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Analyse de quelques défauts de cohérence textuelle

Analyse de quelques défauts de cohérence textuelle

Échos de recherche
Lorraine Pepin est professeure à l’Université du Québec à Rimouski. Elle est l’auteure de La cohérence textuelle, l’évaluer et l’enseigner – Pour en savoir plus en grammaire du texte (Groupe Beauchemin Éditeur).

À la suite d’une recherche portant sur 90 textes d’étudiants d’université et d’élèves du secondaire, l’auteure a élaboré une typologie des principaux défauts de cohérence textuelle. Elle nous en propose ici un bref aperçu.

La recherche en grammaire du texte est relativement récente. Elle consiste à étudier principalement les caractéristiques linguistiques visibles du texte qui contribuent à la reconnaissance de sa cohérence, c’est-à-dire de son unité, de son intégrité par le lecteur. La cohérence textuelle n’est donc plus la vague notion qu’elle était et elle peut désormais être explicitée, puis enseignée, du moins dans ses principes fondamentaux.

Son évaluation demeure toutefois fort problématique. Il ne sert à rien, en effet, de relever les marqueurs de cohérence d’un texte si l’on ne peut déterminer du même coup s’ils sont en quantité suffisante ou s’ils ont été utilisés à bon escient. Il manque donc, à la liste des procédés de cohérence établie par les grammairiens du texte, des critères d’évaluation qui nous permettent de repérer les défauts de cohérence d’un texte, d’en trouver la cause, d’expliciter notre jugement et de proposer une correction appropriée.

C’est cette lacune que nous avons voulu combler en élaborant, grâce à l’analyse détaillée des 90 textes de deux corpus et de leurs imperfections, une typologie des défauts de cohérence textuelle où les divers procédés de cohérence sont définis puis illustrés par des exemples de déviance à leurs règles d’application.

Dans les paragraphes qui suivent, nous présentons une partie de cette typologie en analysant quelques défauts de cohérence reliés à la cohésion, à l’étagement (ou hiérarchisation) et à ce que nous appellerons « la résolution incertaine ». Les extraits analysés proviennent de textes d’étudiants à l’université et d’élèves de cinquième secondaire. Les textes des étudiants universitaires portent sur les avantages et les inconvénients de la télévision ou de l’automobile ; ceux des élèves du secondaire sont intitulés « Devrait-on imposer un plafond au salaire des athlètes professionnels ? »

1. Défauts de cohésion

La cohésion est la qualité d’un texte dont les phrases paraissent reliées entre elles, comme les maillons d’une chaîne. Le texte se déroulant dans le temps, la mémoire est très sollicitée et elle doit être soutenue régulièrement d’un énoncé au suivant. Dans le texte, ce qui est ainsi rappelé à la mémoire, d’une phrase à une autre, est essentiellement ce dont on vient de parler, en quoi consiste la cohésion thématique, ainsi que la signification de ce que l’on vient d’en dire, qui concourt à la cohésion sémantique. Les procédés qui assurent ainsi la cohésion du texte sont, d’une part, la récurrence, la coréférence, la contiguïté sémantique, le parallélisme sémantique, le contraste sémantique et la résonance, qui portent la trace thématique ou sémantique de ce qui vient d’être dit ; d’autre part, on trouve la jonction (ou liaison par connecteurs), qui participe à la cohésion en indiquant le sens d’une relation entre deux phrases. Pour qu’il y ait cohésion, il importe que ces traces puissent être reconnues par le lecteur et qu’elles soient suffisamment présentes, d’une phrase à une autre, pour ne pas briser la chaîne. Dans les cas contraires, un défaut de cohésion est relevé. Analysons à l’instant quelques défauts de cohésion reliés au parallélisme sémantique, au contraste sémantique et à la résonance.

1.1. Défauts reliés au parallélisme sémantique

Le parallélisme sémantique est l’établissement d’une correspondance sémantique biunivoque entre les termes comparables de deux phrases pour mettre en valeur les ressemblances et les différences entre ces deux phrases.

Dans les défauts classés ici, tous les termes d’une phrase pouvant faire l’objet d’une comparaison ou d’un rappel dans une phrase subséquente ne sont pas mis en correspondance avec un terme de cette phrase.

Exemples :

(1) Aujourd’hui, le hockey est un sport brutal et très cher. Est-ce normal, en effet, qu’un bon joueur de hockey professionnel ait un meilleur salaire que notre Premier Ministre ? [Dire : Aujourd’hui, le hockey est un sport brutal et très cher. Est-ce normal, en effet, qu’un bon joueur de hockey professionnel (ajouter : « doive d’abord savoir plaquer l’adversaire » pour établir un parallèle avec « brutal ») et qu’il ait un meilleur salaire que notre Premier Ministre ? (déjà mis en correspondance avec « très cher »).]

(2) Le Premier Ministre est la personne qui dirige tout le pays et il a à régler les problèmes passés, présents et futurs. Le joueur de baseball, lui, ne dirige qu’une balle. [Ajouter : « et ce, dans le strict moment présent » pour mettre en correspondance avec le souligné.]

Comme le montrent les corrections proposées, l’application complète du parallélisme sémantique, dans la deuxième phrase d’une paire, a pour effet de mettre en valeur tout ce qui vient d’être dit dans la première et qui peut faire l’objet soit d’un simple rappel, soit d’une explication (exemple 1), ou encore, d’une mise en opposition (exemple 2). L’application incomplète du procédé, au contraire, relègue dans l’oubli les informations de la phrase 1 qui n’ont pas été reprises ou comparées dans la phrase 2 comme elles auraient dû l’être et qui deviennent donc inutiles, ne participant en rien à la construction du texte.

1.2. Défauts reliés au contraste sémantique

Le contraste sémantique est la mise en relief d’une opposition sémantique déjà exprimée entre deux phrases, par l’utilisation de l’antonymie entre deux termes stratégiques de ces phrases. Par exemple, dans « Paul est un enfant timide. Pourtant, c’est avec assurance qu’il a récité son poème », l’opposition déjà exprimée par le connecteur « pourtant » est confirmée, renforcée, mise en relief par l’usage de l’antonymie entre « timide » et « avec assurance ». De plus, l’ajout de « avec assurance », dans la phrase 2, rappelle, par contraste, un terme important, stratégique de la phrase 1.

Le contraste sémantique est parfois redondant, parfois essentiel. Il est redondant lorsque le sens qu’il exprime est déjà donné ailleurs dans la phrase 2. Ainsi, dans « Paul est un enfant timide. Pourtant, c’est avec assurance (ou « avec courage ») qu’il a affronté la foule », l’assurance et le courage sont déjà évoqués par le seul fait d’affronter une foule. Lorsque l’application du contraste sémantique est essentielle à la compréhension d’une opposition entre deux phrases, c’est parce qu’à l’inverse, cette opposition est trop faiblement exprimée et qu’il faut la renforcer. C’est le cas des défauts de la présente catégorie, dont voici des exemples, commentés dans les exemples mêmes.

(3) Dans ma famille, nous sommes des gens bien ordinaires. Mais grâce aux nombreuses années passées dans le monde de la politique, mes parents et moi avons acquis un sens de la critique et de la tolérance très élevé (Dire : « un sens de la critique et de la tolérance extraordinaire ou hors du commun » pour mettre en contraste avec « gens bien ordinaires » et pour rappeler cette expression ; « très élevé » n’est pas assez fort pour exprimer l’opposition annoncée par « Mais ».]

(4) (Suite de l’exemple précédent) Mais grâce aux nombreuses années passées dans le monde de la politique, mes parents et moi avons acquis un sens de la critique et de la tolérance très élevé. Pourtant, vers le mois de janvier, nous apprenions que les hockeyeurs demandaient un plus gros salaire. [Dire : « Pourtant, c’est avec indignation que... » pour contraster avec « tolérance », un contraste essentiel à la compréhension de l’opposition promise par « Pourtant ». Sans le contraste sémantique, « Pourtant » oppose deux énoncés qui ne sont pas comparables : 1- Nous sommes tolérants. 2- (Pourtant) nous avons appris telle nouvelle.]

1.3. Défauts reliés à la résonance

La résonance est l’utilisation de « termes disjoints » (« Pierre, lui … » ; « moi-même, je … » ; « pour ma part, je… » ; etc.) pour maintenir la continuité thématique lorsque les besoins de la progression du discours exigent l’introduction de thèmes nouveaux.

Dans « Luc (…). Pierre, lui, (…) », il n’est nul besoin d’en lire davantage pour savoir que Luc et Pierre sont liés. Les termes disjoints « Pierre-lui » évoquent nécessairement, par résonance, la présence de quelqu’un d’autre dans le contexte antérieur, ce qui crée de la continuité thématique. Un tel emploi des termes disjoints est très efficace pour corriger nombre de ruptures thématiques ou de ruptures de l’énonciation parmi les défauts d’un corpus.

Tel qu’illustré aux exemples 5 et 6, plus bas, la résonance est requise lors de brusques changements de la thématique.

(5) [On discute des avantages et des inconvénients de la télévision.] Pour les enfants, ma mère disait que… He bien c’est faux. [Assez longue digression.] Les plus vieux disent que la télé… [Dire : « Les plus vieux, eux, … » ; ou « Pour leur part, les plus vieux… »]

(6) Même si un athlète ne pourra pas jouer aussi longtemps qu’il l’espère, l’argent qu’on lui donnera sera plus que nécessaire pour le reste de sa vie. Un docteur ne pourra s’attendre qu’à une petite pension de rien qui ne lui durera que quelques années. [Dire : « Un docteur, lui, ne pourra … » ; ou « Un docteur, quant à lui,… »]

2. Défauts d’étagement (ou de hiérarchisation)

Une chaîne de phrases cohésives ne forme pas nécessairement un texte cohérent. Il faut encore imprimer une hiérarchie aux énoncés, c’est-à-dire indiquer leur importance relative, et inscrire par là le point de vue privilégié d’où on se place pour développer une idée ou décrire un événement. Les procédés de hiérarchisation (ou d’étagement) sont le regroupement des informations, leur ordre de présentation, leur coordination, leur articulation, l’annonce explicite de leur organisation hiérarchique, la mise en valeur de leur caractère de nouveauté ou d’ancienneté ainsi que le parallélisme syntaxique.

Il y a un défaut d’étagement lorsque le rang hiérarchique qui est attribué à une information n’est pas clair ou qu’il entre en conflit avec d’autres indications, comme on le verra dans les deux prochaines catégories de défauts.

2.1. Problèmes dans l’ordre de présentation et la coordination des informations (informations compétitives)

L’ordre de présentation des énoncés impose une structure hiérarchique à un ensemble du fait que l’énoncé qui est présenté en premier, sur l’axe spatio-temporel du texte, est généralement considéré comme dominant, les autres devant le servir pour l’élaborer, l’expliquer ou l’illustrer. La coordination, de son côté, a pour effet d’attribuer le même statut hiérarchique aux énoncés coordonnés et elle s’exprime essentiellement par les connecteurs additifs (de plus, en outre, également…).

Dans les défauts classés ici, il est difficile de comprendre la structure hiérarchique d’un ensemble, de discerner qu’est-ce qui domine quoi, qu’est-ce qui est subordonné ou coordonné à quoi. Exemple :

(7a) 1- La télé est un bon moyen de communication. (Conséquence 1) 2- Elle permet d’envoyer des messages instantanément à des millions de spectateurs. (Cause ou explication) / 3- Et c’est pour cette raison que la télé est le média le plus exploité. (Conséquence 2)

L’exemple 7a expose deux conséquences pour une même cause, et il n’y a rien là d’anormal, sauf que les deux conséquences ne sont ni contiguës, ni coordonnées comme elles le devraient. Comme résultat, le lecteur voit deux petites structures, deux petits « textes » séparément : les phrases 1 et 2, d’une part, et les phrases 2 et 3, d’autre part ; mais il ne voit pas l’ensemble 1-2-3. C’est dire que les deux conséquences sont vues séparément, une à la fois, mais pas concurremment. Elles nous apparaissent même compétitives, la seconde « avalant » la première. Afin de bien faire ressortir chacune des deux conséquences de l’exemple 7a, il faudrait combiner les deux conséquences en une seule phrase ou les rendre contiguës et les coordonner à l’aide d’un connecteur, comme à l’exemple 7b, plus bas.

(7b) La télé permet d’envoyer des messages instantanément à des millions de spectateurs. Et c’est pour cette raison qu’elle est non seulement un bon moyen de communication, mais aussi le média le plus exploité. [Ou : « C’est pour cette raison qu’elle est un bon moyen de communication. C’est aussi pour cette raison qu’elle est le média le plus exploité. »]

Bref, la correction des défauts d’étagement de la présente catégorie nécessite de réordonner les phrases et de les coordonner. Il existe pourtant des cas où la coordination seule suffit pour rétablir la structure hiérarchique de l’ensemble. En voici un exemple.

(8) 1- Bien souvent, la compétition sportive se transforme en une sorte de compétition salariale. 2- En tenant compte de ce fait, devrait-on imposer un plafond aux salaires des athlètes professionnels ? / 3- Selon moi, oui, parce qu’il y aurait sûrement autre chose à faire avec tout cet argent que l’on donne aux athlètes. [Correction : « Selon moi, oui, d’autant plus qu‘il y aurait sûrement autre chose à faire avec tout cet argent que l’on donne aux athlètes. »]

2.2. Manque de parallélisme syntaxique

Le parallélisme syntaxique (à ne pas confondre avec le parallélisme sémantique) est un procédé d’étagement qui vise à établir une correspondance hiérarchique biunivoque entre les termes comparables de deux phrases devant former un ensemble cohérent. De ce fait, il repose sur l’application de divers procédés de hiérarchisation des informations dans la phrase, dont l’ordre des mots ou des propositions, les gallicismes et les marqueurs de condition. Considérons l’ensemble suivant : « Hier, Michel a joué au football. Il ira nager demain » et reconnaissons qu’il est difficile de savoir si cet ensemble parle des activités de Michel (ce qu’il a fait hier, ce qu’il fera demain) ou de leur horaire (quel jour Michel fait telle et telle activité). C’est que chaque phrase de cet ensemble est hiérarchisée de telle sorte qu’elle répond à une question implicite différente. Ainsi, la première répond à « Qu’a fait Michel hier ? » et la seconde, à « Quand Michel ira-t-il nager ? ». Par conséquent, elles sont difficilement comparables entre elles.

Or l’ensemble « Hier, Michel a joué au football. Il ira nager demain. » recouvrera son unité si l’on dit « Hier, Michel a joué au football. Demain, il ira nager. », où les deux phrases répondent alors à la même question implicite : « Qu’a fait ou que fera Michel tel et tel jour ? ». Dans ce cas, on aura mis les termes comparables des deux phrases (qui, fait quoi, quand) dans le même rapport hiérarchique en modifiant l’ordre des mots de l’une des phrases. On pourra également utiliser le gallicisme et dire : « C’est hier que Michel a joué au football. Il ira nager demain. », ce qui permettrait de répondre, cette fois, à la question implicite commune « Quel jour Michel fait-il telle et telle activité ? ». Quant à l’usage des marqueurs de condition, il ne peut s’appliquer ici.

Dans les défauts de la présente catégorie, deux phrases explicitement reliées donnent chacune des informations contradictoires sur le statut hiérarchique d’éléments qu’elles ont en commun. Par conséquent, elles manquent de parallélisme syntaxique. En voici des exemples, tirés d’un autre corpus que le corpus habituel.

(9) 1- Je crois qu’il est important de poursuivre des études dans la mesure où nous voulons apprendre et que financièrement, nous en avons les moyens. / 2- Mais surtout, je considère que pour avoir un emploi convenable, il nous faut faire des études. [Inverser ainsi l’ordre des propositions de la phrase 2 pour un meilleur parallélisme syntaxique : « Mais surtout, je considère que les études sont indispensables à l’obtention d’un emploi convenable ». Ou bien utiliser le gallicisme comme suit : « Mais surtout, je considère que c’est pour avoir un emploi convenable qu’il nous faut faire des études. »]

(10) 1- Les gens qui ne possèdent que leur secondaire 5 ont nettement plus de difficulté à se trouver un emploi. 2- De plus, ils sont souvent rémunérés au salaire minimum et se retrouvent souvent avec des emplois temporaires. / 3- Enfin, ils ne peuvent penser accéder à un emploi supérieur s’ils ne veulent pas retourner sur les bancs de l’école. [Inverser comme suit l’ordre des propositions de la phrase 3 : « Enfin, s’ils ne veulent pas retourner sur les bancs de l’école, ils ne peuvent penser accéder à un emploi supérieur. », ou conserver l’ordre initial, mais réduire l’importance de la dernière proposition en l’introduisant par un marqueur de condition : « Enfin, ils ne peuvent penser accéder à un emploi supérieur, à moins de retourner sur les bancs de l’école. »]

Dans l’exemple 9, la phrase 1 répond à « Pourquoi est-il important de faire des études ? » alors que la phrase 2, qui lui est explicitement reliée par « Mais surtout », répond à « Que faut-il faire pour avoir un emploi convenable ? ». Dans l’exemple 10, les phrases 1 et 2 répondent à « Qu’arrive-t-il aux gens qui ne possèdent que leur secondaire 5 ? », alors que la phrase 3, qui leur est reliée par « Enfin », répond à « Dans quelle condition ne peuvent-ils accéder à un emploi supérieur ? ». Pour chaque exemple fautif, donc, les éléments comparables de deux phrases explicitement reliées par un connecteur sont hiérarchisés différemment dans l’une et dans l’autre phrase, ce qui nuit à la saisie de l’unité d’ensemble. Le remède consiste à modifier le statut hiérarchique des éléments d’une phrase pour qu’il concorde avec celui de ses vis-à-vis dans l’autre phrase. Dans les exemples cités, le parallélisme syntaxique a pu être rétabli soit en modifiant l’ordre des propositions (exemples 9 et 10), soit en utilisant un gallicisme (exemple 9) ou un marqueur de condition (exemple 10).

3. Défauts à résolution incertaine

Les défauts à résolution incertaine sont caractérisés par l’impossibilité de proposer une correction du fait que les segments visés par ces défauts sont trop étrangers l’un à l’autre pour permettre d’inférer avec un minimum de certitude les liens manquants. S’il est irréaliste de songer à corriger de tels défauts par l’application discrète d’un procédé de cohésion ou d’étagement, on pourra toutefois expliquer sa maladresse au scripteur après avoir établi la catégorie précise du défaut relevé. Nous avons décrit cinq catégories de ces défauts à résolution incertaine : juxtaposition des informations, mauvaise organisation des informations, imprécision des informations, déviation des informations, retard des informations. Voyons un cas de juxtaposition et un autre de déviation des informations.

3.1. Juxtaposition des informations

Les défauts dits de « juxtaposition » contreviennent à une règle fondamentale de la formation des textes, à savoir que tout énoncé doit pouvoir être reconnu comme faisant partie d’un ensemble, d’un tout unifié, et ce, dans le déroulement temporel du texte. Ce qui est fautif, dans les défauts de juxtaposition, c’est donc l’intégration de certains énoncés au texte antérieur. Cette non-intégration est ressentie par le lecteur comme un brusque changement de propos entre des énoncés adjacents. L’unité juxtaposée ne comporte généralement aucun marqueur explicite de relation, mais elle peut aussi en comporter. Il s’agit alors de marqueurs prétextes, trompe-l’oeil, qui ne font que donner l’illusion d’une relation, comme à l’exemple 11.

(11) 1- Chaque pays a ses propres idoles sportives que tous admirent. 2- Pour la population, ces personnes représentent la fierté, le courage et la volonté. 3- Ce sont de véritables ambassadeurs qui prouvent leur savoir-faire auprès des autres nations après des années de travail acharné. / 4- Justement, devrait-on instaurer un plafond salarial pour ces athlètes professionnels ? 5- Je crois que oui, car… [Nonobstant le problème de coréférence ressenti entre « ces athlètes professionnels » et les personnes et les ambassadeurs des phrases 2 et 3, dont la description fait surtout penser aux athlètes olympiques, donc amateurs, la juxtaposition est évidente à la phrase 4, en dépit du « justement » poudre-aux-yeux.]

Soulignons que les marqueurs utilisés pour camoufler les juxtapositions sont généralement des connecteurs « passe-partout » (« justement », « à propos », « au fait »…), de ceux dont on abuse, à l’oral, pour déguiser des digressions en à-propos douteux. Il ne faut pas s’y laisser prendre.

3.2. Déviation des informations

Dans les défauts classés ici, une idée qui suscite de fortes attentes dans la phrase 1 est prématurément abandonnée, dans la phrase 2, au profit d’une idée secondaire. Il y a donc détournement, déviation de l’information. L’idée secondaire, qui est commune aux deux phrases, ne fait que donner l’illusion d’une relation. En fait, elle usurpe à l’idée principale son droit d’être développée et de déployer le discours. Mais surtout, elle déçoit les attentes du lecteur (ce qui n’est pas la même chose que de les déjouer). Exemple :

(12) 1- Selon une enquête faite récemment auprès des Canadiens, les Québécois sont les plus gros consommateurs d’autos au pays. / 2- L’auto leur permet une plus grande indépendance. Avec ce véhicule, en effet, ils peuvent aller où bon leur semble.

Après la phrase 1 de l’exemple 12, le lecteur s’attend à savoir pourquoi, « selon les résultats d’une enquête », les Québécois sont de plus gros consommateurs d’autos que les Canadiens. À la phrase 2, malheureusement, on oublie et l’enquête et le championnat des Québécois. Il n’y est plus question que des raisons qui motivent quiconque à acheter une auto. Le discours a dévié. Le scripteur n’a pas réussi à maintenir le thème de l’enquête prégnant.

Conclusion

La typologie dont nous avons donné un bref aperçu sera d’un grand secours à tout professeur qui souhaite élucider ses jugements intuitifs de dyscohérence et procurer ainsi une rétroaction de qualité à ses étudiants. Mais elle sera également utile aux étudiants eux-mêmes en les aidant à s’auto-évaluer, puis à s’auto-corriger. Ils acquerront alors un contrôle précieux sur leurs productions.

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