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Préparer ses élèves à l’EUF

Préparer ses élèves à l’EUF

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omme bien d’autres, j’ai enseigné dans plusieurs collèges avant de faire mon nid : de l’institut technique au collège privé, du collège de région au collège métropolitain. Par un heureux hasard, le cours de Littérature québécoise a suivi mes pérégrinations. Si j’ai pu parfois faire l’économie de mesures d’aide à la réussite de l’EUF en classe, cela n’est plus possible depuis que j’enseigne au collège de Rosemont. Notre clientèle, composée de près de 50 p. 100 d’immigrants de première ou deuxième génération, a en effet des besoins particuliers. Le défi est d’intégrer ces mesures d’aide au cours de 601-103 sans pour autant négliger l’enseignement de la littérature, ce qui constituerait pour moi un sacrifice inconcevable dans le seul cours qui permet à ces personnes de découvrir notre littérature nationale et, à travers elle, notre culture. Je me propose de vous exposer dans le présent article quelques stratégies que j’utilise pour mieux préparer mes élèves à la réussite de l’EUF. Même si aucune ne comporte en soi une innovation, elles sont efficaces et ne demandent pas un investissement de temps important en classe. Surtout, ces stratégies appuient une démarche qui, elle, pourra paraître plus originale ou, du moins, digne d’intérêt.

Travail sur la typologie des questions

Les sujets proposés dans les épreuves correspondent à trois types de questions de dissertation critique. Le premier type demande à l’élève de comparer les textes ; il s’agit de faire état de ressemblances et de différences. Le deuxième type demande d’opposer deux thèmes ou deux personnages ; il s’agit d’évaluer la supériorité de l’un par rapport à l’autre. Le troisième propose une affirmation, portant sur un ou plusieurs textes ; il s’agit de juger de sa véracité.

Mon premier objectif est d’apprendre à mes élèves à distinguer rapidement ces trois types de questions puisqu’elles demandent un raisonnement argumentatif différent. Pour ce faire, j’ai établi trois modèles de plans qui y correspondent. Je sacrifie – assez allègrement, je dois l’avouer – la distinction et l’enseignement des plans comparatif, dialectique, analogique, analytique, syllogistique, etc. Je les troque pour mes modèles, rebaptisés plus modestement A, B et C. Je formule aussi tous mes sujets de dissertation critique selon cette typologie. Plus encore, je demande à mes élèves de le faire eux-mêmes[1].

L’établissement de cette typologie permet aux étudiants d’être plus efficaces en situation de rédaction. D’abord, elle favorise la prise de conscience d’affinités plus grandes avec certains types de raisonnement argumentatif. Il devient alors plus simple de choisir un sujet de rédaction, puisque cette décision ne repose plus sur l’intérêt suscité par les thèmes ou les textes suggérés, mais bien sur le type de raisonnement que l’élève préfère produire. Un choix fondé sur ce critère des plus rationnels freine toute tentation de changer d’idée en cours de route. Ensuite, la familiarité des élèves avec la typologie de consignes leur permet de mieux cerner la problématique et la façon dont leur argumentation doit être construite. L’étape de la planification et de la recherche d’idées s’en trouve d’autant réduite, laissant plus de temps pour la mise en texte et la révision.

Élaboration d’une argumentation à partir du sujet et non des textes

Parmi les conditions de rédaction de l’EUF, celle qui effraie le plus les élèves est l’obligation de disserter sur des textes qu’ils n’auront pas lus à l’avance. Pour démystifier la difficulté d’un tel exercice, nous en faisons ensemble une simulation chronométrée.

Je leur remets d’abord une consigne de rédaction, mais sans l’accompagner des textes sur lesquels elle porte. Je leur explique que dans un tel contexte de rédaction, l’argumentation critique repose moins sur les textes que sur les termes clés de la problématique. Après avoir déterminé le ou les termes polysémiques que contient la question, nous établissons, à l’aide du dictionnaire, l’inventaire des possibilités qu’offrent les différentes définitions du mot. Je demande aux élèves de formuler quatre ou cinq arguments possibles à partir de ces définitions. Bien sûr, ils résistent : « Mais, Madame, nous n’avons pas lu les textes ! » Je leur rappelle que ces arguments potentiels ne sont fondés que sur les définitions possibles des mots clés, non sur les textes. Si la question demande une comparaison, nous faisons ressortir des critères de comparaison possibles en fonction du thème.

La lecture des textes n’a ensuite pour objectif que de vérifier lesquels, parmi ces arguments, peuvent s’appliquer au contexte, et quelles idées secondaires peuvent servir à les développer. À l’aide des textes reproduits sur transparents, je fais une lecture de repérage à voix haute, c’est-à-dire que je demande aux élèves de m’arrêter chaque fois qu’ils trouvent un élément pouvant servir à illustrer l’un des arguments trouvés précédemment. Une fois cette lecture terminée, ils sont toujours étonnés de voir à quel point les arguments formulés au départ, sans lecture ni connaissance préalables des textes, peuvent être utilisés avec un minimum de reformulation.

Je ne consacre qu’une heure de cours à cette activité. C’est fort peu pour le bénéfice que les élèves en retirent : au terme de cette période, ils ont découvert un processus leur permettant de construire rapidement une argumentation correcte sur un texte qu’ils ne connaissent pas à l’avance.

Séquence d’évaluations

J’ai établi un mode d’évaluation particulier dans mes cours de Littérature québécoise. La première rédaction, une dissertation partielle, a lieu autour de la cinquième semaine. Les élèves doivent rédiger un plan détaillé et un développement partiel (une introduction, un paragraphe de développement et une conclusion). Cette évaluation vaut 25 %. Nul besoin de préciser que les élèvent y échouent massivement. Cependant, la seconde dissertation partielle, qui a lieu à la dixième semaine et dans les mêmes conditions (mais qui porte sur la deuxième œuvre au programme), sert de reprise. J’inscris au dossier la meilleure note des deux évaluations, tout simplement. L’échec de la première dissertation partielle permet aux élèves de mesurer la distance plus ou moins grande qu’il leur reste à parcourir. Surtout, elle leur fait constater l’importance d’adopter des stratégies de planification, de mise en texte et de révision adaptées à un contexte de rédaction sur table[2]. Cette prise de conscience n’est toutefois pas douloureuse, puisque cet échec n’a aucune conséquence sur leur note finale.

Pourquoi ne pas qualifier cette première évaluation d’exercice formatif (puisque c’est de cela qu’il s’agit, on l’aura compris) ? Tout simplement parce que le fait de présenter cette démarche comme une séquence d’évaluation a un plus grand effet sur la motivation des élèves. J’exploite la paresse qui sommeille au fond de chacun d’eux – tout comme au fond de chaque être humain ! – en leur faisant miroiter la possibilité de ne faire que la première dissertation partielle, s’ils sont satisfaits de leur résultat. Mon but est de les inciter à se préparer beaucoup plus sérieusement pour cette évaluation qu’ils ne le feraient pour un exercice formatif. Toutefois, à l’usage, j’ai constaté que bien rares sont les élèves qui ne font pas la seconde dissertation dans l’espoir d’améliorer leur résultat, même s’il était déjà satisfaisant.

Ce type de séquence permet aussi l’adoption de critères d’évaluation qui demeurent les mêmes tout au long de la session[3]. Ces critères, ce sont ceux qui apparaissent sur la grille de correction du Ministère. Ayant été correctrice de l’EUF, j’ai adopté cette grille, en remplaçant toutefois sa notation littérale par une notation chiffrée correspondant à la valeur que j’accorde à chaque critère. Lorsque mes élèves se retrouvent à l’EUF, ils sont rassurés de reconnaître une grille de correction qui leur est familière. Ils sont plus attentifs à certains critères comme l’intégration de connaissances littéraires générales et formelles, bien que mes exigences en ce sens soient beaucoup plus grandes ; après tout, nous avons étudié en classe l’œuvre sur laquelle porte la rédaction.

Partage de stratégies

La conception de l’écriture qu’ont les élèves peut entraîner beaucoup de blocages[4]. Il convient de s’y attarder et de démystifier l’acte d’écrire. Plus ils verront ce dernier comme un processus dynamique, non linéaire, plus ils éviteront les pannes sèches qui leur font perdre du temps. Un élève efficace en situation de rédaction ne révise pas uniquement une fois qu’il a terminé d’écrire ; il est conscient qu’il n’est pas dramatique de sauter des lignes pour y revenir plus tard, il ne rédige pas nécessairement son introduction, son développement et sa conclusion dans l’ordre. De plus, la réussite ou l’échec d’une rédaction faite dans des conditions similaires à celles de l’EUF peut tenir à une foule de petits détails matériels, dont l’addition peut faire perdre ou gagner beaucoup de temps :

  • rédiger un plan à l’aide de phrases complètes plutôt qu’un brouillon
  • rédiger son texte à l’encre dès le premier jet et utiliser ensuite le correcteur, ou le rédiger à la mine puis repasser par-dessus à l’encre
  • ne pas recopier de citations dans son plan ; inscrire plutôt le numéro de la ligne ou de la page

Une fois la première dissertation rendue, le moment est idéal pour parler de ces stratégies ; le désir de faire mieux la prochaine fois rend les élèves beaucoup plus réceptifs à cet enseignement.

J’ai d’abord tenté d’enseigner moi-même des stratégies de gestion de temps. Ce fut peine perdue. Voilà qui est bien normal, dans une certaine mesure. Ne suis-je pas, à leurs yeux, un « prof de français », donc un être qui peut pondre sans efforts et en un éclair toutes sortes de textes ? (S’ils savaient le temps qu’il m’a fallu pour terminer cet article…) Fondée ou non, leur perception de mes habiletés supérieures en écriture m’enlève toute crédibilité lorsque vient le moment de parler des problèmes que l’on peut rencontrer en situation de rédaction. Pour cette raison, j’incite plutôt les élèves à faire un compte rendu de leur expérience. Je leur demande de me parler de leurs difficultés (manque de temps, manque d’idées, etc.). J’invite ensuite ceux et celles qui n’ont pas eu ces problèmes à partager leurs stratégies et je note celles-ci au tableau. Au besoin, par toutes sortes de questions indirectes, je les amène à suggérer eux-mêmes les stratégies qu’ils devraient employer. Ce travail de réflexion mené par les élèves a beaucoup plus d’impact que tous les discours que je pourrais leur faire.

Simplicité et efficacité caractérisent les mesures d’aide à la réussite de l’EUF que j’intègre dans mon cours de Littérature québécoise. Elles permettent à mes élèves de gagner le temps supplémentaire qu’il leur faut pour réviser leur texte, tâche plus lourde pour eux étant donné leurs faiblesses linguistiques. Comme j’observe un net progrès entre la première et la dernière rédaction, cette démarche que je leur propose semble efficace. Toutefois, la meilleure preuve de son utilité reste la satisfaction des élèves que je revois par la suite et qui considèrent que mon cours les avait bien préparés à l’EUF. Quand je pense au peu de temps que j’ai consacré à cette préparation en classe, il me semble que j’en suis quitte à bon compte !

* * *

  1. Sur la pertinence de faire rédiger des sujets par les élèves, on consultera l’excellent article d’Isabelle Delcambre, « Apprendre à écrire des commentaires composés », Paris, Recherches, no 16, 1992, p. 89-104. Retour
  2. Bien sûr, il est important de s’assurer que cet échec soit perçu par les élèves comme une occasion d’apprendre, non comme une évaluation définitive et négative de leurs habiletés. Retour
  3. Cela me semble préférable à l’accroissement des exigences. Les élèves voient mieux les progrès qu’ils ont à accomplir. Retour
  4. Sur l’obstacle à l’apprentissage de l’écriture que peuvent constituer les représentations des élèves, on consultera avec intérêt l’ouvrage d’Yves Reuter, Enseigner et apprendre à écrire, Paris, ESF, 1996. Retour

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