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La grammaire du français au XXe siècle – 2e partie

La grammaire du français au XXe siècle – 2e partie

La grammaire au fil des siècles

Le présent article porte sur la théorie grammaticale qui a pris de l’ampleur à partir des années 1970. Il est le dernier de cette chronique consacrée à la grammaire au fil des siècles.

Dans l’article précédent, nous avons exposé les propositions de la troisième grammaire scolaire, aussi appelée grammaire traditionnelle. Parmi les changements les plus importants, il faut noter d’abord le fait que le participe n’est plus une partie du discours, mais un mode du verbe ; ensuite, que le système des fonctions est remodelé sur un principe essentiellement sémantique. Les notions d’agent, d’objet de l’action et de circonstance sont devenues essentielles.

La troisième grammaire scolaire a été critiquée, comme les courants grammaticaux qui l’ont précédée. Les attaques ont essentiellement porté sur la définition sémantique des fonctions, sur l’importance accordée aux exceptions, sur les exemples utilisés – considérés comme trop littéraires – et sur l’organisation du matériel grammatical. La remise en question de la grammaire scolaire ainsi que de l’enseignement grammatical tel qu’il se pratiquait a eu lieu dans les années 1960-1970. En sont à l’origine les avancées de la linguistique, et celles de la psychologie développementale et éducationnelle.

Figure 1 Dubois et Lagane (1973) La nouvelle grammaire du français

La grammaire du français dans l’espace francophone a bénéficié d’un renouveau théorique, que des circulaires ministérielles et des codes de terminologie ont tenté de circonscrire. Il faut souligner que les ouvrages qui s’inscrivent dans la nouvelle théorie côtoient des publications d’inspiration traditionnelle, comme cela a toujours été le cas en période de changement. Les modifications apportées font entrer la grammaire du français dans une nouvelle phase,que nous dénommons la quatrième grammaire scolaire. D’autres appellations sont utilisées, notamment grammaire nouvelle, nouvelle grammaire, grammaire moderne, grammaire rénovée, voire grammaire conforme au code de terminologie grammaticale. La période couverte commence dans les années 1970. On peut symboliquement fixer la date de 1973, année de publication de l’ouvrage de Dubois et Lagane, La nouvelle grammaire du français (figure 1).

Cet article, comme les précédents, dégagera les grandes tendances de la période étudiée. Il ne s’agit donc pas de présenter ici la grammaire moderne dans son ensemble, mais bien d’en cibler les points de rupture avec la théorie grammaticale antérieure. Nous aborderons d’abord le traitement des classes de mots, ensuite la notion de phrase, et enfin, la définition des fonctions et l’impact de certaines d’entre elles sur le classement des verbes.

Les classes de mots

Le premier changement dont nous traiterons est la dénomination de ce que l’on appelait les parties du discours. La grammaire moderne utilise plutôt le terme classe de mots ou catégorie de mots pour désigner le nom, le verbe, l’adjectif, etc.

La linguistique a montré que le contexte d’apparition d’un mot donne lieu à une analyse différente et donc à une catégorie différente (par exemple, le chatje le vois). C’est pour cette raison que la grammaire moderne délaisse le terme nature en faveur des termes synonymes catégorie et classe, qui permettent d’insister sur la variabilité possible alors que le terme nature suggère une sorte d’immuabilité.

La procédure de classement a, elle aussi, changé. Auparavant, le sens d’un mot intervenait grandement dans sa définition en tant que partie du discours. Ainsi, le nom désignait un être ou une chose ; le verbe exprimait une action ou un état ; etc. Bien sûr, des considérations morphologiques permettaient de rassembler les termes dans une même classe : la possibilité de la variation en genre, en nombre, en personne, etc. Mais il s’agissait d’un critère plus périphérique que celui de la notion sémantique attachée à la nature du mot. Pourtant, si des tendances sémantiques existent entre les classes de mots, il n’en demeure pas moins que des catégories différentes sont en mesure d’exprimer des notions sémantiques semblables. Ainsi, si un adjectif représente une qualité (bon), un nom peut en faire autant (la bonté).

La quatrième grammaire scolaire a érigé en critères de classement non plus des notions sémantiques, mais des considérations morphologiques (les marques de genre, de nombre, etc.) et syntaxiques (la position syntaxique et donc la fonction qu’un mot peut occuper dans une phrase). Ce sont désormais de tels critères qui définissent l’appartenance d’un mot à une classe dans un contexte donné. Ainsi, les possibilités de remplacement d’un mot par un autre dans une même position, avec un même comportement morphologique, font que ces deux mots appartiennent à une même catégorie. La distinction entre les classes de mots repose, par exemple, sur le fait qu’un déterminant précède un nom et en prend les marques de genre et de nombre ; qu’un adjectif forme un groupe avec un nom et en prend les marques de genre et de nombre ; qu’un verbe est susceptible de prendre des marques de personne, de nombre, de mode, de temps ; etc.

Conséquence des nouvelles procédures de classement : les classes de mots et leurs sous-classes présentent quelques différences par rapport à celles de la grammaire traditionnelle. Les changements sont l’aboutissement de réflexions linguistiques, mais certaines propositions avaient déjà été faites auparavant (notamment, le classement des déterminants par Beauzée au XVIIIe siècle).

La classe de l’adjectif, autrefois séparée en adjectifs qualificatifs et en adjectifs déterminatifs, ne comporte plus que les premiers. Sur le plan syntaxique, on les reconnaît à la fonction de complément du nom qu’ils peuvent occuper (un gentil garçon, un garçon gentil). À l’heure actuelle, deux sous-classes d’adjectifs sont définies : les adjectifs qualifiants (susceptibles d’être modifiés, comme dans très gentil, et pouvant avoir la fonction d’attribut : il est gentil) et les classifiants (non modifiables, comme dans *très budgétaire, et ne pouvant occuper la fonction d’attribut du sujet : *Cette demande est budgétaire).

Quant aux adjectifs déterminatifs, ils sont maintenant rangés dans la classe des déterminants et portent les noms de déterminants possessifs, démonstratifs, relatifs, exclamatifs, interrogatifs, indéfinis et numéraux. L’article (le, la, les) porte encore ce nom, mais est de plus en plus souvent appelé déterminant défini. Il fait partie de cette classe de mots qui précèdent toujours le nom : le chien, mon chien, ce chien, lequel chien, quel chien, tout chien, deux chiens.

Comme au cours de la période précédente, la classe du verbe contient la sous-classe des verbes auxiliaires et propose des appellations qui ne sont généralement que des variantes de ce qui existait déjà. Les listes sont cependant plus précises. Parmi les auxiliaires, on distingue deux grands types : d’une part, les auxiliaires de conjugaison (avoir et être), qui sont suivis d’un participe passé et qui forment les temps composés ; d’autre part, les semi-auxiliaires (aller, devoir, pouvoir, venir de, être en train de, etc.), qui sont suivis d’un infinitif éventuellement précédé d’une préposition et qui apportent des nuances sémantiques comme la possibilité, l’obligation, le début d’un événement, sa proximité de réalisation, etc. La catégorie des semi-auxiliaires n’est pas toujours désignée comme telle et laisse alors place aux dénominations de ses sous-catégories : les auxiliaires modaux (devoir, pouvoir, etc.) indiquent une modalité, c’est-à-dire un point de vue (l’obligation, la possibilité) ; les auxiliaires d’aspect (aller, commencer à, finir par, cesser de, achever de, etc.), le déroulement de ce qu’exprime le verbe (par exemple, le début d’une action ou sa fin) ; les auxiliaires factitifs (ou de causalité : faire, laisser), la cause de ce qu’exprime le verbe (par exemple, dans Je fais mijoter ce plat, le sujet Je est la cause du fait que le plat mijote) ; les auxiliaires de voix passive (se faire, se laisser, se voir, etc.), un positionnement en sujet d’un complément du verbe (par exemple, dans Je me suis fait berner, le sujet Je est en fait le complément direct du verbe berner).

La grammaire moderne regroupe parfois en une classe de mots les mots-outils ou mots de liaison et subdivise alors ce groupe en sous-catégories (préposition, conjonction de subordination, conjonction de coordination). Toutes ces catégories de mots ont comme caractéristique syntaxique commune d’établir des liens entre des groupes de mots ou entre des phrases. Lorsque ce regroupement n’est pas fait, les mêmes catégories existent côte à côte, au titre de classes de mots à part entière.

Enfin, l’interjection (zut, bof, etc.) perd de son importance dans les classes de mots. Si certains grammairiens continuent de lui accorder une catégorie à part entière – tantôt interjection, tantôt mot-phrase –, d’autres la rangent dans une catégorie de phrase (phrase non verbale) et ne lui accordent donc plus le statut de classe de mots.

La phrase

La quatrième grammaire scolaire systématise l’analyse des phrases en proposant un modèle sur lequel tout le système grammatical phrastique est construit. Il s’agit du modèle de la phrase de base (aussi appelé structure de base, structure de phrase P, phrase P, modèle phrase P, modèle de base, phrase de base ou encore P). Il est constitué de deux groupes de mots obligatoires (un groupe nominal1 et un groupe verbal) et d’un groupe facultatif (pouvant relever de plusieurs catégories : groupe nominal, prépositionnel ou adverbial).

Toutes les phrases syntaxiques peuvent être analysées selon le modèle de la phrase de base : soit elles s’y conforment, soit elles ne s’y conforment pas. Dans ce dernier cas, elles sont dites atypiques et sont classées en fonction de leurs entorses au modèle. On y trouve les phrases à présentatif, les phrases non verbales et les phrases infinitives. Quant aux phrases conformes au modèle, elles peuvent le suivre dans sa forme la plus canonique ou y apporter toute une série de variantes. Les phrases sont alors dites transformées ou dérivées, par des transformations de type (impératif, interrogatif et exclamatif) ou de forme (négative, passive, emphatique et impersonnelle). Une autre variation à partir du modèle consiste à combiner plusieurs phrases syntaxiques en une ; il y a dans ce cas plusieurs verbes entre la majuscule et le point. Il ne s’agit alors plus d’une phrase de base, mais d’une phrase complexe. Celle-ci assemble plusieurs phrases syntaxiques (analysables à partir du modèle de la phrase de base) selon des procédés de juxtaposition, de coordination ou de subordination. Une des avancées de la grammaire moderne est d’avoir réorganisé l’analyse des phrases subordonnées. De manière générale, leur classement repose sur des principes syntaxiques comme le type d’insertion dans la phrase matrice et le type de subordonnants utilisés. Les subordonnées infinitives, en particulier, sont désormais analysées comme des réductions de subordonnées à verbes conjugués, ce qui permet d’uniformiser le traitement des phrases complexes.

Le modèle de la phrase de base est fondamental dans l’analyse, puisqu’il permet de montrer la régularité du système syntaxique : une structure sert de modèle et les transformations sont définies à partir de celui-ci. Dans cette optique, la phrase syntaxique est devenue le cadre de référence. Le terme de phrase a ainsi remplacé celui de proposition, trop lié au vocabulaire de l’analyse logique. On parle désormais de phrases subordonnées et non plus de propositions subordonnées. Le changement de dénomination semble superficiel, mais rend compte de l’importance accordée à un modèle, celui de la phrase de base, qui permet de générer, de construire l’ensemble des phrases respectant la structure du français.

La systématicité et la rigueur de l’analyse grammaticale issue de la linguistique ont permis de proposer trois niveaux d’analyse : le niveau des classes de mots (déterminant, nom, adjectif, etc.), celui des groupes de mots (groupe nominal, groupe adjectival, etc.) et celui de la phrase. La présence de groupes syntaxiques était déjà explicite auparavant, notamment dans la grammaire de Lanusse et Yvon (1931, voir notre article précédent), mais le système n’avait pas atteint sa pleine rigueur. C’est à la quatrième grammaire scolaire qu’il revient d’exploiter la notion de groupe et d’emboîtements successifs. Ainsi, les mots s’organisent autour d’un noyau, forment des groupes, et ceux-ci se combinent pour former des phrases. Tant les combinaisons de mots que celles de groupes sont astreintes à des règles.

Les groupes de mots, aussi appelés syntagmes, donnent une vision hiérarchisée de la phrase. De nombreuses grammaires du courant moderne proposent d’ailleurs une schématisation de l’analyse de la phrase grâce aux arbres syntaxiques, aussi appelés structures arborescentes. Cette pratique est directement issue de ce que la linguistique fait en syntaxe. Elle consiste à représenter les trois niveaux d’analyse (classe de mots, groupe, phrase) d’une façon graphique (figure 2).

Figure 2

Figure 2 Arbre syntaxique ou structure arborisante

Les fonctions

La grammaire moderne a révisé l’ensemble des fonctions. Elle a abandonné les définitions sémantiques (sujet de l’action, objet de l’action, circonstance de l’action) au profit de définitions syntaxiques. Dans cette perspective, donner la fonction d’un groupe de mots consiste à analyser son rôle au sein de la structure de la phrase. Par conséquent, les fonctions sont désormais définies au moyen de manipulations syntaxiques (remplacement par un pronom de forme sujet, encadrement, etc.). La grammaire moderne les a parfois renommées pour souligner la différence de perspective. Le changement peut paraître superficiel, mais il n’en est rien. Ainsi, il n’y a plus de compléments d’objet (directs ou indirects), mais des compléments directs ou indirects.

Dans le cas des compléments du verbe en particulier, la différence entre les deux théories grammaticales réside dans le fait que la grammaire traditionnelle assignait une fonction syntaxique uniquement à partir de la signification du groupe de mots, le plus souvent pris isolément. Ainsi, cinq dollars, cinq minutes expriment des mesures ; (de) Montréal, (à) Sherbrooke sont des lieux. Une mesure ou un lieu étant des notions circonstancielles en grammaire traditionnelle, les groupes ont la fonction de complément circonstanciel. À l’opposé, un groupe de mots comme une pomme (dans Je mange une pomme) ou de politique (dans Je parle de politique) sera l’objet d’une action, donc un complément d’objet direct ou indirect. Il faut bien se rendre compte qu’attribuer de telles catégories à des groupes de mots revient à analyser le sens des mots. Or, ce n’est pas l’objectif d’une analyse syntaxique.

La grammaire moderne définit les fonctions de compléments du verbe selon le principe de lien entre le noyau du groupe verbal (c’est-à-dire le verbe) et l’élément s’inscrivant dans la sphère du noyau. Il s’agit dès lors non plus d’analyser un groupe de mots isolément pour ce qu’il signifie (mesure, lieu, objet), mais d’analyser ce groupe en relation avec le noyau verbal. La particularité de cette relation est de se définir sur deux plans : celui de la syntaxe et celui de la sémantique. Il s’agit en quelque sorte du recto et du verso d’une feuille, puisque les deux plans sont profondément dépendants l’un de l’autre. Seul un groupe de mots désignant un élément important pour le sens du verbe présentera un lien syntaxique marqué avec celui-ci. Beaucoup de grammaires n’insistent que sur le lien syntaxique unissant le verbe à son complément et proposent des tests (type de pronom de remplacement, effacement, etc.) permettant de déterminer si un groupe de mots est un complément du verbe ou non. Or, la relation syntaxique et sémantique entre un verbe et son complément présente des degrés divers, ce qui rend parfois l’analyse difficile, puisqu’un groupe de mots pourra moins bien répondre aux différentes manipulations syntaxiques. Dans ce cas, l’analyse sémantique permet de pallier les limites des tests et de vérifier qu’un groupe de mots lexicalise un élément relativement important dans la sémantique du verbe. Il faut cependant convenir qu’une telle vérification requiert une bonne compréhension du sens d’un verbe. Par exemple, dans une phrase telle que Le sang circule dans les vaisseaux, les tests syntaxiques tendent vers une analyse du groupe dans les vaisseaux en complément de phrase alors qu’il s’agit d’un complément indirect représentant un élément essentiel pour le sens du verbe circuler, à savoir le circuit dans lequel passe le sang.

La définition moderne des compléments du verbe remodèle ce que la troisième grammaire scolaire avait élaboré.Les conséquences sont lourdes :les compléments de lieu, de prix, de poids, de mesure, de résultat, etc., sont des compléments directs ou indirects s’ils sont requis (syntaxiquement et sémantiquement) par le verbe et ne peuvent généralement être effacés sous peine de rendre la phrase agrammaticale ou d’en changer le sens. Ainsi, aller à Montréal, vivre au Québec, changer l’eau en vin, peser 60 kilos contiennent des compléments du verbe, directs ou indirects selon qu’ils sont ou non introduits par une préposition.

L’élargissement de la notion de complément direct pose cependant un problème pour la règle d’accord du participe passé (à moins de suivre l’arrêté Haby de 19762), qui doit dès lors différencier les types sémantiques de ce complément. Ainsi, ceux qui expriment une quantité ou une mesure ne permettent pas l’accord du participe passé.

Les deux ouvrages de Grevisse revus par Goosse, Nouvelle grammaire française et Le bon usage, proposent une réorganisation intermédiaire qui tient compte de l’obligation syntaxique et du caractère d’objet ou d’adverbe du complément. Ainsi, les anciens compléments circonstanciels sont catégorisés comme des compléments adverbiaux, ce qui permet de regrouper toutes les notions de poids, de mesure, de lieu, qui ne sont donc pas des notions d’objet. Parmi les compléments adverbiaux, on trouve les compléments adverbiaux essentiels (par exemple, aller à Montréal, peser 60 kilos) et les compléments adverbiaux non essentiels (par exemple, manger un fruit à 16 heures). Selon cette répartition des compléments, la règle d’accord du participe passé employé avec avoir est préservée. En fait, le problème réside en grande partie dans la règle d’accord du participe passé, qui a été fixée et formulée à l’époque de la première grammaire scolaire et qui est donc profondément ancrée dans cet appareil théorique.

L’abandon des définitions sémantiques a transformé la fonction de complément d’agent (qui exprime l’agent de l’action) en complément du verbe passif (par exemple, Ce colis a été emballé par une employée). Les fonctions apparaissant dans les constructions impersonnelles ont aussi été révisées pour les mêmes raisons. Le sujet apparent, parfois appelé sujet grammatical (par exemple, Il pleut des cordes), est rangé parmi les sujets ; tandis que le sujet réel, parfois appelé sujet logique (Il pleut des cordes), est devenu le complément du verbe impersonnel.

La fonction d’attribut désigne les mêmes constructions qu’auparavant (par exemple, elle est sympathique). Seule a changé la définition, qui est désormais axée sur l’aspect syntaxique de la fonction et insiste sur les manipulations possibles.

Pour davantage de clarté, voici un tableau comparatif des principales fonctions touchées par les changements entre la grammaire traditionnelle et la grammaire moderne. Ce tableau se veut un résumé et ne doit pas faire oublier les variantes qui existent entre les grammaires d’une même période.
 

GRAMMAIRE TRADITIONNELLEGRAMMAIRE MODERNE

Sujet (S)

Sophie pense à ses vacances.

  • L’être ou la chose qui fait l’action ou dont on exprime l’état.
  • Répond à la question qui est-ce qui… ?, qu’est-ce qui … ? : Qui pense à ses vacances ?

Sujet (S)

Sophie pense à ses vacances.

  • Encadrement par c’est… qui : C’est Sophie qui pense à ses vacances.
  • Pronominalisation par il(s), elle(s) : Elle pense à ses vacances.
  • Donneur d’accord du verbe.

Complément d’objet direct (COD)

Sophie a écrit un article.

Ce colis pèse deux kilos. (pas de COD)

  • L’objet de l’action, joint au verbe sans préposition.
  • Répond à la question qui ? ou quoi ? posée après le verbe : Sophie a écrit quoi ?

Complément direct (CD)

Sophie a écrit un article.

Ce colis pèse deux kilos.

  • Pas de déplacement.
  • Pas de suppression grammaticale ou pas de suppression sans changement de sens du verbe.
  • Pas de préposition.
  • Généralement, pronominalisation par le, la, les : Elle l’a écrit. Sinon, en : Elle mange des fruits, elle en mange. Impossible pour les compléments de mesure.
  • Généralement, mise au passif : L’article a été écrit par Sophie.

Complément d’objet indirect (COI)

Sophie pense à ses vacances.

Elle vient de Liège. (pas de COI)

  • L’objet de l’action, joint au verbe au moyen d’une préposition.
  • Répond à la question à qui ?, à quoi ?, de qui ?, de quoi ?… posée après le verbe : Sophie pense à quoi ?

Complément indirect (CI)

Sophie pense à ses vacances.

Elle vient de Liège.

  • Pas de déplacement.
  • Pas de suppression grammaticale ou pas de suppression sans changement de sens du verbe.
  • Préposition.
  • Généralement, pronominalisation par lui, leur, en, y : Elle y pense. Elle en vient.

Complément circonstanciel (CC)

J’irai à Liège la semaine prochaine. (deux CC)

  • Les circonstances de l’action comme le lieu, le temps, la quantité.
  • Répond à une question telle que quand ?, où ?, combien ?, etc.

Complément de phrase (CPh)

J’irai à Liège la semaine prochaine.

  • Déplacement : La semaine prochaine, j’irai à Liège.
  • Suppression, sans rendre la phrase agrammaticale ou sans changer le sens du verbe : J’irai à Liège.
  • Dédoublement : J’irai à Liège, et cela / et je le ferai la semaine prochaine.

Sujet apparent ou sujet grammatical

Il faut du temps.

  • Sujet qui ne désigne ni un être ni une chose faisant l’action.

Sujet (S)

Il faut du temps.

  • Pronom de forme sujet : il.
  • Donneur d’accord du verbe.

Sujet réel ou sujet logique

Il faut du temps.

  • Est le véritable sujet, répond à la question qui est-ce qui ?, qu’est-ce qui ?

Complément du verbe impersonnel (CVimp)

Il faut du temps.

  • Expansion du verbe impersonnel.
  • Dans certains cas, pronominalisation :
    Il en faut.

Attribut du sujet (AttrS)

Elle reste sympathique.

  • Désigne l’état du sujet ou une qualité de celui-ci.

Attribut du sujet (AttrS)

Elle reste sympathique.

  • Pas de déplacement.
  • Pas de suppression.
  • Généralement, pronominalisation par le : Elle le reste.
  • Généralement, accord avec le sujet.

Le classement des verbes

Les sous-classes de verbes correspondent aux dénominations de verbe pronominal, verbe intransitif, etc. La grammaire moderne présente une sous-classe supplémentaire : il s’agit de la classe des verbes attributifs. Ce sont des verbes se construisant avec un attribut du sujet et qui étaient considérés en grammaire traditionnelle comme des verbes intransitifs, et nommés plus précisément verbes d’état (par opposition aux verbes d’action).

Dans les deux théories grammaticales, les classes des verbes intransitifs, transitifs indirects et transitifs directs reposent sur les fonctions qui peuvent accompagner le verbe : respectivement, complément circonstanciel ou complément de phrase, complément (d’objet) indirect et complément (d’objet) direct. Les définitions de ces fonctions ayant été modifiées, certaines constructions verbales ne sont plus analysées de la même manière, ce qui a un impact sur leur classement.

Ainsi, selon l’analyse de la grammaire traditionnelle, les constructions qui présentent un complément circonstanciel prépositionnel obligatoire (par exemple, Je viens de Liège) sont classées comme intransitives. Selon la grammaire moderne, le même groupe est un complément indirect, puisqu’il s’agit d’un complément obligatoire. La construction est donc classée comme transitive indirecte. Le reclassement touche également les compléments circonstanciels non prépositionnels obligatoires (par exemple, Ce colis pèse deux kilos). La construction présentant désormais un complément direct, elle est classée comme transitive directe.

Conclusion

Le présent article a exposé la majorité des propositions de la quatrième grammaire scolaire en ce qui a trait à la syntaxe de la phrase. Ce courant grammatical a aussi repoussé les limites de l’analyse traditionnelle (qui ne traitait que le niveau phrastique) en développant l’analyse des phénomènes grammaticaux au niveau textuel. Nous avons vu que, dans la grammaire moderne, les mots sont classés non plus à partir de critères immuables, mais bien en fonction du contexte dans lequel ils apparaissent. Les procédures de classement n’envisagent plus un terme comme une notion sémantique, mais comme une notion morphologique et syntaxique qui répond à des critères (modifications de forme, manipulations syntaxiques, distribution dans la phrase).

L’analyse de la phrase est hiérarchisée et comporte maintenant trois niveaux : celui des mots, celui des groupes de mots et celui de la phrase. De plus, l’analyse est systématisée grâce au modèle de la phrase de base, qui permet de décrire uniformément les phrases.

Les fonctions ont été redéfinies en termes avant tout syntaxiques. Les changements de noms (complément direct, complément indirect, complément de phrase, complément du verbe passif, complément du verbe impersonnel) sont la marque de la nouvelle perspective adoptée. L’impact est profond pour trois fonctions, celles de compléments direct et indirect et celle de complément de phrase. La nouvelle approche fonctionnelle oblige à réviser une partie du classement des verbes, puisque celui-ci repose, pour certaines sous-classes, sur les fonctions pouvant accompagner le verbe. Ainsi, de nombreux verbes traditionnellement intransitifs sont passés dans les sous-classes des transitifs directs et, surtout, indirects. * * *

Cet article clôt notre périple à travers la théorie grammaticale française. Je tiens à remercier chaleureusement Lucie Libersan et Dominique Fortier pour leurs conseils, et surtout pour leur confiance en mon travail.
  1. Un groupe nominal sujet peut prendre des formes variables : un nom seul (par exemple, Paris), un déterminant et un nom, avec possiblement d’autres expansions (par exemple, cet article sur la grammaire) ou encore un pronom (par exemple, elle). [Retour]
  2. Cet arrêté, promulgué en France en 1976 par le ministre de l’Éducation, présente une liste de tolérances orthographiques et grammaticales « dans les examens ou concours dépendant du ministère de l’éducation et sanctionnant les étapes de la scolarité élémentaire et de la scolarité secondaire » (Arrêté Haby, 1976). Ainsi, en particulier, il y est autorisé que le participe passé des verbes coûter, valoir, courir, vivre, etc., s’accorde (ou non) avec le complément, construit directement, s’il est placé devant le verbe. L’arrêté donne en exemple Je ne parle pas des sommes que ces travaux m’ont coûté (coûtées). [Retour]

RÉFÉRENCES

DUBOIS et LAGANE (1973), La nouvelle grammaire du français.

LANUSSE et YVON (1931, 10e édition), Cours complet de grammaire française.

GREVISSE (1995), Nouvelle grammaire du français.

GREVISSE (2007), Le bon usage.

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