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La phrase de base et une de ses utilisations

La phrase de base et une de ses utilisations

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oute notion de grammaire enseignée doit avoir une utilité et tout apprenant doit en comprendre la nécessité et la portée dans ses pratiques langagières. Toute notion doit donc avoir un avenir. Celle de « phrase de base » en a certainement un, car c’est une des notions les plus opérationnelles de la grammaire nouvelle. C’est pourquoi je vous propose une réflexion sur cet outil. Suivra une courte fiche théorique extraite de mon matériel pédagogique.

S’il est vrai qu’il est important d’utiliser une terminologie grammaticale rigoureuse, on peut s’étonner de la variété des définitions que l’on trouve de la phrase de base. Le tableau[1] suivant en présente quelques exemples :

  • Sujet de P + prédicat de P + (complément de P)
    CHARTRAND, S.-G., et autres (1999).
    Grammaire pédagogique de français d’aujourd’hui, Graficor, p. 65.
  • Un sujet et un prédicat, qui contient un groupe du verbe
    LECAVALIER, J. (2009). L’express grammatical, ERPI, p. 2.
  • GN + GV
    BOIVIN, M.-C., et collab. (2008). La grammaire moderne. Description et éléments pour sa didactique, Beauchemin, p. 2.
  • GN + GV + (Compl. P)
    BOULANGER, A., et autres (1999).
    Construire la grammaire, de la Chenelière, p. 55.
  • GNS + GV + Compl. P
    GENEVAY, E. (1994).
    Ouvrir la grammaire, de la Chenelière, p. 53.
  • GS + GV + GCdeP
    NADEAU, M., et C. FISCHER (2006).
    La grammaire nouvelle. La comprendre et l’enseigner, Gaëtan Morin, p. 91.
  • GNs + GV + (Gcompl. P)
    FORTIER, D., et collab. (2000).
    L’essentiel et plus, p. 6.

Des auteurs choisissent de définir la phrase de base par les fonctions des groupes qui la constituent (sujet, prédicat, complément de phrase) ; d’autres, par la catégorie de ces groupes (GN, GV) ; certains, par un mélange entre la catégorie des groupes et leur fonction (GNS, GV, compl. de P) : une diversité qui cause un véritable casse-tête aux enseignants.

De toutes ces définitions, la seule qui tienne compte d’une terminologie grammaticale rigoureuse est la suivante : sujet, prédicat et complément de P, car cette définition ne comprend que des fonctions syntaxiques. En effet, si l’on nomme les constituants de la phrase de base par leur catégorie, on se trouve bloqué pour nommer le complément de phrase, qui peut être un GN, un groupe prépositionnel, un groupe adverbial ou une subordonnée : GN + GV + ? De ce fait, la définition « sujet, prédicat, complément de phrase » est-elle celle à privilégier ?

Mon expérience « terrain » me prouve que non. Pour les étudiants, le mot SUJET ne représente que le noyau du groupe qui occupe la fonction sujet et non le noyau et ses expansions. Par exemple, ils diront que le sujet de la phrase suivante : Une intervention efficace de l’armée américaine et des forces irakiennes a permis d’arrêter six terroristes, est une intervention et non tout le groupe une intervention efficace de l’armée américaine et des forces irakiennes. Les notions de groupe et de noyau sont donc essentielles. En effet, la reconnaissance du noyau du groupe sujet, donneur d’accord, permet de vérifier l’accord du verbe, le receveur. Ainsi, on évitera les erreurs suivantes :

&Oslash Les GENS qui sont responsables de cet évènement dramatique A TUÉ des centaines de personnes.

La notion de groupe permet également de délimiter l’étendue du sujet pour ponctuer correctement une phrase comme celle-ci :

&Oslash Tout individu qui est aimé pour ce qu’il est et non pour ce qu’il représente, va développer une forte estime de lui-même.

Quant à la notion de PRÉDICAT, si elle peut paraitre[2] évidente aux didacticiens du français, elle n’éveille aucune résonance dans l’esprit des étudiants. Tout groupe (ou toute subordonnée) joue un rôle dans une phrase, c’est-à-dire qu’il se trouve en relation avec un autre élément (mot ou groupe). Cette relation fondamentale peut être marquée par un accord. Or en quoi la compréhension du terme prédicat : ce qu’on affirme ou nie à propos de quelque chose – qui est d’ailleurs, comme celle de sujet entre autres, une fonction sémantique plutôt que syntaxique – aidera-t-elle les étudiants à vérifier l’accord du verbe avec le sujet, par exemple ? Pour l’étudiant moyen, le terme prédicat ne véhicule aucune image. Et quand bien même il évoquerait pour lui un prédicateur prononçant un prêche, je ne vois toujours pas en quoi cela l’aiderait. La fonction de prédicat ne peut être remplie que par le GV ; la catégorie et la fonction se confondent donc, ce qui n’est pas le cas du sujet, fonction qu’un GN, un pronom, une subordonnée peuvent remplir. Il suffit de mentionner que la fonction du GV est celle de prédicat, sans pour autant l’intégrer dans la définition de la phrase de base.

Passons à la définition de la phrase de base GN + GV. Par convention, le 1er constituant est appelé GN, même si la fonction de sujet peut être occupée par un pronom ou une subordonnée. Or, il est difficile pour un étudiant de comprendre qu’un GN, défini comme un groupe dont le noyau est un nom, puisse être « constitué » d’un pronom ou d’une phrase subordonnée. Nos étudiants ont besoin de concret, de sens unique.

Terminons par la « définition mixte » constituée d’un métissage entre la catégorie et la fonction des groupes qui constituent la phrase de base : GNS ou GNs ou GS + GV + Compl. P ou GCdeP ou (Compl. P) ou (Gcompl. P). Éric Genevay, un éclaireur incontournable, propose la structure GNS + GV + Compl. P, structure critiquée pour son manque de rigueur : mélange entre catégories (GN, GV) et fonctions (sujet, complément de phrase). Le problème avec l’appellation GNS, c’est que les étudiants nomment GNS tout groupe nominal, quelle que soit sa fonction.

Ce manque de rigueur, qui consiste en un métissage entre la catégorie et la fonction des groupes, a pourtant du bon. Après avoir observé mes étudiants et analysé les réflexions d’enseignants, j’ai choisi de nommer les constituants obligatoires de la phrase de base GS + GV + GCP, à l’instar de Nadeau et Fisher. Ainsi, le GS inclut tout élément – groupe, minimal ou étendu, ou subordonnée – pouvant occuper la position de sujet, c’est-à-dire la 1re place. Pour la 2e place, on précise seulement la catégorie, puisque la fonction du GV est toujours la même. Enfin, la fonction de complément de phrase pouvant être occupée par diverses constructions, on ne nomme que sa fonction, fondamentale dans la notion de phrase de base. Cette « délinquance » grammaticale permet aux étudiants d’analyser toute phrase syntaxique en repérant l’étendue du groupe qui occupe la position de sujet ou de complément de phrase, ce qui contribue à éliminer deux des erreurs de ponctuation les plus courantes. Par exemple, on verra trop souvent l’erreur suivante avec un long GS : ? La disparition de la dernière population connue de mammouths laineux, serait due à un évènement soudain, erreur sans doute due à l’essoufflement qui se fait sentir car, pour nombre d’étudiants, on met une virgule pour marquer une pause. La ponctuation dépendrait donc de notre capacité pulmonaire ! C’est pourquoi également ils n’utilisent pas la virgule avec le GCP placé en tête de phrase, car ils ont encore du souffle, mais ils en mettront une après le GV dans l’exemple suivant, car ils en manquent : ? En fin d’après-midi je n’avais pas envie de rentrer chez moi, parce que j’avais peur que mes parents me disputent.

Autre divergence relative à la définition de la phrase de base dans les ouvrages cités précédemment : l’ordre d’apparition des constituants.

Par exemple,

  • Pour Chartrand, dans la phrase de base, conforme au MODÈLE DE BASE, « le sujet de P précède le prédicat de P. Si la P contient un complément de P, il peut être placé avant le sujet, entre le sujet et le prédicat, dans le prédicat ou après le prédicat » (p. 63).
  • Pour Genevay, « Le groupe nominal sujet (GNS) et le groupe verbal (GV), prédicat, correspondent à deux positions dans la structure PHRASE P. En tant que constituants obligatoires, le groupe nominal sujet et le groupe verbal qui le suit constituent ce qu’on appelle une phrase minimale. » (p. 52) « Un ou plusieurs groupes peuvent s’ajouter à la phrase minimale. Ces groupes sont appelés compléments de phrase […]. Dans le schéma de la structure PHRASE P, le complément de phrase sera représenté sur la droite de l’arbre […] » (p. 53), mais il n’est pas précisé si cette place est fixe dans la formule de la phrase de base.
  • Pour Nadeau et Fisher, « dans une phrase de base, les constituants suivent toujours le même ordre : P = GS + GV + GCdeP » (p. 91).

Disons que chacun semble formuler sa propre définition de la phrase de base, quel que soit le terme utilisé pour la nommer, alors qu’elle sert pourtant de modèle pour analyser la plupart des phrases. Après avoir testé sur le terrain les définitions décrites ci-dessus, j’ai opté pour un modèle dans lequel l’ordre des constituants est fixe (à l’instar de Nadeau et de Fisher) : cette caractéristique permet d’appliquer et de réviser des règles de base en ponctuation, lesquelles constituent les principales erreurs dans les textes d’étudiants. La fiche qui suit en montre la pertinence.

* * *

  1. Significations des abréviations et des symboles du tableau : • Compl. de P : complément de phrase ; • Gcompl. P ou GCdeP : groupe complément de phrase ; • GN : groupe nominal ou groupe du nom ; • GNS ou GNs : groupe nominal sujet ou groupe du nom sujet ; • GV : groupe verbal ou groupe du verbe. [Retour]
  2. Ce texte est rédigé conformément aux rectifications orthographiques en vigueur. [Retour]

 

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