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Modalités de correction et d’évaluation de la langue: réflexion du Réseau Repfran

À l’invitation du Carrefour de la réussite, 49 membres du Réseau Repfran participaient le 27 mars 2015, à Montréal, à une journée d’étude intitulée L’harmonisation des modalités d’évaluation pour plus d’équité. Colette Ruest dresse ici un compte-rendu de la rencontre.


En dépit des généreuses intentions ministérielles, les politiques institutionnelles de valorisation de la langue française risquent de rester un vœu pieux, un texte administratif de bonne conscience. Pour que les mesures prescrites soient véritablement appliquées par l’ensemble des intervenants et intervenantes d’un collège, elles doivent s’inscrire dans leurs habitudes de travail, dans les valeurs reconnues par la communauté; ce qui ne signifie pas pour autant qu’on doive renoncer à les orienter dans ce qui nous semble la meilleure direction. Accepter et intégrer des changements demande du temps. La mission confiée aux repfrans[1] est ambitieuse et délicate, particulièrement au chapitre de la correction et de l’évaluation du français au collégial.

Comment faire en sorte que les enseignants et enseignantes de toutes les disciplines véhiculent un message commun : « La qualité de la langue est requise par tous en tout temps »? D’emblée, on peut répondre qu’il suffit de faire écrire les élèves et de corriger leurs textes. Or, en regardant de plus près les pratiques quotidiennes, on constate que les termes correction et évaluation recouvrent des conceptions et des façons de faire différentes. Que penser de cette diversité? Jusqu’où est-elle souhaitable? Quelles modalités proposer pour recueillir une adhésion solide et produire des résultats positifs chez les cégépiens et cégépiennes? Que faire lorsque l’inertie ou l’obstruction empêchent le mouvement collectif? Telles sont les questions auxquelles la rencontre tentait d’apporter des éléments de réponse.

Question de vocabulaire

La journée a commencé sur une note légère par un jeu d’appariement[2]. En s’amusant à associer une définition aux différents termes utilisés dans la description des modalités de correction et d’évaluation, les repfrans ont pu, par exemple, dissiper la confusion entre grille et code de correction, mieux connaitre le concept d‘indice d’erreurs et bien distinguer barème et pondération. L’activité leur a fait voir l’importance d’harmoniser leur vocabulaire afin de faciliter les communications entre eux et dans leur milieu. Quelques-uns des termes en question sont définis dans le tableau 1.

Tableau 1
Quelques termes utilisés dans la description des modalités de correction et d’évaluation

Correction et évaluation du français dans les cégeps : état des lieux

Les échanges de la journée avaient pour base une enquête menée dans les cégeps par Jean-Sébastien Ménard, du cégep Édouard-Montpetit. À partir de données collectées au cours de l’hiver 2014[3], il a produit pour les repfrans un état des lieux[4] sur différents aspects de la correction et de l’évaluation de la langue dans les cégeps. A ainsi été relevée, dans les politiques institutionnelles d’évaluation des apprentissages (PIEA), les politiques de valorisation de la langue française (PVLF) propres à chaque établissement, ou encore, les règles départementales d’évaluation des apprentissages (RDEA) des 56 établissements consultés, la présence des modalités suivantes : pondération, mode d’attribution, récupération de points, barème, compte des erreurs, utilisation d’un code, évaluation partielle, énoncé de politique et jugement de la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (CEEC).

L’objectif n’étant pas de juger les différentes politiques mais de tracer le portrait du réseau, la description des résultats a pris la forme d’une suite de tableaux chiffrés. Cette façon d’exposer les données recueillies, bien qu’un peu lourde, avait le mérite de faire ressortir la caractéristique dominante de ce dossier, soit la grande disparité des pratiques. La conclusion émergeait d’elle-même : une telle divergence dans les modalités d’évaluation de la langue, amplifiée par l’imprécision ou l’absence de règles d’application communes à un groupe, porte surement atteinte à l’équité de l’évaluation. De ce constat résulte la nécessité de réfléchir à l’harmonisation des modalités d’évaluation de la langue.

Activité de correction et d’évaluation d’une copie d’élève

Travailler à l’harmonisation des pratiques d’évaluation n’est pensable que si les repfrans connaissent très bien eux-mêmes et elles-mêmes les modalités qu’ils proposent ou qui sont prescrites à leur communauté. Afin de s’en assurer, quoi de mieux que d’effectuer un exercice pour comprendre de l’intérieur les pratiques d’évaluation? S’approprier les particularités de la tâche de correction et d’évaluation du français, en saisir la complexité et les difficultés d’application, développer un discours empathique envers les professeurs pour les soutenir, adopter une distance critique entre l’évaluation idéale et une demande réaliste : voilà les objectifs que nous poursuivions.

L’activité s’est déroulée en trois étapes : d’abord, la correction d’une copie d’élève[5] en une seule lecture; ensuite, l’évaluation du texte à partir du nombre d’erreurs et du barème en vigueur dans le collège de chaque repfran; finalement, une seconde lecture avec codification des erreurs. Chaque étape était suivie de discussions en sous-groupes, puis avec tout le groupe.

Cette activité a donné lieu à des échanges de vue passionnants autour des questions suivantes :

1. Notion d’erreur

  • Qu’est-ce qu’une erreur?
  • Quelle est la différence entre erreur de syntaxe et maladresse stylistique?
  • Les enseignants doivent-ils relever toutes les erreurs comme le feraient des réviseurs?
  • Peut-on cibler certaines erreurs?
  • Comment se calcule l’indice d’erreurs? À quoi sert-il?

2. Modalités d’évaluation (de notation)

  • Les règles pour compter le nombre d’erreurs dans une copie sont-elles claires? Sont-elles connues? Compliquent-elles indument la tâche? (Par exemple, la même erreur d’orthographe est-elle comptée à chaque occurrence, ou par page, ou par texte? Une erreur d’accord est-elle pénalisée à chaque mot fautif dans un groupe ou par groupe de mots?)
  • Ces règles seraient-elles en partie responsables des écarts constatés entre les résultats des correcteurs d’un même département? La façon de calculer la note est-elle clairement expliquée? Est-elle facile à appliquer ou oblige-t-elle à recourir à une formule mathématique complexe[6]?
  • Fait-on bien la différence entre barème et pondération? (Par exemple, 10 % de quoi : du semestre ou du travail sur 30 points?)
  • Le nombre de fautes ou l’indice d’erreurs donnent-ils une note représentative de la qualité du français de l’élève?
  • Le barème appliqué transmet-il un message clair à l’élève?

3. Temps requis

  • Combien de temps exige la correction linguistique d’une copie d’élève?
  • Est-il possible d’évaluer la langue et le contenu en une seule lecture?
  • Combien de temps peut-on raisonnablement demander pour chaque correction aux enseignants et enseignantes des autres disciplines, qui ont 60, 100, 120, 150, voire 200 élèves par semestre?
  • Est-il réaliste de penser que les professeurs de tous les départements corrigeront et évalueront la qualité de la langue sur la copie entière de l’élève, et ce, dans toutes les activités sommatives?

4. Utilisation d’un code de correction

  • À quoi sert la codification des erreurs?
  • Suffit-il de définir les cinq ou six symboles d’un code pour qu’il soit correctement utilisé?
  • Comment réagissent à cette demande les professeurs d’autres disciplines que le français?
  • Y a-t-il une seule codification correcte pour une erreur donnée? Les différences de codification sont-elles graves?

Pendant l’activité et les échanges, les participants et participantes ont également pu effectuer quelques constatations et parfois des découvertes. Même si la majorité des repfrans font partie des experts de la langue normée, ils et elles ont observé entre eux des différences dans la codification, le compte des erreurs, le barème, et donc dans les résultats, mais aussi dans leurs attitudes face à l’erreur, aux différentes modalités ainsi qu’au rôle de l’évaluation dans l’apprentissage et dans une politique institutionnelle touchant toutes les disciplines. Ce constat amène inévitablement à se positionner plus clairement, à relativiser les attentes et à dédramatiser la situation. Une distance critique rend conscient des effets pervers de certaines modalités, y compris de celles préconisées dans son propre collège. Par exemple, un barème peu sévère, établi ainsi pour ne pas nuire aux élèves, contredit le discours visant l’objectif de l’amélioration de la qualité; à l’opposé, s’il est trop sévère, il renforce chez les élèves l’idée d’un objectif inatteignable et incite certains enseignants ou enseignantes à aménager leur propre barème. Un barème qui ne tient compte que du nombre d’erreurs peut créer une iniquité entre texte long et texte court, ou encore, conduire à cesser de corriger dès le nombre maximal d’erreurs atteint, à fermer volontairement les yeux sur certaines erreurs ou à augmenter la note du travail avant de soustraire les points pour le français. Le souci de rigueur peut ainsi se perdre dans la complexité de la tâche et nuire à la pertinence du geste, et son contraire peut également engendrer des écarts injustes.

L’activité a dégagé une perspective nouvelle quant à deux objections souvent soulevées, à savoir le manque de temps et l’insuffisance de compétences pour procéder à la correction. Si l’on ne peut nier les inégalités des compétences linguistiques du personnel enseignant, on s’aperçoit que certains écarts dépendent aussi des modalités retenues, de la compréhension des consignes et du sens donné à l’acte d’évaluer. Pour soutenir ces personnes dans la correction et l’évaluation, il faut bien reconnaitre l’exigence de la tâche qui leur est demandée.

En ne rejetant pas d’entrée de jeu les réticences des professeurs, exprimées ou non, les repfrans se donnent la possibilité d’accompagner ces derniers adéquatement dans le choix de modalités rigoureuses, mais raisonnables, et de leur offrir des outils conviviaux pour noter et annoter les travaux de leurs élèves : outils de calcul en ligne, grilles d’évaluation, tables de notation, code de correction, etc. En abordant les collègues de manière empathique, on a plus de chances d’établir une relation de confiance et un dialogue pédagogique ouvert.

Les résultats obtenus avec les logiciels Word et Antidote ont fourni à certains repfrans un argument pour rassurer les personnes trop inquiètes : la plupart des enseignants et enseignantes repèrent autant, sinon plus d’erreurs que les correcteurs informatiques. Omettre de souligner quelques erreurs ne s’avère pas catastrophique, l’essentiel étant de transmettre aux élèves le message de l’importance accordée à la qualité de la langue dans toutes les disciplines.

Sans fournir de recette infaillible, l’activité de correction et d’évaluation proposée aux repfrans a déclenché une réflexion sur le choix des modalités et leurs répercussions tant sur le personnel enseignant que sur les élèves, parce que toute action livre un message.

Les discussions ont par ailleurs permis de réagir à la remarque suivante de la CEEC formulée dans ses rapports aux cégeps : Application variable et risque d’iniquité. Sans nier cette évidence, que notre regard sur les pratiques a confirmée, les repfrans se sont demandé quelle attente nourrissait la Commission à travers ce jugement. Sans présumer du fondement de son avis, nous l’avons interprété dans son contexte comme un appel à l’uniformisation institutionnelle de la politique du français. Or, il semble que généralement, dans le réseau collégial, les décisions relatives à l’évaluation de la langue soient prises au sein des départements. Ce choix n’est pas apparu comme une faiblesse, mais plutôt comme un levier : quand un groupe détermine lui-même les modalités de correction et d’évaluation, il est plus enclin à les respecter. La communauté des repfrans soutient le principe que la meilleure PVLF n’est pas celle qui standardise, mais celle qui mobilise. Évidemment, cette démarche suppose un cadre de référence et l’accompagnement nécessaire pour une mise en œuvre durable.

Correction partielle

Utilisée avec succès au cégep de Trois-Rivières depuis presque deux décennies, la formule de la correction partielle a été soumise à l’examen des repfrans comme piste de solution pour alléger la tâche de correction et d’évaluation. La répondante de Trois-Rivières, Maryse Saint-Pierre, a accepté de répondre à nos questions et à celles de la salle (voir ci-dessous La pratique de la correction partielle au cégep de Trois-Rivières).

La pratique de la correction partielle au cégep de Trois-Rivières

Pourquoi corriger seulement une partie du texte?

Maryse Saint-Pierre — Les responsables du centre d’apprentissage et de ressources linguistiques de notre cégep, le CARL, ont constaté au début des années 1990 que les enseignantes et enseignants de français, pourtant des correcteurs expérimentés, ne pouvaient relever en une seule lecture toutes les erreurs de code linguistique, de structure et de contenu dans les copies de leurs élèves. Régulièrement, on observait des oublis aussi évidents que des fautes d’homophones, d’accords simples ou d’orthographe lexicale. S’il en était ainsi pour les collègues de littérature, on pouvait imaginer que la situation risquait d’être pire dans le cas de ceux et celles pour qui la grammaire ne représentait pas une préoccupation majeure. En cherchant un moyen de donner un message clair aux élèves avant la fin du semestre, pour qu’ils puissent demander de l’aide au CARL, les responsables ont misé sur une approche pragmatique : corriger une portion seulement, mais plus attentivement. Après consultation, expérimentation, visite des départements et des comités de programmes, le collège a fait adopter la correction partielle comme modalité d’évaluation dans tous les départements. Cette mesure a favorisé la contribution des professeurs d’autres disciplines que le français à l’amélioration de la qualité de la langue des élèves. Devant le caractère raisonnable de la demande, ils devenaient plus enclins à épauler leurs collègues de littérature en corrigeant la langue et en augmentant l’efficacité de leur correction.

Comment procédez-vous?

M. St-P. — Pour résumer de façon concrète, voici comment je procède.

  • Mes élèves sont chargés de compter les mots et d’indiquer les tranches de 50 mots (ou 150 mots) avant de remettre leur copie.
  • Avant même de commencer la lecture des textes, je décide quelle portion de 150 mots sera évaluée pour l’activité. Au fil du semestre, je change la portion : par exemple, la première fois, de 300 à 450; la deuxième, de 600 à 750; la troisième de 200 à 350…
  • Je commence toujours par corriger le français écrit avant de corriger les autres aspects du texte. Cela m’offre la possibilité de lire une seconde fois la portion évaluée pour la langue.
  • Pour une évaluation donnée, je corrige la même portion pour tous les élèves et je mets en évidence cette partie en la plaçant entre crochets.
  • Pour bien distinguer les marques de correction linguistique, j’utilise un stylo de couleur différente.
  • Je code les erreurs pour en identifier le type, mais seulement dans la partie évaluée. Si j’observe des récurrences d’erreurs dans le reste du texte, je le signale dans un commentaire.
  • J’indique le nombre d’erreurs dans la portion corrigée et j’applique le barème à partir de la table de notation.

Que faites-vous si la copie ne compte pas 150 mots?

M. St-P. — Cette situation arrive effectivement dans les tests de lecture et dans certains cours de mathématiques, de dessin technique ou dans des examens. Dans ce cas, les professeurs corrigent tous les mots dans les tableaux, les légendes, les plans, les cartouches, les résultats, etc. Le barème est alors ajusté en conséquence. Nous cherchons à adapter la mesure de manière qu’il y ait le moins d’exemptions possible. C’est là une autre manière d’inviter les enseignants et enseignantes à faire écrire les élèves. En fait, seuls les cours de langue moderne, d’instruments et quelques autres ont obtenu une exemption de la direction des études.

Comment s’applique le barème?

M. St-P. — Chaque département détermine son barème, qui est conçu à partir de l’objectif terminal de 1 erreur aux 30 mots. Nous avons proposé aux départements trois échelles avec des seuils différents : 7 fautes en 150 mots (= 1/21 mots); 6 fautes en 150 mots (= 1/25 mots); 5 fautes en 150 mots (= 1/30 mots). Certains départements ont adopté une seule échelle pour tous les cours; d’autres, des grilles progressives d’un semestre à l’autre ou d’une année à l’autre ou encore dans le même semestre. Ces échelles sont présentées dans l’annexe du document Corriger une portion de texte[7].

L’utilisation des échelles et des tables de notation est particulièrement appréciée pour deux raisons : elles facilitent le travail, vu qu’il n’y a pas de calcul à effectuer, et elles simplifient le message – le seuil de passage à l’épreuve uniforme de français (EUF) correspond à 5 erreurs dans une portion de 150 mots.

Est-ce efficace?

M. St-P. — Aucune forme d’évaluation n’est parfaite. Pour s’améliorer, l’élève doit écrire, se faire corriger et apprendre à réviser ses textes. La correction d’une portion de texte, c’est un peu comme l’échantillonnage dans un test de qualité ou dans un sondage. Nous n’avons mené aucune étude sur l’efficacité de la correction partielle, mais y en a-t-il sur la correction complète de toutes les évaluations?

Comme cette façon de procéder donne un signal clair aux élèves – une portion contenant plus de 5 erreurs équivaut à un échec à l’EUF – et plait aux professeurs de toutes les disciplines (elle n’a pas été remise en question depuis son implantation), nous restons convaincus de sa pertinence.

Après tout, l’important n’est-il pas que l’ensemble du personnel enseignant corrige? Si un élève reçoit le même message de la part de plusieurs professeurs, il a plus de chances de prendre conscience de ses difficultés et de se prendre en mains.

Est-ce équitable?

M. St-P. — Pour adopter un comportement le plus équitable possible, six principes guident la pratique de la correction partielle :

  1. La même portion d’une activité donnée par un enseignant ou une enseignante est corrigée pour tous ses élèves.
  2. La portion corrigée n’est pas divulguée avant
    la correction.
  3. On procède sans préavis; si l’évaluation n’est pas faite dans toutes les activités, on n’annonce pas dans laquelle on corrigera.
  4. Une évaluation formative devrait précéder
    la première évaluation sommative.
  5. On change de portion durant le semestre pour donner un portrait assez juste.
  6. Dans un même département, les professeurs s’entendent sur une pratique et un barème communs, et discutent des aménagements nécessaires pour certains cours.

Quelle est la réaction des enseignants?

M. St-P. — Au point de départ, la proposition a été reçue assez positivement parce qu’elle apparaissait comme une contribution raisonnable. La correction partielle est maintenant appréciée de l’ensemble des professeurs, certains ressentent même un soulagement en comparaison de la correction complète. Quelques-uns ne peuvent s’empêcher de souligner des erreurs dans tout le texte… Sans les décourager, nous leur rappelons de bien baliser la portion évaluée pour que les élèves voient la différence quand on se concentre sur la correction linguistique.

Au moment de la première implantation de cette pratique, l’animatrice linguistique a mené un exercice de correction collective dans tous les départements. Depuis, comme repfran, je poursuis l’accompagnement pour favoriser l’appropriation de la pratique et son utilisation adéquate.

Lors des mises à jour de la politique du français au collège en 2004 et 2009, nous avons pu constater que la correction partielle du français écrit faisait partie des habitudes de travail. Elle n’a pas été remise en question. Nous avons alors pu aller plus loin en travaillant à la précision et au resserrement des barèmes départementaux.

On peut résumer notre philosophie derrière la pratique de la correction partielle par le leitmotiv suivant : Corrigeons moins, mais mieux!

Grilles d’évaluation qualitative

Pour présenter sommairement l’évaluation qualitative, disons qu’elle se distingue de l’évaluation quantitative par le regard plus global qu’on porte sur la qualité de la langue d’un texte. Dans l’évaluation quantitative, on évalue le français écrit par le nombre d’écarts par rapport à la norme avec un seuil de passage défini par des experts. Ainsi, à l’EUF, il a été convenu que l’indice d’erreurs exigé était de 1 faute aux 30 mots.

L’évaluation qualitative ne constitue toutefois pas un exercice purement subjectif, puisqu’elle s’appuie sur une échelle d’appréciation plus ou moins détaillée. Les tenants de cette pratique font remarquer que le nombre d’erreurs ne traduit pas toujours adéquatement la valeur du français écrit dans une copie, alors que l’évaluation qualitative peut tenir compte de la gravité des écarts dans leur contexte. Souvent, cette façon d’évaluer est également appliquée aux autres critères, comme la clarté générale du propos, la structure du texte et le respect des normes de la communication disciplinaire. L’évaluation qualitative sous-tend une vision plus large de la maitrise de la langue, elle rejoint l’approche par les genres textuels propres aux disciplines.

Avant de distribuer des outils d’évaluation qualitative et de faire appel aux expé­riences et aux connaissances des participants et participantes pour amorcer la discussion sur cette pratique peu usitée dans le réseau, la communauté a examiné une grille proposée par le collège Marie-Victorin.

Les échanges ont amorcé la réflexion sur cette modalité, qui peut constituer une avenue différente à offrir aux professeurs. Comme elle suppose un changement marqué dans la vision-conception de l’évaluation et une rigoureuse préparation, entre autres des échelles descriptives, les repfrans devront y revenir. Bref, un dossier à suivre.

Harmoniser l’évaluation du français : périlleux, mais équitable et bénéfique

La rencontre printanière du Réseau Repfran s’est terminée avec la communication de Guillaume Lachapelle, professeur-chercheur au cégep de Sherbrooke et repfran avant l’heure[8]. Cet enseignant a relaté le processus d’élaboration du Guide des modalités d’évaluation du français écrit[9] dans son collège. Périlleux, équitable, bénéfique : les trois qualificatifs du titre de sa communication résument bien le parcours et les résultats de la démarche entreprise en 2008. Le chantier de valorisation et d’amélioration de la langue, mieux connu sous l’appellation Le français, un plus, a effectivement précédé le cadre de mesures du Ministère. Dans sa volonté d’harmoniser les pratiques, la direction et les deux responsables du dossier à l’époque ont réécrit la politique de la langue française du cégep de Sherbrooke et les articles de la PIEA la concernant. Ainsi, les nouvelles règles balisant l’évaluation du français dans tous les cours s’appuyaient désormais sur quelques principes obligatoires : adoption de l’évaluation dite « positive » (par addition), où la qualité du français constitue un critère au même titre que ceux du contenu disciplinaire; précision, dans les plans de cours, de l’étendue de l’évaluation; pondération accordée et possibilité de progression en pourcentage et en profondeur. Dans leur travail de mise en œuvre, ils se sont heurtés à un obstacle majeur et inattendu : le Département de français refusait d’appliquer l’évaluation positive. Le processus d’accompagnement de ces professeurs s’est échelonné sur trois ans avant d’aboutir à leur adhésion et à la publication du Guide.

Pour faire face à l’obstruction (2010-2011), Guillaume Lachapelle a eu recours à un sondage et à la mise sur pied d’un comité pour donner la parole aux principaux opposants. La faiblesse de l’argumentaire de ces derniers lui a ouvert la voie pour faire cheminer les gens (2011-2012) en leur offrant de l’information sur l’évaluation, en nourrissant leur réflexion par une recension des pratiques dans le réseau et une formation. Après un exercice comparant l’effet des différentes modalités appliquées à sept copies d’élèves, le département a pu établir un terrain d’entente (2012-2013). Il restait à élaborer un guide d’utilisation et à en favoriser l’appropriation par une activité commune de correction d’une copie d’élève. Finalement, il s’est dégagé un consensus définitif, qui est encore en vigueur en 2015.

L’expérience vécue par Guillaume Lachapelle au cégep de Sherbrooke illustre on ne peut mieux la patiente détermination dont les repfrans doivent faire preuve pour rallier les professeurs et gagner leur engagement réel. Chapeau!

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Intervenir dans la zone sensible du geste professionnel de la correction et de l’évaluation peut s’avérer un levier extraordinaire ou une pierre d’achoppement des plus résistantes. À cet égard, la journée d’étude du 27 mars a renforcé la conviction du Réseau Repfran : l’accompagnement des départements commence par la présentation d’un projet à la fois réaliste et engageant, formulé en termes clairs, adaptable aux différentes situations et dont le choix des modalités repose sur les décisions de l’équipe enseignante.

En déplorant la grande disparité des modalités de correction et d’évaluation du français entre les collèges et dans un même collège, nous ne cherchions nullement à préconiser une uniformisation nationale des pratiques, pas plus qu’une uniformisation institutionnelle. Une politique « mur à mur » est facile à écrire, cependant elle reste régulièrement lettre morte. Ce que les repfrans souhaitent, c’est un engagement réel de tous les intervenants et intervenantes de chaque milieu pour favoriser une amélioration et une valorisation concrètes du français au collégial.

L’harmonisation des modalités, quelles qu’elles soient dans chaque cégep, devient possible grâce à l’accompagnement professionnel des repfrans. L’ampleur de la tâche à réaliser, que laisse entrevoir le portrait tracé ici, peut en décourager plusieurs. Cet aperçu rappelle, à tout le moins, que le rôle des repfrans est nécessaire et que leur mandat ne peut se limiter à un plan quinquennal.

Les activités de la Journée Repfran de mars 2015 ont, une fois de plus, montré les attitudes gagnantes pour inspirer l’engagement de chacun et chacune. Écouter les enseignants et enseignantes de toutes les disciplines, accueillir leurs objections, les oppositions, les peurs et en tenir compte pour mieux convaincre et avancer. Faire preuve d’ouverture et de souplesse sans perdre de vue l’objectif. Une mission délicate, mais déterminante pour des résultats équitables.

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Les documents cités dans le présent compte-rendu sont accessibles sur le site du Carrefour de la réussite (www.lareussite.info), sous l’onglet Colloques et rencontres, dans le sous-menu Journée Repfran du 27 mars 2015. Ces documents sont reproductibles selon les termes BY-NC-SA de la licence Creative Commons : respect de la paternité, pas d’utilisation commerciale et partage dans les mêmes conditions.
  1. Repfrans : ce sont les répondants et répondantes du dossier du français dans le réseau collégial relativement au cadre des mesures ministérielles de 2011 pour la valorisation et l’amélioration de la qualité de la langue française. [Retour]
  2. RUEST, Colette. Question de vocabulaire. Jeu d’appariement utilisé lors de la Journée Repfran du 27 mars 2015. [Retour]
  3. MÉNARD, Jean-Sébastien. La correction et l’évaluation du français dans les cégeps. Compilation 2015. Cégep Édouard-Montpetit. [Retour]
  4. MÉNARD, Jean-Sébastien. La correction et l’évaluation du français dans les cégeps : état des lieux. Diaporama. Hiver 2015, Cégep Édouard-Montpetit. [Retour]
  5. Le texte de l’élève, son corrigé et les consignes de l’activité sont disponibles sur le site du Carrefour de la réussite. [Retour]
  6. L’attribution d’une note dépend entre autres du barème, qui peut prendre plusieurs formes : pénalité fixe par erreur (en point ou en pourcentage) sans limite ou jusqu’à un certain pourcentage du travail, pénalité associée à l’indice d’erreurs, pénalité liée au nombre d’erreurs par ligne ou par page, formule mathématique, etc. Les variantes sont nombreuses et plus ou moins lourdes à appliquer. [Retour]
  7. RUEST, Colette. Corriger une portion de texte, Cégep de Trois-Rivières, 2010. [Retour]
  8. LACHAPELLE, Guillaume. Harmoniser l’évaluation du français : périlleux mais équitable et bénéfique, Cégep de Sherbrooke, 2015. [Retour]
  9. BERGERON, BOUDREAU, LACHAPELLE, LETENDRE, PELLETIER. Guide des modalités d’évaluation du français écrit dans les cours de français, langue d’enseignement et de littérature, Département de français, Cégep de Sherbrooke, 2013. [Retour]

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