Les évaluations ministérielles ici et ailleurs: à l’ère du numérique, qu’en est-il de la compétence scripturale?
La littératie concerne la « capacité d’une personne, d’un milieu et d’une communauté à comprendre et à communiquer de l’information par le langage sur différents supports pour participer activement à la société dans différents contextes » (Lacelle et autres, 2016). Comme la culture de l’écrit est au cœur des habiletés littéraciques fondamentales, en permettre l’apprentissage constitue l’une des missions fondatrices de l’école obligatoire (Chartrand, 2005). Cette importance cardinale de l’écriture a mené plusieurs systèmes scolaires à mettre en place des épreuves d’évaluation, au fil ou à la fin de certains ordres scolaires, pour mesurer les acquis des élèves avec le plus d’uniformité possible. Ainsi, porter un regard sur ces épreuves d’écriture n’est pas sans intérêt : en témoignant des attentes d’un système éducatif, elles révèlent une vision de la compétence scripturale partagée au sein d’une communauté linguistique.
Dans une analyse éclairante, Lefrançois et Brissaud (2015) ont comparé les exigences linguistiques des épreuves d’écriture obligatoires imposées par plusieurs systèmes scolaires de la francophonie. Elles se sont intéressées plus spécifiquement aux tâches d’écriture, aux critères d’évaluation, au jugement porté sur ceux-ci, puis aux effets d’un échec aux épreuves. Leur analyse montre notamment que, dans chaque communauté francophone, on n’évalue pas l’écriture selon les mêmes critères ni selon la même approche. Dans le cas spécifique du Québec, les chercheuses ont mis en évidence des attentes particulièrement élevées à l’égard des élèves, qui, néanmoins, ne se traduisent pas forcément en exigences fermes.
Dans leur article, Lefrançois et Brissaud (2015) n’insistent pas sur les « paramètres de passation des épreuves […], quoique leur comparaison ne soit pas dénuée d’intérêt » (p. 136). Ces paramètres peuvent concerner, par exemple, la longueur du texte attendu, les outils permis ou, encore, le mode d’écriture. Or, au Québec, on s’apprête à les modifier substantiellement. En effet, dans son Plan d’action numérique en éducation et en enseignement supérieur, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (2018) affirme son intention d’adapter ses épreuves au contexte numérique, puis de les déployer auprès des enseignants et enseignantes, des élèves et des correcteurs et correctrices. L’objectif est clair : à terme, « les élèves du primaire, du secondaire, de la formation professionnelle et de la formation des adultes ainsi que les étudiants de la formation collégiale pourront passer leurs épreuves ministérielles sur support numérique » (p. 40). Dans ce contexte, il nous apparait pertinent de nous attarder aux conséquences des changements envisagés au Québec, en les comparant à ce qui se fait ailleurs dans la francophonie.
Pour ce faire, nous comparerons d’abord différentes épreuves d’écriture imposées à travers des systèmes scolaires francophones. À partir de cette esquisse, nous tâcherons de mettre en évidence certains éléments actuellement pris en compte dans la compétence scripturale, puis nous montrerons de quelle façon le virage numérique envisagé forcera leur redéfinition. Finalement, nous traiterons de certains écueils auxquels les changements annoncés exposent la classe de français, en tentant de voir de quelle façon ils peuvent être évités.
Les paramètres de passation des épreuves d’écriture dans la francophonie : une esquisse
Dans le présent article, nous nous concentrerons sur les épreuves ministérielles d’écriture[1], soit les épreuves : 1) visant à mesurer certaines dimensions de la compétence scripturale; 2) conçues par la plus haute autorité en éducation dans une communauté linguistique donnée; 3) dont les modalités de passation et de correction sont déterminées par cette autorité. Parmi toutes les épreuves correspondant à ces critères, nous nous intéresserons essentiellement à celles qui servent à sanctionner les études entre la fin du secondaire et la fin du collégial. En effet, puisqu’elles sont programmées tout juste avant les études universitaires, elles témoignent particulièrement bien des attentes terminales relatives à l’écriture. Dans le souci d’établir une comparaison honnête, nous n’avons pris en compte que des systèmes éducatifs d’États développés où le français a un statut de langue officielle, soit la France, la Belgique, la Suisse, le Nouveau-Brunswick et, bien sûr, le Québec.
En considérant ces critères, nous avons retenu six épreuves pertinentes :
- Épreuve unique de français, langue d’enseignement (Québec)
- Épreuve uniforme de français, langue d’enseignement et littérature (Québec)
- Français 11, Écriture (Nouveau-Brunswick)
- Épreuves anticipées obligatoires et épreuve orale de contrôle de français (baccalauréats général et technologique) [France]
- Épreuve externe certificative (certificat d’enseignement secondaire supérieur) [Belgique]
- Examen suisse de maturité, volet écriture (Suisse)
Si la comparaison de ces épreuves est pertinente, elle appelle la prudence. En effet, dans chaque système éducatif, les évaluations ministérielles surviennent à des moments déterminants de la scolarisation. Or, d’un système à l’autre, ces moments déterminants ne sont pas en correspondance exacte. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, la dernière épreuve ministérielle survient à la fin de la 11e année, immédiatement avant l’entrée à l’université; or, cela correspond à la 5e secondaire québécoise. En outre, en France, la dernière épreuve d’écriture est passée à la fin du lycée, soit au début du cégep québécois, mais à l’entrée… de l’université néobrunswickoise. Du fait de ces différences structurelles, il est naturel que les attentes à l’égard des élèves diffèrent.
La comparaison que nous esquissons dans les paragraphes à venir portera sur cinq modalités de passation précises, à savoir : 1) le mode d’écriture; 2) la longueur du texte à produire; 3) la durée de passation; 4) les ouvrages de référence permis; 5) la documentation autorisée. L’information donnée dans le texte est présentée de façon synoptique dans le tableau 1.
Comparaison des paramètres de passation de six épreuves ministérielles d’écriture
Mode d’écriture
D’abord, sur le plan des conditions d’écriture, une rare unanimité règne parmi les systèmes scolaires francophones considérés : lors des épreuves d’écriture, dans toute la francophonie, on s’attend à ce que les élèves produisent un texte manuscrit. Dans chaque État, sans exception, on proscrit les outils numériques, tant pour la production du texte (ex. : traitement de texte) que pour la recherche d’information sur la langue (ex. : consultation de dictionnaires numériques). Conséquemment, il n’est pas question d’écriture multimodale, qui supposerait l’écriture d’un texte intégrant de l’hypertexte ou des ressources audios ou visuelles, par exemple. À ce jour, l’écriture au cœur des examens ministériels demeure strictement monomodale, puisqu’elle ne repose que sur la seule utilisation du texte (Lebrun et Lacelle, 2012).
Longueur du texte à produire
La question de la longueur du texte à produire n’est abordée explicitement que dans la documentation relative aux examens ministériels du Québec et du Nouveau-Brunswick. Dans le premier cas, la lettre ouverte des élèves de 5e secondaire doit compter environ 500 mots et la dissertation des étudiants ou étudiantes du collégial, environ 900 mots. Dans le second cas, on s’attend à ce que les élèves néobrunswickois produisent un texte d’opinion d’environ 350 mots.
On ne peut affirmer que les systèmes scolaires européens n’ont aucune attente relative à la longueur du texte à produire; néanmoins, ces balises ne sont pas communiquées dans la documentation disponible sur les sites Web officiels. Par ailleurs, on notera un cas de figure particulier, soit celui de la Suisse. En effet, les directives nationales concernant l’examen de maturité font explicitement état de la longueur du texte comme critère de performance, mais seulement en ce qui concerne la langue seconde. On considère que l’élève ayant un niveau de compétence normal produira un texte d’au moins 350 mots et que l’élève ayant une compétence supérieure écrira au moins 430 mots. Aucune balise de cet ordre n’est toutefois énoncée en ce qui concerne le français langue première.
Durée de passation
La durée moyenne des dernières épreuves ministérielles imposées avant l’université s’établit à 216 minutes, soit un peu plus de 3 h 35 min. C’est l’épreuve néobrunswickoise qui est la plus brève (2 h 30 min), mais le texte exigé apparait relativement court : il doit compter 30 % moins de mots que celui des élèves de cinquième secondaire, au Québec.
Si on ne tient compte que des épreuves précédant l’entrée à l’université, et si on exclut l’épreuve néobrunswickoise de cette moyenne, la durée de passation moyenne s’établit plutôt à 238 minutes, soit un peu moins de 4 heures. Le temps imparti pour passer l’épreuve belge est alors le plus court, à 200 minutes (3 h 20 min).
En dépit de ces différences, le déroulement de la passation est néanmoins uniforme : les élèves reçoivent une tâche d’écriture le jour de l’examen et doivent écrire le texte dans une seule séance, sans avoir la possibilité de prendre un recul significatif avant de le réviser et de produire une version définitive.
Ouvrages de référence permis
La question des ouvrages de référence qu’il est permis d’utiliser marque sans doute le plus grand clivage entre les systèmes éducatifs francophones considérés dans le présent article. Ainsi, à une extrémité du spectre, les élèves néobrunswickois peuvent utiliser tout ouvrage de référence pertinent pendant l’examen Français 11, Écriture. Les élèves québécois du même âge se trouvent dans une situation similaire : pendant l’Épreuve unique de français, langue d’enseignement, la consultation de tous les ouvrages de référence leur est permise, à l’exception notable des dictionnaires bilingues. Au moment de passer l’Épreuve uniforme de français, langue d’enseignement et littérature, les cégépiens et cégépiennes peuvent utiliser jusqu’à trois ouvrages de référence de leur choix, y compris les dictionnaires bilingues.
À l’autre extrémité du spectre, les élèves européens ont accès à des ressources beaucoup plus limitées. En Suisse, seul un dictionnaire général est autorisé. En Belgique, la situation est plus trouble : les circulaires officielles stipulent que seul un dictionnaire général est permis, mais le dossier remis aux enseignants mentionne que « l’élève aura à sa disposition dictionnaire(s) et grammaire(s) » (nous soulignons). Finalement, le cas de la France se démarque : lors des épreuves du « bac », aucun ouvrage de référence n’est permis.
Ces positions clivées témoignent de deux façons divergentes d’envisager l’écriture. Dans l’approche nord-américaine, la compétence scripturale d’un ou d’une élève ne repose pas principalement sur la connaissance encyclopédique des conjugaisons, de l’orthographe lexicale ou des règles grammaticales; on vise davantage à vérifier si l’élève est apte à diagnostiquer ses erreurs et à les corriger, au moyen de plusieurs outils. Or, l’approche européenne exige plutôt des élèves qu’ils et elles sachent corriger leurs erreurs de façon autonome, d’abord et avant tout à partir des connaissances emmagasinées, ou en s’appuyant sur un nombre réduit d’ouvrages de référence, au demeurant généralistes.
La question des ouvrages de référence permis doit toutefois être abordée en tenant compte des critères de correction : la possibilité ou l’impossibilité d’utiliser des ouvrages de référence dépend probablement, du moins en partie, de la façon dont les correcteurs ou correctrices évaluent les textes : comptage détaillé des erreurs ou appréciation globale de la qualité de langue, barèmes de correction permissifs ou barèmes de correction serrés, etc. On peut présumer que, plus les attentes sont élevées, plus les outils auxquels les élèves ont droit seront nombreux. Ainsi, la prise en compte des modalités de passation des épreuves permet d’éclairer le constat de Lefrançois et Brissaud (2015) énoncé au début de l’article, constat selon lequel les attentes québécoises sont élevées.
Documentation permise
Les tâches d’écriture ministérielles varient en nature, comme l’ont montré Lefrançois et Brissaud (2015). Bien sûr, chacune comporte un mandat d’écriture, accessible à l’élève en tout temps. Ce mandat peut exiger la lecture préalable d’un corpus de textes, mais ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, la préparation à l’épreuve québécoise de 5e secondaire implique la lecture de cinq à huit textes courants. En revanche, certaines épreuves d’écriture du Nouveau-Brunswick (5e et 8e années du secteur francophone; 7e et 9e années du secteur anglophone), que nous n’avons pas prises en compte dans notre analyse, ne sont pas liées à des lectures préparatoires (Lefrançois et Brissaud, 2015).
Lorsque l’épreuve comporte un corpus de textes à lire, on peut en interdire la consultation lors de l’évaluation en tant que telle : c’est le cas au Québec, en 5e secondaire. Ailleurs, les élèves y ont pourtant accès : c’est le cas pendant l’épreuve néobrunswickoise de 11e année. Par ailleurs, toute documentation personnelle est généralement interdite, sauf dans quelques rares cas spécifiques.
Quelle compétence scripturale à la fin des études secondaires et collégiales?
Dans leur étude comparative, Lefrançois et Brissaud (2015) mettent en lumière la difficulté de comparer les exigences linguistiques sous-jacentes aux épreuves d’écriture. Si celles-ci prennent toutes en compte la maitrise de divers aspects de la langue, elles le font à partir de tâches et de méthodes fondamentalement différentes.
Or, lorsqu’on considère les conditions de passation de ces épreuves, force est de constater que les compétences exigées des élèves paraissent anachroniques. Ainsi, pour manifester une compétence scripturale acceptable selon les normes ministérielles, un ou une élève doit savoir écrire :
- un texte monomodal élaboré;
- sur du papier;
- avec un crayon;
- en temps limité;
- en consultant un nombre limité d’ouvrages papier;
- en se gardant de recourir à des outils numériques.
L’écriture manuscrite, du début à la fin de la scolarité obligatoire, revêt une pertinence réelle (Velay, 2018) : il semblerait périlleux de remettre en cause ce mode d’écriture. Il nous paraitrait tout aussi hasardeux de préconiser un passage au tout numérique, notamment chez les plus petits. Néanmoins, quand on considère les épreuves ministérielles programmées à travers la francophonie, on ne peut s’empêcher de les trouver surannées. Surtout, elles se situent en porte-à-faux avec les discours officiels, du moins au Québec. Par exemple, dans le Programme de formation de l’école québécoise du secondaire (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2009, p. 53), on insiste sur l’importance de l’écriture numérique, du fait des actuelles mutations sociales (nous soulignons) :
« L’omniprésence des médias électroniques et de l’audiovisuel, loin de faire disparaitre l’écriture, lui a fourni de nouveaux lieux et de nouvelles modalités d’expression. L’école doit tenir compte de cette évolution pour relever le défi d’amener les élèves à adopter une attitude positive envers l’écriture, à s’adapter à une grande variété de situations et à utiliser efficacement des outils conventionnels et technologiques afin de répondre à des attentes sociales qui demeurent élevées. »
Malgré cette exhortation, toutes les évaluations ministérielles québécoises se déroulent en modalité manuscrite, si bien que la compétence à écrire en contexte numérique n’est jamais formellement évaluée, du primaire au collégial.
En France, on se heurte à un paradoxe du même ordre. Au cours de leur scolarité, les élèves français sont appelés à prendre part à deux évaluations ministérielles ne servant pas à la sanction des études : l’Évaluation des acquis des élèves, en 6e, puis le Test de positionnement des élèves, en début de seconde. Dans les deux cas, ces évaluations sont réalisées en contexte numérique, mais n’impliquent pas l’écriture d’un texte. Toutefois, lorsqu’il s’agit de sanctionner les études, ou à tout le moins d’évaluer les acquis, ce sont les modalités traditionnelles qui prévalent : on évalue alors les élèves lors d’une tâche d’écriture manuscrite, sans même leur donner le droit de consulter des ouvrages de référence. On tire donc profit du numérique pour donner une rétroaction automatisée, mais dès qu’il s’agit d’écrire des textes, on troque l’ordinateur ou la tablette pour la feuille et le crayon.
Vers une redéfinition des tâches d’écriture ministérielles québécoises
Cet écart apparent entre les prescriptions et les pratiques d’évaluation contribue sans doute à la décision récente du ministère de l’Éducation de s’engager dans une modernisation des épreuves. En en permettant la passation numérique, le gouvernement du Québec abandonnera la séculaire évaluation manuscrite, présente dans toute la francophonie. Or, un tel changement n’implique-t-il essentiellement que des enjeux logistiques?
Des recherches récentes incitent à penser que ce virage exige de la prudence, puisque tous les modes d’écriture numérique ne sont pas associés aux mêmes effets : c’est ce que nous avions abordé dans un article précédent, publié dans Correspondance (Grégoire, 2019), de même que dans un article à paraitre prochainement (Grégoire, sous presse). Dans une recherche quasi expérimentale menée pour le compte du ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, nous avons étudié les résultats obtenus par des élèves de cinquième secondaire à des simulations de l’épreuve unique de français, langue d’enseignement. Quatre configurations d’écriture ont été testées : 1) écriture manuscrite; 2) écriture avec le traitement de texte (TT) seul; 3) écriture avec le TT et Antidote, sans formation préalable; 4) écriture avec le TT et Antidote, avec formation préalable. Il en ressort que, sur le plan de l’orthographe (grammaticale et d’usage), les utilisateurs et les utilisatrices du correcticiel Antidote ont commis significativement moins d’erreurs que leurs pairs. Toutefois, les modes d’écriture numérique sont inégaux : les personnes qui n’ont utilisé que le TT ont commis plus d’erreurs que les autres, de sorte que 48,6 % d’entre elles étaient en situation d’échec. Bref, en utilisant le numérique, les élèves produisent de meilleurs textes, pour autant que les outils utilisés offrent de la rétroaction. À certains égards, ces résultats rejoignent ceux d’autres travaux, qui prêtent au numérique un effet significatif, mais limité sur la qualité de l’écriture (Bangert-Drowns, 1993; Goldberg, Russell et Cook, 2003; Graham et autres, 2012; Graham et Perin, 2007).
Ainsi, les élèves appelés à utiliser l’ordinateur sans être rompus à son utilisation en contexte scolaire et sans recourir à des outils numériques comme Antidote sont plus à risque d’être en situation d’échec. Au contraire, les élèves qui peuvent utiliser ce genre d’outils numériques attestent tout de même de leur compétence scripturale, mais dans une perspective autre que celle de leurs pairs écrivant à la main.
Quelques enjeux à surveiller…
En somme, la comparaison de plusieurs épreuves d’écriture ministérielles à travers la francophonie rappelle que, le plus souvent, la compétence scripturale y est approchée de façon traditionnelle : l’élève doit faire la démonstration de sa capacité à écrire un texte à la main, dans un temps limité, avec des ressources limitées, bien que, lors de ses études universitaires ou de son intégration au marché du travail, il ou elle ne pratiquera que très occasionnellement cette forme d’écriture. La question de la modernisation de ces épreuves se pose donc alors; néanmoins, elle soulève des enjeux profonds.
En mai prochain, la crise sanitaire forcera la passation numérique de l’épreuve uniforme de français : c’est ce que la ministre Danielle McCann annonçait dans une lettre au corps professoral du réseau collégial le 22 février 2021. Il nous semble important d’insister sur le fait que la passation numérique de cette épreuve constitue ici une solution de repli, déployée dans un contexte inédit. À ce titre, il faut sans doute considérer avec indulgence les inévitables limites de cette première itération, mise en place dans l’urgence. Néanmoins, si le contexte sanitaire actuel peut justifier la mise en place « provisoire » d’une épreuve uniforme de français numérique, la pérennisation d’un tel mode de passation méritera certainement une réflexion plus profonde sur la compétence scripturale elle-même et sur le rôle de celles et ceux qui participent à son développement. En vue de l’adoption de pratiques plus définitives, trois grands enjeux doivent, à notre avis, être pris en considération.
Dans un premier temps, ce virage implique une certaine redéfinition de la compétence scripturale. En effet, si on évalue l’écriture à l’ordinateur, en permettant aux étudiants et étudiantes d’utiliser des outils adaptés à cette modalité d’écriture, comment l’approche traditionnelle de la compétence scripturale se trouvera-t-elle modifiée? De quelles compétences et de quelles connaissances le scripteur ou la scriptrice efficace devra-t-il ou devra-t-elle faire montre au terme de sa scolarisation? Et ultimement, quel but l’école doit-elle poursuivre : former des scripteurs et des scriptrices maitrisant les normes linguistiques de la façon la plus autonome possible, ou en former qui soient capables de solliciter tous les outils pertinents (à leur disposition) pour se conformer aux normes linguistiques?
Dans un deuxième temps, les modifications aux pratiques évaluatives doivent, à notre sens, former un continuum cohérent avec les pratiques d’enseignement-apprentissage du français, du primaire au collégial. Ainsi, avant d’évaluer la capacité des élèves et des étudiants à produire un texte en contexte numérique, les a-t-on suffisamment exposés à cette forme d’écriture? Leur a-t-on proposé des activités d’apprentissage leur permettant de développer leurs compétences et d’acquérir des connaissances? Surtout, peut-on compter sur des pratiques éprouvées s’appuyant sur le numérique et améliorant réellement l’apprentissage de la langue, notamment de l’écriture?
Finalement, dans un troisième temps, ce changement dans les modalités d’évaluation suscite-t-il l’adhésion des enseignants et enseignantes concernés? Des étudiants et étudiantes? De la société? En contexte québécois, dès qu’un changement touche la langue, la crainte de nuire au statut du français est toujours vive. En ce sens, s’assurer de l’acceptabilité et de l’innocuité des changements envisagés apparait important.
Ces questions, et sans doute plusieurs autres, nous semblent devoir être abordées en amont de tout changement notable : modifier des pratiques ancrées depuis longtemps bouscule forcément les usages établis. Autant s’assurer de la rentabilité de ces changements, puis de l’adhésion du plus grand nombre.
Références
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CHARTRAND, S.-G. (2005). « L’apport de la didactique du français langue première au développement des capacités d’écriture des élèves et des étudiants », dans LAFONT-TERRANOVA, J. et D. COLIN (dir.). Didactique de l’écrit : la construction des savoirs et le sujet-écrivant, Presses universitaires de Namur, p. 11-32. (Diptyque).
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GRAHAM, S., et autres (2012). “A Meta-Analysis of Writing Instruction for Students in the Elementary Grades”, Journal of Educational Psychology, vol. 104, no 4, p. 879-896. doi : 10.1037/a0029185.
GRÉGOIRE, P. (sous presse). « L’utilisation d’un outil numérique d’aide à la révision et à la correction à la fin du secondaire : effets sur la qualité de l’écriture », Revue canadienne de l’éducation.
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- L’expression « épreuves ministérielles » étant largement répandue au Québec, nous l’emploierons dorénavant, par souci de commodité, pour désigner l’ensemble des épreuves correspondant aux trois critères susmentionnés. [Retour]
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