«Quand le texte file doux»
La nouvelle grammaire, en plus d’être une grammaire de l’accord, est aussi une grammaire de la phrase et une grammaire du texte. Elle propose d’abord un apprentissage des fondements de la langue en tant que système reposant sur un raisonnement logique. Plutôt qu’il n’apprend des règles et une série de constructions grammaticales, l’élève est incité à comprendre les principes de base de la grammaire de la phrase, à appliquer ces principes à ses propres compositions, à construire des phrases de plus en plus compliquées, diversifiées, et à en évaluer la validité. Puis, la nouvelle grammaire élargissant son objet au texte, l’élève apprend aussi différents moyens linguistiques susceptibles d’assurer la continuité de ses idées d’une phrase à l’autre dans une situation de communication et de maîtriser l’effet de sens qu’il cherche à produire chez le lecteur. Le texte y est vu comme un ensemble de phrases organisées de manière cohérente et structurée.
Le cédérom Quand le texte file doux[1] s’intéresse de façon pratique aux principes qui créent la cohérence textuelle : l’organisation, la cohésion et la progression des idées. Il invite l’élève à les découvrir et à comprendre que cette « unité qui n’appartient qu’aux créations de notre esprit… » résulte de multiples phénomènes linguistiques et qu’il ne peut la saisir sans tenir compte de l’ensemble des facteurs sémantiques et syntaxiques qui la constituent.
Par une série d’exercices sur ces principes, dont l’apprentissage est gradué, le cédérom propose un travail de réflexion sur la lecture et l’écriture. Par conséquent, il exige de la part de l’élève un effort intellectuel soutenu, qui implique des choix, des essais, des erreurs, des corrections, des reprises, toutes activités susceptibles d’augmenter ses connaissances, de forger son autonomie et de lui donner des instruments pour s’exprimer de façon cohérente. Car il lui revient de créer « l’unité » dans les textes qu’il a à rédiger sur des oeuvres littéraires (ou autres), et cette cohérence ne lui sera donnée toute faite par aucun des modèles de dissertation extérieurs.
Un regard différent
Le logiciel Quand le texte file doux débute de façon à piquer la curiosité de l’élève. C’est d’abord par un texte incohérent du professeur de La Leçon de Ionesco (il y transgresse la règle de non-contradiction) que l’étudiant découvre les subtilités de la cohérence textuelle.
Puis, sur une toile de fond musicale, des images d’écritures de différentes époques défilent et s’arrêtent sur la tapisserie de Bayeux. Leur beauté et leur mystère amènent peu à peu l’élève à s’interroger sur la notion de texte, qui signifie à l’origine tissu, enlacement, puis enchaînement d’un récit. C’est de cette tapisserie, d’ailleurs, que nous est venu le titre du logiciel et dont s’inspire chacune de ses pages écran.
Le logiciel prolonge cette initiation à la cohérence textuelle en faisant s’animer devant l’élève, à partir d’une légende hassidique, les principes qui en créent la cohérence : l’organisation, la cohésion et la progression thématique ; les animations en illustrent le fonctionnement tout en rendant visibles leurs interrelations.
Le logiciel s’emploie ensuite à aider l’élève dans sa réflexion en lui proposant un regard différent sur l’organisation textuelle. Il s’agit d’abord de reconnaître la cohérence à l’oeuvre dans les textes les plus divers : comment les poètes, les romanciers, les essayistes, les scientifiques s’y sont-ils pris pour s’exprimer de façon cohérente ? Les composantes de la cohérence étant connues et comprises, l’élève doit pouvoir les utiliser correctement dans différents contextes de lecture — écriture que le logiciel lui présente.
Quand le texte file doux contient 54 textes répartis sur trois modules : Sensibilisation, Lecture et repérage et Réécriture. Chacun de ces textes-témoins est un exercice qui vise à renforcer chez l’élève la démarche analytique et la rigueur tant en lecture qu’en écriture.
Les facettes de la cohérence
Le premier module, Sensibilisation, illustre de façon systématique chacun des éléments d’organisation, de reprise et de progression de l’information. À l’aide de treize textes d’auteurs, l’élève observe, sans avoir à intervenir directement dans les textes, la façon dont les thèmes s’organisent, se reprennent et progressent.
D’abord, il découvre illustrés les articulateurs du discours. Ceux-ci, définis comme coordonnants ou compléments de phrase, permettent au lecteur de suivre l’organisation des idées exprimées en indiquant les rapports spatiaux, temporels et logiques (union, opposition, cause, conséquence, alternative, corrélation) entre les phrases et entre les paragraphes.
Puis, il explore la cohésion des idées assurée par la reprise du thème d’une phrase à l’autre : personne, idée ou chose dont on parle et qui correspond souvent dans sa traduction syntaxique au groupe nominal sujet (GNS). C’est en parlant constamment du même thème ou du même sujet que l’on parvient à garder le fil conducteur d’une pensée. L’élève, dans autant de textes, se sensibilise aux différents procédés de reprise du thème : par le même nom, par un pronom, par un synonyme ou une périphrase, par un générique ou un spécifique, par un synthétique ou par un nom associé.
Enfin, il examine la progression des idées qui permet le développement du texte ; on ne peut se contenter de reprendre ou de répéter le thème ; il doit être accompagné d’informations nouvelles (non contradictoires) qu’on appelle le propos. Ce principe, en raison de sa complexité, ne fait pas l’objet d’un approfondissement à l’enseignement secondaire ; ce qui explique que certaines grammaires en usage l’ignorent (Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui, Construire la grammaire). Il s’agit, en fait, de voir de quelle façon le thème d’une phrase se poursuit dans la phrase suivante. On distingue trois types de progression : la progression constante, la progression linéaire et la progression par hyperthème. Dans la progression constante, il y a introduction d’un thème qui devient le point d’ancrage de la première phrase et qui est repris d’une phrase à l’autre, associé à une idée nouvelle, un nouveau propos. On peut continuer de la sorte aussi longtemps qu’il est pertinent de le faire. Par opposition, dans la progression linéaire, il y a introduction d’un thème qui devient le point d’ancrage de la première phrase, mais qui n’est pas repris dans la deuxième phrase ; celle-ci tire son thème du propos de la première phrase. En dernier lieu, dans la progression par hyperthème, il y a introduction d’un thème général, l’hyperthème, qui devient le point d’ancrage de la première phrase (ce dont on parle). Cet hyperthème éclate, donnant naissance à plusieurs autres thèmes ; chacun d’eux, auxquels on attache autant d’idées nouvelles, précise un aspect particulier de l’hyperthème.
D’un point de vue pédagogique, nous croyons intéressant de faire apprécier à l’élève les principes de la cohérence par l’intermédiaire de textes significatifs d’auteurs. Chacune de ces notions observables dans le module Sensibilisation, il peut, bien sûr, les consolider en ayant recours au Glossaire et à la Théorie, qui, accessibles en tout temps à partir de n’importe quel texte, définissent ces concepts en les assortissant d’exemples. Quoi qu’il en soit, il devra les maîtriser s’il veut parcourir avec succès les modules suivants.
La pratique de la cohérence
En tant que mode gradué d’apprentissage, le logiciel propose à l’élève de mettre ses connaissances à l’épreuve dans le deuxième module, intitulé Lecture et repérage.
Celui-ci l’amène à analyser lui-même l’organisation, la cohésion et la progression de textes d’auteurs et d’élèves. Dans une série de 20 textes et exercices dont la séquence n’est pas imposée et où il intervient directement, il doit sélectionner, puis nommer, après les avoir correctement repérés, les éléments de la cohérence textuelle. La tâche tend à se complexifier, évidemment, quand il s’agit de spécifier le type de reprise du thème ou le mode de progression utilisé par l’auteur pour assurer la cohésion de son texte. Pour chacune des réponses qu’il donne, l’élève reçoit une « évaluation » écrite (bonne ou mauvaise réponse) dans un bandeau prévu à cet effet, au bas de la page écran. Et, dans le cas d’une mauvaise réponse, apparaît automatiquement, sous forme de bulle, un rappel de la théorie ; il est alors invité à faire une nouvelle sélection afin de répondre correctement à toutes les questions de son exercice.
Ce n’est qu’une fois tous les exercices complétés que l’élève a accès au test théorique. S’il ne le réussit pas (s’il a moins de 80 p. 100), on lui propose un texte préparatoire à la reprise. L’élève peut ensuite se soumettre une deuxième fois au test. S’il échoue de nouveau, il doit refaire les 20 exercices avant d’y avoir accès une autre fois. S’il réussit, il peut imprimer une attestation partielle (Vous avez réussi le test du module Lecture et repérage).
La cohérence textuelle en situation de rédaction
Le troisième module, Réécriture, propose à l’élève d’observer, de restaurer ou d’améliorer les éléments qui marquent la cohérence dans une série de 21 textes.
Le volet de l’organisation (les articulateurs) comporte à lui seul 10 exercices. Tantôt l’élève identifie le rapport logique marqué par le choix de tel articulateur dans des phrases d’auteur, tantôt il remplace l’articulateur manquant à partir d’une boîte de suggestions. Après, tâche plus difficile, on lui demande de sélectionner dans des textes d’élèves des articulateurs qui ne sont pas essentiels ou qui alourdissent le texte ; ou encore, de remplacer les articulateurs jugés trop répétitifs (par exemple, trois « donc » dans un paragraphe de conclusion) ou dont le sens ne convient pas par d’autres qui expriment correctement l’organisation des idées.
En cohésion, les exercices sont également gradués, exigeant de l’élève qu’il remplace (ou replace, selon le cas) des éléments qui assurent mal la reprise thématique (par exemple, la répétition systématique des mêmes mots dans un paragraphe de développement). Finalement, les six exercices relatifs au principe de la progression des idées demandent de reconstruire des textes en respectant les caractéristiques de chacun des types de progression thématique. Quand l’élève a complété le module Réécriture, il peut imprimer une attestation de réussite (Vous avez complété avec succès tous les exercices du logiciel).
La pédagogie à l’appui
Les principes de la cohérence du texte font déjà l’objet d’un apprentissage à l’ordre secondaire ; par exemple, les articulateurs (marqueurs de relation) et la reprise de l’information sont à l’étude de la 1re à la 4e secondaire et approfondis en 5e secondaire ; là, les élèves sont également sensibilisés à la notion de progression de l’information dans la phrase (en fonction de la nature de celle-ci). On pourrait, certes, à cette fin de sensibiliser les élèves des classes terminales aux nuances plus complexes de ces principes, utiliser avec eux le logiciel Quand le texte file doux. Mais il me semble davantage conçu, si on parle d’un usage généralisé, pour les élèves du collégial. Tous les travaux écrits qu’ils rédigent dans leurs cours de français et dans ceux de leur programme spécifique doivent, en effet, témoigner d’une compréhension organisée des oeuvres (ou des problématiques) à l’étude et d’une habileté discursive dans la façon d’en rendre compte qui soit empreinte d’unité et de cohérence.
L’observation des articulateurs d’un texte, du système de reprises du thème ou de la progression des idées peut se révéler très féconde dans la démarche d’analyse menant à un travail de rédaction ; elle est susceptible d’éclairer l’élève « qui ne voit pas facilement ce qu’il y a dans les oeuvres », assurément autant que ne le ferait un exercice sur les figures de style ou sur le champ lexical d’un extrait dont le contour thématique reste flou… L’enseignant aura soin de mener l’acquisition des principes de la cohérence textuelle de façon graduelle. Même si la fiche de cheminement personnel indique les exercices faits, ceux qu’il reste à faire et le temps consacré à chaque exercice et au test, il ne s’agit pas d’une course de vitesse ! De même qu’au laboratoire, afin d’éviter que l’automatisme ne gagne sur la réflexion, on ne devrait pas consacrer plus d’une heure à la fois au travail sur le logiciel ; de même, on aurait intérêt à vérifier auprès des élèves la portée de chacune de ces notions en les appliquant à d’autres textes à l’étude.
Conclusion
La nouvelle grammaire mise sur les fondements logiques de la langue, soit la phrase et ses constituants. Elle invite l’élève à la créativité en lui montrant les différentes façons de produire des énoncés selon qu’il ajoute, déplace, remplace ou soustrait des éléments à la structure de base. La cohérence textuelle ne fait que prolonger cette réflexion sur la PHRASE P en montrant que le texte est un ensemble de phrases organisées de manière cohérente et structurée. Elle rend visibles les liens qui permettent d’avoir un texte suivi, rendu significatif par son unité ; des liens qui montrent son organisation, son fil conducteur et sa progression.
Le logiciel Quand le texte file doux n’impose pas à l’élève de technique pour atteindre un modèle de cohérence ; mais par son choix de textes, il l’incite en tant que lecteur à reconnaître les marques linguistiques qui permettent de la « tisser » et d’en apprécier les modalités, puis à entreprendre à son tour, en tant que scripteur, le chemin qui mène à « l’unité des constructions de l’esprit ».
- DUFFY, Michel. Quand le texte file doux, cédérom. Montréal, CCDMD-Cogniscience, 2002. Retour
Abonnez-vous à l’infolettre de Correspondance pour être informé une fois par mois des nouvelles publications