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Valoriser la langue: un engagement collectif au quotidien

Valoriser la langue: un engagement collectif au quotidien

Devant le constat maintes fois répété des piètres performances linguistiques des jeunes, les cégeps et les universités ont dû se doter d’une politique relative à l’emploi et à la qualité de la langue française[1]. Contrairement à ceux et celles qui ne voient dans ces nouveaux règlements qu’un discours de bonne conscience, je crois que la valorisation de la langue peut porter des fruits si elle s’appuie au quotidien sur des gestes simples de chacun et chacune.

Comment peut-on tangiblement exercer une influence déterminante sur la qualité de la langue des élèves ? Sans prétendre avoir trouvé la panacée ni même vouloir servir d’exemple à suivre, je tenterai de répondre à cette question en puisant dans mon expérience d’animatrice linguistique au cégep de Trois-Rivières.

Valoriser la langue dans un établissement d’enseignement

Les enseignants et enseignantes de littérature sont bien placés pour faire découvrir les subtilités de la langue, en montrer les riches potentiels à travers l’étude de textes et guider les élèves dans le maniement de cet instrument. Toutefois, ils ne peuvent représenter à eux seuls l’usage de la langue des sciences, des techniques et des arts. Si les cégépiens et cégépiennes n’acquièrent pas leur formation dans un milieu privilégiant un français de qualité, ils n’auront ni la possibilité ni peut-être même la volonté d’exercer leur métier ou leur profession dans un meilleur français.

Peu importe la discipline enseignée, comme professeurs et professeures, nous portons tous et toutes une lourde responsabilité, et celle-ci commence par notre façon d’être. Que nous le voulions ou non, qu’ils en soient conscients ou non, nous servons de modèles aux jeunes que nous formons. La qualité du français que nous employons et notre attitude envers la langue marquent notre enseignement. Les élèves apprennent le français que nous utilisons avec eux, à l’oral comme à l’écrit.

Cette prémisse vaut non seulement pour les professeurs, mais également pour tous les adultes travaillant dans un établissement d’enseignement. C’est pourquoi la politique du français en vigueur chez nous touche toutes les dimensions de la vie collégiale : du classement des élèves à la langue de travail et des communications en passant par l’embauche et le perfectionnement du personnel, sans oublier l’application de cette politique dans les départements. Ainsi, tous les intervenants et intervenantes du collège, quelle que soit leur catégorie d’emploi, sont visés parce qu’en utilisant une langue de qualité, ils la valorisent auprès des élèves et participent à son amélioration.

Pour qu’une politique linguistique ne constitue pas un simple exercice de rhétorique, chaque personne doit acquérir la conviction que tout geste compte. Les événements publics tels que les campagnes du bon français, les concours, les conférences, les débats et la diffusion de statistiques, etc., aident à la sensibilisation, à la promotion et ils sont nécessaires, mais ils se retrouvent en porte-à-faux s’ils ne s’appuient pas sur des pratiques constantes bien enracinées dans le quotidien. Nos actions ont plus d’effet sur les élèves que nos discours parce qu’elles leur révèlent rapidement ce à quoi nous accordons de l’importance. Nul besoin de partir en croisade ni de nous transformer en experts de la langue ; cependant, il est essentiel de leur présenter de la qualité et d’en exiger en retour.

Animation du milieu

Cette vision collective et englobante d’une politique de valorisation de la langue a guidé chacun de nos engagements au cégep de Trois-Rivières. Ainsi, petit à petit, depuis 1980, nous avons mis en place notre politique linguistique. J’ai la chance de travailler dans un collège où la direction et les syndicats croient au rôle déterminant du personnel et le prouvent en lui offrant le soutien dont il a besoin. À titre d’animatrice au centre d’aide en français, le CARL, je suis responsable du perfectionnement linguistique du personnel enseignant et non enseignant, j’accompagne les départements dans l’application des modalités de leur politique du français et j’assure le suivi du dossier des compétences langagières.

Dans mon travail, je n’ai pas rencontré beaucoup de personnes indifférentes à leur responsabilité dans l’amélioration de la qualité du français. Par contre, je côtoie des gens qui se sentent plus ou moins démunis, plus ou moins outillés pour corriger la langue, plus ou moins habiles à le faire, plus ou moins disponibles. Pour les soutenir, je leur propose une démarche pragmatique ; mon mot d’ordre : Imaginons le faisable et faisons-le !

Interventions auprès du personnel

On peut souhaiter que tous les employés d’un cégep en contact avec des élèves maîtrisent bien la langue. Malheureusement, on le sait, la réalité est différente. Dans certains domaines techniques en particulier, même le personnel enseignant, bien que très compétent sur le plan disciplinaire, présente des lacunes sur le plan langagier. Aussi, quand le recrutement est difficile, il nous arrive de devoir engager un candidat ou une candidate qui n’a pas bien réussi le test de présélection en français. Pour résoudre le problème, la direction assortit le contrat de cette personne de l’obligation de perfectionner son français écrit jusqu’à l’atteinte d’une compétence suffisante, et ce, en profitant des services offerts par l’animatrice linguistique. Par conséquent, à raison d’une heure par semaine pendant un ou plusieurs semestres, selon les besoins, ces recrues sont inscrites en tutorat. De cette façon, nous outillons les plus faibles parmi les nouveaux membres du personnel enseignant ou non enseignant.

Qu’advient-il des autres employés dont le français écrit, sans être nettement insuffisant, semble fragile ? Ils peuvent également profiter des services de l’animatrice, lesquels vont de la rencontre diagnostique au cours de grammaire en groupe en passant par le programme individualisé avec ou sans encadrement. Quelle que soit la formule pédagogique choisie, les objectifs restent les mêmes : rafraîchir les connaissances, développer des habiletés d’analyse grammaticale pour comprendre les causes des erreurs les plus fréquentes, pour être capables de les repérer, de les expliquer aux élèves et pour améliorer la qualité de ses propres textes.

Sensibiliser cette catégorie d’employés et les motiver à entreprendre un perfectionnement, voilà le premier obstacle à surmonter. Souvent, ils ne sont pas vraiment conscients de leur problème. En effet, quand on a quitté les bancs de l’école depuis plusieurs années, on écrit plus ou moins fréquemment, mais surtout, on a rarement la chance de se faire relire par plus expert que soi. Si certains avouent qu’ils contournent constamment leurs difficultés parce qu’ils ne savent comment les corriger, d’autres croient ne pas commettre d’erreurs parce que personne ne les leur signale. Qui plus est, reconnaître ses propres lacunes et demander de l’aide exige une dose d’humilité. Dans un contexte où l’on attend du personnel un certain niveau de compétence pour produire des textes de qualité, pour corriger adéquatement des copies, bref pour incarner un modèle inspirant, le perfectionnement linguistique apparaît comme un moyen d’assumer plus facilement ses responsabilités.

Interventions auprès des élèves

Corriger des travaux, surtout s’ils sont longs et nombreux, représente la part ingrate de la tâche déjà surchargée de l’enseignant et de l’enseignante. Comment la rendre moins pénible ? D’abord en précisant l’objectif de ce geste. Faire écrire les élèves, c’est sans conteste un excellent moyen de vérifier leurs apprentissages disciplinaires, mais c’est aussi une façon de leur donner l’occasion de devoir bien écrire. On le sait, un certain nombre d’entre eux présentent d’assez bonnes performances écrites, mais malheureusement, la plupart attendent d’y être contraints, ils ne fournissent l’effort suffisant que si des points sont en jeu. S’ils ne sont pas placés régulièrement devant l’obligation de bien écrire, ils ne peuvent pas progresser. Le rôle de l’enseignant ne consiste pas à agir comme un réviseur de texte qui ne doit laisser aucune erreur, mais plutôt à donner à l’élève un portrait de sa situation et à l’inciter à s’améliorer.

Dans cet esprit, il n’est peut-être pas nécessaire de corriger le français sur l’ensemble de la copie ni de corriger toutes les évaluations écrites. C’est pourquoi nous avons développé la stratégie de la portion de texte : les professeurs de toutes les disciplines corrigent la langue sur une portion d’environ 150 mots à quelques reprises durant le semestre sans prévenir les élèves de l’évaluation retenue pour cet exercice ni de la section corrigée. Ces derniers apprennent ainsi à être constamment responsables de la qualité de leurs écrits. Rares sont les cours où aucun examen, devoir ou rapport ne peut compter une quinzaine de lignes. Dans les cours qui se prêtent mal à des activités d’écriture – pensons aux cours où dominent le dessin, les calculs, les ateliers pratiques –, le département prévoit un barème différent pouvant s’appliquer aux quelques mots d’un plan, par exemple, ou aux phrases de présentation ou de conclusion, etc. Il est toujours possible de s’adapter sans renoncer à ses exigences ! L’important, c’est de donner le plus souvent possible aux élèves le message que nous attendons un français écrit correct.

Évidemment, si les enseignantes et enseignants s’appuient sur une bonne connaissance de la langue, ils hésitent moins devant les copies, ils sont moins stressés à l’idée de devoir justifier leurs corrections et, en gagnant temps et énergie, ils deviennent plus efficaces.

Conclusion

La maîtrise de la langue, ce n’est pas un don du ciel ni une compétence acquise une fois pour toutes… Cette compétence nécessite un engagement régulier pour se maintenir et continuer à se développer. Elle n’exige toutefois pas des efforts déraisonnables, elle peut même se conjuguer avec le plaisir – par exemple, en lisant la chronique linguistique dans le journal du collège et le P.A.S., le nouveau feuillet linguistique du CCDMD, en fréquentant les jeux du site du CCDMD, en participant à différents concours ou à un club de dictées… les enseignants et enseignantes comme les élèves peuvent s’amuser tout en apprenant.

Nul besoin d’être spécialiste de la langue pour la valoriser. Quand on l’utilise dans son enseignement, on montre qu’elle est un outil adéquat dans toutes les disciplines. Et quand on place régulièrement les élèves face à des exigences de qualité clairement formulées, on leur montre que c’est un instrument intellectuel essentiel à maîtriser et on les aide à y parvenir. Une politique institutionnelle de valorisation de la langue réellement mise en application, c’est possible… à petits pas, dans la somme des petits gestes de chacun et chacune. Je demeure convaincue qu’on peut, avec de la patience et de la persévérance, arriver à rendre contagieux le plaisir d’écrire mieux.

* * *

  1. La loi 104, adoptée le 12 juin 2002, modifiait la Charte de la langue française, L.Q.2002, c.28, a. 10, particulièrement le chapitre VIII.I, articles 88.1, 88.2 et 88.3. Retour

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