L’enseignement de la conjugaison: de fausses évidences
S’il est un domaine de l’enseignement du français qui a traversé les siècles sans subir beaucoup de changements, c’est bien celui de la conjugaison. En effet, on enseigne la conjugaison ou, plutôt, on fait apprendre des tableaux de conjugaison sans se poser trop de questions ; après tout, ce n’est pas compliqué : il s’agit que les élèves les apprennent par cœur, puis qu’on vérifie leur « apprentissage » par des exercices et des tests. J’aimerais montrer ici que le vocabulaire de la conjugaison est particulièrement opaque et qu’il explique en partie les piètres performances des élèves, même une fois au cégep.
Verbes conjugués et non conjugués : un non-sens
La conjugaison est l’ensemble ordonné des formes que le verbe peut prendre en fonction du mode, du temps, de l’aspect et de la personne. Aussi, tout verbe est nécessairement conjugué, quoi qu’on en dise… Ce qu’on voulait mettre en évidence par cette dichotomie, c’est le fait que le verbe peut être conjugué à un mode personnel (indicatif, impératif, subjonctif) ou impersonnel (infinitif et participe).
Le mot présent n’a pas le même sens selon que l’on parle du présent de l’indicatif ou du subjonctif
Une des difficultés majeures touchant la compréhension de la conjugaison, préalable à une mémorisation efficace, provient de la polysémie du mot présent et des étiquettes des temps et modes verbaux. Un seul mode verbal indique la temporalité : l’indicatif (qui amalgame l’ex-conditionnel) ; les autres sont intemporels. Aussi, le mot présent dans subjonctif présent ou infinitif présent ne renvoie pas à la temporalité. Dans les exemples suivants, le présent du subjonctif n’indique aucun moment chronologique :
Je souhaite / je souhaiterai / je souhaiterais / j’ai souhaité / je souhaitai que tu viennes.
Trois, six ou… cinq personnes ?
Autre difficulté, la notion de personne. Il y aurait trois personnes du singulier (la 1re, la 2e et la 3e) et leur équivalent au pluriel. Pourtant, en contexte, le pronom nous n’est pas toujours l’équivalent d’une pluralité de je. Dans la phrase Ce soir, nous irons au cinéma, dit Sandra à Hélène, le nous pourrait correspondre à un je (Sandra), à un tu (Hélène) et, possiblement, à des ils ou elles (leurs copains et copines). Il en est de même pour vous, qui, on le sait bien, n’est pas toujours le pluriel de tu, alors que c’est le cas de il / ils. On devrait plutôt faire observer qu’il y a quatre personnes désignant les locuteurs et interlocuteurs engagés dans la communication (je, tu, nous, vous) et une personne renvoyant à un référent singulier ou pluriel (il / elle / on – ils / elles).
Temps simples et temps composés : une question d’aspect
La conjugaison française est un système organisé de formes verbales qui présente plus de régularités que d’irrégularités. Peu importe le mode, à chaque temps simple correspond un temps composé, dont l’auxiliaire est au même temps que le temps simple correspondant. Les temps simples présentent l’aspect non accompli de l’actualisation de l’évènement désigné par le verbe (l’évènement est en cours de réalisation) et les temps composés, l’aspect accompli (l’évènement est terminé) : je mange / j’ai mangé. Que voit-on quand on entend le loup frappa ? Un loup frappant à la porte… des trois petits cochons. Le passé simple exprime l’inaccompli, en plus du passé chronologique.
Quatre, trois… ou deux groupes de verbes ?
Tout dépend du regard porté sur les formes verbales. Si on privilégie les différences, on en fait quatre (XIXe siècle) ou trois (XXe siècle). Si on privilégie les régularités, comme plusieurs didacticiens le font aujourd’hui, on distingue deux groupes de verbes : les verbes en –er et les autres. Les verbes totalement irréguliers (aller, avoir, être, dire, faire, pouvoir, savoir) sont en dehors de cette classification.
Des tableaux de conjugaison qui montrent l’organisation des formes verbales
De bons tableaux de conjugaison présentent :
- l’indicatif dégagé des autres modes ;
- la symétrie évidente entre temps simples et temps composés ;
- une nette distinction entre le radical et la terminaison ;
- la mise en évidence du nombre de radicaux.
Un enseignement efficace de la conjugaison impliquerait minimalement une observation guidée de bons tableaux pour faire voir les différentes facettes du système, d’une part, et une analyse comparative de verbes des deux conjugaisons (verbes en –er et les autres), d’autre part, le tout en association avec un travail sur les valeurs sémantiques des temps et des modes verbaux.
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