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Un référentiel pour évaluer la cohérence du texte

Nombreux sont les linguistes, les grammairiens et les enseignants à s’être posé la question apparemment simple : qu’est-ce qu’un bon texte? Je me la suis moi-même posée, au début d’un stage, devant un texte d’élève qui m’apparaissait peu cohérent. En fait, j’ignorais comment procéder pour le corriger, pour l’annoter sans le surcharger de ratures, de soulignements et de flèches énigmatiques, qui sont en outre des annotations souvent peu explicites pour l’élève (Chartrand, Laporte et Paret, 1996). J’ai alors pensé que mes collègues enseignants devaient bien utiliser une sorte de référentiel pour évaluer la cohérence d’un texte, puisqu’ils en utilisaient un pour corriger les erreurs liées à la grammaire de la phrase, avec des codes comme « S » (syntaxe) et « P » (ponctuation), par exemple. Cependant, j’ai bien vite constaté qu’ils n’utilisaient pas un tel référentiel, d’ailleurs inexistant à ma connaissance, et qu’ils évaluaient la cohérence des textes d’élèves en inscrivant des commentaires plutôt courts et exclamatifs dans la marge, soutenus par des indications graphiques comme des ratures et des crochets pour délimiter les portions de texte à retravailler.

Or, cette façon de faire, qui présente certes des avantages, ne me plaisait guère, notamment parce qu’elle n’est pas structurante, au sens où elle n’établit pas de liens explicites avec les règles qui définissent ce qu’est un bon texte. Autrement dit, il me semblait tout à fait absurde que les élèves ne disposent d’aucun outil pour apprivoiser les règles qui assurent la cohérence d’un texte, alors qu’ils en disposent d’un pour analyser la phrase.

Le présent article se veut ainsi une tentative d’élaboration d’un référentiel d’évaluation de la cohérence textuelle en adéquation, d’une part, avec les savoirs didactiques, c’est-à-dire les contenus des programmes et les ouvrages théoriques sur la question, et, d’autre part, avec les savoirs pratiques, c’est-à-dire les usages et les cas d’erreur pouvant être retrouvés dans des copies d’élèves. L’intention derrière ce travail de transposition didactique est d’assurer au mieux la recevabilité du référentiel auprès des élèves et des enseignants du secondaire et du collégial afin qu’il constitue un outil de choix pour analyser le texte et le corriger.

Pourquoi utiliser un référentiel d’évaluation de la cohérence textuelle?

L’utilisation par les enseignants et les élèves d’un référentiel d’évaluation de la cohérence du texte (RÉCO) a d’abord l’avantage de rendre plus cohérents l’apprentissage de la langue et son évaluation. En effet, le code lettré ou le code de couleur d’un tel référentiel, lorsqu’il est mis en application dans un texte d’élève, établit un parallèle avec les règles de la cohérence préalablement enseignées et permet à l’enseignante ou l’enseignant de classer et de cibler plus spécifiquement les difficultés de l’élève. Cette classification peut en outre aider l’enseignante ou l’enseignant à formuler un commentaire général à la fin de sa révision, pratique qui constitue une excellente piste d’autorégulation selon Catherine Bélec (2016), professeure de français au collégial.

Dans son article sur la rétroaction multitype, Bélec compare aussi les avantages et les inconvénients du codage, qu’implique l’utilisation d’un référentiel, et de la rétroaction au stylo; bien que cette dernière méthode favorise la différenciation, la quantité de commentaires pouvant être inscrits est contrainte par le temps de correction et par l’espace des marges. Le nombre de commentaires peut aussi engendrer des difficultés sur le plan de la lisibilité ainsi qu’un effet visuel de lourdeur diminuant potentiellement la motivation de l’élève. La méthode du codage, au contraire, est plus rapide que la précédente, voire plus simple à exécuter, à condition que la signification des codes soit la plus intuitive possible, ce qui a d’ailleurs constitué une préoccupation lors de l’élaboration du RÉCO. Bref, l’usage d’un code pour signaler les erreurs de cohérence libère les marges des commentaires critiques, lesquelles constituent désormais l’endroit privilégié pour indiquer les bons coups ou les pistes de réécriture dans une perspective d’évaluation au service de l’apprentissage.

Enfin, la cohérence étant non seulement un des cinq critères de correction dans le cadre des évaluations certificatives du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES), mais aussi un critère fréquemment retrouvé dans les grilles d’évaluation en écriture au secondaire et au collégial, il semble impératif que les enseignants et les élèves possèdent un outil pour réfléchir sur le texte. D’ailleurs, « la connaissance des moyens d’organisation textuelle mis en œuvre par [les] jeunes constitue un préalable indispensable à toute intervention didactique » (Chartrand, Laporte et Paret, 1996, p. 67), connaissance que met justement en lumière l’utilisation d’un RÉCO.

Faire usage d’un tel référentiel, en somme, aide assurément à démystifier la grammaire du texte, pourvu que les règles et leurs sous-composantes soient clairement structurées, énoncées et exemplifiées.

Élaboration du RÉCO

La structuration, l’énonciation et l’exemplification des composantes (les principes) et des sous-composantes (les cas d’erreur) du RÉCO ont justement été les trois principales considérations liées à son élaboration. Ainsi, bien que l’outil présenté ici couvre beaucoup de cas d’erreur, il n’est pas exhaustif, puisque le texte, perçu comme une unité régie par des principes, fait encore l’objet de recherches et de débats chez les experts. C’est d’ailleurs pour cette raison que la classification et la terminologie adoptées ici ne sont pas la copie conforme d’une théorie particulière, mais bien le résultat d’une synthèse de la terminologie employée dans divers documents de référence. Les énoncés des sous-composantes, ou les cas d’erreur, ainsi que leur exemplification ont été formulés, quant à eux, à partir desdits documents, de mes recherches, de copies d’élèves et de réflexions personnelles, formulations justifiées plus loin dans le présent article. Chose certaine, le référentiel proposé ci-dessous n’est jamais qu’une humble approche parmi d’autres de l’objet texte : chacun et chacune peut ainsi s’inspirer de cette proposition pour élaborer son propre outil.

Plus d’une quinzaine de documents – ouvrages de référence en grammaire, études approfondies de linguistiques textuelles, programmes de formation et articles de professionnels réputés – ont servi à la construction du référentiel, mais, pour des raisons de commodité, la métalangue grammaticale de seulement huit d’entre eux est comparée dans le tableau 1. En fait, l’objectif est avant tout de mettre en lumière la variété terminologique déployée pour désigner des principes de cohérence qui sont en fait relativement les mêmes d’une source à l’autre. Il s’agit également, d’une part, de rendre compte de certaines équivalences de fond entre les principes malgré leur appellation et, d’autre part, d’illustrer une évolution sur une période de plus de quarante ans des critères considérés comme inhérents à la cohérence du texte.

Tableau 1
Catégorisation et terminologie adoptées par différents ouvrages pour rendre compte des principes régissant la cohérence du texte

Les constats que le tableau 1 fait apparaitre sont nombreux. Or, je me contente de souligner, d’une part, le faible nombre de principes qui sont considérés par le MEES dans l’évaluation de l’épreuve unique de français, langue d’enseignement et langue seconde, de la cinquième année du secondaire (MEES, 2020). Le principe de non-contradiction, par exemple, qui se retrouve pourtant dans chacune des autres sources listées, est absent de la grille d’évaluation du Ministère, que ce soit dans la description du critère ou dans les notes de bas de page. D’autre part, les principes les plus à gauche dans le tableau sont visiblement ceux qui sont reconnus de façon quasi unanime par les experts, alors que les principes les plus à droite semblent plus difficiles à cerner et à nommer. Voyons maintenant à justifier la catégorisation et la terminologie retenues pour le RÉCO, présenté ci-dessous.

RÉCO – Référentiel d’évaluation de la cohérence du texte

(version téléchargeable en PDF)

 RI = Reprise de l’information

RI-réf : Référent ambigu ou nécessaire

  • Éric et Paul adorent les sports d’hiver, mais le sport qu’il préfère, c’est le ski alpin.
  • La télé est un média d’information sans pareil. Par temps de crise, on peut voyager à peu de frais. (Correction : « Par temps de crise, elle permet de voyager… » ou « Grâce à elle, on peut… ».)
  • Dès qu’un élève augmente sa moyenne, il perd cette ressource.

RI-ina : Substitut inadéquat

  •  Je suis allé voir jouer l’équipe de soccer de mon fils, hier soir, et ils ont gagné le tournoi!

RI-red : Substitut redondant

  • Dès le deuxième paragraphe, on apprend que Jean n’a pas eu l’occasion de parler à sa mère. Pourtant, dans le paragraphe précédent, Jean se montrait coopératif avec les policiers. Peut-être considéraient-ils que Jean ne méritait pas de passer un appel.

RI-aut : Autre erreur

 PI = Progression de l’information

PI-red : Redondance ou absence de nouvelle information

  • Grâce aux analyses, j’ai pu en apprendre plus sur l’évolution psychologique de Claude Gueux. Elles m’ont aussi permis de comprendre comment sa psychologie a évolué tout au long de l’histoire.

PI-flou : Lien flou ou inexistant entre les idées

  • Le fait de nous sentir bien dans notre chambre, c’est-à-dire là où notre vie privée est respectée, prouve que nous sommes généralement mal jugés par la société.

PI-marq : Marqueur de relation inadéquat, redondant ou nécessaire

  • Tu ne connais pas l’histoire de ce personnage célèbre de la Bible, qui, à condition qu’il ait perdu ses biens, a tout enduré sans se plaindre.

PI-sour : Source ou référence nécessaire

  • Les électrons ne peuvent pas être des particules, car ils agissent en fait comme une onde.

PI-aut : Autre erreur

 OT = Organisation du texte

OT-gra : Marque graphique (titre, intertitre, image, etc.) inadéquate ou nécessaire

  • (Titre) Claude Gueux est un prisonnier.
  • (Intertitre) Portée

OT-par : Découpage ou ordre des paragraphes inadéquat ou nécessaire

  • Mais comment franchir les frontières sans un dinar en poche? Comment affronter les tempêtes et survivre aux naufrages? Comment échapper aux trafiquants d’opium et se soustraire à la cruauté d’un geôlier? Tour à tour violent, bouffon, tragique, le voyage sans retour de Saad commence. D’aventures en tribulations, ce roman narre l’exode d’un de ces millions d’hommes qui, aujourd’hui, cherchent une place sur la terre : un clandestin.

OT-org : Organisateur textuel inadéquat ou nécessaire

  • Premièrement… // Ensuite… // Troisièmement… // Finalement…

OT-aut : Autre erreur

 NC = Non-contradiction

NC-int : Présence d’une contradiction interne

  •  Il y a deux semaines, j’ai écrit un texte pour dénoncer l’injustice que j’ai vécue hier.
  • Demain, le jeune garçon aura deux nouvelles tâches : faire son lit, préparer les biscuits et nettoyer les vitres.

NC-verb : Conflit dans l’utilisation des temps de verbe

  • En faisant le ménage de mon grenier, la semaine dernière, je découvris une vieille malle en métal. À l’intérieur, il y a des photos de mon père.

NC-mond : Incompatibilité avec le monde réel

  • J’ai 17 ans et je suis québécois. Ayant, dans ma jeunesse, vu de nombreux hommes être passés à la guillotine et ne pensant pas qu’il s’agisse d’une solution, je ne peux faire autrement que d’essayer d’user de ma notoriété d’écrivain pour faire cesser ce perpétuel massacre.
  • Les couts liés au chauffage ne cessent d’augmenter depuis que les maisons n’ont plus de fenêtres.

NC-sour : Incompatibilité avec le propos de la source

  • Selon le journal Le Devoir, le chef du Parti conservateur serait en fait de nationalité américaine, et non canadienne, ce qui disqualifierait sa candidature pour le poste de premier ministre.

NC-aut : Autre erreur

 UT = Unité du texte

UT-hors : Information hors de propos par rapport au thème ou au genre du texte

  • Mon hypothèse actuelle est que le protagoniste sera pendu. Vous prendrez le premier bus.

UT-vue : Point de vue énonciatif inconstant ou inapproprié

  • Tu as apprécié cette lecture parce que vous avez pu constater à quel point l’auteur s’amuse avec la mise en page.
  • En somme, les facteurs sont multiples, et nous ne les avons donc probablement pas tous soulevés. (Correction : « […] et je ne les ai donc… », dans l’éventualité où la première personne du singulier est utilisée à travers tout le texte.)

UT-mod : Marque de modalité inappropriée ou nécessaire

  • Vous avez un flair incroyable, une grande intelligence et un charme fou. Vous êtes donc compétent, malheureusement, pour assumer cette fonction.
  • (Dans un bulletin de nouvelles) Considérant l’ampleur de la propagation du coronavirus, le premier ministre ontarien, le fameux Doug Ford, prolongera quant à lui la fermeture des écoles jusqu’en mai.

UT-aut : Autre erreur

* * *

La reprise de l’information (code : RI)

Tout texte dit cohérent « doit comporter un ou des éléments [nommés substituts] qui, d’une phrase à l’autre ou d’un passage à un autre, se répètent, constituent le fil conducteur du texte pour en assurer la continuité » (Chartrand, 1997, p. 42). Ainsi, bien que l’appellation « reprise de l’information » choisie ici désigne davantage une stratégie d’écriture qu’un principe (à proprement parler celui de la continuité), elle a été conservée dans le souci de rendre le principe en question moins abstrait pour les élèves et de s’arrimer à l’usage déjà répandu qu’en fait la communauté enseignante. Trois types d’erreurs fréquemment retrouvés dans les textes d’élèves et répertoriés dans les manuels scolaires se rapportent à la reprise de l’information :

  • RI-réf[1] : Référent ambigu ou nécessaire
  • RI-ina : Substitut inadéquat
  • RI-red : Substitut redondant

En ce qui concerne la terminologie adoptée, le terme « antécédent » aurait pu être préféré à celui de « référent[2] », mais ce dernier a l’avantage de faire partie de la même famille que « référence », mot généralement bien connu des élèves. Le terme « substitut », quant à lui, même s’il est moins connu, est conservé, car il est plus solidement implanté dans les manuels et grilles d’évaluation en plus d’être difficilement remplaçable. Il ne peut effectivement être troqué directement contre « pronom », par exemple, puisqu’il s’agit d’une forme de substitution parmi d’autres.

Pour ce qui est des sous-composantes, qui sont au nombre de trois là où certains en voient plus de dix[3], elles ont l’avantage de couvrir malgré leur relativement faible nombre la grande majorité des cas d’erreur pouvant être retrouvés dans des textes d’élèves. Or, s’il advenait qu’un cas précis ne s’assimile à aucune des sous-composantes et qu’il doive être signalé, il suffirait d’inscrire le code « RI-aut » (Autre erreur). D’ailleurs, chaque principe du RÉCO possède l’équivalent de ce code, lequel incarne ainsi une marge de manœuvre pour celui ou celle qui tient à nommer correctement un type d’erreurs non répertorié dans le référentiel.

La progression de l’information (code : PI)

Ce principe complète le précédent en ce sens qu’il implique l’apport de nouvelles informations d’un énoncé à un autre. Il sous-entend également une certaine exigence de fluidité dans la lecture, sans quoi des ruptures ou bris de compréhension risquent d’apparaitre. Il se divise en quatre sous-composantes :

  • PI-red : Redondance ou absence de nouvelle information
  • PI-flou : Lien flou ou inexistant entre les idées
  • PI-marq : Marqueur de relation inadéquat, redondant ou nécessaire
  • PI-sour : Source ou référence nécessaire

Sur le plan terminologique, la désignation du principe par le vocable « progression » était toute désignée vu sa réutilisation par les divers ouvrages de référence au fil des décennies, comme l’illustre le tableau 1. Je souligne en outre que le terme « redondance » apparait préférable à celui de « répétition », celui-ci désignant davantage une fonction inhérente à la reprise de l’information, et celui-là, un défaut du texte. Pour ce qui est des trois autres cas d’erreur, la terminologie employée ne fait que reprendre une métalangue (par exemple, « marqueur de relation ») ainsi que des usages fort appropriés et déjà bien implantés dans les pratiques enseignantes, comme l’utilisation du mot « flou », qui me semble irremplaçable pour signaler succinctement et clairement les bris de compréhension, par exemple.

Sur le plan hiérarchique, alors que les trois premières sous-composantes semblent bien à leur place, j’ai hésité à subordonner sous ce principe le cas d’erreur « Source ou référence nécessaire ». En guise d’explication, prenons cet exemple d’un élève fictif : Les électrons ne peuvent pas être des particules, car ils agissent en fait comme une onde.

L’affirmation avancée ici pourrait prêter à débat et n’est bien évidemment pas le simple fruit de la réflexion personnelle de l’élève. La lectrice ou le lecteur se demanderait alors avec raison d’où sort cette affirmation, qui pourrait lui paraitre en contradiction avec ses connaissances du monde réel. Après réflexion, toutefois, j’ai décidé d’intégrer cette sous-composante dans la « Progression de l’information » et non dans le principe de « Non-contradiction » parce que c’est avant tout la fluidité de la lecture qui est entravée ici : une lectrice ou un lecteur qui est en accord avec cette affirmation et qui n’y voit donc aucune contradiction verrait tout de même son acte de lecture potentiellement rompu par l’absence d’une source, sachant que l’auteur du texte n’est qu’un jeune élève. Autrement dit, le code « PI-sour » a pour but d’indiquer les passages qui apportent des informations qui font douter la lectrice ou le lecteur quant à leur provenance et à leur véracité.

L’organisation du texte (code : OT)

Je reprends ici la terminologie utilisée par le MEES, qui a l’avantage de distinguer et de mettre de l’avant l’organisation du texte et non de l’information, qui me parait un peu moins juste. Considérant les sous-composantes ci-dessous, ce principe désigne effectivement et plus spécifiquement la construction, la structuration adéquate des parties du texte :

  • OT-gra : Marque graphique (titre, intertitre, image, etc.) inadéquate ou nécessaire
  • OT-par : Découpage ou ordre des paragraphes inadéquat ou nécessaire
  • OT-org : Organisateur textuel inadéquat ou nécessaire

Le code et la dénomination de la première sous-composante pourraient intriguer l’élève, et c’est pourquoi j’ai ajouté entre parenthèses des exemples de marques graphiques. Par ailleurs, le principal avantage d’inclure dans ce principe et non dans le précédent les erreurs liées aux organisateurs textuels est de permettre de distinguer clairement cette notion de celle de marqueur de relation, lesquelles sont parfois confondues par les élèves[4]. Je tiens finalement à préciser que les défauts dits de découpage peuvent souvent être expliqués par le rôle que devrait jouer le paragraphe comme unité de sens, rôle qui est d’ailleurs expliqué dans un article de Chartrand (1997, p. 43), ou encore grâce à la notion de séquence textuelle, laquelle est habilement développée dans l’ouvrage de Chartrand, Aubin, Blain et Simard (2000).

La non-contradiction (code : NC)

Ce principe implique que le développement du texte « n’introduise aucun élément sémantique contredisant un contenu posé ou présupposé par une occurence [sic] antérieure ou déductible de celle-ci par inférence » (Charolles, 1978, p. 22); en d’autres termes, il faut simplement éviter les contradictions, sans quoi la crédibilité de la personne qui a écrit le texte ou la logique interne de ce dernier s’en trouvent atteintes. Ces contradictions sont les suivantes :

  • NC-int : Présence d’une contradiction interne
  • NC-verb : Conflit dans l’utilisation des temps de verbe
  • NC-mond : Incompatibilité avec le monde réel
  • NC-sour : Incompatibilité avec le propos de la source

Le premier type de contradiction, dit « interne », a trait aux énoncés qui bafouent la logique propre au texte, qui se contredisent entre eux, à l’intérieur du texte, que ce soit à propos des marques de lieu et de temps ou des informations présentées. Ce cas d’erreur se distingue de l’« Incompatibilité avec le monde réel », qui désigne la contradiction entre un énoncé du texte et la réalité extérieure au texte, telle que nous la connaissons. Par ailleurs, j’ai réservé le terme « contradiction » au premier cas d’erreur, c’est-à-dire les problèmes de raisonnement au sens propre, et j’ai employé plutôt le synonyme « incompatibilité » pour les autres cas afin d’éviter une certaine confusion dans leur distinction. Ce terme est d’ailleurs fort approprié dans le cas de l’« Incompatibilité avec le propos de la source », qui implique que le destinateur ou la destinatrice a déformé – et non nécessairement contredit – les propos de celui ou de celle qu’il ou elle cite. Enfin, le « Conflit dans l’utilisation des temps de verbe », qui mérite d’être distingué de la contradiction interne notamment parce qu’il est plus fréquemment observé dans les textes d’élèves, indique toute erreur relative à la non-concordance des temps de verbe à travers tout le texte, et non dans une même phrase, ce qui constituerait dans ce cas une erreur de syntaxe.

L’unité du texte (code : UT)

Cette terminologie est osée, en un sens, car elle ne se retrouve dans aucun ouvrage de référence, bien que le principe qui la sous-tend, lui, est bien reconnu. Il implique que le texte doit former une unité au niveau du sujet traité, du point de vue adopté par le destinateur ou la destinatrice et qu’il doit respecter les caractéristiques importantes du genre dans lequel il s’inscrit, comme l’illustrent les quatre sous-composantes qui suivent :

  • UT-hors : Information hors de propos par rapport au thème ou au genre du texte
  • UT-vue : Point de vue énonciatif inconstant ou inapproprié
  • UT-mod : Marque de modalité inappropriée ou nécessaire

En ce sens, je rejoins la règle de pertinence de la Nouvelle grammaire pratique (2012) ainsi que le principe d’unité du sujet de la Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui (2000). Je n’ai toutefois pas adopté l’expression « Unité du sujet » pour désigner le principe, car elle exclut les notions d’énonciation et de modalisation pour se centrer sur ce dont on parle dans le texte. Quant à la locution « Unité référentielle », utilisée par le Grevisse de l’enseignant (2016), elle m’apparait bien trop savante, et le terme « pertinence » est pour sa part trop abstrait et peu explicite pour l’élève.

En ce qui concerne plus spécifiquement les sous-composantes, j’ai hésité à intégrer ici le « Point de vue énonciatif inconstant ou inapproprié », car il constitue en quelque sorte une contradiction énonciative (passer de l’utilisation du « vous » à celle du « tu », par exemple); les auteures de la Nouvelle grammaire pratique (2012) l’ont d’ailleurs intégré au principe de non-contradiction. J’ai cependant préféré le placer sous le principe de l’unité du texte, car il s’agit la plupart du temps, selon mes observations de textes d’élèves, d’une maladresse plus que d’un problème de logique. Un peu dans le même ordre d’idées, j’ai inclus ici la sous-composante « Marque de modalité inappropriée ou nécessaire », car une erreur en ce sens peut remettre en question (sans nécessairement contredire) la position jusqu’alors exprimée par l’énonciatrice ou l’énonciateur, et donc l’unité du texte.

Limites du RÉCO

Une limite importante du présent référentiel d’évaluation de la cohérence textuelle est que ses principes ne s’appliquent pas systématiquement à tous les genres de texte. Des contradictions internes sont tolérables, par exemple, voire recherchées dans certains genres : pensons simplement aux poèmes et aux figures de style comme l’oxymore ou l’antithèse, ou encore aux paradoxes développés par certains auteurs dans leurs essais. « La contradiction n’est donc pas un facteur absolu d’incohérence » (Charolles, 1978, p. 25), tout comme certaines autres sous-composantes telles que le découpage en paragraphes (dans des poèmes) ou l’incompatibilité avec le monde réel (dans des textes narratifs).

De cette limite en découle une autre, à savoir que le RÉCO est avant tout un outil secondaire dans la correction des erreurs de cohérence, le premier étant bien évidemment le jugement de l’autorité enseignante. Cet outil ne doit donc pas être appliqué de façon mathématique, mais doit plutôt s’inscrire dans une approche de l’évaluation au service de l’apprentissage. En effet, ce n’est pas parce qu’un ou une élève n’a pas intégré un substitut dans une phrase qu’il s’agit automatiquement d’une erreur : il est possible, par exemple, d’assurer malgré cela une continuité grâce aux compléments de phrase, aux marqueurs de relation ou à l’utilisation de termes appartenant au champ lexical du thème dont il est question. Bref, les enseignants conservent et doivent conserver le pouvoir de juger si un cas d’erreur mérite d’être considéré lors de l’évaluation, ou encore d’estimer sous quel principe une erreur mériterait d’être signalée pour aider l’élève à progresser en écriture.

* * * 

En somme, bien que la cohérence d’un texte ne puisse être établie de manière absolue, cela ne signifie pas qu’elle est complètement subjective. En d’autres mots, il est possible malgré tout d’extrapoler des principes qui peuvent aider l’enseignant ou l’enseignante à porter un jugement éclairé sur la cohérence d’un texte. De ce fait, le RÉCO offre des balises claires sur lesquelles il est possible d’appuyer son jugement professionnel ainsi qu’une méthode de rétroaction ayant l’avantage de rendre explicites les qualités d’un bon texte aux yeux des élèves. À la lueur de ces bénéfices, il conviendrait d’évaluer concrètement les retombées de l’utilisation par les enseignants et les élèves d’un tel référentiel, retombées que je pressens positives, sur les compétences en écriture de ces derniers, tant dans les cours de français que dans ceux des autres disciplines.

* * *

Références

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CARTER-THOMAS, S. (2000). La cohérence textuelle : pour une nouvelle pédagogie de l’écrit, Paris, L’Harmattan.

CHAROLLES, M. (1978). « Introduction aux problèmes de la cohérence des textes », Langue française, no 3, p. 7-41.

CHARTRAND, S.-G. (1997). « Les composantes d’une grammaire du texte », Québec français, no 104, p. 42-45. Également disponible en ligne : www.erudit.org/fr/revues/qf/1997-n104-qf1377386/57679ac/.

CHARTRAND, S.-G., M. LAPORTE et M.-C. PARET (1996). « La cohérence textuelle dans les textes de jeunes Québécois : coordonnées d’une recherche », Revue de l’ACLA, vol. 18, no 1, p. 67-83.

CHARTRAND, S.-G., D. AUBIN, R. BLAIN et C. SIMARD (2000). Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui, Montréal, Graficor.

LAPORTE, M., et G. ROCHON (2012). Nouvelle grammaire pratique – secondaire et adulte, Anjou, CEC.

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MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION ET DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (2011). « Français, langue d’enseignement. Documents officiels », Québec, Gouvernement du Québec. Également disponible en ligne : www.education.gouv.qc.ca/enseignants/pfeq/secondaire/domaine-des-langues/francais-langue-denseignement/.

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PÉPIN, L. (1998). La cohérence textuelle : l’évaluer et l’enseigner, Laval, Beauchemin.

ROBERGE, J. (2006). « L’utilisation d’un code de correction pour identifier les erreurs de langue : lequel choisir? », [En ligne], Correspondance, vol. 11, no 4, s. p. [correspo.ccdmd.qc.ca/index.php/document/la-correction-dans-tous-ses-etats/lutilisation-dun-code-de-correction-pour-identifier-les-erreurs-de-langue-lequel-choisir/].

ROBERGE, J. (2009). « Corriger des productions écrites : qu’est-ce qui profite le plus aux élèves? », Pédagogie collégiale, vol. 23, no 1, p. 27-34. Également disponible en ligne : aqpc.qc.ca/revue/article/corriger-des-productions-ecrites-qu-est-ce-qui-profite-plus-aux-eleves-0.

VANDENDORPE, C. (1995). « Au-delà de la phrase : la grammaire du texte », dans CHARTRAND, S.-G. (dir.), Pour un nouvel enseignement de la grammaire, Montréal, Éditions Logiques, p. 83-105.

  1. La formulation des codes a été réfléchie de sorte qu’ils soient faciles à mémoriser ou à déduire en l’absence de la feuille de codes (c.-à-d. le RÉCO). Les codes issus de troncatures, à l’opposé des codes chiffrés, incarnent le meilleur choix en ce sens, selon Roberge (2006). [Retour]
  2. Ce à quoi renvoie le substitut (définition inspirée de celle d’Antidote). [Retour]
  3. C’est dans l’ouvrage de Pépin (1998) que l’on retrouve autant de cas, qui sont plus spécifiques que les miens. [Retour]
  4. Les marqueurs de relation établissent des liens logiques entre les phrases, tandis que les organisateurs textuels le font entre les grandes parties du texte. [Retour]

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