Les allophones au collège de Limoilou
Les allophones, au collège de Limoilou, ne sont pas très nombreux si on compare avec certains collèges de Montréal, mais, toute comparaison étant relative, nous jugeons important, malgré le petit nombre (une cinquantaine sur une population totale d’environ 5000 élèves), de bien les encadrer : leur intégration et leurs difficultés posent vraiment problème dans un milieu presque uniquement francophone comme l’est la région de Québec. Leur succès revêt de l’importance à nos yeux en raison des objectifs poursuivis par le Collège, en raison aussi des convictions affirmées en ce sens dans le projet éducatif de l’établissement. De plus, cette préoccupation s’inscrit dans une vision globale exprimée par la Fédération des cégeps[1]. L’histoire des projets spéciaux pour les allophones du collège de Limoilou commence à l’automne 1996. L’idée est venue alors du fait que plusieurs professeurs de français avaient constaté le nombre croissant, dans leur groupe classe, d’élèves dont le français n’était pas la langue maternelle. Cela, nous le savons bien, occasionne de nombreux problèmes entraînant souvent de faibles résultats scolaires. De ce constat est né le projet. Cette session-là, j’ai obtenu, pour le réaliser, une libération de tâche d’enseignement équivalant à un cours de 45 heures, en raison de ma formation et de mon expérience en français, langue seconde. Comme les allophones éprouvent de la difficulté dans tous les cours comportant de l’expression écrite et orale, il faut les aider dans leur compréhension et leurs productions tant orales qu’écrites. Les professeurs titulaires n’ont pas le temps nécessaire pour répondre à ces besoins. Par exemple, expliquer la différence entre le féminin et le masculin du français à un autochtone, pour qui le genre se distingue par l’opposition animé ou inanimé, pose des difficultés. Les notions qui causent problème demandent qu’on prenne du temps et qu’on soit bien préparé : des compétences dans l’enseignement du français comme langue seconde se révèlent donc un atout. Les allophones ont besoin d’une personne qui est là pour répondre à leurs interrogations, qui passe du temps avec eux, qui les écoute et les encourage.
Définition de la problématique et détermination des objectifs
Le premier projet spécial à l’intention des allophones a donné naissance à une association avec le Centre d’aide intégré (français, mathématiques et anglais) du Collège : utilisation des locaux, du matériel, des ordinateurs et collaboration avec le personnel du Centre. Ce projet spécial a été orienté en fonction de la problématique suivante :
- L’élève ne comprend pas bien le message transmis à l’oral par le professeur.
- L’élève n’arrive pas à produire adéquatement la trame sonore et musicale du français, ce qui occasionne une incompréhension de la part de l’auditeur.
- L’élève a du mal à décoder les mots et à en comprendre le sens.
- L’élève éprouve de la difficulté à organiser ses idées, puis à les écrire à la manière des francophones.
Les objectifs suivants sont alors apparus essentiels :
- Améliorer la compréhension et la production orales des allophones puisque « comprendre et produire les sons du français, c’est aussi comprendre et produire du sens en français[2] ».
- Améliorer la compréhension et la production écrites des allophones.
- Augmenter le taux de réussite des allophones en français et en philosophie.
Grâce à ce projet, les élèves allophones se sont sentis encadrés et soutenus. Quelqu’un était là pour eux, se penchait sur leur propre cas, ce qui a été très apprécié.
À la recherche des allophones
Pour dépister ces élèves, j’ai fait appel à la collaboration de mes collègues du Département de français. Chacun, dans sa classe, est parti « à la recherche des allophones ». C’est lors d’une première rencontre avec l’élève allophone et après lui avoir fait remplir une fiche signalétique qu’il y avait passation d’un test diagnostique. Ce test était constitué, pour la partie écrite, d’une dictée et d’une composition de deux pages à remettre avant la prochaine rencontre et, pour la partie orale, d’une lecture à haute voix de phrases comportant des éléments précis à bien prononcer et d’une conversation enregistrée de cinq minutes.
Classement des élèves et proposition d’intervention
Après la correction des éléments écrits et oraux, il a été possible de classer les élèves en quatre niveaux. Les résultats ont été transmis à l’élève lors de la deuxième rencontre, et, selon son classement, un calendrier de rencontres a été fixé. Voici la description de ces niveaux. Premier niveau : l’élève qui a de la difficulté à l’oral, c’est-à-dire que l’on comprend difficilement et qui souhaite améliorer sa prononciation, et à l’écrit, c’est-à-dire qui écrit presque de façon incompréhensible. L’élève en question fera partie du projet et sera suivi par la responsable de celui-ci. Deuxième niveau : l’élève qui a de la difficulté soit à l’oral, soit à l’écrit. L’élève en question fera partie du projet et sera suivi par la responsable de celui-ci. Troisième niveau : l’élève qui a un peu de difficulté à l’écrit. L’élève en question sera dirigé vers le centre d’aide en français. Il y travaillera avec les assistants du cours de français Communication et discours. Relation d’aide en français. Quatrième niveau : l’élève qui a très peu de difficulté à l’écrit. L’élève en question travaillera seul. Une douzaine d’élèves sont venus aux rencontres prévues ; les autres avaient soit peu de problèmes différents de ceux des francophones, soit décidé de travailler seuls. Il faut noter que le centre d’aide a été avisé des problèmes particuliers des allophones et que les élèves qui avaient décidé de travailler seuls sont revenus me voir après les examens de mi-session, se sentant un peu dépassés par la situation. Le taux de réussite des allophones a légèrement augmenté pour les cours visés par le projet (français et philosophie), mais il faut en retenir surtout que le taux d’abandon est passé de 80p.100 à 0p.100.
Lorsqu’une fois devient coutume
Le projet a été abandonné pour l’année 1997 mais a été repris en 1998 en raison du grand besoin d’aide des allophones. En effet, pendant tout le temps où il n’y a pas eu de projet, mes collègues du Département de français m’envoyaient les élèves allophones ; ces derniers ainsi que les élèves inscrits au projet de 1996 venaient me demander de l’aide à mon bureau. De l’automne 1998 jusqu’à l’hiver 1999, le projet a toujours visé les mêmes objectifs que ceux établis pour le projet de 1996, avec quelques améliorations quant au fonctionnement et à la gestion. La collaboration avec le centre d’aide, devenu le Centre d’aide à la réussite, puis, tout récemment, OSCAR (On S’enrichit au Centre d’Aide à la Réussite), s’est grandement développée : le centre d’aide comporte une section de français pour les allophones et du matériel qui leur est réservé, les assistants du cours de français Communication et discours. Relation d’aide en français sont maintenant jumelés avec des allophones et ces mêmes assistants reçoivent une formation spéciale qui les aide dans leur démarche de tutorat auprès de cette clientèle particulière. Grâce à un partenariat avec l’Université Laval, la formation donnée aux assistants est assurée en partie par un professeur du Département de langues et linguistique, spécialiste en correction phonétique, M. Jean-Guy LeBel, qui vient expliquer l’interférence de l’oral sur l’écrit. Ce projet est réalisé grâce à une subvention du programme de Soutien à l’intégration des communautés culturelles et à l’éducation interculturelle au collégial, offerte par la Direction des études collégiales du ministère de l’Éducation. Pour l’année 1999-2000, une telle subvention permet de poursuivre le projet, qui a subi quelques modifications quant à ses objectifs. Les allophones inscrits au cours de mise à niveau en français écrit (601-001) comme aux deux premiers cours de la séquence des cours obligatoires, soit Littérature et écriture et Littérature et imaginaire, peuvent être aidés par des pairs francophones qui sont soit les assistants du cours de français Communication et discours. Relation d’aide en français, soit des bénévoles (anciens assistants) qui viennent nous prêter main forte. Les allophones du troisième cours de français obligatoire, Littérature québécoise, qui doivent se préparer à l’épreuve uniforme de français, pourront profiter de simulations de l’épreuve et de corrections personnalisées. Ceux qui en sont à leur quatrième cours de français, Communication et discours, axé sur l’expression orale, se verront offrir des ateliers de correction phonétique afin d’améliorer leur prononciation. À la session d’hiver 1999, nous avons remarqué que trop d’allophones faisaient partie de la liste d’attente du centre d’aide. S’étant inscrits au centre un peu en retard, ils ne pouvaient être jumelés que tard dans la session. Pour remédier à cette situation, une autre possibilité s’offre : le profil Montaigne[3]. Des élèves inscrits à ce projet pourraient être jumelés avec des allophones de manière que ces derniers puissent recevoir de l’aide rapidement. Cette démarche sera mise sur pied à la session d’hiver 2000.
Bref, de l’automne de 1996 à l’automne de 1999…
Nous pouvons dire que, depuis 1996, l’expérience auprès de la clientèle allophone a atteint sa vitesse de croisière. Il y a certes toujours place à l’amélioration et à de nouvelles idées. Il faut toutefois souligner que le matériel disponible pour la clientèle allophone n’est pas des plus abondants. Comme « la langue est l’assise fondamentale qui donne accès à la connaissance et à la culture et qu’elle est une condition première d’épanouissement intellectuel[4] », il faut prendre du temps et de l’énergie pour mettre sur pied des mesures favorisant la réussite des allophones au collégial.
ALLOPHONE OU NON-FRANCOPHONE ?
Profitons du thème de ce numéro pour procéder à une petite clarification : est allophone la personne dont la langue maternelle est une langue étrangère, dans la communauté où elle vit ; est non francophone la personne dont la langue maternelle ou d’usage n’est pas le français.
- Fédération des cégeps, La réussite et la diplomation au collégial. Des chiffres et des engagements, Montréal, Fédération des cégeps, 1999, 136 p. Retour
- René Richterich, « Cartes sur table », dans Reflet, no 26, p. 22. Retour
- Le profil Montaigne est une certification de fin d’études qui témoigne de l’engagement de l’étudiant ou de l’étudiante à enrichir et à diversifier sa formation collégiale. Ainsi, le cégep de Limoilou veut promouvoir et reconnaître les efforts consentis au développement d’une personnalité colorée, saine et équilibrée. Pour obtenir la certification Montaigne au cours de leur séjour au collégial, les étudiants doivent s’y inscrire et, en participant à diverses activités, cumuler un minimum de 1000 points. Les activités sont entièrement au choix des étudiants et ne sont pas nécessairement réalisées au collège. Elles peuvent toucher autant un engagement social que des activités parascolaires, telles que le sport ou le théâtre, ou encore de l’enrichissement scolaire par des stages d’apprentissage de langues modernes, etc. Les étudiants ayant complété avec succès les différentes activités de leur profil Montaigne reçoivent un parchemin et une lettre explicative destinée aux employeurs ou aux registraires des universités. Retour
- Cégep de Limoilou, Le projet éducatif du cégep de Limoilou : le savoir, source de liberté, Québec, cégep de Limoilou, 1998, p. 6. Retour
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