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Entrevues avec Louise Cazeault, Jacques Désilets, André Lapré, Pierre Matteau, Bernard Morin, Jacques Richard, Peter Ross et Danielle Tessier

Entrevues avec Louise Cazeault, Jacques Désilets, André Lapré, Pierre Matteau, Bernard Morin, Jacques Richard, Peter Ross et Danielle Tessier

Entrevues avec

Louise Cazeault, cégep Beauce-Appalaches
Jacques Désilets, cégep de Sainte-Foy
André Lapré, collège André-Grasset
Pierre Matteau, cégep de Chicoutimi

Bernard Morin, collège Ahuntsic
Jacques Richard, collège Jean-de-Brébeuf
Peter Ross, collège de Bois-de-Boulogne
Danielle Tessier, collège de l’Outaouais

J‘ai cherché à connaître la position des directions des études sur la maîtrise de la langue et sur les moyens mis en oeuvre dans les collèges pour y contribuer. J’avais besoin de comprendre ce qui pouvait amener certains collèges à chercher à éliminer les CAF et d’autres à les considérer comme un bien précieux, qu’ils acceptaient de maintenir et même de nourrir malgré toutes les compressions budgétaires. J’avais également besoin de savoir si les directions des études avaient réfléchi à la question de la maîtrise de la langue et, si oui, quelles étaient les mesures qu’elles comptaient soutenir dorénavant. Je sais bien que chaque collège est unique et je n’avais pas l’intention de dégager de ces entrevues une position consensuelle ; mais les propos recueillis m’ont étonnée…Je n’ai évidemment pas pu interroger tous les directeurs des études. J’ai cependant tenté de tracer un portrait assez représentatif. J’ai choisi huit collèges : quatre qui reçoivent encore une subvention directe du Ministère pour leur CAF (deux collèges CEQ, deux collèges privés) et quatre dont le mode de financement est autre ; quatre de ces collèges sont situés dans la région de Montréal et les quatre autres, ailleurs au Québec.

Mes questions ont porté sur la politique institutionnelle de la langue, sur l’atelier d’aide en français et sur le partage des responsabilités entre les divers partenaires du collège en ce qui a trait à l’amélioration du français chez les élèves.

Politique institutionnelle de la langue

  • Avez-vous une politique institutionnelle de la langue dans votre collège ?
  • Si oui, depuis quand est-elle en vigueur ?
  • A-t-elle fait l’objet d’une mise à jour dernièrement ?
  • Si oui, à quand remonte la dernière mise à jour ?
  • Quel est l’objectif général de votre politique institutionnelle de la langue ?
  • Si vous deviez nommer deux mesures prioritaires de votre politique, quelles seraient-elles ?
  • Ces mesures sont-elles réellement appliquées ?
  • Si oui, commentez.
  • Sinon, connaissez-vous les raisons qui empêchent une pleine application de ces mesures ?

Les huit collèges interrogés ont une politique de la langue, laquelle est en vigueur depuis huit ans en moyenne. Certains collèges ont déjà procédé à une mise à jour (Chicoutimi, André-Grasset, Sainte-Foy), parfois même à deux (Outaouais). Les autres considèrent que le rapport annuel du directeur des études auprès du conseil d’administration sur l’état de la valorisation de la langue permet d’assurer le suivi nécessaire (Bois-de-Boulogne) ou perçoivent qu’une mise à jour est à prévoir bientôt. Les modifications à apporter iraient dans le sens d’un meilleur arrimage entre, d’une part, la politique de la langue et, d’autre part, la PIEA[1], le projet éducatif du collège, les nouveaux cours de littérature, l’épreuve uniforme de français (Beauce-Appalaches) et d’un meilleur arrimage, par la langue, entre la formation générale et la formation technique (Ahuntsic).

Dans leur formulation, les énoncés d’objectifs diffèrent passablement. Mais, chaque fois, on vise à permettre à l’élève d’accroître sa compétence linguistique. Dans certains cas, le projecteur est essentiellement tourné vers l’élève. C’est lui qu’on cherche à sensibiliser à l’importance de la maîtrise du français, à la particularité de la culture québécoise et francophone, etc. (Jean-de-Brébeuf). Ailleurs, c’est l’ensemble de la communauté collégiale qui est prise à partie. On cherche alors à créer un environnement éducatif en mesure d’amener chacun, quotidiennement, à faire de la qualité de la langue une priorité (Outaouais, Beauce-Appalaches, André-Grasset), de conduire à un réel engagement de tous les partenaires (Chicoutimi).

Voici les mesures prioritaires nommées par chacun des collèges.

Ahuntsic

  1. Maintenir et développer les interventions dans les cours de mise à niveau (notamment auprès des allophones) ;
  2. Travailler pour que, dans chaque plan d’étude, il y ait des indications précises sur les travaux de lecture et d’écriture attachés aux exigences des programmes.

Beauce-Appalaches

  1. Maintenir les services du centre d’aide ;
  2. Disposer d’un système de référence des élèves en difficulté pour inciter ceux et celles qui en ont réellement besoin à aller au CAF.

Bois-de-Boulogne

  1. Maintenir une grande cohérence dans l’application de la politique au sein du Département de français lui-même (le Département a d’ailleurs déjà adopté un code de correction uniforme) ;
  2. Voir à ce que l’ensemble des autres départements soutiennent le Département de français dans le rôle qu’il a à jouer.

Jean-de-Brébeuf

  1. Maintenir les services du centre d’aide ;
  2. Veiller à ce que la correction de la langue se fasse dans toutes les disciplines.

Chicoutimi

La priorité : faire en sorte que tous les enseignants évaluent la qualité de la langue. (Dans les faits, cette notion d’évaluation de la langue est déjà présente dans une très grande proportion des plans d’études.)

André-Grasset

  1. Veiller à ce qu’on évalue la maîtrise de la langue dans tous les cours ;
  2. Insister, auprès des élèves, sur l’importance de fréquenter le CAF.

Outaouais

  1. Rendre tous les départements responsables de l’évaluation de la qualité de la langue (un pourcentage des points doit être accordé — et non enlevé — à l’élève pour la qualité de sa langue) ;
  2. Rendre les élèves responsables de se prévaloir de cette mesure incitative. (Les élèves doivent s’assurer que la règle d’attribution des points soit réellement appliquée dans chacun de leurs cours.)

Sainte-Foy

  1. Appliquer un test de classement en français à tous les élèves, à l’entrée, pour orienter les plus faibles vers la mise à niveau ;
  2. Veiller à ce que la qualité de la langue soit évaluée dans toutes les disciplines.

En somme, la mesure prioritaire qui fait l’objet du plus large consensus est celle qui vise à ce que, dans toutes les disciplines, les enseignants évaluent la qualité de la langue. Cette mesure est-elle réellement appliquée ? Oui, mais très inégalement d’un établissement à un autre et d’un département à un autre. Ce qui empêcherait une pleine application de cette mesure serait le fait que, bien souvent, les enseignants hésiteraient à faire perdre des points à leurs élèves (ou pire, à les faire échouer) à cause d’un objet d’évaluation autre que ce qu’ils considèrent être la seule matière de leur cours. On mentionne également le fait que le faible niveau de maîtrise de la langue chez certains enseignants les rendrait incapables d’évaluer la qualité linguistique des copies de leurs

Atelier d’aide en français

  • Y a-t-il un atelier d’aide en français (centre d’aide) dans votre collège ?
  • Quel est son rôle au sein de votre collège ?

Ahuntsic

Le centre aide principalement les élèves faibles et les allophones. Cependant, le Département de français tente de mettre au point un nouveau modèle de CAF. La formule qui avait cours jusqu’à l’an dernier était celle d’un tutorat par des moniteurs rémunérés (étudiants universitaires). Pour des raisons syndicales, il n’est plus possible pour le Collège d’embaucher de tels moniteurs. Le centre fonctionne maintenant par la voie de l’heure d’encadrement que certains enseignants y consacrent. Mais il faut revoir la formule et, surtout, trouver une base de financement permanente. Étant donné que, ne serait-ce que pour des raisons financières, chaque collège est « condamné à la réussite » de ses élèves, il faut trouver un moyen d’aider ceux et celles qui en ont besoin. Il faudra faire appel à l’ensemble des personnels et aux syndicats pour chercher à s’entendre sur une allocation de ressources récurrentes au CAF.

Beauce-Appalaches

Ce sont surtout les élèves faibles envoyés par les professeurs de français qui fréquentent le CAF — de façon quasi obligatoire. Le CAF est maintenu cette année grâce à l’heure d’encadrement de certains enseignants de français et aux tuteurs rémunérés (élèves du collège qui reçoivent une formation d’appoint). Mais ce mode de fonctionnement ne peut être que temporaire, et les sources de financement (droits afférents des étudiants — pour embaucher des tuteurs –, ressources d’encadrement et même budget régulier du collège) seront revues.

Bois-de-Boulogne

Le SALF (Service d’aide en langue française) offre, comme ailleurs, des services aux élèves faibles, notamment par la voie de tuteurs formés avec le cours Relation d’aide. Son mandat prévoit également des services à l’ensemble de la communauté (révision linguistique, aide à la correction). Le Collège reçoit encore une subvention directe du Ministère et les activités du SALF sont maintenues.

Jean-de-Brébeuf

Au centre, on offre d’abord de l’aide aux élèves qui éprouvent le plus de difficultés en français écrit, notamment aux élèves inscrits au cours de mise à niveau. Cette année, le CAF fonctionne encore, mais sa formule est en révision. Jusqu’à l’an dernier, un professeur de français était affecté (un tiers de tâche) à la coordination des activités du centre, et les services aux élèves étaient assurés par des tuteurs rémunérés (étudiants universitaires). Cette année, ce tutorat est maintenu, mais la coordination du centre a été confiée à un comité d’enseignants du Département de français.

Chicoutimi

Le centre d’apprentissage travaille auprès des élèves faibles en français et il cherche à y amener les élèves qui en ont réellement besoin. C’est un défi ! Souvent, ces élèves nient leurs difficultés ou ne sont pas motivés à entreprendre une démarche de perfectionnement. La formule du centre est celle du tutorat par les pairs (cours Relation d’aide) ; elle fonctionne très bien. Une étude interne a montré que les élèves qui fréquentent le centre améliorent leurs résultats en français et dans les autres matières.

Grasset

Une personne (non enseignante) dirige une douzaine de tuteurs (élèves du collège) qui encadrent leurs pairs dans un processus d’amélioration de la langue écrite. Les élèves qui fréquentent le centre sont dépistés à la première session et sont obligés de suivre le programme du CAF à la deuxième session. La responsable du centre assure également la révision linguistique de tous les documents officiels du collège et soutient elle-même les élèves qui ont le plus de difficulté.

Outaouais

Le centre cherche d’abord à aider les nouveaux élèves. À la suite d’un test de classement, les élèves faibles sont dirigés vers le programme le plus approprié (didacticiel, dictée, formation avec tuteur, etc.). Les tuteurs sont des élèves du collège inscrits au cours Relation d’aide. Mais les 100 tuteurs formés ne suffisent pas à répondre aux demandes des élèves faibles. C’est pourquoi le Département de français a été appelé à trouver une formule plus allégée pour l’an prochain.

Sainte-Foy

Le centre d’aide (le TANDEM) offre un soutien aux élèves en difficulté dans plusieurs matières. La formule est celle de l’aide par les pairs (cours Relation d’aide) et par des tuteurs rémunérés. Le Collège reçoit encore une subvention directe du Ministère et le TANDEM, formule bien rodée, fonctionne très bien.

Partage des responsabilités entre les divers partenaires du collège

  • L’exigence de réussir l’épreuve uniforme de français pour obtenir un DEC oblige les partenaires du milieu collégial à s’assurer que les élèves maîtrisent la langue écrite à la fin de leurs études. Dans votre collège, comment se fait actuellement le partage des responsabilités ?
  • Autrement dit, quelle part de la responsabilité d’amener les élèves à maîtriser la langue écrite revient actuellement à l’atelier d’aide en français ? aux cours de mise à niveau ? aux cours obligatoires de français ? aux cours des autres disciplines ? à l’élève ? à la direction des études ?

De façon presque unanime, on estime que c’est aux cours obligatoires de français que revient la plus large part de la responsabilité d’amener les élèves à maîtriser la langue écrite. Bien qu’un seul collège (Ahuntsic) ait placé l’élève en tête de liste, d’autres ont souligné le fait que l’élève lui-même doit être conscient du besoin d’améliorer sa langue et, en conséquence, utiliser les moyens mis à sa disposition.

C’est ensuite aux cours de mise à niveau et aux centres d’aide que l’on attribue une part importante de cette responsabilité. Cependant, on observe que leurs interventions ne rejoignent qu’une faible proportion de la population scolaire.

La part de la direction des études est faible si l’on considère son rôle direct auprès des élèves. Mais elle est très grande si on prend en considération aussi son pouvoir décisionnel en ce qui a trait aux mesures à mettre en place pour favoriser l’amélioration de la langue et au leadership qu’elle doit assumer dans ce domaine.

Enfin, de façon générale, les cours des autres disciplines semblent se voir attribuer, à l’heure actuelle, une faible part de la responsabilité. Cependant, ce qui ressort clairement, c’est que c’est probablement de ce côté qu’il est maintenant temps de se tourner pour que les actions menées auprès des élèves portent fruit et que les résultats s’améliorent. Les élèves devraient lire et écrire dans tous les cours (Sainte-Foy). Il sera plus facile de responsabiliser l’élève si le message est clair, partagé et cohérent (Bois-de-Boulogne). Les élèves doivent sentir qu’ils n’ont pas le choix.

Un collège (Beauce-Appalaches) a insisté sur l’importance de promouvoir des produits culturels en langue française.

On a soulevé quelques éléments sur lesquels il faudra réfléchir, notamment le fait qu’il faut prendre en considération l’environnement global duquel provient l’élève pour comprendre ses difficultés en français. Certaines méthodes de travail inefficaces, développées antérieurement sont à défaire ; certaines convictions personnelles doivent être ébranlées — par exemple, celle voulant qu’un élève qui a réussi son examen ministériel de français au secondaire et qui a obtenu son DES sache écrire et qu’il n’ait pas besoin de suivre un cours de mise à niveau ou de fréquenter le CAF (Ahuntsic).

On remarque aussi le défi, dans certains programmes, d’arriver à faire valoir l’importance du français alors que c’est vers l’anglais que le milieu se tourne plus naturellement, avant même que le français ne soit maîtrisé (Sainte-Foy).

On insiste enfin sur la très lourde responsabilité que le milieu délègue aux enseignants de français et sur la charge de travail considérable qui leur échoit ; on va même jusqu’à affirmer que dans aucune convention collective, on n’a le courage d’avouer que la tâche de ces professeurs est plus lourde que celle des autres en raison du fardeau de la correction (Outaouais). Les gens s’entendent sur le fait qu’un élève qui fréquente un collège doive pouvoir y améliorer ses compétences linguistiques, mais peu se sentent porteurs de cette responsabilité de contribuer à l’amélioration de la langue ; il faudrait donc, comme on le souligne au cégep de l’Outaouais, réveiller la conscience collective.

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  1. PIEA : politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages. Retour

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