Tentative de réhabilitation du lieu commun
Le tournant d’une nouvelle année sonne généralement le retour des poncifs de circonstance. Des formules toutes faites pour se souhaiter « les meilleurs voeux » aux banalités échangées sur ces hivers qui n’en sont plus, il n’est pas rare de nous voir tous et toutes emprunter les mêmes sentiers battus. En dépit de notre bonne volonté, voire de nos résolutions les plus fermes (c’est de saison!), nous retombons rapidement dans les ornières de la langue. Car pour le meilleur et pour le pire, habiter une langue, c’est nécessairement fréquenter – peut-être plus souvent qu’on le voudrait – ses lieux communs. Doit-on forcément rougir de ne pas avoir le sens de la formule à toute occasion, de ne pas faire preuve d’une originalité sans faille quand vient le temps de jongler avec les idées et les mots du quotidien? Poser la question, c’est évidemment y répondre[1]. Dès lors, comment expliquer ce mépris qu’on cultive malgré tout à l’endroit du lieu commun? Même la littérature, qu’on pourrait imaginer se tenant à l’abri dans sa tour d’ivoire, se consacrant uniquement à la recherche de la nouveauté et du jamais-dit, a fini par décomplexer les usages les plus triviaux de la langue et jouer de ses propres clichés.
Pourquoi alors ne pas assumer ces tournures convenues pour ce qu’elles sont? C’est-à-dire non pas, inévitablement, les signes d’une paresse intellectuelle crasse, mais plutôt l’expression naturelle et spontanée d’une « zone de confort » linguistique. Les lieux communs souffrent en quelque sorte de la même réputation que les pantoufles. On les enfile chez soi sans complexe, mais on les associe en même temps à une certaine forme de nonchalance. Or, se sentir chez soi dans la langue (« se sentir dans ses pantoufles »), c’est peut-être un petit pas pour l’Homme qui pose le pied en terrain connu, mais c’est un grand pas pour ceux et celles qui ne se verraient pas chausser des escarpins du jour au lendemain…
Les lieux communs (l’expression le dit) fournissent une base de référents « communs » aux individus qui partagent une langue et une culture. Il pourrait être tentant de les considérer uniquement comme des phrases creuses destinées à combler des vides dans la conversation, mais pour les personnes qui ne manient pas la langue avec aisance, ils sont parfois les seules prises qui permettent justement… le début d’une prise de parole.
Le philosophe et historien Jean-Marc Besse décrit le processus d’apprentissage d’une langue en ces mots : « On n’habite pas une langue totalement et du premier coup. Il faut d’abord pouvoir s’y installer, profiter des aménités qui s’offrent, trouver un endroit où il est possible de camper un instant, quelque chose comme un abri ou un chez-soi provisoire, et une base de départ, une zone de familiarité à partir de laquelle on peut tenter d’ouvrir de nouveaux chemins[2]. » C’est justement cette nécessité d’établir une « base de départ », de défricher des « zones de familiarité » dans la langue, qui a guidé les travaux de certains collaborateurs du présent numéro de Correspondance.
Une telle approche du développement de la compétence langagière trouve sans doute son application la plus profitable auprès des élèves allophones, pour qui une prise de confiance progressive dans la langue seconde (voire dans la langue tierce) est plus que souhaitable. Des enseignantes-chercheuses du cégep Marie-Victorin et du collège de Bois-de-Boulogne l’ont compris et donnent l’occasion à ces apprenants de tabler sur leurs acquis en adoptant une méthode d’apprentissage dynamique du français basée sur leur propre langue maternelle. Une enseignante du collège Montmorency propose par ailleurs une démarche d’accompagnement graduelle, en trois niveaux, conçue pour favoriser l’enrichissement progressif des textes d’élèves allophones. Or, les gains possibles à cet égard dépendent en grande partie du niveau de maturation syntaxique des scripteurs. Des intervenants et spécialistes de divers horizons se penchent justement sur les enjeux de l’amélioration de la syntaxe des élèves allophones dans un article collectif entièrement consacré à la question.
Quant aux élèves dont le français est la langue maternelle, est-il nécessaire de rappeler qu’ils cherchent eux-mêmes à « prendre pied » dans la langue, qu’ils témoignent du même besoin de consolider certaines notions qu’on pourrait – à tort – considérer comme acquises? C’est dans cet esprit que Sortir de l’impasse avec les participes passés, une nouvelle ressource interactive du CCDMD, propose une stratégie pour dompter cette redoutable bête noire de la langue française! Dans certains cas, ce n’est toutefois pas le code linguistique qui représente le défi le plus imposant, mais plutôt les habiletés communicationnelles qu’il est nécessaire de déployer dans un contexte précis. Le cours Littérature, communication et empathie, donné au cégep de Sherbrooke, traduit bien cette préoccupation et offre la possibilité aux étudiants et étudiantes des programmes techniques de la santé d’apprivoiser, à travers des œuvres littéraires, des enjeux de communication liés à leurs futurs milieux professionnels.
Et nous, enseignants et enseignantes de français, qu’en est-il de nos « zones de familiarité » dans la langue? Sont-elles circonscrites par ces petits ronds d’encre rouge qui nous servent à relever les erreurs dans les copies de nos élèves? Au-delà de ces cercles répétés inlassablement, parvenons-nous encore à trouver matière à apprentissage? La présentation, dans les premières pages de ce numéro, du cours Étude pratique de la correction ouvre la porte à ce genre de questionnements. Car si l’expression « apprendre de ses erreurs » est bel et bien un lieu commun, apprendre des erreurs (en français écrit) ne relève pas toujours de l’évidence…
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