure de la phrase
Qu’est-ce qui influence le recours à l’une ou l’autre des procédures? Selon nos observations, ce serait la structure syntaxique des phrases : celles dont la structure est plus complexe[4] déclencheraient une procédure d’accord laborieuse, tandis que les phrases dont la structure syntaxique est plus simple déclencheraient plutôt une procédure automatique.
Par exemple, pendant qu’ils écrivaient la phrase ci-dessous, dont la structure syntaxique est assez simple, plusieurs étudiants ont d’emblée accordé le verbe au singulier, puis ils l’ont modifié très rapidement, immédiatement, pour l’accorder au pluriel, avant de continuer à écrire.
Toutefois, pendant qu’ils écrivaient la phrase suivante, plus complexe, plusieurs l’ont révisée longuement : après un long moment de réflexion, ils ont ajouté la marque -nt au verbe.
Ainsi, lorsque la structure d’une phrase était plus complexe, c’est la procédure de révision plus longue et laborieuse, celle utilisée au secondaire et qui aide à éviter des erreurs d’accord de proximité, qui était choisie.
3. Aucune procédure de révision ne garantirait que l’accord du verbe soit réussi
L’analyse des pauses et des modifications effectuées pendant la dictée a montré que les deux procédures ne se solderaient pas dans tous les cas par une révision correcte des accords, c’est-à-dire que l’utilisation d’une procédure ou de l’autre ne donnerait pas toujours comme résultat une révision réussie.
4. Différer la révision des accords aiderait à mieux la réussir
L’analyse a montré que plusieurs étudiantes et étudiants auraient comme stratégie d’attendre d’avoir terminé la retranscription d’une phrase pour réviser un accord et que cette stratégie serait gagnante : les révisions sont alors plus souvent réussies. Ils ne procèderaient pas à la détection ni à la modification des erreurs pendant qu’ils écrivent la première version de leurs phrases; ces activités seraient mises en suspens jusqu’à ce que la retranscription de la phrase soit terminée, ce qui libèrerait les ressources cognitives nécessaires pour se livrer à ces activités exigeantes.
5. Avoir de solides connaissances grammaticales aiderait à mieux réviser
Les étudiants qui ont effectué le plus souvent des révisions erronées de l’accord du verbe sont ceux qui n’avaient pas de connaissances grammaticales très solides[5]. Au contraire, ceux qui étaient en mesure de recourir à plusieurs critères pour identifier le sujet d’une phrase et le verbe ont réussi à réviser correctement l’accord du verbe quatre fois plus souvent que leurs collègues. Ces critères pouvaient être d’ordre sémantique, morphologique et syntaxique.
Des pistes pour aider les étudiantes et étudiants à mieux réviser les accords
Trois retombées pour l’enseignement et l’apprentissage de la révision de l’orthographe grammaticale au collégial et à l’université découlent de ces cinq constats. Chacune est illustrée ci-dessous par un exemple de moyen didactique qui peut être utilisé dans le cadre d’un accompagnement individuel en français écrit, par exemple, dans les centres d’aide.
1. Rappeler la pertinence d’attendre avant de réviser
Première retombée didactique : il pourrait être profitable de montrer explicitement qu’on peut attendre d’avoir terminé de retranscrire une phrase pour revenir sur un mot dont on doute de l’orthographe et que cela peut être une stratégie gagnante pour le corriger correctement. Cela est surtout vrai lorsqu’il s’agit d’une erreur plus difficile et longue à corriger, par exemple dans une phrase dont la structure syntaxique est plus complexe. Une fois la retranscription de la phrase terminée, on peut se concentrer sur la révision de cette erreur. Il n’est pas nécessaire pour autant de s’abstenir de corriger une erreur au moment même où on la produit : après plusieurs années de scolarité, des erreurs simples se trouvant dans des phrases simples peuvent, nous l’avons vu, être corrigées presque automatiquement.
Dans le cadre d’un tutorat en français écrit, il est possible de discuter avec l’étudiante ou l’étudiant de la stratégie qui consiste à différer la révision pour qu’ils sachent qu’elle existe et qu’elle peut les aider. Pour ce faire, on leur demandera, par exemple, à quel moment ils révisent habituellement les accords dans leurs textes : pendant qu’ils écrivent chacune de leurs phrases? Après? Ou après avoir écrit un premier jet du texte? Le lendemain? On leur demandera aussi s’ils ont remarqué des différences quant au nombre et aux types d’erreurs qu’ils ont été en mesure de corriger en fonction du moment de la révision. Si une étudiante ou un étudiant révisent toujours leurs textes immédiatement, la consigne de rédaction du prochain texte peut prescrire un délai à respecter entre la transcription du premier jet et la révision. Il est même possible de varier, d’un texte à un autre, ce délai, de manière à ouvrir la discussion sur le lien entre le temps laissé et les effets observés sur la correction.
Pour conduire aux mêmes observations, mais au niveau de la phrase au lieu de celui du texte, il est aussi possible de mener une petite activité pratique dans le cadre d’une séance de tutorat : une dictée d’environ huit phrases qui cible l’orthographe grammaticale. Cette activité se divise en trois temps. On demande d’abord d’écrire les quatre premières phrases en corrigeant tout sur-le-champ (temps 1). Pour inciter l’élève à réviser le moins possible, et ce, même pendant qu’il écrit, on peut aller jusqu’à lui demander d’écrire la dictée à l’ordinateur en lui interdisant d’utiliser la souris, les flèches du clavier et les touches supprimer et effacer. Toujours au début de la séance, on lui demande ensuite d’écrire les quatre phrases suivantes de la même dictée en transcrivant chaque phrase le plus vite possible. Il lui est ensuite permis, en mode Suivi des modifications, de relire ces quatre dernières phrases et d’y apporter des modifications (temps 2). La séance se poursuit, et on laisse de côté ces huit phrases un certain temps. À la fin de la séance, on demandera à l’élève de réviser les huit phrases qu’il a écrites au début de la séance, toujours en mode Suivi des modifications (temps 3). En comparant les modifications effectuées aux temps 1, 2 et 3, on fera remarquer que plus la révision est différée, plus on peut prendre une distance par rapport au texte écrit, plus on peut se concentrer sur la révision et plus on peut réviser efficacement ses erreurs.
Si cette dictée comprenait des phrases très simples, dans lesquelles le verbe aurait été écrit correctement du premier coup, et des phrases plus complexes, dans lesquelles il faudrait corriger le verbe, la discussion qui suivrait pourrait conduire à remarquer que les phrases plus complexes ne demandent pas la même révision que les phrases plus simples.
2. Enseigner à prendre appui sur des critères syntaxiques et morphologiques
Une deuxième retombée didactique des résultats présentés plus haut est qu’il serait à propos, d’une part, d’enseigner comment recourir à des critères morphologiques et syntaxiques pour identifier les classes de mots, les groupes syntaxiques et les fonctions syntaxiques et, d’autre part, d’inciter à le faire en contexte de révision, et ce, encore au postsecondaire. En effet, même si, dans des phrases assez simples, les étudiantes ou étudiants du postsecondaire sont en mesure d’identifier le sujet et le verbe au moyen de critères sémantiques, seuls des critères morphologiques et syntaxiques seront tout à fait fiables pour le faire dans des phrases plus complexes. Il est alors pertinent de leur enseigner ces derniers critères tout en soulignant leur pertinence, pour ensuite leur enseigner explicitement comment les utiliser dans des phrases plus complexes.
Pour illustrer ces critères, recourons ici encore à la révision de l’accord du verbe. Pour identifier le verbe, l’étudiante ou l’étudiant peuvent chercher le mot qui est conjugué (critère morphologique) et dont le temps peut être changé (critère morphologique), le mot qui peut être remplacé par un autre verbe (critère syntaxique) et qui peut être encadré par ne… pas (critère syntaxique). Ce verbe peut désigner une action (critère sémantique) ou non. Pour identifier le sujet, ils peuvent chercher le groupe de mots qui peut être remplacé par un pronom tels il, ils, elle, elles ou d’autres pronoms qui ne peuvent avoir que la fonction de sujet (critère syntaxique) et le groupe de mots qui peut être encadré par c’est… qui ou ce sont… qui (critère syntaxique). Ce sujet peut désigner ce qui fait l’action du verbe (critère sémantique) ou non.
Dans le cadre d’un tutorat en français écrit, pour montrer les limites des critères sémantiques que l’élève utilise habituellement, on peut lui proposer un corpus de phrases et lui demander d’y corriger les erreurs, s’il y a lieu, et de justifier ses réponses, ou encore, de souligner les verbes, d’encadrer les sujets et de verbaliser ses raisonnements grammaticaux. Dans les phrases choisies, les critères sémantiques ne seraient pas toujours suffisants pour identifier le sujet, et les critères syntaxiques seraient beaucoup plus fiables. Voici des exemples de phrases très simples qui présentent ces caractéristiques et qui pourraient être utilisées.
- Les clients dérangent l’avocat.
- * L’avocat dérangent le client.
- Les clients de l’avocat dérangent.
- *L’avocat des clients dérangent.
Toutes ces phrases comptent deux noms qui sont tous deux des sujets possibles du verbe; chercher le mot qui fait l’action du verbe pour identifier le sujet devient alors hasardeux. Par exemple, dans la troisième phrase, en se demandant qui fait l’action de déranger, on pourrait aussi bien croire que le sujet est « clients » que « avocat ». De plus, ces phrases présentent toutes les caractéristiques suivantes :
- Elles contiennent deux noms qui sont d’un nombre différent (un nom singulier et un nom pluriel), pour rendre l’accord du verbe visible;
- Tous les verbes sont des verbes en -er conjugués à la troisième personne, pour rendre l’accord du verbe inaudible et éviter que les étudiants identifient le sujet en ayant recours à des indices phonologiques;
- Le sujet n’est pas toujours le nom immédiatement à gauche du verbe, pour éviter qu’ils identifient le sujet en ayant recours à sa position linéaire;
- Tous les accords ne sont pas erronés, pour éviter qu’ils révisent les derniers automatiquement.
Une fois que l’étudiante ou l’étudiant comprend les limites des critères sémantiques qu’elle ou il utilisait jusqu’alors, on peut lui enseigner que des critères syntaxiques peuvent aider à identifier le sujet; pour ce faire, on pourra choisir d’expliciter ces critères (approche déductive) ou de les faire découvrir (approche inductive). Bref, une fois qu’on lui a montré les limites de ses connaissances antérieures et la pertinence de les reconstruire, on peut l’aider à les reconstruire.
3. Proposer des exercices de révision de phrases plus complexes
Même si des étudiants reconnaissent les limites des critères sémantiques pour identifier le sujet et le verbe et qu’ils sont capables d’utiliser des critères syntaxiques et morphologiques pour le faire dans des phrases relativement simples, ils ne seront pas nécessairement capables de le faire dans des phrases plus complexes et ils ne sauront pas nécessairement quand les utiliser en contexte d’écriture. Or, la tutrice ou le tuteur ont l’occasion d’intervenir sur ces deux variables. Ils peuvent proposer des exercices dans lesquels les phrases ne sont pas toujours simples : ils mettront l’élève en présence de phrases de plus en plus complexes, pour qu’il soit capable d’identifier le sujet, par exemple, au moyen de critères syntaxiques aussi dans ces phrases. Ces exercices comportant des phrases plus complexes peuvent être de plusieurs formes : des exercices de complétion (des exercices à trous), des dictées, des exercices de révision de phrases déjà écrites ou des exercices de révision lors de la rédaction d’un texte.
De telles activités d’apprentissage seront autant d’occasions d’enseigner à reconnaitre les configurations syntaxiques dans lesquelles le scripteur doit être particulièrement vigilant, c’est-à-dire les contextes dans lesquels il doit douter d’un accord verbal et enclencher un processus plus laborieux pour le réviser au lieu de procéder automatiquement pour le faire.
Quelles sont les structures syntaxiques qui peuvent conduire à produire des erreurs d’accord du verbe? Ce sont celles où le sujet (ou le noyau du groupe qui a la fonction de sujet) ne précède pas le verbe ou, s’il le précède, ne le précède pas immédiatement; le tableau ci-dessous en présente quelques exemples[6]. Si un tuteur, par exemple, choisit des exercices reposant sur un corpus de phrases qui n’ont pas été écrites par son étudiant (exercice de complétion, dictée et exercice de révision de phrases déjà écrites), il peut construire ou choisir les phrases à utiliser en fonction d’une ou de plusieurs des structures ci-dessous, selon les objectifs de l’exercice. Si une tutrice, de son côté, choisit plutôt de travailler avec des phrases produites par son étudiante dans un contexte authentique, elle peut repérer les phrases qui présentent une ou plusieurs de ces structures dans le texte de l’étudiante ou demander à cette dernière de modifier son texte pour qu’il comporte une ou plusieurs de ces structures.
Structures syntaxiques susceptibles de mener à des erreurs d’accord du verbe à l’écrit
Structures syntaxiques | Exemples d’erreurs |
Le noyau du groupe qui a la fonction de sujet est complété par un groupe prépositionnel. | *Les souris de la sorcière mange. *Le nouveau patient des excellents chirurgiens tremblent énormément. *Les turbulents garçons de la paisible voisine bouge énormément. |
Le noyau du groupe qui a la fonction de sujet est complété par une phrase subordonnée. | *La fermière qui soigne les enfants pleurent. *La barque qui pousse les bouées flottent. *Les gardiens qui logent le soldat ronfle. *Les rubans qui décorent la voiture bouge. |
Le complément du verbe est un pronom clitique. | *L’enseignant les réprimandent. |
La phrase est une phrase emphatique formée par c’est… que et le sujet suit le verbe. | *Ce sont les patients qu’endurent la dentiste. *C’est la dentiste qu’endure les patients. *Ce sont les chandelles que brulent l’évêque. *C’est l’évêque que brule les chandelles. |
La phrase contient une phrase subordonnée complétive dans laquelle le sujet suit le verbe. | *Les clients souhaite que prospèrent cette entreprise. |
Un tuteur, par exemple, pourra enseigner à son tutoré à reconnaitre les phrases qui ont de telles structures – susceptibles, donc, de lui faire produire des erreurs d’accord du verbe – et l’accompagner dans l’utilisation des manipulations syntaxiques dans de telles phrases. En plus de la structure des phrases, le tuteur gagnera à tenir compte des caractéristiques qui rendront l’accord du verbe plus difficile, lesquelles ont été mentionnées précédemment (la phrase contient deux noms d’un nombre différent, un verbe en –er à la troisième personne du singulier ou du pluriel, etc.).
Par ailleurs, une tutrice, par exemple, pourra aussi augmenter le niveau de difficulté non seulement des phrases, mais aussi des tâches proposées à sa tutorée, et ce, de manière que les tâches se rapprochent de plus en plus de la révision en contexte de production écrite authentique. Ainsi, l’exercice d’identification du sujet dans un corpus de phrases déjà écrites est moins exigeant que l’exercice de révision de l’accord du verbe dans des phrases déjà écrites, et ce dernier exercice est moins exigeant que l’exercice de révision de l’accord du verbe lors de l’écriture même d’un texte. Peu importe la tâche proposée, les stratégies qui consistent à réviser immédiatement ou une fois la phrase retranscrite pourraient être réinvesties et la tutrice pourrait guider l’étudiante dans l’identification des phrases dont la structure syntaxique risque d’engendrer des erreurs d’accord, pour y réviser l’accord du verbe avec la procédure laborieuse. Ces phrases seront alors l’occasion, pour l’étudiante, de solidifier ses connaissances reconstruites pendant l’accompagnement individuel et de verbaliser ses raisonnements grammaticaux, sur lesquels la tutrice, par exemple, pourra intervenir, si nécessaire.
Revenons à la question posée en introduction : comment aider les étudiantes et étudiants du postsecondaire à réviser leurs erreurs grammaticales dans leurs textes, après toutes ces années de scolarité? À la lumière de ce que l’on sait sur la manière dont ils procèdent lorsqu’ils révisent l’accord du verbe, il apparait d’abord pertinent de continuer à enseigner les notions grammaticales nécessaires à la détection des erreurs d’accord du verbe, tout en demandant de verbaliser les critères utilisés pour identifier le sujet et le verbe, en montrant les limites des critères sémantiques et en présentant de nouveaux critères, plus fiables. Il apparait ensuite pertinent d’enseigner explicitement des stratégies de révision-correction, notamment pour aider les étudiants à se distancier de leurs textes, ce que permettent le temps, l’intervention d’un tiers et une meilleure compréhension de la tâche (les 3 T que S.-G. Chartrand suggère dans un numéro précédent de Correspondance). Il apparait enfin pertinent de continuer à proposer des exercices de grammaire, portant notamment sur l’accord du verbe, que ce soit en soumettant aux étudiants des phrases dont la structure syntaxique favorise la production d’erreurs d’accord ou en les guidant dans des activités qui se rapprochent davantage d’un contexte d’écriture authentique. De la sorte, les tutrices, les tuteurs, les enseignantes et les enseignants pourront accompagner les étudiantes et étudiants de manière qu’ils deviennent plus compétents et autonomes pour réviser les erreurs d’accord dans leurs textes.
Références
FAYOL, M., et C. GOT (1991). « Automatisme et contrôle dans la production écrite : les erreurs d’accord sujet-verbe chez l’enfant et l’adulte », L’année psychologique, vol. 91, no 2, p. 187-205.
FAYOL, M., P. LARGY et P. LEMAIRE (1994). « When cognitive overload enhances subject-verb agreement errors. A study in French written language », The Quarterly Journal of Experimental Psychology, no 47, p. 437-464.
FRANCK, J., G. LASSI, U. H. FRAUENFELDER et L. RIZZI (2006). « Agreement and movement: A syntactic analysis of attraction », Cognition, no 101, p. 173-216.
FRYER, M. (2012). Étude en temps réel de l’influence des écrans sur les processus d’accord sujet-verbe, Mémoire (M.A.), Université du Québec à Montréal, [En ligne]. [http://www.archipel.uqam.ca/5214/].
LARGY, P., M.-P. COUSIN et A. DÉDÉYAN (2005). « Produire et réviser la morphologie flexionnelle du nombre : de l’accès à l’expertise », Psychologie française, no 50, p. 339-350.
LARGY, P., et A.DÉDÉYAN (2002). « Automatisme en détection d’erreurs d’accord sujet-verbe : étude chez l’enfant et l’adulte », L’année psychologique, vol. 102, no 22, p. 201-234.
MARCOTTE, S. (2014). Étude en temps réel de la révision de la morphographie du nombre du verbe chez les étudiants universitaires, Mémoire (M.A.), Université du Québec à Montréal, [En ligne]. [http://www.archipel.uqam.ca/7306/].
NEGRO, I., L. CHANQUOY, M. FAYOL et M. LOUIS-SIDNEY (2005). « Subject-Verb Agreement in Children and Adults: Serial or Hierarchical Processing? », Journal of Psycholinguistic Research, vol. 34, no 3, p. 233-258.
- Je remercie Pascale Lefrançois, didacticienne du français à l’Université de Montréal, et Catherine Maynard, doctorante en didactique du français à l’Université de Montréal, pour leurs commentaires justes et pertinents concernant cet article. [Retour]
- Dans les recherches en question, il était demandé aux élèves et aux étudiants d’écrire le plus rapidement possible le verbe dans des phrases trouées, sans pouvoir le modifier par la suite, ce qui rendait la révision impossible, ou, plus rarement, de détecter le plus rapidement possible s’il y avait ou non une erreur dans des phrases déjà écrites, ce qui permettait d’observer la détection des erreurs seulement et non leur modification, et encore moins dans un contexte où les phrases devaient être écrites. Ces tâches ne les amenaient donc pas à réviser l’accord du verbe en contexte d’écriture. [Retour]
- À titre indicatif, ce sont la structure syntaxique, la configuration en nombre des noms et la fréquence du verbe qui variaient dans les phrases dictées. Les participants ont également passé des épreuves de mesure de la mémoire de travail et des connaissances sur l’accord du verbe pour contrôler l’effet de ces deux variables. [Retour]
- Le terme complexe doit être compris, dans cet article, comme un synonyme de difficile, ardu, compliqué, moins simple. Nous ne l’utilisons pas ici pour faire référence au concept de phrase complexe, lequel désigne les phrases formées par subordination, par coordination, par juxtaposition ou par insertion. [Retour]
- Les connaissances des étudiantes et étudiants ont été mesurées au moyen de deux tâches : d’abord, ils devaient choisir, parmi des couples de phrases, celles qui étaient correctement écrites (il s’agissait des phrases sans erreur d’accord du verbe); ensuite, ils devaient identifier le sujet et le verbe dans une phrase, puis justifier leurs réponses. Le nombre de bonnes réponses et le nombre de critères fournis dans leurs justifications ont été comptés. [Retour]
- Les variables retenues sont celles qui ont été utilisées dans Marcotte (2014) et celles qui ont été montrées comme ayant un effet sur la réussite des accords (Franck, Lassi, Frauenfelder et Rizzi, 2006; Largy, Cousin et Dédéyan, 2005). Les phrases données à titre d’exemples ont été créées pour le besoin de cet article ou ont été tirées de Marcotte (2014), de Fryer (2012) et de Negro, Chanquoy, Fayol et Louis-Sidney (2005). [Retour]
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