2024 © Centre collégial de développement de matériel didactique

Le dictionnaire, un remède contre le syndrome de la page blanche

Chronique lexicographique

Le plaisir des mots s’entretient par la curiosité envers la langue parlée et écrite, comme j’ai voulu l’illustrer dans ma dernière chronique. Cet amour se cultive aussi à travers la fréquentation des dictionnaires. Si mon petit carnet personnel me sert à noter des trouvailles lexicales, il me fournit moins des réponses que des occasions d’étonnement. Les dictionnaires, quant à eux, ont la qualité d’offrir les deux. C’est pourquoi je consulte quotidiennement la dernière version du logiciel Antidote ou l’un de ces nombreux ouvrages lexicographiques qui se partagent une place dans ma bibliothèque.

La consultation du dictionnaire peut aller plus loin que la traditionnelle vérification de l’orthographe lexicale ou que la recherche du sens d’un mot inconnu. Le but du présent article est de montrer comment se servir du dictionnaire comme outil d’accompagnement du processus d’écriture, plus précisément en planification de texte. Auparavant, j’aimerais évoquer certains résultats de recherches ayant porté sur l’utilisation du dictionnaire en classe. Cela me permettra de justifier l’importance, d’une part, de développer la connaissance de notions lexicales, et, d’autre part, de construire un rapport positif avec cet outil trop souvent mal aimé!

Les recherches sur l’usage du dictionnaire

Les travaux menés sur l’usage du dictionnaire, en particulier en contexte d’apprentissage d’une langue seconde, ont montré que le processus de consultation de cet ouvrage représentait une activité complexe reposant sur un ensemble d’habiletés spécifiques – les dictionary skills (Herbst et Stein, 1987), comme les désignent les chercheurs anglo-saxons. Parmi celles-ci, Simard (1994) rapporte notamment les savoir-faire suivants : repérer rapidement un mot, comprendre les définitions, choisir la bonne acception, décoder les conventions typographiques en usage, distinguer un dictionnaire de langue d’un dictionnaire encyclopédique, connaitre les principaux types de dictionnaires spécialisés. En ce qui a trait aux deux derniers éléments, Lefrançois (2008), dans un article comparant les différents dictionnaires scolaires en usage au Québec, met justement en évidence le fait que chacun des ouvrages examinés est susceptible de répondre à des besoins langagiers distincts. Elle souligne également que de nombreuses connaissances sont nécessaires pour utiliser efficacement un dictionnaire. Les chroniques lexicographiques qui ont paru dans Correspondance depuis 2015 ont précisément porté sur les notions lexicales requises pour comprendre la composition d’un article de dictionnaire (polysémie, locution, collocation, propriétés de combinatoire).

L’enseignant ou l’enseignante de français se retrouvent ainsi à devoir enseigner les connaissances et savoir-faire que devront mobiliser les élèves afin d’utiliser efficacement le dictionnaire. Or, dans les années 90, plusieurs études ont relevé le peu d’interventions pédagogiques effectué à cet égard. Simard (1990) souligne que dans les écoles et les collèges du Québec, ce n’est qu’occasionnellement ou encore uniquement dans quelques classes que l’on organise des activités axées sur l’étude plus systématique du dictionnaire et de son maniement. Des recherches menées aux États-Unis, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne et en Italie (Dolezal et McCreary, 1999) révèlent elles aussi que les enseignants et enseignantes montrent rarement à leurs élèves comment chercher dans le dictionnaire. Atkins et Knowles (1990) rapportent, par exemple, que sur 1100 étudiants du secondaire et du postsecondaire dans 7 pays européens, 60,4 % n’avaient jamais reçu d’enseignement explicite sur la façon d’utiliser le dictionnaire.

Pour expliquer une telle situation, Simard (1990) émet l’hypothèse suivante : les enseignants s’imaginent qu’il suffit de demander aux élèves de chercher un mot dans un dictionnaire pour qu’ils acquièrent l’habitude et la capacité d’utiliser cet ouvrage. Plus récemment, la recherche État des lieux de l’enseignement du français (Chartrand et Lord, 2010) confirmait d’ailleurs que les enseignants ne font généralement qu’inciter leurs élèves à consulter le dictionnaire; et rien ne laisse croire, dans les résultats de cette enquête, qu’un enseignement explicite relatif au maniement du dictionnaire est fourni aux élèves. Enfin, les résultats préliminaires d’une enquête par questionnaire menée l’année dernière auprès de 300 enseignants du primaire et du secondaire à propos de leurs pratiques d’utilisation des dictionnaires papier et électronique révèlent que les enseignants ne consacrent pas systématiquement de temps à l’enseignement de l’emploi stratégique du dictionnaire (Tremblay, Plante et Fréchette-Simard, 2016).

Les études recensées mettent en exergue la place accordée par les enseignants au dictionnaire. Le rôle de cet ouvrage s’avère trop souvent cantonné à la correction orthographique et à la recherche de définitions. De plus, la complexité de l’ouvrage ou les complications logistiques entrainées par l’utilisation des dictionnaires électroniques en classe semblent dissuader plusieurs enseignants d’entreprendre avec leurs élèves un enseignement systématique de son utilisation. Peut-être aussi que certains ne voient tout simplement pas le potentiel du dictionnaire pour le développement des compétences langagières. Voici donc quelques suggestions pour en valoriser l’usage afin de le transformer en véritable allié du processus d’écriture, plus précisément lors de la phase de planification.

Le dictionnaire pour écrire

Les enseignants du primaire et du secondaire rapportent souvent que leurs élèves manquent d’idées pour écrire. La phase de planification d’un texte, une des plus importantes du processus d’écriture, s’appuie sur la recherche d’idées. Le dictionnaire peut alors être d’un grand secours.

Prenons l’exemple d’un texte informatif ayant la baleine pour thème. Les livres documentaires et les sources disponibles sur Internet fourniront évidemment beaucoup d’informations sur le sujet qui alimenteront la phase de planification. Néanmoins, en amont de cette recherche spécialisée, le dictionnaire pourra déjà inspirer et outiller le scripteur. Nous allons montrer comment l’exploration des dictionnaires Synonymes, Cooccurrences, Champ lexical et Famille, dans Antidote, ainsi que la navigation dans Le Robert correcteur ou d’autres dictionnaires papier permettent de créer un répertoire de mots susceptible de soutenir la rédaction.

D’abord, en explorant dans Antidote la zone Synonymes, on trouvera des mots de sens plus spécifiques (hyponymes), tels baleine à bec, baleine à fanon, rorqual, ou encore, des termes génériques (hyperonymes) : cétacé, mammifère. Le dictionnaire de cooccurrences pointera quant à lui vers des adjectifs qui décrivent la baleine (grosse, énorme, blessée, échouée) et vers des verbes qui désignent soit les activités de celle-ci (nage, plonge, avale, engloutit, s’échoue), soit les activités humaines ayant la baleine comme « objet » (apercevoir, voir, observer, approcher; pêcher, capturer, harponner; protéger, sauver). Cette exploration lexicale amène d’ailleurs à distinguer trois sous-thèmes reliés au thème initial : l’observation, la chasse et la préservation des baleines. Il faut cependant procéder à un classement à l’intérieur de la liste de cooccurrents, qui ne sont pas subdivisés en fonction des sous-thèmes qu’ils expriment, mais plutôt par « force », c’est-à-dire selon la fréquence statistique et la singularité de l’association des termes. Toujours à l’intérieur de la zone Cooccurrences, la rubrique Complément de nom enrichit les thématiques identifiées : pêche/chasse à la baleine; observation; viande/huile/carcasse/squelette/os. On y trouve également des informations spécifiques, liées par exemple au thème « Préservation des baleines », tel le mot sanctuaire.

La création d’une constellation de mots, une technique utilisée par certains écrivains, peut être soutenue par la recherche dans deux rubriques spécifiques du logiciel Antidote : Famille et Champ lexical. La première donne accès aux mots morphologiquement dérivés de baleine : baleineau, baleinier, baleinière, balénidé, etc. La deuxième fournit des informations pouvant soutenir la rédaction d’un texte informatif, tout en étant appropriée pour l’écriture d’un autre type de texte – narratif, descriptif, etc. On y trouve, par exemple, des noms propres associés au thème de la baleine : Tadoussac, Antarctique, Melville, Cousteau, Pinocchio. Il est à noter que l’information figurant dans la zone Champ lexical peut être affichée sous forme de constellation de mots; il suffit de cliquer sur le nuage de mots qui apparait au bas de la page, du côté droit de la fenêtre d’Antidote.

Une exploration visuelle de réseaux de mots est également possible avec la toute dernière version du logiciel Le Robert correcteur. Par exemple, sous l’onglet Combinaison, on trouve des listes de combinaisons de mots classées, comme dans Antidote, en fonction des types de structures syntaxiques à l’intérieur desquelles apparait un mot donné. Cette information peut être affichée sous la forme de réseaux de mots (voir la figure 1), ce que n’offre pas le logiciel Antidote pour les cooccurrences. Dans ces réseaux, la force du lien entre le mot-clé et son cooccurrent est exprimée par la taille de police utilisée pour représenter ce dernier.

Figure 1
Extrait du Robert correcteur, onglet Combinaison, pour le nom BALEINE

Une dernière suggestion, pour les écrivains en herbe en manque d’idées : utiliser la fonction « Découvrir » d’Antidote, en cliquant sur « Ouvrages » dans la barre de menu du logiciel (voir la figure 2), afin d’être mené aléatoirement à la rencontre d’un mot.

Figure 2
La rubrique « Découvrir », dans la section Ouvrages du logiciel Antidote

Les données obtenues à la suite d’une requête portant sur plusieurs mots – fréquent (tapage), rare (ratiner), nom de pays (Tanzanie), de ville (Jakarta), de personnage (Phébé) et de site du Patrimoine mondial (Oviedo) – constituent d’excellentes contraintes d’écriture et de bons déclencheurs pour une ou plusieurs activités d’écriture originales.

La navigation dans les divers modules d’Antidote (Synonymes, Cooccurrences, Champ lexical) ou du Robert correcteur peut également s’avérer très judicieuse dans l’écriture d’un texte narratif ou poétique. Si vous n’avez pas accès à ces deux ressources, des ouvrages papier, tels Le dictionnaire analogique (Larousse), le Grand dictionnaire des cooccurrences, le Dictionnaire des mots et expressions de couleur, le Dictionnaire des rimes et des onomatopées, pourront activer la recherche de mots et d’idées. Ces ouvrages représenteront, dans le cadre de telles productions littéraires, des sources d’inspiration d’une richesse inestimable.

* * *

Les chercheurs et chercheuses qui travaillent dans le domaine de la lexicographie et de l’enseignement affirment qu’il existe deux façons de promouvoir un usage plus efficace du dictionnaire. La première est d’améliorer les dictionnaires eux-mêmes, la seconde est « d’améliorer » les usagers (Atkins et Varantola, 1997). Nous espérons que cette chronique[1] (et les précédentes!) conduira les enseignants et leurs élèves à noter des signes d’amélioration dans l’efficacité de leur processus d’utilisation des dictionnaires et d’en mesurer les retombées dans la qualité d’ensemble de leurs productions de textes!

* * *

Références

ATKINS, B.T.S., et K. VARANTOLA (1997). « Monitoring Dictionary Use », International Journal of Lexicography, p. 1-45.

CHARTRAND, S.-G., et M.-A. LORD (2010). « État des lieux de l’enseignement grammatical au secondaire : premiers résultats de l’enquête ÉLEF », Québec français, no 156, p. 66-67.

DOLEZAL, F. T., et D. R. McCREARY (1999). Pedagogical Lexicography Today: A Critical Bibliography on Learners’ Dictionaries with Special Emphasis on Language Learners and Dictionary Users, Tübingen, Niemeyer.

HERBST, T., et G. STEIN (1987). « Dictionary-using skills: A plea for a new orientation in language teaching ». Dans A. COWIE (éd.). The dictionary and the language learner: Papers from the EURALEX seminar at the University of Leeds, 1er-3 avril 1985, Tiibingen, Max Niemeyer Verlag, p. 115-127.

LEFRANÇOIS, P. (2008). « À l’école des utilisateurs de dictionnaires : une analyse de quelques dictionnaires scolaires québécois ». Dans M. C. CORMIER et J.-C. BOULANGER (dir.). Les dictionnaires de la langue française au Québec – De la Nouvelle-France à aujourd’hui, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 309-340.

SIMARD, C. (1990). « Les besoins lexicographiques du milieu de l’enseignement au Québec ». Dans Dix études portant sur l’aménagement de la langue au Québec, Québec, Conseil de la langue française, p. 25-51.

SIMARD, C. (1994). « Pour un enseignement plus systématique du lexique », Québec français, no 92, p. 28-33.

TREMBLAY, O., C. FRÉCHETTE-SIMARD et I. PLANTE (2016). Dictionnaire(s) et écriture : les pratiques personnelles et didactiques d’enseignants du primaire et du secondaire au Québec. Communication présentée dans le cadre du Colloque « Enseignement et apprentissage de l’écriture de la maternelle à l’université et dans les formations tout au long de la vie », Bordeaux, France, 19 au 21 octobre 2016.

  1. J’aimerais remercier Valérie Perron et Kathleen Whissel-Turner, qui ont lu et commenté une première version de l’article. J’adresse enfin mes plus sincères remerciements à Jean-Philippe Boudreau et à Dominique Fortier pour leur accompagnement exceptionnel dans le processus d’édition des chroniques lexicographiques qui ont paru dans Correspondance depuis 2015. [Retour]

Télécharger l'article au format PDF

UN TEXTE DE