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Formulation de questions à développement: pistes didactiques

Formulation de questions à développement: pistes didactiques

Jean-Didier Dufour enseigne la sociologie et la science des religions depuis 25 ans au collège François-Xavier-Garneau, à Québec. Soucieux de bien parler et écrire sa langue, et animé par une passion de communiquer, il s’est engagé dans le développement des compétences langagières, préoccupé d’abord et avant tout d’adapter ses efforts à l’apprentissage des étudiants de sciences humaines.

Enseignante au Département de lettres du collège François-Xavier-Garneau, Hélène Tessier travaille dans le réseau collégial depuis 33 ans. Linguiste de formation, elle s’intéresse tout particulièrement à la psychologie cognitive en lien avec la lecture, l’écriture et l’apprentissage. Depuis trois ans, elle participe aux travaux du Réseau Fernand-Dumont dans le but de soutenir le développement des compétences langagières chez les étudiants de sciences humaines aux ordres collégial et universitaire.

En pédagogie, il est de ces pratiques, transmises entre enseignants, auxquelles il est nécessaire de s’attarder. Dans le cadre des travaux du Réseau Fernand-Dumont[1], dont le mandat est le développement des compétences langagières des étudiants de sciences humaines aux ordres collégial et universitaire, nous nous sommes intéressés à la question à développement.

Un exercice de départ, soit l’analyse de questions à développement formulées par un large échantillon d’enseignants, nous a démontré qu’il n’est pas simple d’énoncer des consignes ou des questions claires et univoques. Entre la réponse attendue et celle livrée par l’élève, le décalage peut être important, et ce, simplement en raison de la formulation de l’énoncé. Or, au Québec, dans les cours du baccalauréat en enseignement primaire et secondaire ou ceux menant au diplôme d’enseignement collégial, on ne semble pas aborder cette problématique, et peu de travaux en didactique s’y intéressent. Pourtant, l’habileté, chez les enseignants, à produire une question dont le sens est univoque est essentielle, car l’adéquation entre la question posée et la réponse attendue assure le respect du contrat didactique[2]. Ces constats nous ont amenés à élaborer une méthode d’analyse et de conception de questions à développement assortie d’un guide d’analyse destiné aux étudiants.

La démarche proposée, alimentée par la psychologie cognitive, la pragmatique et la grammaire textuelle, permet de valider un énoncé de question et de mettre au point un solutionnaire en adéquation avec la question posée. Elle vise à outiller les enseignants afin qu’ils maitrisent mieux cet acte de communication et qu’ils puissent former leurs étudiants à répondre plus efficacement à ce type de commande. Les principes présentés s’appliquent notamment à la validation de toute commande de production proposée à l’élève, y compris les travaux de plus grande envergure ou les productions écrites en classe. Aussi, étant donné son caractère transversal, cette approche peut être adaptée aux deux ordres de l’enseignement postsecondaire et à toutes les disciplines. Ultimement, c’est la tâche parfois difficile de corriger les réponses à ces questions et de fournir une rétroaction efficace qui s’en trouvera facilitée. D’ailleurs, le schéma d’analyse d’une question à développement ou d’une consigne proposé ici a fait l’objet d’expérimentations auprès d’une centaine d’enseignants et de quelque 600 étudiants. De part et d’autre, la réaction a été fort positive : les enseignants y trouvent un outil facile d’application, légitimant et facilitant leur processus d’évaluation, et les étudiants se sentent plus confiants devant ce rituel scolaire parfois intimidant.

Dans le présent article[3], nous exposons les grandes lignes de cette méthode d’analyse conçue, rappelons-le, dans le cadre de nos travaux au Réseau Fernand-Dumont[4].

Les composantes d’une question à développement

Généralement, la question à développement devrait présenter trois composantes (voir la figure 1) :

  • Le contexte qui situe la question posée ou la mise en situation générale.
  • La question proprement dite.
  • Les caractéristiques de la réponse attendue et les critères retenus pour déterminer les bonnes réponses.

Figure 1
Composantes d’une question à développement

Le contexte

Cette composante de la question a une fonction cognitive importante : elle permet à l’élève de cerner globalement les objets de connaissance et de se diriger vers le contenu pertinent stocké au cerveau. Le contexte joue ici en quelque sorte le même rôle que le sujet amené dans une introduction, c’est-à-dire de permettre au lecteur d’opérer un premier niveau de classement de l’information à venir.

La question

L’énoncé de la question permet de déterminer les objets précis que l’on souhaite voir traiter et de récupérer ces objets dans les éléments stockés au cerveau. La question constitue un deuxième niveau de discrimination du contenu demandé, au même titre que le sujet posé dans une introduction.

Les caractéristiques de la réponse attendue

Cette composante précise les attentes de l’enseignante ou de l’enseignant et permet à l’élève de discriminer encore davantage les éléments d’information quant au contenu demandé. Par exemple, si un objet de connaissance contient globalement 10 éléments et qu’elle ou il estime qu’une réponse présentant cinq éléments est satisfaisante, cette attente devrait être explicite ; si des variables sont jugées plus importantes que d’autres, la question devrait le préciser ; si l’on souhaite une réponse succincte, ce qui exige une sélection très ciblée du contenu, l’information quant à la longueur de la réponse attendue devrait se trouver dans l’énoncé. La précision des caractéristiques de la réponse attendue s’apparente à celle du sujet divisé dans une introduction, où l’on fournit au destinataire le troisième niveau de classement de l’information à venir.

Selon le contenu visé par une question à développement, il se peut que le contexte ou les caractéristiques de la réponse attendue ne soient pas essentiels à la compréhension de la question par l’élève. Ainsi, la question inclut parfois, de façon implicite, ces composantes (voir l’analyse dans la figure 7, p. 21).

La validation de la question

Les principes ci-après peuvent être appliqués pour assurer la qualité de l’énoncé d’une question à développement.

  • L’énoncé contient tous les mots clés essentiels à sa compréhension (et seulement les mots essentiels), notamment l’action à entreprendre (un verbe d’action) et, s’il y a lieu, le contexte, les caractéristiques de la réponse attendue et les critères d’évaluation.
  • L’énoncé ne comprend qu’une seule action à entreprendre, qu’un seul verbe d’action. Une autre action suppose un deuxième énoncé.
  • L’enseignante ou l’enseignant a préparé la réponse attendue (la grille de correction) et a fixé la pondération afin de s’assurer de l’adéquation entre le solutionnaire et la question[5].

Les verbes d’action et leur définition[6]

L’enseignant ou l’enseignante se doit de bien définir ses attentes quant à l’action que fera l’élève, car chaque verbe d’action suppose de sa part un traitement différent d’un objet de connaissance, une structuration précise de sa réponse. Cette structuration permettra à l’élève de bâtir un tableau de repérage du contenu demandé, tableau qui deviendra le plan de sa réponse. Ainsi, lorsque l’on conjugue les composantes d’une question à la structuration qu’une action impose, on peut arriver à une méthode d’analyse plus objective d’un énoncé de question. À titre d’exemple[7], la figure 2 présente quatre des verbes d’action les plus couramment utilisés, ainsi que la structuration des réponses attendues.

Figure 2
Verbes d’action et structuration des réponses attendues

L’analyse de la question à l’aide d’un schéma

Une question peut se décortiquer en cinq éléments (en gras dans la liste de la page suivante). La procédure de rédaction d’une question que nous proposons ainsi que son analyse (représentée à l’aide d’un schéma dans les figures 3 à 7) permettent à l’enseignante ou à l’enseignant de s’assurer que toutes les composantes pertinentes sont présentes. Elles facilitent aussi la construction d’un tableau d’objets de connaissance, qui constituera la structure de son solutionnaire.

Éléments d’une question à développement et procédure d’analyse

  1. Déterminer l’action ou l’opération demandée : le verbe d’action.
  2. Cibler les objets de connaissance.
  3. Préciser le contexte, la mise en situation, s’il y a lieu.
  4. Déterminer la structuration des objets, selon le verbe d’action proposé.
  5. Déterminer les caractéristiques de la réponse attendue[8], s’il y a lieu.

Précisons qu’une question doit minimalement contenir une action (qui impose une structuration des objets) et des objets de connaissance. Par ailleurs, il se peut que le contexte ou les caractéristiques de la réponse attendue ne soient pas pertinents.

La figure 3 donne un exemple où le schéma d’analyse permet de constater que tous les éléments essentiels à la bonne compréhension de la question sont présents.

Figure 3
Analyse d’une question à développement exemplaire

Les figures 4 et 6, suivies d’une analyse explicite, montrent deux exemples de question où le schéma proposé permet de clarifier le contenu et d’assurer une meilleure compréhension par l’élève de la tâche demandée par chacune des questions. Les figures 5 et 7, suivies d’un commentaire, proposent quant à elles une correction des questions et illustrent leur analyse.

Figure 4
Analyse d’une question dont le contenu demande à être clarifié

Analyse de la question de la figure 4

  • Action – Le verbe faire n’est pas un verbe d’action précis et ne permet pas d’identifier une structuration du contenu.
  • Objets de connaissance – On devrait trouver seulement économie mature et impérialisme : on ne compare pas l’Europe à ces deux autres concepts.
  • Contexte – L’Europe et le XXe siècle font partie du contexte.
  • Caractéristiques de la réponse attendue – Elles doivent être précisées : doit-on présenter toutes les caractéristiques d’une économie mature ou seulement un certain nombre d’entre elles ?

Figure 5
Correction de la question de la figure 4

Commentaires sur la correction proposée dans la figure 5

En interrogeant l’enseignant concerné à propos de la réponse attendue, nous avons constaté que l’action demandée imposait le verbe expliquer dans ses deux dimensions : pourquoi et comment (causes et conséquences). Aussi, l’ajout des caractéristiques de la réponse attendue précise à l’élève qu’il ou elle doit fournir toute l’information sur l’économie mature et ses conséquences ; étant donné qu’il y a trois caractéristiques de ce type d’économie, l’élève sait qu’il lui faut diviser le tableau des objets de connaissance en trois sections et consacrer approximativement 50 mots à chacune de ces sections.

Figure 6
Analyse d’une question dont le contenu demande à être clarifié

Analyse de la question de la figure 6

  • Action – Il n’y a pas de verbe d’action, donc pas de structuration explicite.
  • Objets de connaissance – Le terme « idée » semble constituer un objet de connaissance et est superflu.
  • Contexte – Le contexte n’est pas essentiel à la compréhension de l’élève.
  • Structuration des objets – Sans verbe d’action, la structuration des objets est vague.
  • Caractéristiques de la réponse attendue – Les caractéristiques devraient être précisées : combien d’éléments de la grille CPI suffisent, quelle longueur on devrait accorder au texte, etc.

Figure 7
Correction de la question de la figure 6

Commentaire sur la correction proposée dans la figure 7

La tâche demandée impose le verbe justifier. Aussi, les caractéristiques de la réponse attendue précisent à l’élève qu’il ou elle doit justifier l’affirmation en sélectionnant une croyance, une pratique ainsi qu’un exemple d’intégration sociale (les trois catégories de la grille CPI), et qu’il lui faut diviser le tableau des objets de connaissance en trois sections et consacrer approximativement 50 mots à chacune de ces sections.

L’élaboration du solutionnaire

Le schéma d’analyse présenté précédemment permet de construire un tableau d’objets de connaissance, lequel servira à l’élaboration du solutionnaire et du barème de correction. En y recourant, l’enseignante ou l’enseignant s’assure ainsi qu’aucun élément n’est superflu ou absent et peut plus facilement répartir les points accordés à chaque élément.

La formation des étudiants

En vue d’amener les étudiants à produire des réponses pertinentes, il est suggéré à l’enseignante ou l’enseignant d’animer un atelier préalablement à la première évaluation sommative comportant des questions à développement[9]. Au cours de cet atelier, on présentera les verbes d’action utilisés lors de l’évaluation, la structuration de la réponse qu’impose chaque verbe, ainsi que le schéma d’analyse incluant la méthode d’élaboration du tableau d’objets de connaissance. Dans le cas du sujet d’une production plus complexe, on peut procéder de la même façon lors de la présentation des consignes, en amenant les étudiants à réfléchir sur la structuration que le verbe d’action du sujet impose et en les initiant à l’élaboration du tableau d’objets de connaissance.

* * *

L’acte de communication en jeu lorsqu’on évalue les compétences des étudiants en est un où la clarté du message est primordiale, car cet acte sert à mesurer les apprentissages et résulte en une sanction. Toute équivoque peut fausser le processus d’évaluation. Ainsi, des outils permettant une analyse plus systématique et objective d’un énoncé de question ne peuvent que soutenir ce processus. La méthode d’analyse décrite ici vise à aider les enseignants à mieux cerner les éléments essentiels à la formulation d’une question à développement ou d’une consigne, et à faciliter la production d’un solutionnaire en adéquation avec la tâche demandée. Par le fait même, le fardeau de la correction se trouve grandement allégé. De plus, cette même méthode peut servir à former les étudiants à analyser un énoncé et à planifier une réponse cohérente. Au-delà des dimensions techniques de la conception de l’énoncé, c’est une conscience critique qui se développe chez les enseignants au moment de passer à l’évaluation. Tout cela concourt à préciser davantage le contrat didactique entre étudiants et enseignants.

Toujours dans le cadre des travaux du Réseau Fernand-Dumont, nous souhaitons poursuivre notre démarche afin de produire ou de repérer du matériel qui puisse soutenir les enseignants et les étudiants dans la rédaction, la validation et l’évaluation de productions écrites. Nos plus récents efforts portent sur la réponse à la question à développement : sa structure, son contenu et sa cohérence. Il s’agit d’une extension toute naturelle de notre démarche initiale.

  1. NDLR Dans un court article paru dans Correspondance en 2010 (vol. 16, no 1, p. 11-12), Érick Falardeau (Université Laval) expose les orientations du Réseau Fernand-Dumont, qui regroupe des professeurs de trois établissements : le collège François-Xavier-Garneau, le cégep de Sainte-Foy et l’Université Laval. Voici l’adresse du site de ce réseau interordre : www.rfd.fse.ulaval.ca [Retour]
  2. Nous reprenons ici la définition empruntée à Guy BROUSSEAU (didactique des mathématiques).« On appelle contrat didactique, l’ensemble des comportements de l’enseignant qui sont attendus par l’élève, et l’ensemble des comportements de l’élève qui sont attendus par l’enseignant […] Ce contrat est l’ensemble des règles qui déterminent explicitement pour une petite part, mais surtout implicitement, ce que chaque partenaire de la relation didactique va avoir à gérer et dont il sera, d’une manière ou d’une autre, comptable devant l’autre.

    « […] Le contrat didactique se manifeste surtout lorsqu’il est transgressé par l’un des partenaires de la relation didactique. Une grande partie des difficultés des élèves est explicable par des effets de contrat, mal posés ou incompris […] Le désir d’adaptation des élèves peut se heurter à la versatilité d’un enseignant dont « on ne sait jamais ce qu’il veut ». » www.ac-noumea.nc/eps/concours/contrat.htm [Retour]

  3. NDLR – Le présent article reprend en substance la communication « Les questions à développement : une pratique méconnue ? », donnée au 31e colloque de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC) et pour laquelle les auteurs ont obtenu une bourse de l’AQPC qui leur permettra de présenter leurs travaux dans un colloque international. Cette bourse leur a été décernée en raison de l’intérêt suscité par leur communication chez les participants au colloque de l’AQPC.Une version légèrement différente du présent article est parue dans Pédagogie collégiale (vol. 25, no 2). [Retour]
  4. Notre méthode d’analyse est exposée de façon plus détaillée dans le module Méthode d’élaboration d’une question à développement sur le site du Réseau Fernand-Dumont. [Retour]
  5. Inspiré de Louis ROLAND, L’évaluation des apprentissages en classe : théorie et pratique, Québec, Beauchemin, 2004. [Retour]
  6. Inspiré de Ginette LÉPINE et Liliane GOULET, Cahier de méthodologie, 4e éd., Université du Québec à Montréal, 1987, p. 152-153. [Retour]
  7. On trouvera la liste complète des verbes d’action dans le module Méthode d’élaboration d’une question à développement, sur le site du Réseau Fernand-Dumont. [Retour]
  8. Inspiré de www.teluq.uquebec.ca/psyprog/d129.pdf [Retour]
  9. Sur le site du Réseau-Fernand-Dumont, vous trouverez une vidéo illustrant le déroulement d’un tel atelier. Nous vous invitons également à consulter la fiche pédagogique Comment répondre à une question à développement. [Retour]

Références bibliographiques

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BAKER, S., R. GERSTEN, et D. SCANLON. « Procedural Facilitators and Cognitive Strategies : Tools for Unraveling the Mysteries of Comprehension and the Writing Process, and for Providing Meaningful Access to the General Curriculum », Learning Disabilities & Practice, vol. 17, no 1, 2002, p. 65-77.

BLOOM, B., et D. KRATHWOHL. The classification of educational goals, by a committee of college and university examiners, New York, Longmans, 1956.

CHARAUDEAU, P. « De la compétence sociale de communication aux compétences de discours », dans COLLÈS, L. (dir.), et collab. Didactique des langues romanes. Le développement de compétences chez l’apprenant, Bruxelles, De Bœck-Duculot, 2001, p. 34-43.

CHARTRAND, S.-G. « Les composantes d’une grammaire de texte », Correspondance, vol. 7, no 1, 2001. www.ccdmd.qc.ca/correspo/Corr7-1/Compos.html

LÉPINE, G., et L. GOULET. Cahier de méthodologie, 4e éd., Montréal, Université du Québec à Montréal, 1987.

ROLAND, L. L’évaluation des apprentissages en classe : théorie et pratique, Québec, Beauchemin, 2004.

TREMBLAY, R. Savoir-faire. Précis de méthodologie pratique pour le collège et l’université, Montréal, McGraw-Hill, 1989.

ZAKHARTCHOUK, J.-M. « Consignes : aider les étudiants à décoder », Pratiques, no 90, 1996, p. 9-25.

ZAKHARTCHOUK, J.-M. « Justifiez, expliquez… », Pratiques, no 111-112, 2001, p. 179-188.

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