" />
2024 © Centre collégial de développement de matériel didactique
Pour transmettre de réels commentaires aux élèves: la correction sur cassette

Pour transmettre de réels commentaires aux élèves: la correction sur cassette

C

orriger des rédactions. Juste d’y songer, il vient parfois aux enseignants de français une sorte de nausée en pensant à l’ampleur de la tâche et à ses importantes répercussions sur l’apprentissage des élèves, tant dans les cours de la formation générale que dans les autres disciplines. Comment rendre ce travail, fort exigeant pour l’enseignant, profitable pour les élèves ? Depuis plusieurs années, j’utilise avec un bonheur certain la correction enregistrée sur cassette audio. Je vous explique ici le déroulement de ce type de correction, lequel facilite grandement le contact entre l’enseignant et ses élèves et, du coup, favorise l’appropriation des commentaires par ces derniers.

L’arrivée de la correction sur cassette dans mon histoire professionnelle…

Dès mes premières années d’enseignement, j’ai vécu une certaine forme de frustration au moment de la correction des productions écrites de mes élèves. D’une rédaction à une autre, j’avais l’impression qu’ils commettaient les mêmes erreurs, que ce soit pour le contenu du texte, la structure ou la langue. C’est alors que je me suis questionnée sur mes pratiques de correction : si les élèves n’étaient pas capables de changer leurs façons de faire, c’était peut-être moi qui devais changer mes habitudes de travail. Il est vrai qu’apprendre à corriger des rédactions n’avait jamais fait partie de ma formation universitaire et que, comme mes collègues, j’avais appris « sur le tas », en reproduisant ce que j’avais vécu, en tant qu’élève.

À force de m’observer, je me suis rendu compte que je parlais constamment en corrigeant. C’est là que j’ai pensé à enregistrer mes commentaires sur bande audio plutôt que de les écrire sur les copies. J’ai proposé à mes élèves d’alors d’être des cobayes afin de trouver une façon efficace de fonctionner.

Le déroulement d’une correction sur cassette[1]

Dès les premiers essais, j’ai établi une procédure qui permet à l’élève de suivre aisément le déroulement de la correction : je lis le texte à voix haute et je le commente au fur et à mesure. L’élève sait donc où je suis rendue dans la lecture de son texte et mes remarques portent sur tout ce que j’ai envie de commenter. Les seules traces qui paraissent sur le texte de l’élève sont les codes liés à la qualité de la langue.

J’ai fait le pari de ne pas lire le texte de l’élève avant de commencer la correction et de ne pas arrêter l’enregistrement afin de garder la spontanéité nécessaire à l’exercice : les bonnes réalisations et les erreurs sont ainsi soulignées avec la spontanéité de la première lecture. Évidemment, il s’agit là d’une arme à double tranchant : il est possible que je m’emporte pour une erreur que je revois trop souvent ou que je m’emballe pour un bon coup particulièrement réussi. J’ai contré cette situation en opérant tout de même une certaine forme de censure dans ma tête avant de formuler oralement un commentaire : est-ce que ce que je m’apprête à dire vaut la peine d’être dit ? Comment ce commentaire sera-t-il reçu par cet élève ? Puisqu’on finit par connaître assez bien ses élèves, leurs forces comme leurs faiblesses – parce qu’on établit, dans la mesure du possible, une relation signifiante avec eux –, il devient plus facile d’exercer silencieusement cette censure afin de leur transmettre des commentaires efficaces. Il s’agit là de mes choix pédagogiques ; un enseignant qui souhaiterait lire le texte de l’élève avant de le corriger sur cassette est tout à fait libre de le faire. L’important, c’est qu’il trouve son propre style.

Les types de commentaires

Généralement, le début de l’enregistrement varie peu : il s’agit d’indiquer à l’élève la façon de procéder[2] :

Bonjour Philippe,

Correction de ton commentaire composé sur Dom Juan. Façon de procéder : je lis ton texte à voix haute et je fais des commentaires au fur et à mesure de ma lecture. Alors, ce que je te suggère de faire, c’est de prendre ton texte et de suivre avec moi ; comme ça, tu vas savoir où je suis rendue dans ma lecture et pourquoi je te fais les commentaires que je te ferai éventuellement. Ce que je te suggère aussi, c’est d’écrire sur ton texte des notes à partir des commentaires qui te paraissent les plus pertinents ; comme ça, si c’est toi qui les prends en notes, tu t’en rappelleras peut-être plus que si c’est moi qui les écrivais sur ton texte. Alors, ça te va ? Tu es prêt ? On y va !

Ainsi averti dès le début, l’élève sait qu’il peut arrêter d’écouter la cassette quand bon lui semble pour prendre des notes. De plus, seul l’élève sait comment s’est déroulée sa production écrite et les efforts réels qu’il a mis pour la réaliser. Si l’enseignant commente un élément précis dans le texte de l’élève et que ce dernier sait qu’il a un peu négligé cet élément, peut-être choisira-t-il de ne rien écrire sur sa propre copie, même si son enseignant a commenté, parce qu’il savait à l’avance qu’il méritait ce commentaire… L’élève établit ainsi lui-même le degré de pertinence des commentaires formulés par son enseignant, ce qui l’oblige à participer activement à la réception de sa copie corrigée.

Les commentaires oraux sont particulièrement utiles pour témoigner de la structure du texte de l’élève, un aspect qu’on commente plus rarement par écrit :

Je vais commencer par regarder ton texte à vol d’oiseau, juste pour voir si je comprends visuellement la structure de ton texte. Ce que je vois, en tournant la page de présentation, c’est l’introduction, la phrase de présentation de ton premier aspect, le sous-aspect 1, le sous-aspect 2 et la mini-conclusion. C’est bon. Je vois la même chose pour ton deuxième aspect et la conclusion. Donc, pour l’instant, du moins visuellement, ton commentaire composé est clairement présenté. Donc, déjà dans le critère D… bon, évidemment, toi, tu vois tout de suite tes notes alors que moi, je ne suis même pas en train de les réfléchir, mais dans le critère D, qui est le critère de présentation, physiquement, on voit bien que ton commentaire est structuré.

L’élève assiste ainsi « en direct » à la « reconstruction » de son texte par son enseignant, parce qu’il est témoin de ses questionnements, de ses arrêts, de ses retours dans la lecture du texte, de ses mises au point ou de ses précisions sur des commentaires déjà formulés.

Voici quelques exemples tirés de la correction sur CD de Philippe, qui illustrent les différents types de commentaires qu’on peut donner à un élève.

« Jean-Baptiste Poquelin », oublie ça. C’est « Molière » qu’il faut écrire. Il n’y a personne qui connaît Molière sous son vrai nom.

Dans une correction plus traditionnelle sur papier, l’enseignant pourrait avoir choisi de ne pas commenter cette erreur, parce qu’il s’agit d’un détail de présentation. Ou alors, il aurait choisi de raturer « Jean-Baptiste Poquelin » parce que l’information est inutile. Cependant, l’erreur n’aurait pas été commentée et l’élève n’aurait pas su que « Molière » est l’usage ou la norme.

Tous les titres, Dom Juan comme tous les autres, doivent être écrits en italiques.

Il s’agit ici d’un commentaire sur la langue qu’un enseignant peut indiquer, par écrit, grâce à un code. Mais de le rappeler oralement à l’élève peut l’amener à considérer tous les autres titres de son texte ou de sa bibliographie, ce qu’il ne ferait pas nécessairement si seul un code paraissait au-dessus du mot.

À la fin du travail, tu as placé ton plan, c’est bien. Pour l’instant, je ne le commente pas, mais j’irai le voir si je sens qu’à ma lecture de ton commentaire, il y a des choses qui accrochent. C’est dans ce temps-là que je vais voir le plan.

Il est impossible de donner par écrit cette information à l’élève, cela prendrait beaucoup trop d’espace et de temps. Oralement, on peut lui dire que son plan sera éventuellement lu, ce qui témoigne de l’importance de cette partie du travail. Un élève pourrait avoir fait un très bon plan, mais un mauvais texte : l’aide de l’enseignant, à ce moment, devrait se concentrer sur le « transfert » entre le plan et le texte. Si, au contraire, le plan n’est pas bien réussi, l’aide de l’enseignant se portera alors sur la réussite du plan, avant celle du texte. Par écrit, il est impossible de tout expliquer cela à un élève alors qu’oralement, c’est beaucoup moins long.

Au XVIIe siècle, un des grands écrivains, Molière, écrivit une pièce intitulée Dom Juan Alors, écris plutôt au présent. Ça serait quoi, « écrire » au présent ?

L’enseignant peut poser des questions à l’élève et attendre une réponse… que ce soit pour une erreur de langue, comme c’est le cas ici, ou encore, pour une erreur de structure textuelle ou de contenu. L’avantage de la correction orale (qu’elle soit sur cassette ou sur CD), c’est qu’elle permet de tout commenter en prenant le même temps : ce n’est pas nécessairement plus long de commenter une erreur de contenu qu’une erreur de langue, l’enseignant étant tellement habitué à parler ! Dans cet exemple, l’enseignante a « attendu » la réponse de Philippe avant de poursuivre sa lecture.

Cette comédie classique fut populaire si bien qu’aujourd’hui, nous utilisons le terme Dom Juan dans un sens qui lui est très propre. Ici, il faudrait que tu nous le dises, ce sens-là, sinon on se demande pourquoi tu nous parles de ça. Allons-y pour le premier aspect. Tu as annoncé le langage de Dom Juan, voyons ce que tu en dis. Tout au long de l’extrait, nous pouvons remarquer… c’est la même chose, pas de « nous ». Il va falloir que tu reformules ça de façon à enlever les « nous »… Alors… Tout au long de l’extrait… euh… ça pourrait être… les propos de Dom Juan ont pour but de modifier l’opinion de Charlotte et Mathurine… sur quel sujet ? Il faudrait que tu le dises.

Les deux exemples présentent chacun un commentaire de la part de l’enseignant ; le premier signale qu’il manque une information de contenu et le second, qu’il faudrait réécrire un segment de la phrase. Dans les deux cas, il s’agit de commentaires brefs, mais que l’élève peut très bien prendre en note pour se rappeler qu’il doit toujours s’assurer que son lecteur sera capable de suivre son raisonnement. Dans ces exemples, l’enseignante n’a pas reformulé le texte de Philippe, mais elle lui a indiqué des pistes pour y arriver ; cette façon de faire est plus aisée à l’oral qu’à l’écrit, il faut moins de temps pour expliquer que pour rédiger.

Aussi, puisque Dom Juan dit des méchancetés à chaque fille concernant son amie, Charlotte et Mathurine développent une mauvaise opinion l’une par rapport à l’autre. Les expressions « elle est jalouse » (ligne 9), « c’est une folle » (ligne 26) et « c’est une extravagante » (ligne 29) montrent clairement que Dom Juan a comme but de dénigrer chacune des femmes face à l’autre. De plus, la comparaison « elle est obstinée comme tous les diables » (lignes 22-23) vient s’ajouter aux arguments qu’utilise Dom Juan pour créer une mauvaise idée de Charlotte envers Mathurine, et vice versa. Qu’est-ce que ça prouve, tout ça, Philippe ? Pousse plus loin cette explication-là. Tout ça, c’est vrai. Les expressions « elle est jalouse, c’est une folle, c’est une extravagante », ça serait quelle figure de style ? Trouve d’abord la figure de style, mets-la dans ta phrase quelque part. Même chose : tu as dit « la comparaison »… C’est vrai, tu dis que ça s’ajoute aux arguments, mais qu’est-ce que ça vient montrer ? Qu’il manie les belles paroles ? Qu’il se sert d’une forme d’autorité pour les berner ? Il faut que tu nous dises en quoi ça, ça montre qu’il est en train de les avoir. Donc, pousse plus loin ton explication en n’oubliant pas de parler des effets des figures de style. Pourquoi y a-t-il cette énumération-là ? Qu’est-ce qu’elle vient apporter dans le texte ?

Ce dernier exemple est une transcription typique d’une correction sur cassette. La longue explication indique à Philippe qu’il manque des informations importantes dans son développement. Pour préciser tout cela, il n’a fallu que quelques secondes (moins d’une minute) à l’enseignante alors que l’écriture d’un paragraphe de commentaire aurait pris plusieurs minutes. Et encore…

Le ton ou le débit utilisés par l’enseignant peuvent faire en sorte que le commentaire oral soit beaucoup plus facilement compris par les élèves, habitués qu’ils sont à écouter la personne qui leur parle devant la classe. L’intonation au moment de la correction peut permettre à l’enseignant d’insister sur un tic d’écriture, par exemple, ou de mettre en valeur une belle réussite. Ces exemples de commentaires oraux tirés d’une correction d’un commentaire composé sur CD montrent qu’il est possible de commenter beaucoup d’éléments différents dans un texte.

Et le temps dans tout ça ?

Ce n’est pas plus long de corriger sur cassette qu’en utilisant le bon vieux crayon rouge (qu’il faut changer pour le vert, cette couleur étant beaucoup moins violente !). Par contre, en une vingtaine de minutes, on peut dire beaucoup plus d’informations oralement qu’on arrive à en rédiger. C’est normal : on parle plus vite qu’on écrit. Et, en plus, l’enseignant est habitué de parler… Corriger sur cassette, c’est presque comme enseigner. Sauf qu’on est seul dans son bureau au lieu d’être devant une classe. Et qu’on s’adresse à un seul élève à la fois. Cette méthode rend le contact entre l’enseignant et l’élève très significatif et amplifie la qualité des apprentissages parce que l’élève sent que l’enseignant le voit comme unique et qu’il a à cœur sa réussite. Cette attitude n’est évidemment pas exclusive à ceux et celles qui utilisent la correction sur cassette ou sur CD, mais elle se vit avec peut-être un peu plus d’acuité à travers cette méthode de correction.

Avec le temps, j’ai compris que la façon dont on corrigeait les copies – et le temps qu’on prenait à les remettre aux élèves – changeait beaucoup la perception qu’ont les élèves de leurs textes. Si l’enseignant a pris 25 minutes pour corriger le texte de l’élève, ce dernier prendra aussi 25 minutes pour écouter sa cassette, alors que dans une correction traditionnelle sur papier, quelques instants suffisent pour regarder la note.

Les résultats ? Une étude faite en 1993 (Roberge, 1993) montre que des élèves de 5e secondaire ont amélioré de façon plus significative leur note entre la version 1 et la version 2 de leur texte argumentatif quand la correction de la version 1 avait été faite sur cassette[3]. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cette situation : si l’abondance des commentaires explicatifs parait la raison la plus évidente, le contact humain, par l’intermédiaire de la voix de l’enseignant, reste une avenue à explorer étant donné que la correction sur cassette représente un contact intime entre l’enseignant et chacun de ses élèves.

Quelques considérations pratiques

Les cassettes et les CD utilisés sont fournis par les élèves, étant donné qu’ils gardent ce matériel une fois la correction complétée et la copie remise. Évidemment, la correction audio doit se faire dans un environnement calme. Mais la vie étant ce qu’elle est, il est tout à fait possible que la sonnerie du téléphone retentisse au beau milieu d’une activité de correction ! Cela montre aussi aux élèves que l’enseignante est une personne humaine…

Pour réserver une certaine solennité à la correction audio, je corrige sur cassette une seule fois par session, généralement au moment de la première rédaction complète. Pour certains élèves, il arrive que la durée de la correction dépasse les 30 minutes, ce qui serait de toute façon le cas dans le cadre d’une correction traditionnelle sur papier : la copie d’un élève faible demande généralement plus d’attention que celle d’un élève fort. Dans l’ensemble, je prends une vingtaine de minutes pour corriger un commentaire composé ou une dissertation. L’intérêt, dans cette façon de transmettre des informations aux élèves, c’est que leur dernier écrit de la session sera meilleur parce qu’ils auront réussi à réinvestir mes commentaires. Et c’est à ce moment qu’on pourra peut-être gagner du temps !

En guise de conclusion

Sans aucun doute, la correction sur cassette est un joli bonheur dans ma vie d’enseignante parce qu’elle me permet de transmettre des informations importantes aux élèves dans leur cheminement vers leur réussite, mais aussi – et surtout ? – parce qu’elle me permet d’avoir une relation privilégiée avec eux. Et pour moi, l’enseignement – et la correction –, c’est avant tout pour les élèves que ça se vit.

* * *

  1. J’utilise la correction sur cassette depuis près de 15 ans. Avec les années, technologie oblige, je suis aussi passée à la correction sur CD, en utilisant un logiciel de traitement de la musique. Loin de moi l’idée de faire la promotion d’un logiciel, mais j’utilise Easy CD Creator. Le déroulement de la correction demeure le même ; seul le support change. Retour
  2. La transcription de la correction sur CD présentée ici en extraits a été réalisée à l’automne 2004, pour la correction d’un commentaire composé sur un extrait de Dom Juan, de Molière, extrait où Dom Juan séduit en même temps les deux paysannes, Charlotte et Mathurine. Philippe était un étudiant de première session inscrit dans le programme du baccalauréat international au cégep André-Laurendeau ; son texte est en italique. La transcription est fidèle au discours oral. Retour
  3. Cinquante-huit élèves avaient été répartis en deux groupes : l’un a vu sa copie corrigée sur cassette et l’autre, sur papier. Les élèves dont les copies avaient été corrigées sur cassette ont augmenté leur résultat de 3,7 % par rapport au groupe dont les copies avaient été corrigées sur papier. Retour

Bibliographie

Roberge, Julie, Corriger les textes de vos élèves. Précisions et stratégies, Montréal, Chenelière Éducation, 2006.

Roberge, Julie, Une modalité d’évaluation formative dans un processus d’écriture/réécriture du texte argumentatif chez les adolescents de 16 et 17 ans, Université Charles-de-Gaulle Lille III (mémoire de DEA), 1993.

Télécharger l'article au format PDF

UN TEXTE DE