Emprunts à risque
La crise financière qui sévit chez nos voisins du sud nous montre que les emprunts trop faciles peuvent avoir des conséquences dramatiques. En va-t-il de même lorsque c’est une langue qui emprunte ? En linguistique, le mot emprunt ne fait sourciller personne, mais celui d’anglicisme, oui. Que l’on soit enseignant ou étudiant, rédacteur ou réviseur, les anglicismes constituent pour plusieurs une véritable épée de Damoclès. Mais le risque est-il réel, et peut-on y échapper ?
Le phénomène de l’emprunt n’est pas mauvais en soi. Il est même naturel et universel puisqu’il permet aux langues de s’enrichir mutuellement. Strictement parlant, un anglicisme est un emprunt à la langue anglaise. On peut emprunter à l’anglais un mot, un sens, une structure ou une expression. Ici au Québec, l’emprunt à l’anglais prend toutefois une signification particulière en raison de notre situation géographique et de notre histoire ; l’anglicisme fait souvent figure d’envahisseur et constitue une menace constante et sournoise. Faut-il pour autant bannir tout emprunt à la langue de Shakespeare ? Non, bien sûr. Mais comme pour tout type d’emprunt, il faut être conscient des risques et se donner les moyens de bien gérer ces anglicismes. C’est pourquoi l’Office québécois de la langue française, dans sa Politique de l’emprunt linguistique publiée en 2007, propose des principes qui balisent le traitement des emprunts. Ces principes directeurs peuvent nous aider à agir et à réagir devant les anglicismes qui, avouons-le, sont omniprésents dans notre paysage linguistique.
Premier principe – Avant d’utiliser un mot anglais, posons-nous la question : existe-t-il un mot français équivalent ? Si oui, l’emprunt à l’anglais n’est pas justifié. Privilégier la forme anglaise se fait au détriment de la forme française, qui risque de disparaître à plus ou moins long terme. Par exemple, relax ne vient-il pas trop souvent prendre la place de détendu, tranquille, calme, décontracté, et cheap celle de bon marché, bas de gamme, médiocre, radin ? Bref, il est préférable de n’emprunter qu’en cas de nécessité.
Deuxième principe – Si le mot n’existe pas en français, est-il possible d’en créer un ? La langue française met à notre disposition une panoplie de procédés de création lexicale (dérivation, composition, siglaison…) nous permettant d’enrichir notre langue de néologismes bien français. Courriel (plutôt que e-mail), coussin gonflable (plutôt que air bag) et nordicité illustrent bien la vitalité du français. Faire preuve de créativité est parfois bien payant.
Troisième principe – Si l’emprunt à l’anglais s’impose, est-il possible de lui donner un visage français ? Certains mots anglais peuvent en effet s’adapter plus facilement que d’autres en prenant les caractéristiques phonétiques, morphologiques et orthographiques du français. En s’intégrant ainsi, ces emprunts deviennent des mots bien français. Par exemple, les verbes prioriser (to prioritize) et finaliser (to finalize) sont des emprunts sans risque puisque leur forme, leur prononciation et leur sens s’adaptent parfaitement au français. Ce sont même des emprunts qui rapportent puisqu’ils ont donné finalisation et priorisation.
Il faut rappeler que le traitement, l’adaptation et l’acceptation des emprunts se font toujours dans un contexte sociolinguistique particulier. Les Européens francophones, par exemple, n’ont pas les mêmes emprunts à l’anglais ni la même attitude devant ce phénomène. Et ici, tous n’ont pas la même prudence (ou tolérance !) face aux anglicismes. Les différences que l’on observe dans les ouvrages de référence en sont la preuve. Gardons toutefois en tête qu’emprunter aveuglément pour s’enrichir demeure toujours risqué.
Si vous voulez en savoir davantage sur le traitement des emprunts, vous pouvez consulter dans la Banque de dépannage linguistique, sous le thème Anglicismes, la webographie présentée sous Références, où figure notamment la Politique de l’emprunt linguistique publiée par l’Office québécois de la langue française.
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