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La subordonnée adjointe

La subordonnée adjointe

Pierre doit renoncer à ses études parce qu’il est très malade.
Puisqu’il est très malade, Pierre doit renoncer à ses études.

En grammaire traditionnelle, les subordonnées circonstancielles marquées en gras dans les exemples cités ont la même fonction syntaxique : elles sont complément de cause du verbe principal.

La grammaire nouvelle, qui a recours à l’observation rigoureuse de la phrase, accorde un statut distinct à ces deux subordonnées : la première est complément de phrase ; la seconde est une subordonnée adjointe. Effectivement, quiconque emploie l’une ou l’autre sait qu’elles n’ont pas la même valeur, même si celle-ci n’est pas toujours facile à préciser.

Paradoxalement, la notion de subordonnée adjointe est à peu près inexistante dans la plupart des manuels scolaires qui se réclament de la grammaire nouvelle. Elle n’apparaît pas davantage dans la très connue et très répandue Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui, publiée chez Graficor. Juge-t-on cette notion trop difficile pour les élèves ? C’est, en tous les cas, ce qu’affirment bon nombre d’enseignants du secondaire de même que certains professeurs du collégial lorsqu’on tente de la leur expliquer. À l’instar des grammaires, ils préfèrent voir dans toute subordonnée circonstancielle – exception faite des corrélatives – un complément de phrase.

Dans l’exposé qui suit, nous tenterons de dégager la spécificité de la subordonnée adjointe par comparaison avec la subordonnée complément de phrase, tout en démontrant que cette distinction doit être bien comprise et prise en considération dans l’enseignement grammatical.

La subordonnée complément de phrase

La subordonnée complément de phrase est toujours une phrase enchâssée dans une P ; par le fait même, elle représente un groupe de la phrase de niveau supérieur.

L’édredon, tout noirci,

tombe en poussière

GN

GV

dès qu’on y touche. (Anne Hébert)

CP

Il existe une façon sûre de démontrer qu’on est en face d’une subordonnée complément de phrase : il suffit de poser une question qui reprend l’ensemble de la phrase ; si la subordonnée apparaît comme une réponse valable à la question, cela signifie qu’elle fait partie du niveau supérieur de la phrase et qu’elle en est un groupe constituant.

Question : Quand l’édredon, tout noirci, tombe-t-il en poussière  ?

Réponse : L’édredon, tout noirci, tombe en poussière dès qu’on y touche.

On constate que la réponse rétablit la phrase de niveau supérieur (P) et que la subordonnée représente l’un de ses groupes constituants.

Note : Pour simplification, on peut aussi répondre : Dès qu’on y touche.

On arrive à la même conclusion si l’on peut encadrer la subordonnée par mise en emphase : C’est dès qu’on y touche que l’édredon, tout noirci, tombe en poussière.

Enfin, comme on sait, la subordonnée complément de phrase peut aussi être soumise aux manipulations suivantes :

Effacement : L’édredon, tout noirci, tombe en poussière (——–).

Déplacement : Dès qu’on y touche, l’édredon, tout noirci, tombe en poussière.

L’édredon, tout noirci, dès qu’on y touche, tombe en poussière.

Reconnaissance de la subordonnée adjointe

Puisqu’il est très malade, Pierre doit renoncer à ses études.

La subordonnée en gras est une subordonnée adjointe. Comme la subordonnée complément de phrase, elle peut être effacée :

Pierre doit renoncer à ses études (———-).

ou déplacée :

Pierre doit renoncer à ses études, puisqu’il est très malade.

La ressemblance s’arrête là. En effet, aucune question ne peut être posée qui reprenne l’ensemble de la phrase et qui puisse trouver, dans la subordonnée, une réponse valable.

Question : Pourquoi Pierre doit-il renoncer à ses études ?

Réponse : *Puisqu’il est très malade.

Note : En revanche, le subordonnant « parce que » conduirait à une réponse acceptable et conférerait à la subordonnée le rôle de complément de phrase.

De même, on ne peut faire une mise en emphase : *C’est puisqu’il est très malade que Pierre doit renoncer à ses études.

Donc, l’impossibilité d’obtenir une réponse valable à la question et de procéder à une mise en emphase indique que la phrase analysée n’appartient pas à un groupe de la phrase de niveau supérieur et n’est pas enchâssée.

On ne peut ignorer des différences aussi importantes dans le comportement syntaxique de deux subordonnées circonstancielles en « noyant » l’une dans l’autre : il faut conclure que la phrase puisqu’il est très malade – comme toute autre semblable – a son statut propre et qu’on doit en rendre compte.

Dans son ouvrage intitulé Ouvrir la grammaire, Éric Genevay fait une description éclairante de la subordonnée adjointe. Selon lui, le recours à la question et la mise en emphase indiquent que, lorsqu’elle est complément de phrase, la subordonnée fait partie d’une phrase qui réalise un acte de parole unique. Par contre, la subordonnée adjointe fait partie d’une phrase qui contient deux actes de parole distincts. « Sur le plan du sens, ajoute-t-il, la subordonnée adjointe est une affirmation posée pour elle-même. La partie de l’énoncé constituée par cette subordonnée ne sert qu’à éclairer l’autre, qui représente l’acte de parole principal[1]. »

C’est ce qui se passe dans la chanson populaire du Petit Prince : Puisque c’est comme ça, nous reviendrons mardi.

On pose, comme premier acte de parole, que la personne visitée (je) est absente : c’est une constatation pour elle-même. On conclut, comme deuxième acte de parole, que « nous reviendrons mardi ».

Note : L’adjointe est considérée comme une subordonnée parce qu’elle est introduite par un subordonnant. Elle est cependant située hors champ par rapport à la phrase qui l’accompagne ; c’est pourquoi, plutôt de dire qu’elle en dépend, on dit qu’elle lui est adjointe. C’est pour cette raison qu’elle est toujours séparée de l’acte de parole principal par une ou deux virgules.

Les trois sortes d’adjointes

On distingue trois sortes de subordonnées adjointes : la justificative, la concessive et l’hypothétique.

La justificative

Cette adjointe est généralement introduite par comme, étant donné que, puisque, vu que… On la trouve aussi sous la forme d’une participiale au participe présent dont le sujet est exprimé.

Comme il est très malade, Pierre doit renoncer à ses études.

Pierre étant très malade, il doit renoncer à ses études.

Cette sorte d’adjointe a été abondamment expliquée. Ajoutons qu’elle sert à justifier, à valider en quelque sorte le propos (foyer d’information) et qu’elle ne peut jamais être elle-même le propos.

La concessive

Cette adjointe est généralement introduite par bien que, quoique, quoi que…

Bien qu’il soit très tard, il a refusé qu’on l’accompagne.

Elle exprime un fait qui s’oppose à une conclusion, mais qui n’est pas suffisamment déterminant pour empêcher la réalisation de celle-ci. Ici encore, l’adjointe est une affirmation posée pour elle-même, reconnue comme telle, indépendamment de toute autre action.

L’hypothétique

La subordonnée hypothétique est généralement introduite par si. Il faut noter cependant qu’elle peut se présenter comme un complément de phrase ou comme adjointe.

La façon la plus simple de distinguer l’une de l’autre consiste à les encadrer par la tournure c’est… que. Si l’énoncé obtenu est syntaxiquement correct, il s’agit d’une subordonnée hypothétique complément de phrase :

Nous irons en Europe si notre budget le permet.

Encadrement : C’est si notre budget le permet que nous irons en Europe.

Si l’énoncé obtenu n’est pas syntaxiquement correct, il s’agit d’une subordonnée hypothétique adjointe :

Je ne serai pas déçu si je ne gagne pas le concours.

Encadrement : *C’est si je ne gagne pas le concours que je ne serai pas déçu.

Conclusion

Il nous semble que les différences établies entre la subordonnée adjointe et la subordonnée complément de phrase sont suffisamment importantes pour qu’on ne puisse plus confondre l’une et l’autre. Admettre qu’elles jouent le même rôle est contraire à l’esprit de la nouvelle grammaire, qui met de l’avant une démarche rigoureuse, basée sur l’observation des faits grammaticaux.

Si l’on évacue la subordonnée adjointe de l’apprentissage grammatical au secondaire parce qu’on la juge trop difficile pour les élèves, raison de plus pour qu’au collégial on lui accorde une place de choix, puisque le niveau des études est supérieur par définition.

* * *

  1. GENEVAY, Éric, Ouvrir la grammaire, Lausanne, L.E.P., 1994, 274 p., p. 148. Retour

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