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La virgule dans la juxtaposition des phrases

La virgule dans la juxtaposition des phrases

L

a virgule est le signe de ponctuation le plus employé en français. Conséquence logique : elle est aussi le signe de ponctuation à propos duquel on retrouve les fautes les plus nombreuses, particulièrement dans la juxtaposition des phrases[1]. Ignorant le plus souvent l’usage du point-virgule et du deux-points — voire du point –, les élèves se rabattent sur la virgule pour juxtaposer la plupart des unités syntaxiques qu’ils produisent, sans égard à leur valeur structurale ni aux rapports qui s’établissent entre elles.

L’une des nombreuses règles d’emploi de la virgule se lit comme suit :

La virgule sert à séparer des unités syntaxiques de même niveau et de même structure : groupes de mots, subordonnées et phrases P.

En général, nos élèves n’ont pas de difficulté à séparer les groupes de mots. Témoin cet exemple :

Cet extrait de Colomba comprend trois parties : la description de la ballata, l’arrivée des étrangers, la réaction d’Orso à cette entrée (séparation par la virgule de trois GN). De même, ils parviennent assez facilement à faire bon usage de la virgule pour séparer des subordonnées :

Nous remarquons que la ballata semble être très belle, que Colomba est très à l’aise en la chantant, qu’elle réussit même à improviser (séparation par la virgule de trois subordonnées complétives).

Cependant, lorsqu’il s’agit de séparer des phrases P, difficultés et maladresses surgissent. Témoins ces trois exemples :

* Caligula développera une passion destructive, sa rage de destruction sera mortelle, il voudra que tout le monde soit à sa merci.

* Les philosophes existentialistes accordent une grande importance à la liberté, l’être humain doit être responsable, ils croient que l’existence est absurde.

* J’adore pratiquer la planche à neige lorsque j’ai du temps libre, je suis bonne car j’aime ce sport, c’est motivant pour moi.

Qu’en disent les auteurs ?

Peu explicites, les auteures de Construire la grammaire écrivent : « Deux groupes ou deux phrases peuvent aussi être réunis par une virgule. Cette transformation s’appelle juxtaposition[2]. » Suit l’exemple suivant :

Paul préparait le repas, Jacques mettait la table.

Plus explicite, Bernard Tanguay, dans L’art de ponctuer, écrit : « On met une virgule quand on juxtapose des unités syntaxiques de même rôle ou de même niveau et que rien ne nous amène à préférer un point, un point-virgule ou un deux-points[3]. » Et il cite comme exemple :

Il ferma les yeux, il fit un voeu, il souffla sur les bougies.

À ce qui précède, les auteurs de Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui ajoutent que les P doivent être « liées par le sens[4] ».

Même si ces notations sont généralement claires et compréhensibles, les élèves en situation — en difficulté ? — d’apprentissage ont besoin de plus d’explications. Ainsi, les élèves qui ont écrit les trois exemples fautifs cités ci-dessus allégueront sans doute que les phrases qu’ils ont juxtaposées sont de même niveau syntaxique (il s’agit de trois phrases). Ils pourront aussi prétendre qu’elles sont liées par le sens. Chacun de ces élèves, en effet, pourrait considérer que le sens qui relie sa phrase est respectivement le goût de la destruction chez Caligula, la philosophie des existentialistes, la passion de la planche à neige.

Tout professeur qui, un jour, a dû justifier sa correction sur ce type d’erreur se rappelle les longues discussions avec les élèves, qui, en pareilles circonstances, se révèlent des jouteurs plus passionnés que compétents.

Une procédure simple et efficace

En grammaire nouvelle, on aime recourir à des questions pour reconnaître et expliquer des phénomènes linguistiques. Par exemple, pour distinguer une subordonnée complément de phrase d’une subordonnée adjointe, on pose une question ; c’est la réponse à la question qui conduit à la solution.

Soit les phrases :

Il ne mange pas de dessert parce qu’il est diabétique.

Puisqu’il est diabétique, il ne mange pas de dessert.

À la question Pourquoi ne mange-t-il pas de dessert ?, on répond pour la première phrase : C’est parce qu’il est diabétique.

À la même question, on répond pour la deuxième phrase : *C’est puisqu’il est diabétique.

La première réponse, en étant valable, indique qu’il s’agit d’une subordonnée CP. La deuxième réponse, qui est agrammaticale, indique qu’il s’agit d’une subordonnée adjointe ou d’un deuxième acte de parole.

Reprenons cette procédure pour légitimer ou non la séparation, par des virgules, des phrases précédemment mentionnées.

Phrase : Il ferma les yeux, il fit un voeu, il souffla sur les bougies.

Question : Que fit-il ?

Le regroupement des trois phrases syntaxiques constitue une réponse valable à cette question. On peut donc les séparer par la virgule.

Phrase : Paul préparait le repas, Jacques mettait la table.

Question : Que faisaient Paul et Jacques ?

Le regroupement des deux phrases syntaxiques constitue une réponse valable à cette question. On peut donc avoir recours à la virgule.

Phrase : Caligula développera une passion destructive, sa rage de destruction sera mortelle, il voudra que tout le monde soit à sa merci.

Question : Que fera Caligula ?

Réponse : Il développera une passion…, sa rage de destruction sera mortelle ( ?)…, il voudra que tout le monde ( ?)…,

Phrase : Les philosophes existentialistes accordent une grande importance à la liberté, l’être humain doit être responsable, ils croient que l’existence est absurde.

Question : ? ? ?

Phrase : J’adore pratiquer la planche à neige lorsque j’ai du temps libre, je suis bonne car j’aime ce sport, c’est motivant pour moi.

Question : Quel sport j’aime pratiquer ?… Pourquoi je pratique la planche à neige ?…

En conclusion, on pourrait formuler la règle suivante :

Si l’on peut poser une question et que l’ensemble des phrases séparées par la virgule constitue une réponse valable à cette question, la phrase graphique est grammaticale.

  1. Il s’agit ici de la phrase syntaxique (proposition dans la grammaire traditionnelle) et non de la phrase graphique. Retour
  2. BOULANGER, Aline, Suzanne FRANCOEUR-BELLAVANCE et Lorraine PEPIN. Construire la grammaire, Montréal, La Chenelière, 1999, p. 219. Retour
  3. TANGUAY, Bernard. L’art de ponctuer, Montréal, Québec Amérique, 2e édition, 2000, p. 30. Retour
  4. CHARTRAND, Suzanne-G., Denis AUBIN, Raymond BLAIN et Claude SIMARD. Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui, Boucherville, Les publications Graficor, p. 230. Retour

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