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Une entrevue avec Jean-Denis Moffet: responsable de l’élaboration et de la validation de l’épreuve uniforme de français

Une entrevue avec Jean-Denis Moffet: responsable de l’élaboration et de la validation de l’épreuve uniforme de français

Propos de Jean-Denis Moffet (responsable de l’élaboration et de la validation de l’épreuve uniforme de français) recueillis par Huguette Maisonneuve.

H. MAISONNEUVE : M. Moffet, quel est le but véritable de l’épreuve uniforme de français ?

J.-D. MOFFET : Le but de l’épreuve est de s’assurer que l’élève possède, au terme des trois cours de la formation générale commune en langue d’enseignement et littérature, les compétences suffisantes en lecture et en écriture pour comprendre des textes littéraires et pour énoncer un point de vue critique qui soit pertinent, cohérent et écrit dans une langue correcte.

H. M. : Et comment fait-on pour vérifier ces compétences en lecture et en écriture ?

J.-D. M. : On demande à l’élève de produire une dissertation critique à partir de textes littéraires qui servent de déclencheurs à sa réflexion. L’élève dispose de 4h30 min pour prendre connaissance des textes littéraires et pour rédiger un texte de 900 mots.

H. M. : Vous pouvez préciser ce que vous entendez par dissertation critique ?

J.-D. M. : Il s’agit d’un exposé écrit et raisonné sur un sujet qui porte à discussion. L’élève doit prendre position sur un sujet – on lui en propose trois – et soutenir cette position à l’aide d’arguments ainsi qu’au moyen de preuves tirées des textes proposés et de ses connaissances littéraires. Le sujet lui est présenté sous la forme d’une affirmation qu’il ou elle doit critiquer, c’est-à-dire en examiner la valeur logique, prendre position par rapport à cette assertion et défendre son point de vue.

H. M. : Un exemple de sujet possible m’aiderait sans doute à savoir si je vous ai bien compris…

J.-D. M. : Voici. Je vais vous donner comme exemples les sujets de dissertation qui ont été proposés aux élèves lors de l’examen de décembre dernier. Le premier sujet était le suivant :

La vie se construit sur la raison ; elle ne se construit pas sur la passion. Cette affirmation s’applique-t-elle aux personnages des extraits proposés ?

Les deux extraits proposés étaient tirés de La princesse de Clèves de
Mme de La Fayette et de Juillet de Marie Laberge.

Le deuxième sujet était relié à un extrait de Jeux de massacre d’Eugène Ionesco. Il se lisait comme suit :

Est-il juste d’affirmer que le vieux et la vieille de Jeux de massacre d’Ionesco sont des personnages lucides qui voient la vie telle qu’elle est ?

Et le troisième sujet, qui portait sur le poème « Au ras de la terre » de Gatien Lapointe et sur la chanson « Maudit pays » de Georges Dor, se présentait sous la forme suivante :

On dit souvent que la poésie est porteuse d’espoir. Le poème de Gatien Lapointe et la chanson de Georges Dor vous amènent-ils à cette conclusion ?

H. M. : Et comment faites-vous pour évaluer les dissertations ?

J.-D. M. : Votre question porte-t-elle sur les modalités de la correction – formation des correcteurs et correctrices, élaboration des clés de correction, etc. – ou sur les critères d’évaluation à proprement parler ?

H. M. : Ce qui m’intéresse ici, ce sont surtout les critères d’évaluation. Correspondance a déjà publié un texte au sujet de la correction des épreuves ainsi que du rôle et de la tâche du superviseur et de la superviseure dans son numéro de décembre dernier.

J.-D. M. : L’évaluation des textes des élèves est faite en fonction de trois grands regroupements de critères : le contenu du texte, l’organisation du texte et la maîtrise de la langue.

Sous le regroupement du contenu du texte, on évalue le respect du sujet de rédaction, la qualité de l’argumentation et la pertinence des preuves puisées dans les textes proposés, ainsi que l’utilisation pertinente des connaissances littéraires pour compléter et enrichir l’argumentation et la démonstration. On entend par « connaissances littéraires » le fait d’utiliser des procédés langagiers (figures de style, versification, types de phrases, etc.) et des notions littéraires (point de vue narratif, genres, etc.) au service de l’argumentation. On reconnaît également comme connaissances littéraires le fait de se référer à des oeuvres autres que les textes proposés, de relier ces derniers à des courants ou tendances littéraires, ou d’avoir recours à des connaissances culturelles et sociohistoriques qui conviennent au sujet de rédaction.

Sous le regroupement de l’organisation du texte, on évalue la structure du texte, c’est-à-dire la qualité et la présence des parties de l’introduction et de la conclusion de même que la qualité des parties du développement : la logique du plan du texte, la construction des paragraphes et l’enchaînement des parties du texte.

Enfin, sous le regroupement de la maîtrise de la langue, on évalue la précision du vocabulaire, le respect des règles de la syntaxe et de la ponctuation, et le respect de l’orthographe d’usage et de l’orthographe grammaticale.

H. M. : Pourriez-vous être plus précis au sujet de la maîtrise de la langue ? Par exemple, qu’entendez-vous par « erreur » ? Comptez-vous toutes les erreurs ? Enlevez-vous un point pour chaque erreur, ou faites-vous plutôt une évaluation globale ?

J.-D. M. : Toutes les erreurs de vocabulaire, de syntaxe, d’orthographe grammaticale, d’orthographe d’usage et de ponctuation sont relevées. Mais elles ne sont pas toutes pénalisées de la même manière : certaines erreurs (majeures) sont pénalisées à chaque occasion, tandis que d’autres (mineures) le sont une fois par texte. Quand une erreur est pénalisée, elle est considérée comme une faute et, pour chaque faute, l’élève perd un demi-point ; cependant, les erreurs de ponctuation et certaines erreurs d’orthographe d’usage (les majuscules, les accents, les coupures de mots, les traits d’union, les abréviations et les unités de mesure, les signes et symboles mathématiques, les apostrophes et les contractions) sont considérées comme des demi-fautes et elles ne font perdre qu’un quart de point.

Permettez-moi de préciser davantage.

Une erreur de vocabulaire, c’est l’emploi d’un terme impropre.

  • Un terme est considéré impropre s’il ne respecte pas le sens qui lui est généralement attribué dans un dictionnaire usuel et s’il n’appartient pas à la langue québécoise correcte. Les mots pénalisés sont les noms, les verbes, les adjectifs et les adverbes.
  • Chaque terme impropre n’est pénalisé qu’une seule fois, même s’il est répété.

Une erreur de syntaxe, c’est une erreur relative aux règles qui président à la construction des phrases : absence d’un mot essentiel à la compréhension de la phrase, ordre des mots incorrect, mauvais emploi des auxiliaires ou des verbes transitifs directs et indirects ; mauvais emploi d’un pronom, d’un déterminant, d’un verbe (forme, mode ou temps), d’une préposition, d’un adverbe ou d’une conjonction. Ce qui relève du sens ou de la sémantique ne constitue pas une erreur de syntaxe mais une erreur de vocabulaire ou de contenu.

  • Les ouvrages grammaticaux les plus courants servent de références, principalement Le Bon Usage, le Multidictionnaire et la Grammaire du français actuel.
  • Les erreurs de syntaxe, sauf l’emploi fautif répété de la même conjonction ou locution conjonctive, de la même préposition ou locution prépositive, d’un adverbe ou d’une locution adverbiale, sont pénalisées chaque fois.

Une erreur de ponctuation résulte d’un emploi incorrect des signes de ponctuation.

  • Les règles qui doivent être observées sont les suivantes : le point termine la phrase ; le point d’interrogation apparaît après une phrase interrogative directe ; le point-virgule sépare entre elles les propositions liées par le sens ; le deux-points amène une citation, une énumération, une explication ou une définition. La virgule sépare des éléments juxtaposés, coordonnés et des accidents de discours, c’est-à-dire des ajouts aux constituants de base de la phrase ou des déplacements de ces constituants.
  • L’erreur de ponctuation est considérée comme une demi-faute (un quart de point). L’erreur est relevée chaque fois qu’elle apparaît. Cependant, un maximum de cinq points peut être enlevé pour les erreurs de ponctuation. De plus, on distingue deux catégories d’erreurs : les erreurs majeures (virgule entre les constituants de base de la phrase, absence de la virgule pour séparer les éléments d’une énumération), qui sont pénalisées chaque fois qu’elles apparaissent, et les erreurs mineures (les autres), qui ne sont pénalisées qu’une fois pour l’ensemble du texte.

On entend par orthographe d’usage la graphie du mot indépendamment de la fonction qu’il peut remplir dans la phrase.

  • Le dictionnaire est l’ouvrage de référence.
  • Une même erreur d’orthographe d’usage n’est pénalisée qu’une fois par texte.

Les cas d’orthographe grammaticale exigent l’application d’une règle de grammaire (accords, conjugaisons, la plupart des homophones).

  • Les grammaires les plus courantes servent de références.
  • Une même erreur est comptée autant de fois qu’elle est répétée. On ne compte cependant qu’une erreur d’accord par groupe nominal.

H. M. : Et quelles sont les conditions de réussite ?

J.-D. M. : Pour réussir l’épreuve, l’élève doit obtenir 60 % pour l’ensemble du texte et 50 % pour chacun des grands regroupements de critères. Pour le critère de la maîtrise de la langue, le seuil de 50 % signifie qu’on doit obtenir 15 points sur 30, c’est-à-dire qu’on ne peut commettre plus de 30 fautes pour un texte de 900 mots, ce qui représente un seuil ou une norme d’une faute aux 30 mots. Rappelons qu’on enlève un demi-point par faute.

H. M. : Quel est le taux de réussite, jusqu’à présent ?

J.-D. M. : Le taux général de réussite pour les trois premières épreuves passées en 1996 (février, mai et août) est de 78,3 %. Ce taux signifie que 78,3 % des élèves ont obtenu à la fois 60 % pour l’ensemble du texte et 50 % pour chacun des regroupements de critères.

L’ÉPREUVE EN CHIFFRES

Les résultats de 1996

 Taux général de réussite
pour l’ensemble des épreuves de février, mai et août
Résultats moyens
pour l’ensemble des épreuves de février, mai et août
Pour l’ensemble de l’épreuve 78,3 %69,7 %
Pour le contenu 91,7 %71,2 %
Pour l’organisation du texte 98,7 %78,5 %
Pour la langue 84,1 %61,2 %

H. M. : Pouvez-vous préciser le taux de réussite pour chacun des regroupements de critères ?

J.-D. M. : Pour le contenu, le taux de réussite est de 91,7 % ; pour l’organisation du texte, de 98,7 % ; pour la langue, de 84,1 %.

H. M. : Voulez-vous dire que 84,1 % des élèves maîtrisent bien leur langue ?

J.-D. M. : Ce que ce résultat signifie, c’est que 84,1 % des élèves ont obtenu au moins 50 % en ce qui concerne la langue, ce qui est considéré comme suffisant à la fin des études collégiales.

H. M. : Dans les faits, quelle est la performance réelle des élèves en langue ?

J.-D. M. : La condition de réussite en langue s’avère celle qui est la plus faible en ce qui concerne les regroupements de critères et, en réalité, la condition qui cause le plus d’échecs est celle de la maîtrise de la langue. Les résultats moyens en langue pour l’année 1996 se situent à 61,2 % alors qu’ils sont de 71,2 % pour le contenu et de 78,5 % pour l’organisation du texte. Les résultats moyens pour l’ensemble de l’épreuve sont de 69,7 %.

Les résultats obtenus aux critères de la maîtrise de la langue illustrent que les élèves utilisent un vocabulaire précis, mais qu’ils ont des difficultés en syntaxe et en ponctuation et qu’ils commettent un nombre assez important d’erreurs d’orthographe d’usage et d’orthographe grammaticale.

De façon plus précise, le nombre moyen de fautes est de 2,4 en vocabulaire, 11,8 en syntaxe et ponctuation, et 9,2 en orthographe d’usage et en orthographe grammaticale. Le critère qui semble présenter le plus de difficulté est celui de la syntaxe et de la ponctuation. On n’a pas effectué d’études détaillées pour savoir si les erreurs étaient plus nombreuses en syntaxe qu’en ponctuation, mais les évaluations globales faites après chacune des corrections nous permettent d’affirmer que ce sont les erreurs de syntaxe qui reviennent le plus souvent, particulièrement l’absence d’un élément essentiel à la phrase ainsi que l’emploi erroné des pronoms et des déterminants.

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