L’évaluation des fautes de vocabulaire à l’épreuve uniforme
Manifestons tout d’abord notre irritation à l’égard de certains esprits chagrins qui prétendent que le vocabulaire des jeunes Québécois est « pauvre ». Pour avoir enseigné en Europe et au Québec, je n’ai pas vraiment l’impression que ce soit pire ici… L’élève québécois a même à sa disposition des centaines de mots dont est dépourvu son homologue français ou belge, des mots tels que « gricher », « zigouner », « ratoureux », « niaiseux », des mots qui apportent d’innombrables et de fines nuances.
Malheureusement, la plupart de ces mots sont considérés comme des régionalismes de mauvais aloi, voire des mots familiers, et ils sont donc proscrits dans le code écrit. Les québécismes étant pour la plupart interdits dans la langue écrite, l’élève québécois est pénalisé en partant. De plus, peut-on scientifiquement évaluer le capital lexical d’un individu, peut-on vraiment faire l’inventaire de tout le lexique qu’il connaît ? L’adolescent est rarement fier (surtout dans une classe, aux yeux de ses camarades) de connaître ce qu’il appelle des « grands mots » et il fera toujours mine d’en savoir moins qu’il en sait réellement. C’est dire que l’on juge souvent sa seule performance et que sa compétence réelle demeure difficile à évaluer. Au demeurant, les résultats à l’épreuve uniforme ne signalent pas de carences graves en ce domaine.
L’épreuve uniforme de français et le vocabulaire
Une fois ces remarques préliminaires faites, passons donc à l’épreuve uniforme : au critère de la maîtrise de la langue, un des sous-critères concerne le vocabulaire et les deux autres, la syntaxe et l’orthographe. Tandis que ces deux derniers sous-critères sont évalués de manière quantitative (une carotte, deux poireaux, quatre navets et six oignons = 13 fautes), le sous- critère du vocabulaire est évalué de façon qualitative. Or, un des défis que nous avons en tant que correcteurs et superviseurs, c’est de faire le départage entre les fautes de vocabulaire et celles de syntaxe. Dans des phrases telles que « ils changent leur idée de penser » ou « voici la preuve que l’auteur a prise » ou « l’auteur cite » ou encore « la raison et la passion ont été les sujets de controverse de plusieurs romanciers qui les préoccupaient depuis longtemps » ou, enfin, « il veut d’y aller », a-t-on affaire à une faute de vocabulaire ou de syntaxe ? La frontière entre syntaxe et sémantique est en effet poreuse : il faut souvent retourner au sens pour détecter et corriger une faute de syntaxe… Si on joue sur le sens, ne sommes-nous pas alors devant une faute de vocabulaire ? Beaucoup de fautes hâtivement pénalisées en syntaxe se révèlent en fait de « simples » fautes de vocabulaire.
Le critère 6 de l’épreuve uniforme comporte trois aspects, que nous discuterons l’un après l’autre.
La précision et la clarté du vocabulaire
On pénalise ici, principalement, les barbarismes (les écrivains romantistes), les anglicismes lexicaux et sémantiques (mettre l’emphase ou aller en grève), les pléonasmes (la vie quotidienne de tous les jours), les confusions paronymiques (il me rabat les oreilles ou estimation à la place de estime), les impropriétés sémantiques (les personnages ont un caractère hostile envers les autres).
En ce qui concerne ce premier aspect, les correcteurs sont encouragés à vérifier systématiquement dans le dictionnaire. En effet, on a souvent le réflexe de classer comme une faute un mot qui se trouve pourtant dans le dictionnaire, simplement parce qu’on ne l’aurait pas utilisé soi-même. Ainsi, on corrige « vérité atemporelle » parce qu’on utiliserait soi-même l’expression « vérité intemporelle »… Or les deux sont possibles. Par ailleurs, que fait-on d’expressions telles que « tout au cours » ou « d’une part… d’une autre part… » : problème de syntaxe, de vocabulaire ou simple variation tout à fait acceptable à partir d’une locution légitimement modifiée ?
La variété du vocabulaire
À cet aspect, on vérifie si l’élève évite de répéter les mêmes termes au sein d’un même paragraphe, mais on considère qu’il y a manque de variété dans le vocabulaire uniquement lorsque la répétition nuit à la progression du texte, à une lecture fluide. Autrement dit, il vaut mieux répéter trois fois « ami » dans son paragraphe plutôt que de lui substituer des tournures alambiquées telles que « le remonteur de moral » ou « le ressaisisseur ». Les professeurs de français ont, semble-t-il, traumatisé des générations d’élèves en condamnant la répétition. Or, si le sujet à traiter est la mort, mieux vaut répéter dix fois le mot « mort » dans sa dissertation plutôt que de trouver dix synonymes plus ou moins impropres ou de faire de longues périphrases comportant des fautes de syntaxe !
Le respect du registre de langue approprié à la situation de communication
À ce troisième aspect, on pénalise les termes appartenant à la langue populaire. C’est aussi à cet aspect que l’on pénalise le « tu » à valeur indéfinie (quand tu aimes, tu es prêt à tout pour aider ta blonde) ou l’utilisation abusive du prénom de l’auteur comme s’il était un ami de longue date (Charles a écrit un poème sur un albatros). Là aussi, le correcteur se doit d’être circonspect, car les termes classés comme familiers dans certains ouvrages peuvent être tolérés dans d’autres ou jugés corrects au Québec (ainsi, des mots tels que « bouffe », « apéro », « se pointer » ou justement « blonde » sont beaucoup moins familiers au Québec qu’en Europe). Souvent, les textes à l’étude comportent des mots populaires (ex. : les textes en joual), mais l’élève, s’il les utilise dans le corps de sa dissertation, doit montrer qu’il est conscient du registre de langue auquel ils appartiennent.
Le superviseur et le vocabulaire
En guise de conclusion, je dirais que la tâche de correction à l’épreuve, plus encore que l’enseignement au cégep ou à l’université, m’a rendu particulièrement sensible à la diversité des usages et à la relativité de ce que chacun croit être la norme, qui n’est bien souvent que « sa » propre norme : c’est donc une leçon d’humilité et aussi une belle façon de voyager à travers le Québec… Laissons en effet le dernier mot à une jeune Madelinote : « Pour mon dire, les amis sont là pour nous faire retrouver le sourire, pour nous inciter à continuer, même s’il y a des embâcles. » Le mot « embâcles » est-il ici un barbarisme, une fusion intempestive des mots « embûche » et « obstacle », ou bendonc une métaphore, ou bendonc un régionalisme propre aux Îles ? Voilà ce que se demande encore le correcteur…
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