Quelques réflexions sur la correction de textes écrits
Au-delà de l’incontournable tâche de correction des textes écrits, un fait demeure : l’importance de cette correction dans l’apprentissage de l’élève. Or, quand on ploie sous les centaines de pages à lire, à annoter et à noter, on a un peu tendance à l’oublier.
Qu’est-ce que corriger une rédaction ?
Au moment de la correction d’un texte écrit, l’enseignant est investi de deux tâches : lire le texte et rédiger des commentaires, lesquels permettront éventuellement à l’étudiant de s’améliorer.
La lecture de rédactions n’est pas une mince tâche : d’une part, il faut lire en fonction d’un contenu propre à une discipline, en fonction des exigences du cours, du professeur et de la matière, tout en tenant compte de la forme écrite (non seulement l’orthographe, mais aussi la forme de la présentation — on ne présente pas un rapport de laboratoire de la même façon qu’une dissertation). D’autre part, l’enseignant écrit des commentaires. Pour que ceux-ci soient utiles à l’élève, le professeur doit tenir compte d’un certain nombre d’éléments. Tout d’abord, à qui il s’adresse, de façon générale et de façon particulière. Un élève de 17 ou 18 ans, en général, n’a pas la maturité d’un élève de 22 ans, même s’ils sont dans la même classe. Et que penser d’un élève, si on le compare à son enseignant ? La distance est encore plus grande. De façon particulière : Justine présente-t-elle les mêmes forces et les mêmes faiblesses que Roxane ? C’est sûr que non ! Alors, pourquoi écrire les mêmes commentaires ? Les faiblesses sont sans doute semblables mais, pour que l’élève soit sensible aux remarques, il importe de les personnaliser. L’enseignant doit aussi tenir compte de ce que l’élève a déjà écrit, soit dans les productions antérieures, soit dans le même texte. Ce que l’élève sait, ce qu’il est censé savoir et ce qu’il ne sait pas sont également des pistes à suivre. Or, il est absolument certain que du côté maîtrise de la langue, contenu et organisation textuelle, l’élève ne sait pas tout. On n’a qu’à penser à nos études de maîtrise ou de doctorat pour constater à quel point on a toujours besoin de quelqu’un pour nous aider ou nous encadrer. Les jeunes du cégep, en août de leur première année, n’ont que deux mois de plus dans leur expérience qu’à la fin de leur cinquième secondaire, là où ils étaient encadrés de façon serrée et où la plupart de leurs enseignants les connaissaient par leur prénom.
Les recherches que j’ai entreprises ces dernières années m’ont amenée à relever divers types de commentaires, certains aidants et d’autres, moins. Chacun peut être utilisé à la fois pour commenter une erreur de fond (contenu et structure) et une erreur de forme (langue). Commençons par éclaircir les différences entre la forme et le fond, justement.
La forme et le fond
Dans un monde parfait, la ligne entre la forme et le fond serait évidente et non discutable. La ligne, en fait, est mince entre le contenu, la structure et la forme… Ce qu’on appelle la forme, c’est la qualité de la langue : l’orthographe, la syntaxe, la ponctuation. Généralement, on ne discute pas une erreur de forme : le verbe est mal accordé, la règle s’applique, un point c’est tout. En quelque sorte, l’erreur sur la forme est plus « rassurante » pour un enseignant, qui ne sent pas le besoin de la justifier auprès de l’élève ; c’est la règle qui est faite ainsi… Quant au fond, il renvoie au contenu et à la structure du texte. Généralement, le concept de structure est relativement clair, même si chaque enseignant a ses préférences et ses directives : certains exigent que la conclusion se termine par une ouverture où l’on pose une question (« Que serions-nous sans l’être humain ? ») alors que d’autres refusent catégoriquement les questions (« Après tout, l’amour sera toujours l’amour. Certes… »). Écrire un commentaire sur le contenu, c’est parfois plus délicat : par exemple, quand un élève dit que Le Petit Chaperon rouge est un poème, doit-on pénaliser en vocabulaire (on ne fait que remplacer poème par conte et le tour est joué) ou en contenu (l’élève ne fait pas la différence entre un poème et un conte). Les discussions sont interminables entre les collègues parce que, dans la correction, il y a toujours une part de « vision personnelle ». Ce n’est pas cette « vision personnelle » qui pose problème, mais l’inconstance dans la correction. Si un enseignant décide que dire que Le Petit Chaperon rouge est un poème est une grave erreur de contenu, il doit continuer à appliquer ce raisonnement tout au long de la correction de cette même copie (et de toutes les copies) et tout au long de la correction au cours de la session.
Les commentaires
Le commentaire écrit doit toujours être aidant pour l’élève. Sinon, à quoi sert-il ? Je distingue sept types de commentaires utilisés pour marquer une erreur de forme, une erreur de structure ou une erreur de contenu.
1. Absence de commentaire
L’enseignant décide de ne pas écrire de commentaire. Il a repéré l’erreur, mais, pour toutes sortes de raisons, il sait que l’élève ne tirera pas profit d’un commentaire. Alors, il n’écrit rien sur la copie. Parfois, c’est aussi par dépit que l’enseignant renonce à annoter le texte : c’est vraiment trop décourageant ! Dans ce cas-là, il est évident que l’élève ne saura pas qu’il a fait une erreur (ou des erreurs) ; le danger est donc d’envoyer un message ambigu à l’élève : « Mon texte n’est pas si mal, il n’y a presque rien de souligné. »
2. Correction de l’erreur
La correction est surtout utilisée pour délimiter une erreur de forme : il est facile d’écrire un s manquant ou de raturer un t superflu. La correction va aussi plus loin, puisque plusieurs enseignants choisissent de réécrire, dans l’interligne ou dans les marges, de longs segments de phrases. Deux courants de pensée s’opposent ici : certains disent qu’il faut réécrire correctement pour « montrer » à l’élève comment se construit une phrase ; d’autres disent que, au contraire, il faut amener l’élève à découvrir lui-même la nature de son erreur. Dans le deuxième cas, on opte déjà pour les troisième ou quatrième types de commentaires, et on décide de ne rien réécrire sur la copie de l’élève. Un point, toutefois, non négligeable : les élèves acceptent parfois assez mal la réécriture des enseignants quand il s’agit de longs segments de phrases ; ils ont l’impression que non seulement l’enseignant a « dénaturé » leur texte (« Ce n’est pas tout à fait ça que je voulais dire, Madame »), mais se sentent « inférieurs » en regard de la correction de l’enseignant (« Vous, Monsieur, ça fait longtemps que vous connaissez ça pis vous êtes bon en français. Pas moi. »).
3. Trace
La trace est considérée comme un « commentaire non développé », c’est-à-dire qu’elle est constituée de mots soulignés, de phrases soulignées, de points d’interrogation dans la marge, de traits sur un paragraphe… L’enseignant laisse justement une « trace » sur la copie. L’élève sait, en regardant le grand trait qui traverse son deuxième paragraphe ou le point d’interrogation dans la marge, que quelque chose ne va pas. Mais quoi, au juste ? Le commentaire, ici, ne lui permet pas de le savoir avec précision. C’est probablement que l’enseignant ne le sait pas trop lui non plus. Avouons-le : il est beaucoup plus facile de tracer un grand trait sur un paragraphe quand on ne le comprend pas que de relire afin de déceler vraiment ce qui ne va pas : quels mots ? quelles phrases ? quel concept ? Le point d’interrogation n’est pas très aidant pour l’élève et, dans une autre rédaction, il ne saura pas comment corriger ce qui n’allait pas dans cette première rédaction. Dans ce cas-ci, le temps passé à corriger est un peu du temps perdu, parce que la correction ne donne pas, à l’élève, des pistes intéressantes à réinvestir.
4. Commentaire codé
Le commentaire codé touche généralement la forme : l’enseignant indique, avec un code, la nature de l’erreur. Disons que les codes les plus connus sont peut-être S, P, U et G (pour « syntaxe », « ponctuation », « usage » et « grammaire »). Dans le cas de l’utilisation d’un code pour noter les erreurs de langue (ou de contenu, ce n’est pas exclu, même si c’est plus difficile, compte tenu de la multitude des erreurs possibles), il importe que le code soit facile à apprendre. Quand l’élève doit constamment consulter la « feuille des codes », c’est malgré tout peu aidant parce que la tâche est trop longue. Je pense, notamment, à des codes comme G1, G2, G3, G4 pour les différentes erreurs liées à la grammaire et tous les autres du même acabit. Un code est toujours mieux qu’une trace, mais certains codes sont plus faciles à retenir que d’autres.
5. Commentaire interrogatif ou exclamatif
Le commentaire interrogatif ou exclamatif est plus ou moins long, plus ou moins violent : « C’est-à-dire ? », « Vraiment ? », « Ah oui ? », « Bof ! »… Ce type de commentaire peut avoir un effet dévastateur sur l’élève et sur son attitude. Pensez-y : il peut avoir peiné plusieurs heures sur sa rédaction et il récolte un « vide de sens » ! S’il avait su que c’était justement « vide de sens », on peut gager qu’il aurait tenu d’autres propos. Dans un commentaire exclamatif, on peut sentir un jugement de la part du professeur sur le travail de l’élève et, par ricochet, sur l’élève lui-même. Dans d’autres cas, les commentaires exclamatifs peuvent être plus aidants : un « De quoi ? » placé au-dessus d’un mot peut amener l’élève à préciser sa pensée et à constater que son lecteur n’a pas compris ce qu’il voulait dire.
6. Commentaire non mélioratif
Ce sixième type de commentaire est un constat : quelque chose ne va pas, et l’enseignant ne fait que le constater. « Paragraphe mal développé », « Propos inexacts », « Lien absent ». Ce type de commentaire demande encore un effort de « conversion » de la part de l’élève, qui doit déduire : « Si le lien est absent, c’est que j’aurais dû en écrire un, et un lien, ça se fait comme ça… » ou « Si mes propos sont inexacts, qu’est-ce que j’aurais dû faire pour les rendre exacts ? » On peut penser que ces commentaires sont plus aidants… pour l’enseignant, au moment de mettre la note, parce que dans sa tête, la conversion n’a pas besoin d’être faite : si le lien est absent, la note sera moins haute ou si les propos sont inexacts, la cote A ne sera pas justifiée.
7. Commentaire mélioratif
Ce dernier type de commentaire, vous l’aurez deviné, est le plus aidant, mais aussi le plus long à écrire. Il tient de l’ordre ou de la suggestion : « Faire le lien entre ces deux paragraphes », « Précise ce que tu veux dire par là », « Il aurait fallu présenter une deuxième idée », etc. Curieusement, beaucoup d’enseignants préfèrent « suggérer » aux élèves, même s’ils disent que pour bien réussir le texte, l’élève « aurait dû » procéder ainsi. Ce n’est donc plus tout à fait de la suggestion, mais de la prescription… donc, de l’ordre. Certains ne sont toutefois pas à l’aise avec le fait de donner des ordres. Pourtant, si on veut que l’élève change des éléments dans son texte, il faut lui donner « l’ordre » de les changer ; une suggestion, on est libre de la suivre ou non.
Et des commentaires qui n’en sont pas…
Certains commentaires ne peuvent même pas être « étiquetés » parce qu’ils ne veulent rien dire : c’est le cas de « lien » ou « sens », un mot, sans qualificatif. Que veut dire l’enseignant ? Probablement que le lien est absent ou que l’idée développée n’a pas de sens. Mais l’absence de qualificatif n’aide en rien l’élève à comprendre ce qui ne va pas.
Au-delà des commentaires, ce qui est le plus aidant pour l’élève, c’est savoir sur quoi portera l’évaluation. Quels sont les critères de correction, combien de points sont attribués pour les différents volets de contenu, de structure et de langue ? Il est essentiel que les élèves sachent à quoi s’en tenir avant de remettre leurs travaux.
Quand on pense au temps passé à corriger, il me semble que la correction qui porte fruit reste la plus intéressante, celle qui donne, peut-être, moins l’impression de perdre son temps et de donner quelques coups d’épée dans l’eau. Si, dans les premières corrections de la session, nous prenons le temps d’effectuer ce travail avec application, les copies suivantes seront toujours meilleures parce que nos commentaires auront aidé l’élève.
Le plus important, lorsque l’on corrige, est que les commentaires génèrent un échange entre l’enseignant et l’élève, sur la base du texte. C’est de cet échange extrêmement important dont nous parlerons dans un prochain article.
Abonnez-vous à l’infolettre de Correspondance pour être informé une fois par mois des nouvelles publications