Cours de mise à niveau pour allophones: éléments de réflexion, 2e partie
Conceptualisation, abstraction, analyse, rédaction, correction… autant d’opérations complexes demandées aux élèves du collégial, y compris aux allophones, pour qui le défi est de taille ! Bien que je ne sois pas formé pour enseigner le français langue seconde, mon expérience d’enseignement aux élèves non francophones dans le contexte particulier des cours de mise à niveau m’a amené à réfléchir à certains aspects de la planification de ce cours (la place de la littérature, l’approche grammaticale), à la pertinence de considérer les « savoir-faire » transférables dans l’apprentissage d’une nouvelle langue, et enfin, à la nécessité d’une certaine distanciation de l’enseignante ou de l’enseignant par rapport à sa langue maternelle.
La place de la littérature
Une bonne partie de l’enseignement de la grammaire et du lexique aux allophones peut très bien se bâtir à partir de textes littéraires. Tout y est : vocabulaire, façon de dire et d’écrire, sens, imaginaire, esthétique, musicalité. Il suffit de mettre à profit ces divers aspects d’un texte pour démontrer le fonctionnement de la langue. Par ailleurs, les cours de français du collégial nécessitent la compréhension de concepts complexes, ce qui se révèle une exigence considérable pour les élèves allophones, spécialement s’ils vivent au Québec depuis moins de deux ans. L’utilisation de textes littéraires dans les cours de mise à niveau conduit à la réalisation d’opérations d’abstraction essentielles à la réussite des autres cours de français. Aussi, pour mieux préparer les élèves à ces derniers, il ne faut pas hésiter à puiser dans ce corpus certains éléments de contenus : notions d’analyse littéraire et de champs lexicaux (601-101), référents culturels et historiques québécois (601-103), niveaux de langue et particularités du français québécois (601-104), autant d’exemples de notions à intégrer dans le cours de mise à niveau pour allophones. Le manque de référents culturels et sociaux des nouveaux arrivants justifie également le recours à de « grands textes » qui, en plus de favoriser l’enrichissement du vocabulaire, leur permettent de se familiariser avec l’imaginaire francophone, plus spécifiquement l’imaginaire québécois. Pour toutes ces raisons, il importe d’exposer les élèves à la complexité des textes littéraires le plus tôt possible.
Quelle grammaire ?
Bien sûr, le français langue seconde n’engendre pas une grammaire qui lui est propre : francophones et allophones apprennent les mêmes règles, les mêmes structures. La différence réside dans la connaissance inconsciente de la langue, une compréhension intuitive du français que l’allophone n’a pas.
Les manuels de grammaire et cahiers d’exercices conçus pour l’apprentissage du français langue première ou langue seconde donnent une bonne idée des contenus à voir en classe avec les élèves, mais ne répondent pas toujours aux besoins précis des élèves allophones. L’emploi des prépositions, par exemple, n’est jamais abordé de façon satisfaisante. En outre, les ouvrages de français langue seconde, bien que souvent d’excellente qualité, s’en tiennent pour la plupart au « b-a ba » de l’écriture, stade qu’ont franchi la plupart des allophones que nous recevons. Aussi, l’idéal est de travailler à partir des connaissances des élèves et de construire, pour chaque groupe, une grammaire « sur mesure ».
Ces manuels et cahiers proposent de plus une logique à suivre qui n’est pas toujours souhaitable. On ne peut pas tout faire apprendre, l’essentiel comme le secondaire : il faut faire des choix. Les confusions homophoniques et les erreurs d’orthographe, par exemple, nuisent moins à la compréhension du texte d’un élève allophone que les défauts de cohérence textuelle, les maladresses syntaxiques et les imprécisions ou erreurs d’ordre lexical. Il s’agit non pas de gommer la question orthographique, évidemment, mais plutôt de ne pas la prioriser, de façon à adapter l’enseignement aux besoins de communication des élèves allophones.
Enfin, lorsqu’on enseigne aux allophones, c’est aussi la grammaire du sens et de l’expression qu’il faut aborder : Comment dire les êtres, les idées, les choses et le monde ? Avec quels mots ? quelles nuances ? quelles structures ? En fonction de quels contextes ? Plus l’élève s’expose au français oral et écrit, plus il est à même de développer sa compétence langagière. Il est donc souhaitable de prévoir, dans l’organisation d’un cours de mise à niveau, des moments où il lit, écoute et pratique le français, notamment hors de la classe. Il faut également le faire écrire souvent, puis corriger et expliquer les erreurs.
Les compétences des élèves
Les apprenants allophones ne partent pas de zéro. Ils possèdent déjà plusieurs compétences, comme la capacité à lire, à déduire, à classer, à analyser, à mémoriser. Ils parlent aussi au moins une autre langue. On peut mobiliser ces compétences dans l’enseignement, entre autres en les sensibilisant au fonctionnement de leur langue d’origine. À titre d’exemple, on peut leur demander de rédiger un texte en français, puis (après révision et correction) de le traduire dans leur langue maternelle. La comparaison de la version non corrigée en français à celle écrite dans leur langue leur fera prendre conscience que certaines constructions incorrectes sont le fruit d’interférences linguistiques.
La « tache aveugle » de l’enseignant
Enseigner sa langue maternelle à des allophones, c’est jouer avec une zone d’ombre, une « tache aveugle » constamment susceptible de nuire à la tâche. L’enseignante ou l’enseignant tiennent parfois pour acquises des connaissances ou des intuitions que les élèves ne possèdent pas, d’où l’importance de se distancier de sa langue pour l’analyser avec un regard « étranger » – ce qui est très difficile, voire impossible. Dans cette optique, les maladresses commises par les allophones sont parfois moins des erreurs que des mises en évidence des singularités du français dont il faut tenir compte dans l’enseignement. Un exemple à ce propos : on connaît la propension de certains élèves arabophones à construire des phrases graphiques formées de nombreuses phrases syntaxiques qui se succèdent sans ponctuation ni marqueur. Ainsi en va-t-il de cette élève algérienne étonnée qu’on lui demande de numéroter chacune des phrases syntaxiques de sa rédaction et qui dit : « Si toutes les phrases sont numérotées et donc coupées, comment vais-je faire des liens entre chacune d’elles ? » La question de l’élève est providentielle, car elle met en lumière la façon d’exprimer des idées dans sa langue maternelle (par l’enfilage de phrases) qu’elle transpose en français. Cette situation indique clairement la nécessité de voir ou de revoir avec l’élève des notions de base relatives à la phrase (phrase syntaxique, phrase graphique, subordination, coordination, etc.).
Il n’y a pas de recette miracle pour enseigner le français aux allophones. Chaque classe nous invite à réfléchir sur nos connaissances et nos méthodes. Il n’y a pas UNE façon de faire ni UNE leçon modèle. Au contraire, il faut constamment adapter théorie, exercices et pédagogie en fonction des besoins. Et faire preuve d’imagination. L’apprentissage d’une langue seconde requiert du temps. C’est se leurrer de croire que la plupart des cégépiens allophones performeront sur le plan linguistique de la même manière que les francophones d’origine. Aussi est-il souhaitable que les enseignants ajustent leurs exigences langagières à l’endroit de ces élèves.
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