" />
2024 © Centre collégial de développement de matériel didactique
L’affaire des composés masqués

L’affaire des composés masqués

Curiosités étymologiques

 

Les mots composés sont des termes créés par composition, c’est-à-dire par l’assemblage de plusieurs mots ou éléments. Contrairement aux dérivés qui, comme maisonnette ou défaire, sont formés d’un radical (maison, faire) auquel on a ajouté un affixe (-ette, dé-) qui n’a généralement aucune autonomie, les composés sont constitués de plusieurs radicaux qui existent et fonctionnent fort bien par eux-mêmes : bec-de-lièvre, pèse-bébé, tape-à-l’œil. Les mots bases formant les composés sont souvent réunis par un trait d’union (porte-étendard, pare-soleil, brise-fer, croc-en-jambe)[1], parfois soudés (portefeuille, parapluie, marchepied, passeport). Il va de soi que les composés anciens obtenus par soudure ne sont souvent plus perçus comme des composés. Pensons à gendarme, à pourboire ou à pissenlit.

Biscuit, gendarme, verglas et autres composés masqués

À l’instar de dérivés comme serviette ou enjôler, dont le mot souche s’est considérablement obscurci[2], on trouve de nombreux composés, souvent entrés depuis longtemps dans l’usage, dont l’orthographe, la prononciation et, parfois, l’évolution de sens concourent à masquer – à rendre moins perceptible – la composition. C’est le cas de mots comme biscuit, gendarme, peaufiner ou verglas, pourtant tous composés de seulement deux petits mots soudés.

Qui, de nos jours, discerne encore dans biscuit (XIIe) un nom composé de l’élément bis- (du latin), signifiant « deux fois », et de cuit  ? En ancien français, le mot biscuit a d’abord désigné un pain « cuit deux fois », puis une sorte de galette cuite deux fois qu’on apportait en réserve pour les longs voyages en mer. Ce n’est que depuis le XVIIe siècle que biscuit sert à nommer un petit gâteau sec – sans lien, cette fois, avec l’idée de double cuisson. De même, le nom gendarme (XVe) est la contraction de gens d’armes (XIVe), expression qui, employée au pluriel, avait à l’origine le sens de « soldats ».

Dans l’usage courant, peaufiner (un travail, un texte, un projet) signifie « parachever minutieusement, mettre au point ». Pourtant, le verbe peaufiner (XIXe) est composé du nom peau et de l’adjectif fin avec suffixe verbal en -er et signifie proprement « rendre la peau fine ». Le verbe a d’abord été employé à la forme pronominale se peaufiner (milieu XIXe) dans le sens de « faire une toilette soignée », puis, vers 1885, comme verbe transitif dans le sens de « nettoyer avec une peau de chamois ». Le lien étymologique de peaufiner avec peau s’est maintenant effacé. Ne reste que l’idée de « fin, minutieux », et le verbe est presque toujours utilisé, dans la langue familière, au sens figuré de « préparer avec soin, fignoler ».

L’étymologie du nom pourboire – un peu comme celle de bonhomme – ne représente pas un grand mystère. Pourboire (XVIIe) résulte bien de la soudure de pour et de boire dans des expressions comme donner pour boire ou avoir pour boire. Fait amusant, le mot se traduit gwerz-butun (signifiant littéralement « valeur tabac ») en breton. En français, on donne pour boire ; en breton, pour fumer.

Les noms verglas et vinaigre sont deux mots dont la composition est camouflée et par la graphie et par la prononciation. Verglas (verreglaz, fin XIIe) est formé de verre et de glaz (ou glas), forme ancienne de glace. Le verglas, c’est proprement de la « glace semblable à du verre ». Quant à vinaigre (début XIIIe), il est évidemment composé de vin et d’aigre. Mais la dénasalisation de vin et la manière dont on sépare les syllabes du mot (vi-nai-gre au lieu de vin-ai-gre) font que le rapport de vinaigre avec vin n’est plus immédiatement perçu.

Le fainéant, le vaurien et la midinette

Avec le fainéant et le vaurien, on sait à quoi s’en tenir : leurs noms disent déjà tout. Mais avec la midinette, c’est une autre histoire.

Commençons par ceux qui ne font rien et qui ne valent guère plus. Le mot fainéant (début XIVe), composé de fait (du verbe faire) et de néant et signifiant littéralement « qui ne fait rien », serait l’altération d’un mot plus ancien, faignant (fin XIIe), participe présent de feindre « faire semblant de, se dérober », et par conséquent « rester inactif, paresser ». Alors que fainéant s’applique à quelqu’un qui ne veut rien faire, à une personne désœuvrée et paresseuse, le terme feignant (forme moderne de faignant) désigne familièrement un paresseux invétéré. Pour ce qui est du mot vaurien (milieu XVIe), il résulte, bien entendu, de la soudure de vault (vaut) et rien. À l’origine, vaurien est un terme assez fort s’appliquant à une personne peu recommandable, à un « mauvais sujet ». Dans l’usage moderne, le mot sert généralement à désigner un adolescent indiscipliné et insolent ou un jeune voyou. Ajoutons que, bien que le lien étymologique de fainéant avec néant et, plus encore, celui de vaurien avec rien soient habituellement perçus, cela n’a pas empêché d’avoir, au féminin, une fainéante et une vaurienne !

La midinette, elle, n’a pas de masculin. Midinette (fin XIXe) est une sorte de mot-valise composé de midi et de dînette, s’appliquant, au début du XXe siècle, à une jeune ouvrière parisienne de la couture et de la mode qui doit se contenter d’« une dinette à midi ». Dans l’usage actuel, le nom midinette a pris, par extension, le sens de « jeune fille un peu frivole, à la sentimentalité naïve » : un chanteur populaire accueilli par des midinettes en émoi.

Cet homme débonnaire a pris de l’embonpoint

L’adjectif débonnaire et le nom embonpoint sont deux mots issus de très anciennes expressions (fin XIe – milieu XIIe), deux mots qui, en outre, ont connu d’importants et d’étonnants changements de sens.

Débonnaire n’est pas seulement un vieux mot, c’est aussi un mot qui a assez mal vieilli, un mot démodé, désuet. On qualifie de débonnaire une personne ou une attitude « bonne », « bienveillante », avec très souvent, depuis le XVe siècle, la connotation péjorative de « faible », de « mou ». Est débonnaire une personne qui est bonne ou accommodante à l’extrême, sens proche de bonasse. Appliqué à un mari ou à une épouse, le mot a même déjà eu, à une autre époque, le sens (lui aussi vieilli) de « qui tolère l’infidélité de l’autre » (ou, dit plus crûment, celui de « cocu complaisant »). On est bien loin, dans tous ces emplois, du sens originel de débonnaire. Le terme débonnaire (XIIe, debonaire) vient de la soudure de l’expression de bonne aire (XIe), dans laquelle aire a le sens de « race, origine ». Au Moyen-Âge, débonnaire sert à qualifier celui qui est « de bonne souche, de bonne race », c’est-à-dire « d’origine noble », sens disparu depuis longtemps. Le glissement de sens de « de bonne souche » à « bienveillant » pourrait s’expliquer par la confusion d’aire avec son homonyme air, « apparence du visage ».

À l’instar de débonnaire, le mot embonpoint a pris dans l’usage un sens fort différent de son sens d’origine. Embonpoint (début XVIe) est issu de l’expression (être) en bon point (XIIe), dans laquelle point a le sens de « condition, état, situation ». Être en bon point signifie, en ancien français, « être en bonne condition, en bonne situation » et aussi « en bonne santé ». Le mot embonpoint (soudure de en bon point) conserve ce sens au XVIe siècle et désigne d’abord l’état ou l’aspect d’une personne en bonne santé. Mais, parallèlement, le terme s’applique à l’état d’une personne un peu grasse, bien en chair, sens devenu courant.

Voilà pourquoi l’homme débonnaire qui a de l’embonpoint, jadis homme noble et en santé, est devenu aujourd’hui un être « bonasse » (bon jusqu’à la mollesse) et « grassouillet » par surcroît. Mince alors !

Bois vermoulu et pissenlits par la racine

Vermoulu et pissenlit sont des mots qui, sans trop en avoir l’air, ne nous cachent rien de leur composition.

L’adjectif vermoulu s’applique, à l’origine, à du bois, à un meuble ou à tout autre objet de bois « rongé », « mangé par les vers ». Vermoulu (fin XIIIe) est composé de ver et de moulu, participe passé de moudre. Le mot conserve ce sens propre de « rongé par les vers » quand il s’agit de bois : une poutre vermoulue. Mais vermoulu sert aussi, par métaphore, à qualifier une personne, une œuvre, une institution ou même un habit, avec, cette fois, le sens de « vieux, usé, dégradé, proche de la ruine » : un régime aux institutions vermoulues. Vermoulu n’est pas sans rappeler l’adjectif véreux, son cousin. Véreux (XIVe), dérivé de ver, signifie proprement « gâté par les vers », mais le mot est plus souvent utilisé (depuis le XVIe) au sens figuré de « foncièrement malhonnête, corrompu » : un avocat véreux, une affaire véreuse.

Le pissenlit est une plante herbacée à fleurs jaunes appréciée par les uns, qui la mangent en salade ou en font une boisson appelée « vin de pissenlit », et maudite par les autres, qui la considèrent comme une mauvaise herbe. Or le pissenlit doit son nom à ses vertus diurétiques. Pissenlit (XVIe) est, en effet, un terme expressif composé de l’élément pisse (du verbe pisser, du latin populaire pissiare), de en et de lit : la plante fait « pisser en lit  ». Mais alors que pisser est considéré, en français moderne, comme un mot cru, sinon « vulgaire », le terme pissenlit n’est pas marqué socialement, sans doute parce que le lien étymologique avec pisser s’est en grande partie obscurci. Ajoutons que pissenlit entre, depuis le XIXe siècle, dans la locution figurée et familière manger les pissenlits par la racine, qui signifie « être mort et enterré (et bientôt vermoulu !) ». * * *

Principales sources

Dictionnaire étymologique et historique du français, Paris, éditions Larousse, 2006.

Dictionnaire historique de la langue française, éditions Le Robert, Paris, 1994.

  1. La tendance actuelle est de remplacer le trait d’union par la soudure (exemple : portemonnaie). [Retour]
  2. Voir la chronique « Mots dérivés : quand le mot souche s’obscurcit », Correspondance, vol. 16, no 2. [Retour]

Télécharger l'article au format PDF

UN TEXTE DE