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Utiliser une terminologie rigoureuse et cohérente pour parler de la langue

Utiliser une terminologie rigoureuse et cohérente pour parler de la langue

Pour un enseignement rigoureux et efficace de la grammaire

De tout temps, dans l’enseignement de la grammaire, les enseignants et les élèves ont utilisé une métalangue (souvent appelée métalangage) pour désigner les notions étudiées et livrer leurs observations concernant des phénomènes grammaticaux. La métalangue (du préfixe méta  : sur, la langue pour parler de la langue) peut être définie comme l’ensemble des termes techniques descriptifs du système et du fonctionnement de la langue – les termes accord, complément direct,sujet, subordination, par exemple, en font partie. Le recours à la métalangue est essentiel, car il permet une mise à distance de la langue : son objectivation ; la langue est alors envisagée comme un système qui est l’objet d’une réflexion et d’une analyse grammaticales, posture à adopter pour réellement faire de la grammaire (l’apprendre et s’en servir). Pour cela, la métalangue utilisée en classe ne doit pas être synonyme d’étiquettes au contenu flou et fluctuant selon les représentations des enseignants et des élèves, des manuels ou des programmes.

Dans le courant de la grammaire traditionnelle, l’apprentissage de définitions de notions et l’appropriation de la métalangue grammaticale vont de pair. Ils sont considérés comme un même phénomène et un préalable à l’activité grammaticale en classe. Certains estiment qu’il suffit que l’élève apprenne la définition d’un terme pour qu’il en comprenne la signification. Des études empiriques sur la notion d’adjectif ont montré qu’il n’en est rien (Fisher, 1996). Dans le courant de la grammaire rénovée, on considèreplutôt que l’appropriation de la métalangue par les élèves ne peut se construire que dans et par l’activité réflexive sur la langue, et qu’elle s’acquiert progressivement au cours d’un long processus de conceptualisation qui prend plusieurs années et emprunte bien des détours.

C’est en travaillant sur l’adjectif, par exemple, que les élèves mettent à distance ce terme qu’ils emploient depuis la deuxième année, prennent conscience de ce qu’il signifie pour eux et voient les lacunes de leur savoir en le comparant à celui des autres. À la fin de l’étude (en première secondaire), la signification du mot adjectif[2] a changé, elle s’est complexifiée, consolidée et est devenue plus opératoire. Cependant, pour que la métalangue joue son rôle, il est nécessaire que les enseignants et les manuels fassent preuve de constance, que le sens des termes grammaticaux soit explicité et le plus rigoureux possible. De plus, vers la fin de la scolarité obligatoire et au cégep, l’enseignement de la grammaire devrait favoriser une appropriation critique de la métalangue en tant que langage historiquement constitué (Chartrand, 1998).

L’enquête État des lieux de l’enseignement du français au secondaire (Lord et Chartrand, 2010) et une étude systématique du matériel didactique le plus utilisé dans les classes du primaire et du secondaire du Québec (Chartrand, Lord et Gauvin, 2010) montrent que l’on ne parle pas toujours de la langue en utilisant une terminologie rigoureuse et cohérente. Voyons ce qu’il en est de deux notions de base de la terminologie grammaticale à l’école, celles de sujet et d’accord.

Analyse des dénominations relatives à la fonction sujet

Le terme sujet[3] est l’un des plus anciens et des plus courants de la grammaire du français, aussi ne devrait-il pas poser problème. Et pourtant ! Dans le matériel analysé, on recense pour cette fonction grammaticale cinq appellations fréquentes (et plusieurs sigles) : sujet, sujet de P, groupe sujet (GS), groupe du nom sujet (GNs ou GNS) et sujet du verbe. Toutes ces dénominations, sauf celle de sujet[4], sont problématiques. Voyons les difficultés qu’elles posent pour la conceptualisation de cette importante notion par les élèves.

D’abord, la notion de sujet ne désigne pas un groupe, le terme groupe étant réservé à une unité de la langue dont le noyau appartient à une classe de mots. Le terme sujet désigne une fonction syntaxique, et le groupe nominal en est la réalisation la plus courante. Aussi, utiliser les sigles GNs (ou GNS) et GS pour faire référence au sujet est erroné et susceptible, en plus, de semer la confusion entre le groupe et sa fonction.

Rappelons ensuite que l’unité qui remplit la fonction syntaxique de sujet est en relation avec une autre unité, un groupe verbal (GV), qui, elle, a la fonction de prédicat. Aussi ne peut-on pas parler du sujet du verbe ni dire que le verbe s’accorde avec son sujet, car ces formulations laissent entendre que le verbe et le sujet sont dans une relation de dépendance, alors que les fonctions de sujet et de prédicat sont dans une relation d’interdépendance (le sujet n’appartenant pas au verbe). De plus, en utilisant ces formulations, on mélange, d’une part, classe de mots (verbe) et fonction (sujet), et, d’autre part, l’analyse syntaxique et les phénomènes d’accord. Ces amalgames nuisent à la compréhension du système de la langue. Si sujet et prédicat sont interdépendants, le verbe, lui, est receveur, c’est-à-dire qu’il reçoit la personne et le nombre du nom, noyau du GN, sujet, ou du pronom, sujet. Autrement dit, pour l’accord du verbe, ce n’est pas le sujet qui détermine l’accord ou influence le verbe ou qui donne sa personne et son nombre, mais bien le nom, noyau du GN, ou le pronom qui remplit la fonction de sujet.

Bref, en grammaire scolaire, le sujet n’est ni un groupe, ni un groupe obligatoire, ni ce qui détermine l’accord du verbe, ni ce dont on parle dans la phrase. Le terme sujet désigne la fonction syntaxique d’une unité en relation d’interdépendance avec une autre unité de la phrase, le GV, qui a la fonction de prédicat ; ces fonctions sont celles des deux constituants obligatoires de la phrase.

Analyse des dénominations relatives à la notion d’accord

La notion d’accord est présente dans le matériel sous plusieurs termes, dont les plus fréquents sont le verbe accorder et le nom accord, accompagnés ou non de différents compléments : accord dans le groupe du nom (ou dans le GN), accord dans le groupe du verbe, etc. Figurent également les différents éléments qui peuvent s’accorder : le déterminant, l’adjectif, le verbe et le participe passé.

Bien que la notion d’accord apparaisse dans tous les ouvrages consultés, aucun n’en donne une définition explicite. Cette relation morphosyntaxique est le plus souvent illustrée par une flèche qui va d’un donneur à un receveur. Ces deux termes, étroitement liés à la notion d’accord, reçoivent eux aussi leur lot d’appellations : donneur d’accord, donneur de genre et de nombre, donneur d’accord de genre et de nombre, idem pour le receveur.

Les notions de donneur et de receveur supposent un transfert de quelque chose entre deux unités du système de la langue. Ce quelque chose, ce sont des traits grammaticaux ; il s’agit du genre et du nombre lorsque le donneur est un nom ou un pronom et que le receveur est un déterminant, un adjectif ou un participe passé ; et de la personne et du nombre lorsque le donneur est un nom, noyau du groupe nominal, ou un pronom dans la fonction de sujet, et que le receveur est un verbe. Les mots, donc, ne donnent ni ne reçoivent un accord ; ils donnent ou reçoivent plutôt des traits grammaticaux, d’où l’inexactitude des expressions donneur d’accord et receveur d’accord, qu’on devrait éviter. Accorder un mot, c’est lui attribuer les marques morphologiques[5] de genre et de nombre ou de nombre et de personne de son donneur.

Pour être bien comprise, la notion d’accord devrait être définie explicitement, comme un phénomène morphosyntaxique par lequel un donneur (nom ou pronom) transfère ses traits grammaticaux à un autre mot, un receveur, lorsqu’ils sont en relation sur le plan syntaxique.

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Enseignées systématiquement et avec rigueur, les notions d’accord, de donneur, de receveur, de genre, de nombre et de personne, comme celles de sujet et de prédicat, peuvent être utilisées par les élèves dès le deuxième cycle du primaire pour devenir progressivement opératoires. Si l’on veut qu’ils construisent des connaissances grammaticales solides et utiles, il faut faire preuve de constance et éviter de modifier sans cesse au cours de la scolarité les termes de la métalangue. Un vocabulaire spécifique commun pour nommer les faits et les phénomènes de la langue est une des conditions d’une activité grammaticale formatrice.

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  1. Avec la collaboration de Louise Guénette et des autres membres de l’équipe québécoise du Comité international sur l’harmonisation de la terminologie grammaticale à l’école de l’Association internationale pour la recherche en didactique du français : Mmes C. Fisher, M.-A. Lord et M.-C. Paret et MM. S. Bilodeau et P. Riverin. [Retour]
  2. Rappelons que dans la grammaire scolaire traditionnelle, pour désigner la classe de l’adjectif, on emploie le terme adjectif qualificatif, ce qui est réducteur et occulte une partie des caractéristiques des mots de cette classe. [Retour]
  3. Les mots en italique dans le texte proviennent du matériel analysé ; ceux en couleur appartiennent à la terminologie grammaticale officielle du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS). Ils devraient être utilisés avec les élèves à partir du deuxième cycle du primaire et tout au long de la scolarité. [Retour]
  4. L’expression sujet de P est ambigüe, car dans ce cas, de P signifie que le sujet est une fonction de la phrase, alors que dans l’expression complément de P, de P signifie qu’il s’agit d’un complément sous la dépendance de la phrase. [Retour]
  5. La morphologie est l’étude des variations de la forme des mots dans une phrase. [Retour]

Références

CHARTRAND, S.-G. (1998). « Quelles activités métalangagières en grammaire dans la classe de français ? », dans DOLZ, J., et J.-C. MEYER (éd.). Activités métalangagières et enseignement du français : Actes des journées d’étude en didactique du français, Berne, Peter Lang, p. 117-122.

CHARTRAND, S.-G., M.-A. LORD et I. GAUVIN (2010). « La terminologie grammaticale pour l’enseignement du français langue première au Québec : état des travaux de l’équipe québécoise de l’AIRDF », La Lettre de l’AIRDF, nos 45-46, p. 42-48.

FISHER, C. (1996). « Les savoirs grammaticaux des élèves du primaire : le cas de l’adjectif », dans CHARTRAND, S.-G. (dir.). Pour un nouvel enseignement de la grammaire, Montréal, Logiques, p. 315-340.

LORD, M.-A., et S.-G. CHARTRAND (2010). « À la recherche de la grammaire rénovée : enquête sur l’enseignement grammatical au secondaire québécois », La Lettre de l’AIRDF, nos 45-46, p. 25-33.

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