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Des pronoms dignes d’intérêt

Des pronoms dignes d’intérêt

Capsule linguistique

 

NNous avons tous déjà dit ou entendu des phrases comme Goute[1]moi ça ou Je te lui ai dit ma façon de penser. Leur banalité cache pourtant un emploi spécial des pronoms moi et te. Que répondrions-nous à un étudiant futé qui nous demanderait quelle est la fonction syntaxique de ces pronoms ou quel est leur rôle dans la phrase ? Bonnes questions !, dirions-nous. Des questions dignes d’intérêt, auxquelles nous allons tenter de répondre ici.

Que sont-ils et que font-ils ?

Nul doute que moi et te sont bien des pronoms personnels compléments dans Goutemoi ça ou Je te lui ai dit ma façon de penser. Mais que dit-on de ces emplois singuliers dans les grammaires ? Quelques ouvrages en font mention et donnent à ces curieux pronoms différentes appellations. Pour certains, il s’agit de pronoms explétifs, l’adjectif explétif signifiant « qui n’est nécessaire ni au sens ni à la syntaxe de la phrase ». D’autres parlent de pronoms d’intérêt, puisqu’ils témoignent selon eux de l’intérêt du locuteur pour son propos. Enfin, on trouve dans les grammaires plus spécialisées l’expression datif éthique. Dans les langues à déclinaison, comme le latin et le grec, le datif était le cas de fonction correspondant au complément d’attribution. Ces emplois pronominaux particuliers existaient déjà en latin, sous l’appellation de dativus ethicus. Mais en français, quelle est leur fonction syntaxique ? Complément direct (CD) ou indirect (CI) du verbe ? Deux tests permettent de répondre à cette dernière question. Dans la phrase Goute-moi ça, le verbe ayant déjà ça comme CD, le pronom moi ne pourrait être que CI. Or, un CI peut habituellement être remplacé par un autre CI ; par exemple : Donne-moi ça > Donne ça à Marie. Cette substitution est impossible avec Goute-moi ça > *Goute ça à Marie. Second test : l’encadrement par c’est… que, possible avec un CI : Donne-moi ça > C’est à moi que tu donnes ça, mais impossible avec Goute-moi ça > *C’est à moi que tu goutes ça. Il faut donc en déduire que moi n’est ici ni CD ni CI. L’analyse de la deuxième phrase, Je te lui ai dit ma façon de penser, confirme cette déduction : le pronom te ne peut être ni CD ni CI, puisqu’il y a déjà dans cette phrase un CD (ma façon de penser) et un CI (lui). On peut également conclure des deux tests que ces emplois particuliers de moi et de te sont compatibles dans la phrase avec un CD ou un CI.

Bénéficiaire, victime ou témoin

Pour bien comprendre le rôle de ces pronoms, il convient d’analyser séparément les emplois selon la personne (1re ou 2e personne). Les pronoms de 1re personne me, moi et nous, utilisés comme pronoms d’intérêt, se rencontrent à l’oral dans des phrases comme les suivantes : Va me ramasser tout ce désordre. Paul nous est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Fais-moi sortir tout ce beau monde. Bois-moi cette tisane sans discuter. Dans tous ces exemples, le locuteur est concerné directement par l’action évoquée par le verbe ou par ses conséquences, soit comme bénéficiaire, soit comme victime. Ces actions ne sont pas en soi exceptionnelles, mais elles touchent d’une manière personnelle le locuteur. Les pronoms de 2e personne, te et vous, apparaissent dans d’autres types de contextes ; par exemple : Pierre te leur prépare un souper en cinq minutes. Je vous le remettrais à sa place vite fait. Il te l’a fait taire juste en le regardant. Dans ces cas-là, la personne représentée par le pronom te ou vous fait plutôt figure de témoin, le témoin d’un fait hors du commun ; l’interlocuteur est en effet invité à être le spectateur d’un évènement remarquable en raison de sa rapidité ou de son efficacité.

Bref, si les pronoms d’intérêt n’ont pas de fonction syntaxique dans la phrase, ils ont bel et bien un rôle énonciatif. Comme traces de subjectivité, ils révèlent la présence engagée du locuteur dans son discours. * * *

  1. Ce texte est rédigé conformément aux rectifications orthographiques en vigueur. [Retour]

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