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Variations sur un air… méconnu

Variations sur un air… méconnu

« Il faut se rendre à l’évidence : l’économie québécoise a perdu de son air d’aller[1]. » La Presse, 5 avril 2003

Il est, dans notre esprit, certaines certitudes qui font si bien leur nid qu’on finit par les tenir pour indiscutables. Ainsi, combien croient fermement que l’expression « erre d’aller » s’écrit « air d’aller » ? Combien aussi croient que l’expression signifie « un élan qui dure, qui ne s’arrêtera pas » ? C’est ce qu’on comprend dans la citation du début, qui suggère — par « air d’aller » — que l’économie québécoise avait un élan durable, mais qu’elle l’a maintenant perdu. De la même façon, certains diront : N’essaie pas de l’arrêter : il est parti sur son erre d’aller.

Mais tel n’est pas le sens réel de l’expression. Selon Larousse, le mot « erre » exprime la vitesse résiduelle d’un navire sur lequel n’agit plus le dispositif propulseur. En d’autres mots, lorsqu’on coupe les moteurs d’un navire ou qu’on cesse de ramer, le navire ou l’embarcation continuent d’avancer à une certaine vitesse — qui va en diminuant — et qu’on appelle « erre ». On dira alors qu’ils avancent sur leur erre :

Une fois les voiles abaissées ou les moteurs coupés, le bateau continue sur son erre un moment avant de s’immobiliser. (Multidictionnaire)

Quant à la question orthographique, elle se résout par l’étymologie : le mot « erre » vient du latin iterare, qui signifie « voyager », tandis que le mot « air » vient du grec aêr, aêros, par l’intermédiaire du latin aer, aeris. Ces deux mots souches signifient « air », lequel n’a aucun rapport avec la réalité dont il est ici question. Ajoutons que le mot « erre » ne s’apparente aucunement avec « errer », qui signifie « aller à l’aventure » ou « se tromper », et qui vient du latin errare.

Il faut savoir enfin que l’expression « erre d’aller » n’appartient qu’au Québec : le Multidictionnaire la présente comme un québécisme et tous les autres dictionnaires consultés ne font mention que du seul mot « erre ».

Ainsi, l’expression ajoutée « d’aller » agit comme une redondance, ce qui ferait de ce québécisme un pléonasme.

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