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Utiliser un modèle rigoureux et opératoire pour analyser des phrases et les corriger

Utiliser un modèle rigoureux et opératoire pour analyser des phrases et les corriger

Pour un enseignement rigoureux et efficace de la grammaire

La notion de modèle en science

Le MODÈLE DE BASE constitue, avec les manipulations syntaxiques, un des principaux apports de la grammaire rénovée à l’enseignement de la grammaire. Dans cette expression, le mot modèle ne renvoie pas à ce qui doit être imité, mais à une représentation théorique, abstraite, construite dans un domaine scientifique pour l’analyse d’objets ou de phénomènes.

L’idée d’un MODÈLE DE BASE[1] est héritée de la linguistique structurale de Bloomfield des années trente. On postule l’existence d’une phrase minimale ou phrase de base formée de deux constituants obligatoires, un GN[2] et un GV, placés dans cet ordre. Depuis les années soixante-dix, certains didacticiens du français se sont emparés de cette idée et ont formalisé un modèle de référence pour l’analyse syntaxique (Paret, 1996) sans toujours opérer une transposition didactique pertinente, entrainant toutes sortes de dérives.

Une confusion dans la conception

Le volet grammaire du programme de français du secondaire du ministère de l’Éducation du Québec (MEQ) de 1995, qui introduisait la grammaire nouvelle au Québec , proposait « un modèle abstrait appelé phrase de base » (MEQ, 1997, p. 132). Ce modèle devait servir de référence pour l’analyse des phrases par les élèves. Mais l’expression « phrase de base » pour désigner ce modèle prêtait à confusion. On a souvent confondu une phrase à analyser qui pouvait être conforme au modèle et le MODÈLE DE BASE lui-même[3]. Le statut théorique du modèle a été oublié et enseignants comme auteurs de matériel didactique tentaient de le formuler pour qu’il corresponde à la majorité des phrases à analyser. D’où l’invention de diverses expressions pour le désigner.

Une cacophonie de formulations

Non seulement le nom du modèle a varié d’un ouvrage ou site didactique à un autre, mais, ce qui est plus problématique encore, diverses formulations présentant ses constituants (et les symboles ou abréviations de la métalangue retenue) ont surgi. En parcourant le matériel didactique, on trouve :

  • sujet de P + prédicat de P + (complément de P) ;
  • GN + GV ;
  • GN + GV + (Compl. P) – avec ou sans parenthèses ;
  • GNS + GV + Compl. P ;
  • GS + GV + GCdeP ;
  • GNs + GV + (Gcompl. P),

pour ne nommer que les principaux. Comment s’y retrouver dans une pareille cacophonie ?

Nous ne nous attarderons pas à critiquer chacune de ces formules – toutes inacceptables[4], à nos yeux. Nous exposerons plutôt les quatre principes didactiques qui servent de base à la représentation formelle du modèle que nous proposons, en dernière partie de ce texte.

Des principes didactiques explicites

Mettre des outils rigoureux et opératoires à la disposition des élèves

Les outils mis à la disposition des élèves en grammaire doivent, d’une part, leur permettre de construire des connaissances rigoureuses sur le système de la langue et, d’autre part, être opératoires pour assurer une communication écrite et orale de qualité ; les deux objectifs étant liés. Toute simplification qui fait fi de la rigueur conceptuelle et métalinguistique d’un savoir à construire avec les élèves en classe, prétendant rendre plus simple, plus facile et plus rapide son appropriation, a des effets pervers. Les exemples abondent dans toutes les disciplines scolaires. On commence à avoir des preuves expérimentales que, même avec de jeunes élèves, une utilisation systématique et rigoureuse de la métalangue aide grandement la construction de connaissances opératoires. Il faut donc que la représentation formelle de l’outil que constitue le modèle de base soit claire, sans aucune ambigüité et conforme aux savoirs que l’on veut que les élèves s’approprient.

Travailler sur la langue telle qu’elle s’actualise dans le discours

La description de la langue que l’on présente aux élèves devrait être la moins abstraite possible sachant que les capacités de formalisation et d’abstraction des élèves de 10 à 16 ans sont encore faibles et que, même si elles se développeront encore après cet âge, elles sont toujours onéreuses sur le plan cognitif. Rendus au cégep et à l’université, les élèves sont capables d’abstraction, mais leurs connaissances grammaticales sont souvent très confuses et approximatives. Cela demande de (ré)expliquer des notions qui peuvent sembler élémentaires, comme celle de classe de mots et celle de fonctions syntaxiques, encore souvent confondues faute d’un enseignement systématique, rigoureux et contextualisé. Aussi, même au cégep, faut-il éviter de reprendre des formalisations linguistiques ; par exemple, celle qui consiste à faire du GN une représentation abstraite de toute unité qui peut être remplacée par un groupe du nom, comme c’est le cas dans la formule P = GN + GV du modèle hérité du structuralisme en linguistique, où le pronom est considéré comme un GN quand il est sujet. En conséquence, à l’école, le GN ne devrait désigner ni un pronom ni n’importe quelle unité qui peut avoir la fonction de sujet, mis à part le groupe dont le noyau est un nom.

Distinguer classes et fonctions

Pour des exigences de rigueur certes, mais aussi (et surtout) pour assurer la compréhension du fonctionnement de la langue, on évitera d’amalgamer la notion de groupe avec celle de fonction syntaxique (ce que la grammaire scolaire essaie d’éviter depuis 150 ans !). Toute unité appartient à une classe ou à une sous-classe en vertu de ses propriétés sémantiques, morphologiques et syntaxiques, et tout groupe ou unité qui remplace un groupe, dans une phrase, est en relation avec une autre unité, ce que désigne la notion de fonction syntaxique. Exit donc le GNS et les GS et GCdeP, qui sèment confusion et incompréhension !

Utiliser une terminologie grammaticale stable

L’argument avancé sans aucune preuve empirique à savoir que l’emploi de termes spécialisés pour nommer des objets grammaticaux est un obstacle à la compréhension et à la verbalisation pour les élèves, est fallacieux. Qui ne se souvient pas de la capacité inouïe de très jeunes enfants non seulement à mémoriser des noms de dinosaures ou de Pokémons (à une époque pas si lointaine), mais encore à les distinguer ? Les termes employés en classe de mathématiques (fraction, dénominateur, angle, droite, etc.) ou de géographie physique (fleuve, climat, latitude, etc.), qui renvoient à des notions scolaires transposées de concepts scientifiques, sont les mêmes tout au long de la scolarité et personne ne s’en offusque. La conceptualisation que les élèves peuvent en faire pendant cette période se transformera et, espérons-le, s’affinera. Pourquoi alors un groupe du nom deviendrait-il un groupe sujet ; un complément de phrase, un groupe facultatif ; un prédicat, un groupe verbal ? Est-ce raisonnable que la métalangue et la conception qui y est associée varient selon l’ordre d’enseignement, le matériel didactique ou l’enseignant ? Une terminologie grammaticale stable et rigoureuse favoriserait une conceptualisation adéquate des phénomènes grammaticaux.

La représentation formelle du modèle

Les seuls invariants du modèle sont la fonction de ses deux constituants obligatoires et de son (ou ses) constituant(s) facultatif(s). Le modèle sera donc formalisé uniquement par la mention du nom des fonctions de ses constituants, qui sont mutuellement exclusives (sujet, prédicat, complément de P) et non par celle des unités qui remplissent l’une de ces fonctions, puisque plusieurs unités peuvent avoir la fonction de sujet ou de complément de P. Mais lorsqu’on analysera des phrases réelles à l’aide du modèle, on devra faire une double analyse, celle des fonctions des constituants et celle de la classe de l’unité qui remplit chaque fonction.

De plus, une représentation adéquate devra aussi signaler deux autres éléments :

  1. que le constituant complément de P est facultatif, ce qui est le sens des parenthèses dans la formule exposée plus bas ;
  2. que, dans ce modèle, le sujet précède le prédicat, alors que le complément de P n’a pas de place fixe, qu’il est mobile, propriété qu’indiqueront les crochets. Affirmer, comme le font certains auteurs, que dans le modèle le constituant complément de P est toujours après le prédicat (le GV, pour certains) constitue une contradiction flagrante avec la mobilité caractéristique du complément de P.

La représentation la plus complète et rigoureuse du modèle de base sera donc la suivante :

sujet + prédicat ([complément de P])

En plus d’être rigoureuse, économique et d’une grande valeur opératoire, cette représentation a l’intérêt d’utiliser trois termes de la métalangue grammaticale que les élèves doivent maitriser progressivement à partir du 3e cycle du primaire et qu’ils devraient donc maitriser au collégial, et de mettre en évidence l’opposition de ses constituants obligatoires/facultatifs et de ses constituants fixes/mobiles.

  1. Nous désignons le modèle avec de petites capitales pour faire voir son statut d’objet théorique. [Retour]
  2. Attention, le sigle GN a ici un sens particulier ; nous y revenons dans la partie « Travailler sur la langue telle qu’elle s’actualise dans le discours ». [Retour]
  3. Les programmes actuels du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2005 pour le 1er cycle ; 2009 pour le 2e cycle) proposent deux termes pour désigner ce modèle : « modèle de base » et « modèle phrase P », ce qui entretient la confusion, puisqu’une phrase P est une phrase réalisée et non une abstraction. [Retour]
  4. La première, celle de la Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui (1re éd.), étant nettement la moins pire, bien qu’incomplète comme nous le verrons. [Retour]

Références

CHARTRAND, S.-G., et M.-Chr. PARET (2010). « Rénover l’enseignement grammatical au Québec. Les tenants et aboutissants du programme de 1995 », Québec français, no 156, p. 62-65.

MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION DU QUÉBEC (1997). Errata au programme de français du secondaire, Québec, Direction de la formation des jeunes.

PARET, M.-Chr. (1996). « Une autre conception de la phrase et de la langue pour faire de la grammaire à l’école ». Dans CHARTRAND, S.-G. (dir.). Pour un nouvel enseignement de la grammaire, Montréal, Les Éditions Logiques, p. 109-135.

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